La grande série de jeux de combat de SNK revient dans un nouvel épisode avec The King of Fighters XV. Dans un contexte où la concurrence est toujours plus rude et où le précédent volet avait laissé planer un doute sur les capacités du développeur, le titre réussit-il à sortir du lot ? En vérité, KOF XV a surtout fait le pari de parler à ses ouailles, tout en laissant les curieux sur le banc de touche.
Qui se souvient encore du fait que The King of Fighters est à l'origine une sorte de festival des beat'em up de SNK ? Fatal Fury, Art of Fighting, Ikari Warriors ou encore Psycho Soldiers pour ne citer qu'eux se retrouvent dans une grande compétition en équipe pour déterminer qui est la meilleure licence. Mais de nos jours, ironiquement, c'est The King of Fighters qui est sorti vainqueur ; plus personne ne se souvient vraiment des autres licences, si ce n'est pour le sobriquet affublé à l'équipe des trois personnages en jeu. Aussi, le titre devient toujours plus nostalgique à mesure que les années passent.
The King of Fighters XV avait cependant une mission bien plus pressante devant lui. Le marché du jeu vidéo accueille à nouveau à bras ouverts les jeux de combat, comme l'ont prouvé les sorties de Street Fighter V, Dragon Ball FighterZ ou encore Guilty Gear Strive. Même Melty Blood a eu le droit à un nouvel épisode ! Mais après la douche froide que fut The King of Fighters XIV, apprécié de sa niche mais difficilement vendable au grand public, il était temps pour SNK de se repositionner en concurrent sérieux. Reconquérir le trône sur lequel il s'est jadis assis.
Vivelle KOF Fixation béton
Allons directement dans le vif du sujet, puisqu'il est certain qu'après KOF XIV, la première question posée autour de son successeur concernera ses graphismes. SNK a compris avec Samurai Shodown qu'il pouvait cacher ses défauts techniques grâce à une direction artistique plus marquée, et c'est exactement cette leçon que l'on retrouve sur leur nouveau bébé. Dire que KOF XV est moche serait mentir. Dire qu'il est techniquement réussi le serait tout autant. C'est ça, la magie d'une direction artistique maîtrisée.
Du côté de la technique, le grand festival de la baston est loin de surprendre. La plastique de la plupart de ses personnages est exactement ça : plastique. Lisse. Des hommes et des femmes faits de cire qui s'élancent gaiement les uns contre les autres, avec des animations manquant un brin de détails supplémentaires pour être vraiment frappantes. Il faut dire qu'après la claque mise par Arc System Works et Guilty Gear Strive, il devient difficile de donner des excuses au reste des développeurs de jeux de combat. Ce n'est pas laid, loin de là, mais c'est techniquement bien au deçà de ce qu'il est possible de faire sur PC, Xbox Series X/S, PS5 et PS4, les cinq plateformes visées par The King of Fighters XV.
C'est là que la direction artistique rentre en jeu, un domaine sur lequel SNK a toujours été un champion. Le nouveau style en cel shading des combattants permet une chose importante : faire ressortir leur character design. Qu'il s'agisse des anciens combattants comme Terry, Kyo, Mai, ou des nouveaux venus comme Isla et Dolores, Tomohiro Nakata a fait un excellent travail pour faire perdurer la lignée King of Fighters. Plus que la reine des combattants, la série a toujours été la reine du swag, du drip, du style à n'en plus finir. Au design de ses 39 personnages se mêle l'attention portée aux ombres et éclairages de leurs modèles et aux mouvements dynamiques des caméras pour le moindre coup asséné. Tout ça fait de The King of Fighters XV une expérience visuellement attrayante, malgré sa faiblesse technique. Au bout du compte, impossible de le confondre avec n'importe quelle autre production, et c'est en soi ce que l'on attend le plus d'un jeu de combat.
Jean-Pierre KOF
À cela s'ajoute un effort particulier sur l'ambiance générale du titre. Pour la première fois depuis bien longtemps, le commentateur fictif du jeu a un véritable intérêt : lorsque les personnages s'invitent sur l'arène, le MC lâche toujours un petit descriptif que ne renieraient pas les meilleurs présentateurs de boxe. Les arènes, parlons-en justement : une belle ode à l'Americana vue par une perspective japonaise, comme c'est souvent le cas dans The King of Fighters, avec en prime quelques hommages bien sentis et liés à certaines licences phares de SNK comme Metal Slug. Les stages aussi profitent d'un grand regain de style, et on sent que l'équipe de développement a cherché à les rendre plus vivants et chaleureux. Mission complete !
On ne peut pas en dire autant du mode histoire, qui reste une nouvelle fois bloqué dans l'ère de l'arcade. Une cinématique d'introduction en 3D, différente pour chaque équipe titulaire, vous donne le minimum de contexte possible avant d'enchaîner les combats où certains rivaux se balancent deux/trois lignes de dialogue. Au bout d'une dizaine de combats, une nouvelle cinématique de fin, un boss pété comme le veut la tradition (qu'on retrouvera d'ailleurs sûrement en DLC plus tard), et puis… des celluloïdes sans animation et un poil de doublage pour mettre fin à un scénario hérité de King of Fighters XIV, dont je peine encore à trouver l'intérêt.
Il en va de même pour l'idée d'aller chercher les otakus aux tréfonds d'Akihabara pour soutenir le jeu, comme un Capcom au sommet de son art qui trouve une rentrée d'argent facile en sortant une dizaine de costumes pour Chun-li. Les jeux de combat étant toujours plus internationaux, les regards occidentaux se posent avec une certaine incompréhension sur la physique toute japonaise imposée aux seins des combattantes, les strings ostensiblement apparents et les coups spéciaux reposants sur le fait d'écraser la tête de l'adversaire avec ses fesses. Ceci étant dit, The King of Fighters a toujours eu une touche "sexy" et ce quinzième épisode ne fait que perpétuer la tradition, du côté féminin comme masculin d'ailleurs. Puisqu'on parlait d'otaku, n'oublions pas les fujoshi obsédées par les poses lascives de Benimaru et la chemise ouverte du tsundere Iori. On reste cependant loin de l'équilibre, aussi la question se pose : faut-il que SNK ravale son filet de bave ou égalise le terrain de jeu ? Un débat pour un autre temps.
Les trésors du KOF fort
S'il est au moins un point sur lequel SNK a bossé, c'est dans les fonctionnalités intégrées au jeu. Certes, The King of Fighters XV a cet "effet Street Fighter V" en ouverture, alors qu'un menu très terne et sans âme nous accueille pour nous offrir tout ce qu'il est possible de faire. Histoire, versus, entraînement, modes en ligne, tutoriel et missions… Le cahier des charges est rempli. Mais est-il bien fait ? Nous avons déjà parlé du mode histoire, et le mode versus est tel qu'attendu : concentrons-nous donc sur le jeu en ligne.
La meilleure nouvelle rattachée à The King of Fighters XV est bien évidemment l'intégration d'un rollback netcode au sein du jeu. Pour ceux qui n'ont aucune idée de ce dont il s'agit, notez simplement qu'il s'agit d'une nouvelle manière de gérer le jeu en ligne qui est bien plus performante que le code traditionnellement utilisé auparavant. Des jeux comme Guilty Gear Strive ou encore Skullgirls l'intègrent aujourd'hui, et KOF XV suit le même mouvement.
Difficile d'établir la qualité de celui-ci en ayant testé le jeu avant sa sortie officielle, mais les quelques matchs que nous avons pu trouver nous ont conforté dans l'idée que l'intégration est efficace. Les matchs au-delà de 100ms de latence peuvent avoir quelques sursauts, particulièrement face à des gens qui n'ont pas encore compris que le Wi-Fi était à bannir des jeux de combat, mais le feeling manette en main est excellent. Des kilomètres au-dessus de tout ce qui a été fait sur les King of Fighters précédents, à l'exception des portages d'anciens titres comme KOF 2002UM ou Garou Mark of the Wolves qui ont été gérés par Code Mystics. Ces derniers sont d'ailleurs crédités au générique pour avoir conseillé SNK sur le netcode de KOF XV, et ça se ressent.
KOF trop bourré brise sa serrure
Reste qu'au-delà de cette excellente nouvelle, tout est assez sommaire, à commencer par les temps de chargement qu'on aurait aimé voir plus optimisés sur les nouvelles consoles. Un écran noir de deux secondes pour seulement changer un combattant du terrain entre chaque round, c'est tout de même limite. Bien sûr, on a ce que l'on demande d'un jeu de combat en 2022 : pouvoir créer des lobbys avec un mode spectateur, un classement en ligne, des matchs en FT2 qui se finissent sur la possibilité de créer automatiquement un salon pour continuer à se mettre sur la tronche joyeusement. Là-dessus, pas de souci. Mais qu'en est-il pour ceux qui veulent faire de The King of Fighters XV leur tout premier KOF pris sérieusement ? On a d'abord un mode tutoriel, qui est simplement une succession de petits défis pour montrer les possibilités du gameplay du jeu. C'est ici qu'on apprendra les petits sauts, grands sauts, roulades, annulation de gardes et le MAX Mode. Mais tout n'est que pointé du doigt, sans jamais véritablement mettre le joueur en situation.
Et puis il y a le mode mission, autrement appelé mode "défi". C'est ici que l'on pourra apprendre les combos de chacun des personnages. Mais là encore, c'est raté : cinq défis qui sont plus ou moins le même combo démarrant par un gros poing sur lequel on ajoute progressivement des complexités, jusqu'au tout dernier combo qui active le MAX Mode et nous fait enchaîner les trois supers. Le problème dans tout ça ? Sortez de ce mode, allez en ligne, et vous vous ferez royalement lavé par n'importe quel adversaire qui connaît un tant soit peu le rythme d'un King of Fighters. N'importe lequel.
Le gameplay de The King of Fighters XV est clairement hérité du titre précédent, au point qu'une bonne partie des combos que vous y avez déjà appris pourront être reproduits. Pour deux barres, vous pouvez activer le MAX Mode qui améliore les dégâts de votre personnage, sa capacité à lancer des super et son potentiel de brise garde. Vous pouvez aussi l'activer au milieu d'un combo, ce qui donne le Quick Mode : moitié moins de temps d'activation, et pas de bonus de dégâts, mais les combos sont garantis. Au-delà du système, on retrouve la formule King of Fighters : une mobilité accrue au sol pour des affrontements extrêmement dynamiques, mais qui requièrent beaucoup de finesse.
La foi du riche est dans son KOF
Tout ceci est très bien pour qui maîtrise déjà son sujet. Mais les nouveaux joueurs sont complètement laissés sur le carreau. The King of Fighters XV n'essaie pas une seule seconde de leur expliquer comment ouvrir une garde, ou comment bien se déplacer en ligne. Un combo basique, fourre-tout, clairement pas optimisé, n'est même pas donné pour faire ses premières armes. Avec un jeu qui se vantait lors de sa campagne marketing de vouloir "shatter all expectations", on ne s'attendait pas à ce que ce soit la possibilité de comprendre le jeu qui soit brisée.
The King of Fighters XV n'est qui plus est pas l'un des jeux de combat les plus faciles à prendre en main pour un novice. Les manipulations qu'il demande sont parmi les plus difficiles des titres aujourd'hui sur le marché. Le simple fait de varier entre saut court, qui demande de seulement taper vers le haut, saut simple, qui demande de rester appuyé vers le haut, et saut long, qui demande de taper brièvement vers le bas puis rester appuyé vers le haut, est un défi en soi. Quand on y ajoute des quarts de cercle arrière suivis de demis cercle avant en plein combo, le défi devient une provocation. Et quand on laisse le joueur seul contre tous, c'est à la limite du sacerdoce.
Il est d'autant plus important pour The King of Fighters XV de mieux accueillir ses nouveaux joueurs qu'il a fait le choix de rester aussi complexe qu'avant. Quand des titres comme Street Fighter V ou Guilty Gear Strive ont choisi d'avoir un buffer (la mémoire qui enregistre vos touches) plus permissif, qui cherche à comprendre proactivement ce que le joueur veut accomplir, The King of Fighters XV est aussi serré que d'habitude. Un quart de cercle se doit d'être un quart de cercle, tout manquement de diagonale sera châtié, et les combos démarrant sur un light sont légions. Une volonté plus que respectable, particulièrement dans un contexte où les jeux de combat sont accusés d'être trop permissifs, mais qui ne devrait pas se substituer à une volonté d'ouverture. Son mode entraînement, qui dispose de toutes les options attendues et peut même être joué en ligne, ne donne pas le change dans ce cadre.
Un livre ouvert dans un KOF fermé
Voilà donc au bout ce qu'est The King of Fighters XV. Il est indéniable après la sortie du précédent volet que SNK est de retour et plus en forme que jamais. La diversité de gameplay qu'il offre pour chaque combattant est exemplaire, tout comme son attachement à répondre aux demandes de sa communauté en intégrant un rollback netcode et tout ce qu'il faut pour développer une scène compétitive en ligne. Sa direction artistique cache habilement ses faiblesses techniques pour donner à The King of Fighters XV une patte qui lui est propre et qui verra se succéder de nombreux ajouts en DLC sans perdre en attrait.
Son principal problème devient donc le fait, désiré ou non, de rester dans l'entre-soi. À l'heure où les autres développeurs tentent de nouvelles choses pour faciliter l'apprentissage des jeux de combat et convertir de nouveaux passionnés, quitte à se tromper ou blesser certains fans de la première heure, SNK a choisi de murmurer directement dans l'oreille de sa communauté… qui est déjà assez réduite comparativement aux grands cadors du secteur. Et ce n'est pas avec The King of Fighters XV qu'elle réussira à s'agrandir, puisque ce dernier ne prête aucune attention aux petits nouveaux qui voudraient se frotter à lui.
C'est pourquoi, à l'heure du verdict, nous vient l'obligation de conclure avec une phrase galvaudée : The King of Fighters XV, les amateurs apprécieront.