Nouvelle adaptation phare de la plateforme Prime Video, la série Fallout réussit son entrée en dévoilant une première saison qui saura autant convaincre connaisseurs que néophytes de cette saga mythique aux airs de survivalisme violent, désabusé mais surtout terriblement amusant.
Geiger Well Played
Née durant les années 1990, Fallout est une licence de jeux vidéo développée par Interplay, qui se dévoile comme un pur produit de son temps. On y dépeint un monde post-apocalyptique, balayé par les armes nucléaires, livrant la surface désertique de la planète à des survivants impitoyables et une faune exposée à des années de radiations. L’esthétique d’un Mad Max, l’univers impitoyable d’un Terminator, le gore d’un Starship Troopers, le futur sera crade ou ne sera pas.
Les deux premiers épisodes remportent un succès à l’envergure de leur époque. En vue isométrique, les jeux passent de l’aventure en temps réel aux combats au tour par tour, proposent des choix multiples, des rencontres aléatoires et leur sens du détail réussit à convaincre une audience fidèle. Interplay, à qui l'on doit une adaptation oubliée du Neuromancien, mais surtout la licence des Baldur’s Gate originaux, enchaîne les réussites sur PC et se démarque comme une référence du jeu de rôle. Cependant, leur incapacité à s’intéresser convenablement à l’émergence de la console finira par leur coûter beaucoup et, de débâcles en débâcles, mènera au prêt de la licence Fallout à Bethesda en 2004, avant la banqueroute et la vente totale de la licence en 2006 et 2007.
Une décision quelque part providentielle puisque chez Bethesda on a de grandes ambitions pour cette nouvelle acquisition. Sous la houlette de Todd Howard, directeur créatif et game designer, la licence va prendre un tout nouvel aspect. Utilisant la formule acclamée de leurs jeux The Elder Scrolls – Morrowind, Oblivion et Skyrim sont devenus entre temps des classiques de l’Heroic Fantasy – Fallout fera de même pour la science-fiction Atompunk.
Chez Bethesda, il y en a pour tous les goûts, mais surtout pour tout le monde. Les ventes explosent grâce à une disponibilité sur toutes les plateformes mais aussi à une accessibilité de gameplay optimale. Le tour par tour devient une option mineure, et le Creation Engine – le moteur maison – offre visuellement un relooking bien mérité. Fallout, bien qu’un peu édulcoré, est désormais un incontournable et a droit à ses spin-offs, son merchandising, ses jeux de société et, en 2024, sa propre série.
Il est par ailleurs impossible de parler de Fallout sans mentionner l'univers passionnant du modding, c'est à dire la modification et l'amélioration par des fans, du jeu originel. Bethesda est en effet connu pour encourager ce procédé en laissant un maximum de données disponibles à la communauté et il n'est pas rare de voir des éléments crées par les fans débarquer plus tard dans du contenu additionnel officiel et promu par le studio. Cette pratique permet d'une part d'augmenter la durée de vie d'une aventure, mais surtout de se l'approprier de manière plus personnelle. Par ce qu'il choisit ou non d'implémenter à son épopée, le joueur devient l'un des architectes de son propre monde.
Wish i was S.P.E.C.I.A.L.
Fallout n’est une saga de post-apo classique. Bien que l’idée d’une population ayant grandi dans des abris anti-atomiques, ignorant ce qu’il est advenu de la surface, pourrait rappeler le pitch de la série Silo, sortie chez AppleTV+ cette année, il n’en est rien. Le monde de Fallout, semblable au nôtre, aurait divergé après la Seconde Guerre Mondiale, conservant l’esthétique très particulière des 50’s mais maîtrisant l’énergie atomique d’une manière toute particulière. Ainsi, jusqu’à la catastrophe nucléaire qui survient en 2077, le quotidien voit évoluer ensemble robots domestiques et gramophones surannés aux sons grésillants. Le premier homme met le pied sur Mars tandis que la menace rouge continue à peser dans les suburbs de Californie.
Puis, inévitablement, les bombes. Néanmoins, un siècle de tension et de paranoïa dans un climat de Guerre Froide interminable aura poussé les Américains à se tourner vers une solution d’urgence : les abris anti-atomiques. Développés par la société Vault-Tec, ces derniers constituent une constellation de villes souterraines disséminées aux quatre coins du pays. Ce que n’annonce pas nécessairement Vault-Tec cependant, c’est que chacun de ces refuges sert également de lieu d’expérimentation. La formule n’est jamais la même, d’un innocent projet botanique à des desseins cruels et innommables, les abris deviennent autant de boîtes de Petri servant à assouvir la curiosité de milliardaires excentriques.
Des générations vivront ainsi au sein de leurs abris, rêvant de sortir un jour pour repeupler la planète selon leurs codes moraux. Seulement, tout le monde n’a pas atteint un abri en 2077, et la vie a continué à la surface. Une vie défigurée, composée de Radcafards, de Yaogwaïs, de Griffemorts et autres noms chantants, qui cohabitent avec une humanité elle-même atteinte par les radiations. Peu à peu, les abris s’ouvrent alors et chacun tente d’imposer au monde sa vision du futur.
We’re all mad up here
La formule Fallout est ainsi très codifiée, son esthétique ayant évolué au fil des jeux, complexifiée et retravaillée. La chronologie même des événements de cette uchronie Atompunk peut être retracée précisément d’année en année. De l’escalade des tensions politiques, en passant par la fin d’un monde et débouchant sur la naissance d’un nouveau.
C’est cette dissonance volontaire entre l’esthétique de la vie d’avant et celle du futur qui donne à l'œuvre un caractère si unique. Un choix renforcé par cette volonté de faire incarner aux joueurs, dans la plupart des épisodes, des habitants d’abris. Votre protagoniste se révèle souvent être un personnage innocent ayant grandi dans ces refuges souterrains, bercé de contes et légendes d’un capitalisme depuis disparu, narrées avec l’esthétique cartoonesque et candide du désormais mythique Vault Boy – sans scrupule inspiré du design de Mr. Monopoly. Cette figure du survivant blondinet au sourire absurde accompagne d’ailleurs les joueurs tout au long de leur aventure, apparaissant dans les menus et interface de votre Pip-Boy, comme un rappel réconfortant de votre ancien foyer.
Car là-haut, le monde s’est organisé en factions. La RNC (République de Nouvelle Californie) a tenté de bâtir un semblant de démocratie à Shady Sands. La Confrérie de l’Acier fait régner sa propre vision de la justice prônant un zèle religieux et dogmatique. Les Gunrunners s’assurent que tout le monde soit armé mais que personne ne pointe un canon sur eux. Les Khan, les Boomers et autres pillards effectuent des raids incessants sur les plus faibles. Les légions de César réinstaurent une forme d’empire violent et réduisent des populations entières en esclavage… Et au milieu de toute cette joyeuse zizanie, certains tentent de garder un semblant de raison.
L’une des forces de la licence Fallout provient surtout d’une forme d’humour décomplexée. Face à la fin du monde et des multiples horreurs qui l’accompagnent, la meilleure solution reste parfois d’en rire. Les choix moraux sont d’ailleurs une composante importante des jeux, la réputation et le karma de chaque joueur étant rudement mis à l’épreuve. Une recette d’autant plus sublimée par une forte violence graphique, la plupart des affrontements se terminant en démembrements extatiques et en gerbes de sang très démonstratives.
All is Violent, All is Bright
La série Prime Video reprend avec intelligence l’ensemble de ces codes, sans surprise quand on regarde qui sont les visages en coulisses. Lisa Joy et Jonathan Nolan, réalisateurs de l’adaptation en série de Westworld pour HBO et plus récemment sur Périphériques, adapté d’un roman de Philip K. Dick. Si Jonathan a écrit la plupart des scénarios de son frère, Christopher Nolan, l’un s’est préoccupé l’an dernier de nous montrer la naissance de la bombe atomique tandis que l’autre s’est chargé de nous présenter un monde de fiction post apocalypse nucléaire. Fallout a également été supervisé de près par Todd Howard en personne, qui a veillé au grain pour bâtir un univers cohérent, personnel et respectant les règles établies de l’univers de la licence.
Le casting est pour sa part composé d’un trio de tête illustrant l’étendue des profils que l’on peut être amené à retrouver dans les Terres Désolées. Ella Purnell – découverte dans Yellowjackets – incarne ainsi merveilleusement Lucy, l’habitante d’abri dont l’innocence sera fortement éprouvée à sa découverte du monde réel. De l’autre côté Aaron Moten prête ses traits à Maximus, un écuyer de la Confrérie de l’Acier convaincu par sa cause mais qui semble avoir encore beaucoup à prouver pour mériter le titre de Chevalier. Enfin, La Goule est incarnée par Walton Goggins (inoubliable Shane de The Shield et vu aussi dans Justified, Les Huit Salopards…) qui nous livre ici la prestation impitoyable d’une créature n’ayant que trop survécu aux horreurs du monde.
Les personnages secondaires n’ont pas à rougir pour leur part. On y rencontre une batterie de visages différents, tant par leur aspect que par leur caractère, renforçant l’idée de chaos qui règne dans un monde où chacun tente de trouver sa place. Du légendaire Kyle Maclachlan (Twin Peaks, le Dune de David Lynch, Desperate Housewives…) en patriarche d’abri protecteur, Michael Emerson en scientifique déluré de l’Enclave, ou Moises Arias en jeune curieux parfois trop curieux, les rôles sont taillés sur mesure.
Prime Video joue ainsi parfaitement la carte de “la série tirée d’un jeu”. Une formule qui avait été acclamée l’an dernier avec l’adaptation de The Last of Us. Ici cependant, les protagonistes ont été totalement créés pour le format télévisé, seul l’univers a des comptes à rendre. En effet, puisque Fallout la série se déroule après tous les volets des jeux vidéo, elle peut se permettre d’y faire référence sans devoir retranscrire des événements avec fidélité.
Affreux, sales et méchants
L’influence de Westworld se ressent fortement dans le traitement de la série par Lisa Joy et Jonathan Nolan, notamment sur la fibre western qui s’applique sur l'ensemble de l'œuvre. Fallout est originellement très attaché à une esthétique américanisée de l’époque Eisenhower et de la fierté d'être né sur une Land of the Free qui maîtrise la puissance divine de l’énergie atomique. L’épisode pilote se permet d’accentuer encore davantage cet aspect pour nous présenter son bon, sa brute et son truand.
La série est visuellement puissante et réussit à nous faire plus d’une fois ressentir toute la violence des événements qui s’y jouent, tout en désamorçant fréquemment grâce à un humour potache à l’image de l'œuvre de base. Certains épisodes propres au personnage de La Goule reviennent ainsi sur son passé, créature devenue monstrueuse après avoir absorbé des doses démentielles de radioactivité, mais ayant survécu à la fin du monde. On y retrouve des passages de sa vie d’avant 2077 : lorsqu’il était encore Cooper Howard, acteur à succès, et que la menace grandissante d’une guerre atomique se faisait de plus en plus présente. Insidieuse tout en demeurant une chimère concrètement inenvisageable pour l’esprit humain. Des scènes qui tranchent durement avec son futur de chasseur de prime cruel, violent et dénué d’espoir.
De même, les couleurs ternes des déserts ravagés par les bombes n’ont jamais été aussi contrastées que lorsque Lucy les découvre en arborant sa mythique tenue d’abri aux bleu et jaune criards. Impossible pour elle de passer inaperçue, tant par son aspect que par son enthousiasme débordant. Élevée dans un microbiome conditionné où les règles du partage, de l’équité et du respect de ses semblables semblaient évidents, la voilà changée en phénomène de foire ou même pire, en cible facile à abattre. Sa quête l'amènera à devoir apprivoiser la réalité de la surface, éprouvant ses propres principes tout en se refusant à les abandonner.
Car le monde est devenu injuste et seule règne la loi du plus fort. La confrérie de l’Acier en est le parfait exemple, régnant d’une main de fer dans un gant de fer, alors pourtant que l’hypocrisie de son système paraît dans chaque jointure de l’armure. Ses jeunes recrues sont prêtes à tout pour un jour porter les colossales armures assistées T60 : des équipements cuirassés si puissants qu’ils doivent être alimentés à l’aide d’une cellule à fusion, mais qui permettent de faire régner l’ordre et les idéaux de la confrérie.
La fin de leur monde
Fallout est une réussite unanime et une saison 2 a d’ores et déjà été confirmée par Amazon. La fin du monde provoquée par le capitalisme semble faire vendre. Au-delà de ce paradoxe goguenard, on peut effectivement reprocher à la série un aspect parfois trop poli, en manque d’authenticité. Tout comme on avait pu reprocher aux Anneaux de Pouvoir de n’avoir su retranscrire le réalisme des tenues du Seigneur des Anneaux, Fallout produit un post-apo 'propret'. Jamais on ne ressent la lourdeur métallique des armures de la Confrérie. Les bidonvilles brillent, le sang est éparpillé avec soin, rien ne dépasse, pas même la crasse.
Exposer la fin du monde se doit cependant d’être confus et oblige à s’abandonner au chaos. Mad Max, La Route ou encore The Postman en sont de parfaits exemples. Les jeux de Bethesda avaient à l’époque été accusés de rendre trop tendre la licence en gommant certains aspects comme la prostitution ou l’esclavage. La série d’Amazon poursuit encore davantage cette voie, incapable de véritablement montrer la folie ou d’assumer certains choix. Une certaine scène d’amputation perd d’ailleurs tout son sens puisqu’elle est magiquement inversée quelques minutes plus tard sans aucune conséquence.
Des signaux contradictoires sont parfois ainsi envoyés sans plus de justification. “La puce permettant de contrôler les réserves d'eau d’un abri vient de tomber en panne et nos jours sont limités avant la pénurie, qu’allons-nous faire ?” À vrai dire rien, puisqu’il s’agissait simplement d’une référence au scénario de base du tout premier jeu de la licence et tous les personnages semblent alors se détourner d’une menace de mort imminente. Les goules peuvent être amicales mais risquent toujours de perdre la tête et de devenir sauvages sans possibilité de retour en arrière. Une menace indécelable, sauf lorsque l’on crée un deus ex machina sous la forme d’une drogue que ces pauvres hères doivent constamment consommer pour garder leur identité.
L’univers de la série y est pourtant très bien retranscrit dans son ensemble. Les abris qui se doivent d’être impeccables sont ainsi tout à fait à leur place. De même, les références aux jeux sont pour leur part habilement disséminées. On y retrouve certains noms emblématiques connus et le sens du détail est appréciable. À savoir que la série se déroule à l’Ouest des États-Unis, théâtre des deux premiers jeux et non loin de celui de Fallout New Vegas. Sans tomber dans le fan service, on y retrouve avec le sourire les quelques marques publicitaires cachées çà et là, les bruits que produisent certains objets ont gardé le même sound design et quelques clins d'œil annoncent que la série en a encore beaucoup sous le capot.
De tout ce à quoi l’on pouvait s’attendre de la part de l’un des géants du streaming, Fallout est assurément une réussite. Un bon moment, exutoire facile mais agréable, qui donne finalement envie de repartir vivre une aventure sur les jeux, où l’air y est plus vicié, le monde plus impitoyable et où vos choix semblent avoir une véritable importance. Des mondes où la notion de liberté fait plus que flotter sur un drapeau étoilé.