Comment j'ai dépassé ma peur des grands fonds pour jouer à Subnautica

Après de nombreuses années de tâtonnements et un early access très long, Subnautica a fait les beaux jours des fans d'exploration en open world et de survie en rajoutant une couche inattendue : le monde sous-marin. Le studio Unknown Worlds s'est dépassé pour proposer une aventure immersive et enivrante dans le monde du silence. Mêlant habilement moments de tension, peur de l'inconnu et émerveillement perpétuel, le titre se distingue par son univers inédit et ses logiques de survival, de craft et de building particulièrement bien pensées.

En vieillissant, je subis de plus en plus les relents de ce qu’on appelle la thalassophobie. Je n’ai pas peur de l’eau à proprement parler, mais plutôt du deep blue. Mais si, vous savez, c'est quand vous ne voyez plus le fond sous ses pieds… Ce bleu absolu qui vous submerge et ouvre la porte à un imaginaire fait de gros machins dentus, visqueux ou tentaculaires. Ou les trois à la fois. Et moi, le soucis c'est que j'en ai de l'imaginaire… Qu’est-ce qui peut surgir de là ? Combien de profondeur là-dessous ? Me lancer dans Subnautica pourrait relever d’un certain masochisme, tant le principe même du jeu est justement de vous mettre dans cette situation. Mais j’ai toujours aimé affronter mes peurs raisonnables. Après le jeu de requins déjanté Maneater et le poétique Abzû, j’ai pris mon courage à deux mains et plongé tout entier et tout habillé dans l’aventure. Terminer le jeu a été une épreuve. Mais le chemin en valait sa peine.

Sous l'océan

Subnautica et moi, on s’est longtemps regardés comme des merlans fris. Sorti en accès anticipé en 2014, mais officiellement en 2018, ce n’est qu’au détour de l’arrivée de sa suite baptisée Below Zero dans le Game Pass que je me suis enfin décidé à me jeter à l’eau. Littéralement. Car c’est là le but du jeu. Perdu sur une planète océan appelée 4546B, vous êtes – a priori – le seul survivant du crash d’un énorme vaisseau spatial. Subnautica débute par votre amerrissage forcé à bord d’une cabine de survie. Très vite, vous allez avoir besoin de trouver de quoi vous sustenter, et surtout, comment rentrer chez vous.

C’est là que tout commence. Subnautica fait partie de ce qu’on appelle les jeux de survie. Plusieurs compteurs sont affichés à l’écran. Il va falloir s’organiser pour que jamais ils ne tombent à zéro. Comme dans la plupart des titres du genre, on retrouve une jauge de vie, une de nourriture et une d’eau. Mais qui dit planète aquatique dit aussi compteur de respiration. Et tout d’un coup, tout devient plus complexe, car il va falloir jongler avec les chronomètres : arrivez à court d'oxygène et c’est la mort instantanée.

47 Meters Down

La zone où vous échouez est relativement calme et pas vraiment dangereuse. Mais à ce moment-là, vous ne le savez pas. Vous remontez péniblement l’échelle de votre cabine de survie. À perte de vue, le ciel. Et la mer. Partout. Juste quelques nuages. Et un camaïeu de bleus. Seule l’épave de votre navette vient casser cet horizon plat. Encore en feu, l’Aurora est gigantesque. Mais il est aussi bien loin. Votre premier objectif va être de remonter vos barres de nourriture et d’eau qui fondent à vue d'œil. Plus de choix, plus d’esquive possible. Il faut passer sous la surface. Oser plonger dans l’inconnu.

Autour de votre cabine de survie, des haut-fonds tropicaux. Beaucoup de coraux et de nombreux poissons étranges. Oui car comme si ça ne suffisait pas d’être paumé au milieu de l’océan, vous l’êtes sur une planète inconnue abritant sa propre faune et sa propre flore. Complètement désorienté, il va vous falloir tout réapprendre. Espèce après espèce. Danger après danger. Comprendre comment ce monde fonctionne. Qu’est-ce qui interagit avec quoi ; mais comprendre vite, car la faim et la soif vous tiraillent déjà.

Pure shores

Vous saisissez les poissons – ou ce qui s’en rapproche le plus – à main nues. Votre PDA, qui fait office d’assistant personnel, se mue en guide de survie. Petit à petit, vous comprenez que vous allez pouvoir vous fabriquer des outils, de l’équipement et plus encore moyennant de récupérer des ressources variées. En les combinant ou en les transformant de matière première à éléments de craft avancés, c’est tout un lot de nouveaux joujoux qui s’offrent à vous. Mais le minimum vital ne sera pas suffisant.

 

Soudain, un appel de détresse. Il y aurait des survivants dans une autre cabine non loin de là… Mais déjà la nuit tombe. Attendez, j’ai pas vu à la télé que les prédateurs sortaient plus la nuit ? Attestant d’un courage éhonté, je me réfugie dans mon propre pod. Je stocke mes trouvailles du jour dans un petit placard. Au mur, un appareil me permet de cuire mes repas ou de me fabriquer diverses petites choses. Une lampe. Un scanner à main. Je peux maintenant m’aventurer dans les petites grottes environnantes et surtout scanner tout ce que je croise. Mon PDA m’apprend tout ce qu’il faut savoir de chaque chose. Qui est dangereux. Qui est aussi une ressource. Et mince ! Ma bouffe est déjà périmée sous ses latitudes et ce climat humide.

La forme de l'eau

Plusieurs jours ont passé. J’ai maintenant une combinaison de plongée, des palmes, un masque et une réserve d'oxygène. Plus besoin de remonter toutes les 30 secondes. Je nage plus vite et peux aller plus loin. J’ai pu retracer l’origine du signal de détresse et me rendre sur place. Aucune âme qui vive. La cabine était éventrée et gisait à un peu moins de 30m de fond. À l’intérieur, les plans d’un mini véhicule motorisé. En scannant les caisses et débris qui traînaient dans les alentours, j’ai aussi appris à me fabriquer un couteau. C’est la seule arme du jeu. Subnautica a été pensé par son concepteur Charlie Cleveland comme un jeu qui propose des logiques non létales. Profondément affecté par les tueries par armes à feu qui n’ont de cesse de marquer l’actualité aux USA, le studio Unknown Worlds a mis l’accent sur “des solutions non-violentes et créatives pour s'extraire d'un problème”.

Comprenez par là que vous serez confrontés tout du long à des menaces toutes plus horribles les unes que les autres, mais que vous n’aurez pas d’armes pour survivre. De la matière grise, quelques outils de contournements et une bonne connaissance du terrain et des biomes sont vos meilleures réponses. Mais le sentiment d’être seul, minuscule et perdu au milieu de créatures hostiles s’en trouve renforcé. À peine revenu à votre point de départ, un constat s’impose. Vous n’êtes pas sorti de l’auberge. Quitte à passer du temps sur cette planète autant s’y installer convenablement. Vos poches débordent. Vos placards sont pleins. De nouveaux appels de détresse parviennent jusqu’à vous. Il est grand temps d’envisager de bâtir une base sous-marine. De s’établir un nid douillet avec toutes ses commodités.

Le grand bleu avec un couteau suisse

À l’image d’un Dark Souls, Subnautica se raconte par son univers. C’est en scannant les plantes, les animaux rencontrés ou en lisant les notes retrouvées dans des épaves que vous joindrez les bouts d’un scénario mystérieux et prenant. Êtes-vous vraiment seul ? À qui appartiennent ses vieilles structures abandonnées ? Quels secrets se cachent au fond de la grande faille ? L'exploration est enivrante. Tantôt on se plait à atteindre un lieu précis, tantôt on quitte son objectif pour mieux découvrir un étrange récif corallien en quête de nouvelles ressources. En nous obligeant à régulièrement remonter à la surface, Subnautica joue avec nos sens. Se plonger dans ce monde du silence peut parfois relever du véritable exploit. Combien de fois allez-vous essayer de retrouver une zone prometteuse, mais n’y arriverez-vous que péniblement.

Poursuivi par un ersatz de requin de récif à la dentition sauvage et aux couleurs exotiques, vous raterez souvent le spot tant prisé, l’épave tant recherchée. Votre exploration n’est pas scriptée, et vous pouvez tout-à-fait tomber sur diverses technologies ou découvertes dans des ordres variés. Les obstacles qui vous retiennent tombent un à un. Parfois il vous manquera une ressource précise, quelques fois les plans d’un nouvel appareil, d’autres vous n’aurez pas la capacité d’aller assez profond, ou d’abominables machins vous empêcheront d’aller plus loin. C’est en tâtonnant que vous allez progresser. En vous fixant vos propres objectifs. Partir en mission de ravitaillement, agrandir votre base, tenter de découvrir une nouvelle zone… Et si on se faisait une boussole et un radar pour voir ?

The tide is high

Passé un certain temps, vous aurez maîtrisé votre environnement. Vous aurez appris de vos erreurs, assimilé les différents cris sous-marins que vous entendez et saurez différencier les terribles Reapers Léviathans des pacifiques Reefbacks au son grave et rassurant. Vous aurez choisi une ou plusieurs zones pour établir des bases d’appoint et déjà aménagé un petit nid douillet quelque part. Vous aurez fabriqué vos premiers véhicules et aurez pris vos aises dans les principaux biomes qui recouvrent la surface de 4546B. À un certain point, vous aurez sans doute même exploré les restes de l’Aurora, colmaté la brèche radioactive de son réacteur et peut-être posé le pied sur des bouts de terre ferme où vous attendent d’étranges structures des plus énigmatiques.

Comme on avait hésité et repoussé notre premier plongeon au tout début de l’aventure. Comme on s’était réfugié dans notre capsule pour fuir les risques éventuels de la première nuit, Subnautica est un éternel recommencement. Comme le ressac des marées qui vous emporte à chaque vague de plus en plus loin. Car à ce niveau, il reste encore de vastes zones à découvrir et de nombreux biomes à maîtriser. Dans les profondeurs…

De profundis

De jour comme de nuit, passée une certaine distance, les rayons du soleil ne pénètrent plus sous la surface de l’eau. Dans ce monde obscur où votre oreille devient votre meilleure guide et vigie, vous vous sentirez une fois de plus réduit à votre plus simple état de petite chose perdue. Le bruit que vous faites peut attirer les prédateurs. Vos phares font de vous une cible privilégiée. Perdre son sous-marin est synonyme de noyade tant la surface est éloignée. Mais à plus d’un kilomètre de profondeur, sur la dorsale océanique, il vous faut prendre votre courage à deux mains et quitter la sécurité relative de votre habitacle.

Sous ces pressions, votre compteur d’oxygène se vide plus rapidement. Il vous faut choisir entre voir et risquer d’attirer vers vous quelques horreurs aveugles à la gueule béante ou tâtonner dans le noir. Soudain, un cri effroyable au-dessus de votre tête. Une créature phosphorescente au corps iridescent de plusieurs dizaines de mètres a décidé d’attaquer une raie qui frayait paisiblement non loin de vous. Vous vous tenez à l’aplomb d’une sorte de cavité. Des algues luminescentes recouvrent la paroi et vous donnent une idée de ce décor lunaire. À quelques centaines de mètres en contrebas, entre deux cheminées volcaniques qui crachent leur panache épais, une rivière sous-marine semble s’enfoncer dans les entrailles de la Terre…

Beyond the Sea

Subnautica est un jeu de survie qui mêle exploration et construction en déroulant un scénario bien ficelé aux relents de science-fiction grâce à un storytelling environnemental. Particulièrement immersif, il promène le joueur à travers des paysages et des écosystèmes variés ayant chacun ses codes et ses interactions systémiques. Magnifiée par un sound design précis et riche, sa bande-son est présente sans jamais être trop envahissante et souligne les thèmes du jeu : mystère, tension, menaces cachées ou révélations. Dans Subnautica, le joueur apprend à décoder ce monde ouvert sous-marin et son histoire, et apprivoise son univers avec un vrai sentiment de progression. Quel plaisir de retrouver son lagon calme et ses eaux turquoises. Ces mêmes eaux transparentes qui vous effrayaient encore il y a peu sont maintenant votre nouveau havre. Ce refuge quand vous remontez des abysses.

La faune comme la flore sont particulièrement bien pensées. Des logiques d’évolutions ou de sous-espèces illustrent parfaitement la qualité du travail et d’étude du vivant du studio qui n’a pas juste ‘imaginé des poissons’ mais propose un ensemble de biomes complets et logiques qui possède ses propres traits. Dans le même ordre d’idée, Subnautica Below Zero, son spin-off sorti l’année d’après, propose lui aussi un royaume animal réfléchi reposant sur des créatures aux caractéristiques plus ou moins communes. Ce second volet, qui relève plus de l’extension que de la véritable suite, vient compléter l’aventure initiale et vous emmène sur les contrées glacées de la planète 4546B. Plus bavarde, moins dense et concise, elle se distingue par ses véhicules aux capacités nouvelles et ses corrections en tous genres : plus de richesse de construction, renforcement des logiques établies, mais aussi nouvelle barre de température et conditions météo.

Le cœur de l'océan

Subnautica a hanté mes esprits dès que j’ai osé pénétrer dans ses eaux mystérieuses. J’ai adoré me perdre dans ses paysages sous-marins riches et colorés et apprendre à décoder son univers. Je donnerai tous les océans du monde pour pouvoir revivre cette aventure. Car si je peux relancer le jeu et bâtir une meilleure base, si je peux refaire l’aventure et découvrir d’autres recoins où la palme de l’homme n’a jamais été onduler, plus jamais je n’aurai le plaisir de redécouvrir son monde et ses logiques ; plus jamais je n’aurai peur de ce cri ou de ce qui se cache à tel ou tel endroit… Car je sais maintenant à qui il appartient ou ce qui s’y trouve.

J’ai adoré Subnautica et sa suite Below Zero. J’ai dominé leur monde et su faire mien leurs richesses. Comme un plongeur qui doit interrompre sa sortie car il arrive au bout de ses réserves d’oxygène et renoncer à cet émerveillement constant dans les fonds marins, ce périple m’a laissé avec un sentiment de profonde solitude quand j’ai dû en décrocher. C’est sans doute la marque des grands jeux : son souvenir me hante encore avec douceur.

Au bord des abysses

 

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