Comprendre le jeu de combat : l'esport de la diversité

Comprendre le jeu de combat ne s'arrête pas au fait de comprendre les mécaniques de gameplay. Le genre est aussi particulier dans la scène de l'esport au global. Un underdog ? Non : le plus grand représentant compétitif de la diversité du monde qui nous entoure.

Les jeux de combat sont souvent considérés comme des outsiders lorsque l'on parle de la scène esport d'ordre général. Et c'est bien vrai : face à des mastodontes comme League of Legends, Counter-Strike : Global Offensive ou Valorant, des titres comme Street Fighter V ou Dragon Ball FighterZ sont loin d'atteindre les mêmes chiffres. Qu'il s'agisse des sous investis dans la production des événements ou offerts aux vainqueurs, du nombre de spectateurs sur les diffusions en direct, le nombre de joueurs inscrits aux tournois ou simplement en train de doser peinards chez eux, les différences sont gigantesques. C'est pourquoi, pour certains observateurs de la scène esport, le jeu de combat est le vilain petit canard.

Cependant, il me semble que ce serait nier l'une de ses plus grandes qualités : sa diversité. Que l'on prenne le mot dans son sens le plus contemporain, la diversité humaine, ou dans son sens littéral, la diversité de choix, le jeu de combat est le grand maître de cette spécificité. Et il le doit à la manière dont il a été créé, et à la manière dont il a grandi.

De l'accessibilité naît la diversité humaine

C'est un fait : la plupart des grands titres de la scène esport sont nés dans le milieu du PC au milieu des années 1990. Counter-Strike, StarCraft, Quake et consorts faisaient la joie de nos grosses machines et les LANs, ces larges rassemblements de PC en réseau local, ont été les premiers pas de la scène compétitive du jeu vidéo. Un problème dans tout ça ? L'accessibilité. Bien qu'aujourd'hui communs (mais toujours assez chers), les PC de ces années-là étaient tout de même réservés à une clientèle relativement fortunée, a minima de classe moyenne. Et lorsqu'il s'agissait de rendre la pratique plus accessible, on devait alors compter sur les cyber-cafés, ces espaces publics où l'on pouvait jouer sur internet ou en local avec un forfait horaire. Là encore, bien que plus accessible financièrement, cette pratique était malgré tout réservée à une certaine tranche de la population, citadine notamment.

Les cyber-cafés, des ambiances… particulières

Les jeux de combat ne sont pas nés dans ce contexte. Les jeux de combat sont nés de l'arcade. Et si cette époque est aujourd'hui révérée avec une certaine nostalgie, ce n'est pas pour rien. Contrairement aux cyber-cafés ou aux LANs, les bornes d'arcade ont bénéficié d'une large présence sur le territoire et à des endroits incroyablement diversifiés. Des salles d'arcade sont nées, bien sûr, mais les bornes elles-mêmes se sont retrouvées dans les bars, dans les cinémas, dans les supermarchés de quartier, pour attirer les enfants à eux notamment. Avec une accessibilité sans commune mesure avec les autres pratiques du jeu vidéo de l'époque : une simple pièce suffit pour jouer. Le pouvoir d'achat d'une famille s'efface dans la possibilité de donner une pièce, une simple pièce, à son enfant qui veut s'essayer à cette machine pendant que les adultes vaquent à leurs occupations. Une habitude de consommation que l'on retrouvait déjà du temps des jukebox, et qui a fait ses preuves.

On retrouvait des bornes juste avant la caisse aux supermarchés

C'est là que le jeu de combat trouve sa spécificité. Si vous n'avez pas assez d'argent pour jouer, il existe une solution. Aussi simple qu'elle est brillante : être meilleur que votre adversaire. Tant que vous battez tous ceux qui se dressent contre vous, vous pouvez continuer à jouer sur une seule et même pièce. Quand les joueurs de Counter-Strike se battaient pour leur notoriété en ligne, les joueurs de Street Fighter et Mortal Kombat en arcade se battaient pour continuer à jouer. Sans fioriture. Et en devenant plus forts, ces joueurs attiraient à eux par le bouche-à-oreille de nouveaux compétiteurs voulant se frotter au nouveau génie local, formant naturellement une scène compétitive où tous les joueurs sont égaux. Il suffisait seulement d'être le meilleur, même si ce n'était que le meilleur du Franprix du coin, pour que la sauce monte.

De régional à international

Le jeu de combat est l'un des rares genres à pouvoir provoquer cet effet boule de neige, comparable à celui d'un Pokémon Bleu/Rouge en remplaçant la collecte de monstres de poche par des gros hadokens dans la face. Qu'elle soit numérique ou bien réelle, une baston est une baston : elle a ce côté hypnotique où l'on est toujours curieux de voir qui s'en sortira. Qui dominera. Et c'est cet instinct qui conduit toutes les communautés du monde à se croiser, un jour ou l'autre, sur la scène compétitive.

L'exemple le plus emblématique est l'EVO, aujourd'hui le plus grand tournoi de jeux de combat au monde. Au milieu des années 1990, en plein boom de Street Fighter II, toutes les communautés à travers l'Amérique cherchaient à savoir qui était le meilleur joueur. De cette grande question est née un grand tournoi : le Battle By the Bay, en Californie, à la salle d'arcade Golfland de Sunnyvale où les joueurs baston étaient prédominants. C'est par le bouche-à-oreille et l'expansion d'internet que le tournoi est devenu de plus en plus populaire. Quand Alex Valle a été sacré champion de Street Fighter Alpha 2 face à John Choi, la rivalité américaine a pris fin pour devenir une rivalité internationale : les joueurs japonais ont eu vent de l'événement, et ont eux-mêmes voulu prouver leur valeur après des années à doser le Tougeki, leur propre tournoi national.

Il n'a fallu attendre que trois ans pour que la compétition internationale s'organise. Trois ans de tournois organisés exclusivement par les compétiteurs eux-mêmes, sans accord préalable ni même soutien des éditeurs de jeux. Là où l'esport Counter-Strike explosait, soutenu par de grandes structures comme l'ESL ou la MLG, la compétition internationale sur le jeu de combat est née du bruit toujours plus retentissant des sticks arcade. Comme l'a toujours voulu le genre, c'est après avoir prouvé sa valeur que le jeu de combat est devenu "esport" et qu'il a réussi à trouver l'attention de sponsors comme de ses éditeurs pour nous amener où nous sommes aujourd'hui. La communauté, venue des quatre coins du monde et de toutes sortes de backgrounds, l'a fait naître.

Une toile sur laquelle peindre librement

Que tout le monde puisse jouer, c'est très bien. Mais encore faut-il donner envie de jouer. Street Fighter II, le titre qui a créé le genre tel qu'on le connaît aujourd'hui, avait déjà intégré cette solution à sa sortie en 1991. D'abord, des personnages hauts en couleurs et charismatiques, que l'on aurait tous plus ou moins envie d'incarner. Mais aussi et surtout une représentation du monde entier. Sous une forme caricaturale, certes, mais qui a permis de mêler l'instinct de compétition à celui de la représentation. De la revendication. Pour certains, il s'agissait d'être le meilleur Guile du monde. Pour d'autres, il s'agissait d'être le meilleur joueur de son pays. Mais lorsqu'une Chun Li gagne à l'écran, on peut y voir autant la victoire d'un personnage féminin sur un autre, la victoire d'une Chinoise sur un autre, ou la victoire d'un grand joueur sur un autre. Autant de trames qui ont participé à permettre aux joueurs de se projeter dans la pratique.

Tout ce qu'il faut pour avoir envie de RPZ

À partir de ce premier pas, les nombreux développeurs du secteur nous ont donné tout un tas de choix. Car c'est aussi ça la beauté des jeux de combat : chaque personnage est comme "un jeu dans le jeu", une boîte de chocolats remplie de mille saveurs. Ne pas aimer jouer avec un Blanka ne veut pas dire qu'on ne kiffera pas jouer avec un Ryu. De quoi attirer de nombreux profils de joueurs différents vers des styles différents, qu'on qualifie aujourd'hui de shoto, de choppeurs, de zoneurs… Et ce n'est pas tout, puisque certaines licences comme Guilty Gear poussent cela à l'extrême, en créant des personnages qui forcent leur adversaire à jouer à un jeu complètement différent. À titre d'exemple, Venom place des boules de billard sur l'intégralité du terrain ; à vous de vous démerder maintenant. À mesure que les titres ont grandi, leurs rosters aussi, incluant toujours plus de morphologies, d'origines, de genres et de styles différents. Même si la diversité des personnages féminins peut encore laisser à désirer, des progrès en la matière se voient déjà comme avec l'arrivée de Lidia Sobieska dans Tekken 7.

Oui : avec Venom de Guilty Gear, vous jouez au billard

On peut même créer un jeu de combat pour les gens qui n'aiment pas les jeux de combat, c'est dire. Smash Bros., dont l'approche a toujours été celle d'un divertissement familial et enfantin, a évolué malgré son créateur Masahiro Sakurai, pour devenir l'un des jeux compétitifs les plus suivis de la scène actuellement. Au point de forcer la main de son éditeur pour qu'il doive se pencher sur la question. Lorsque l'on donne à une communauté un terrain d'expression aussi puissant, cela provoque des vagues que les créateurs eux-mêmes sont incapables d'arrêter.

À la fin, il n'en restera plus qu'un

Y a‑t-il dès lors un profil de joueur compétitif de jeu de baston, comme on peut retrouver sensiblement les mêmes visages surplomber les mêmes corps croiser les mêmes bras avec la même tête légèrement de profil sur une grande partie des autres titres esport ? Oui. Et il est assez simple : une personne, souvent soutenue par sa communauté locale, qui n'abandonne jamais. Dès l'apprentissage de son jeu. Car le parcours d'un joueur professionnel de jeu de combat pourrait se résumer, loin de suivre une méta quelconque, dans le fait de faire fermer des bouches et conquérir des cœurs. D'abord, trouver sa communauté, locale ou en ligne. Puis vaincre tous ceux qui se mettent en travers de son chemin pour devenir le meilleur de sa communauté. En faisant. Fermer. Des bouches. Constamment. Sur son chemin. Jusqu'à ce que celles-ci ne soient plus contre vous, mais pour vous. Dès lors, il ne s'agit que d'aller se frotter à la scène nationale. Puis internationale. Jusqu'à tout remporter.

Serre. Ma. Main.

C'est l'unique moyen de s'en sortir sur les jeux de combat. Contrairement aux autres esports d'équipe, il n'y a pas de possibilité d'accuser la composition de la team, les décisions du chef ou le skill d'un partenaire. Lorsqu'on perd, on perd. Lorsqu'on gagne, on gagne. Les rivaux d'hier deviennent les sparring partners d'aujourd'hui et les meilleurs soutiens de demain. La loi du plus fort, dans un univers virtuel s'entend, et lorsqu'elle est utilisée à bon escient, a le pouvoir de devenir la meilleure défense de la moindre communauté opprimée ou regardée de haut.

Une sacrée époque pour les US sur Street Fighter

Ricki Ortiz a pris énormément de remarques transphobes durant sa transition, mais ses détracteurs ne pourront jamais lui retirer sa seconde place à la Capcom Cup 2016. MenaRD a été porté par toute la République Dominicaine pour aller chercher la coupe à l'édition 2017. SonicFox a représenté la communauté LGBTQ+ aux Game Awards 2018 et fait flotter le drapeau trans haut et fier sur le Mortal Kombat 11 Championship. Kayane accède au top 8 de l'EVO 2019 sur SoulCalibur VI à la première organisation d'un panel sur les femmes dans les jeux de combat, où les remarques machistes ont été légion. La même année, le joueur pakistanais Arslan Ash remporte Tekken 7 et finit en larmes et en prière sur la grande scène du show. Car au bout du compte, rien n'importe jamais plus que la victoire.

Rep a sa

Tous ces grands joueurs et joueuses ouvrent des portes qui ne se referment jamais. La nouvelle génération, soutenue par l'ancienne garde, continue de grandir au sein de toutes les communautés régionales, mondiales et internationales. Rien qu'en France, les grands noms sont de tous horizons. Ken Bogard, Abou, RZA, Kayane, FlashNo47, Yuki, Postbad, TPK, Fauster, Damascus, Whiteblack… Autant de profils différents qui donnent de leur personne pour les jeux de combat, comme les anciens l'ont fait avant eux, pour faire grandir cette communauté. Car dans celle-ci, le respect vient toujours par le travail. Sans équivoque.

Le chemin parcouru, et celui à parcourir

Tout est donc bien qui finit bien ? Pas tout à fait. Même si à mes yeux, le jeu de combat est l'esport de la diversité, beaucoup reste à faire. Pour toute bonne chose, il existe un revers de médaille. Comme par exemple le fait que la baston reste la baston, ce qui sous-entend aussi que certaines personnes de la communauté peuvent faire preuve d'une toxicité toute masculine et remplacer les "j'te prends à la sortie" en "je te prends sur le Live". C'est en partie ce qui a conduit à l'existence du panel "Les femmes dans les communautés de jeux de combat" mentionné plus haut à l'EVO 2019, et un problème qui continue d'exister aujourd'hui. Malgré tout ce qu'ont pu offrir des profils comme Marie-Laure, Mama Dao, Romanova et tant d'autres, les remarques sexistes continuent d'exister en notre monde.

L'une des plus grandes organisatrices d'événements FGC en France

Tout comme les remarques homophobes, beaucoup trop souvent lancées à l'attention de SonicFox. Si ce dernier a fait d'une de ses spécialités de déchirer en mille morceaux quiconque essaie de le tester sur ce point, sur les réseaux sociaux comme en jeu, il n'empêche que l'existence même de ces commentaires déplacés est à bannir. Il faut à tout prix que la scène baston contrôle et maîtrise ce sujet désormais. Heureusement, les nombreuses initiatives associatives en ce sens donnent espoir.

La communauté des jeux de baston, ou la FGC comme on aime à l'appeler à l'international, a tout le potentiel d'être l'exemple à suivre en matière de diversité et de pluralité sur la scène esport. Et le mérite, autant par son histoire que par les messages véhiculés par ses leaders d'opinion. Le chemin qu'il reste encore à parcourir sera parcouru, sans l'ombre d'un doute. Car tant qu'il y aura des bouches trop ouvertes, il y aura toujours des joueurs et des joueuses prêts à les fermer à jamais.

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