Danganronpa Another Episode : Ultra Despair Girls

Quand bien même on pourra continuer de s'écrier çà et là que le jeu vidéo japonais est mort, force est de reconnaître que ses artisans continuent d'accaparer l'attention du plus grand nombre. Aussi vivotant qu'il puisse être, les aventures d'Hideo Kojima passionne par exemple les foules en ce moment-même tandis que le retour de Shigeru Miyamoto au game design suscite excitation et crainte pour StarFox Zero.

Dans ce même ordre d'idée, un créateur grimpe lentement mais sûrement les échelons dans l'imaginaire collectif des amateurs de jeux vidéo japonais : Kazutaka Kodaka, dont je vous recommande l'interview réalisée par Colin Moriarty (Kinda Funny). Sous l'égide du studio Spike Chunsoft, dont il appréciait la taille "humaine" lui donnant une grande liberté de ton, celui-ci a créé Danganronpa Trigger Happy Havoc devenu un classique instantané pour les amateurs de Visual Novel. Chargé de donner suite à une pépite imprévue mais désormais attendue, Kodaka-san se rie des ordres de ses supérieurs et des attentes de ses joueurs avec un Danganronpa 2 Goodbye Despair prenant le contresens total du premier épisode.

Au début, ça surprend

Succès toujours, pour un homme qui garde totale liberté de processus créatif sans jamais trahir les attentes de ses joueurs. Aujourd'hui adorée par des milliers de fans de par le monde, l'église Danganronpa est scrutée de près et les attentes de ses ouailles n'en sont que plus développées. On ne peut s'empêcher de penser dans ce contexte qu'il s'agit du pourquoi Kazutaka Kodaka a fait le choix de sortir un spin off plutôt que son troisième épisode… La pression du cadre de la série se faisant de plus en plus forte, la liberté d'en changer les clefs de son succès semble s'amenuiser.

Étriqué et maladroit

Et c'est ce qu'il ressort après avoir fini Danganronpa Another Episode : Ultra Despair Girls, la sensation d'avoir fini un immense beta test de ce qu'il pourrait advenir de la série dans sa forme canonique. En première ligne bien sûr, le passage à un jeu de tir à la troisième personne donnant au jeu une orientation bien plus basée sur le gameplay que le reste de la série.

Problème étant que cela ne fait que ressortir la faiblesse du studio sur ce point. C'était un pari culotté de la part de Spike Chunsoft d'utiliser un genre si populaire, surtout en Occident, pour représenter Danganronpa. Aux US comme en Europe, cela aurait pu mettre la série sur le radar de beaucoup de joueurs qui n'aurait jamais porté attention à l'ours noir et blanc de leur vie sans cela. Mais la note est sévère : le gameplay est passable au mieux, terriblement exaspérant dans ses pires moments.

Et tout cela part d'un choix compréhensible mais discutable : garder le même principe de level up des épisodes classiques de la série et l'adapter à ce nouveau gameplay. Concrètement, vous débloquez des compétences que vous pouvez équiper en dépensant des points de skill gagnés avec votre montée en niveau afin d'augmenter la puissance de votre personnage ou de vos munitions spéciales. Là où le bât blesse, c'est que la sensibilité de la visée ainsi que son automatisme ne sont pas réglables par défaut mais sont régis par ces mêmes compétences. Si vous trouvez par exemple la visée trop lente, vous pouvez ainsi équiper "Quickfire skill" pour augmenter légèrement sa vitesse.

Un système un peu nébuleux

Cette absence de contrôle autour du feeling procuré par le jeu PS Vita en main provoque une frustration de tous les instants : le genre du TPS nécessitant intrinsèquement un contrôle accru du joueur, les restreindre pour des règles de game design est probablement l'une des pires idées que j'ai jamais vu exécutée sur une version finale d'un jeu. Que dire de la visée automatique qui, une fois équipée, vous recentre sur l'ennemi le plus proche à chaque appui sur la gâchette, source de mes colères les plus profondes alors que la phase de jeu m'imposait de viser au loin en étant assailli de fantassins bas niveau ? Couplé à des hitbox bien trop souvent hasardeuses, bien des joueurs moins soucieux de leur matériel seraient tentés de faire mal à leur console.

Les artworks, toujours aussi belles

Ces problèmes de gameplay s'illustrant avec le premier personnage principal Komaru Naegi (Oui, Naegi) s'effacent toutefois en prenant le contrôle de Genocide Jack, deuxième personnage principal, qui pour un moment donné transforme le gameplay en beat'em all. Pensées comme un "mode sauvetage", ces phases simplistes mais sympathiques n'ont pas vraiment d'intérêt particulier si ce n'est que de représenter un bon exutoire à frustration.

Mais toujours plein d'amour

Toujours est-il que Danganronpa Another Episode : Ultra Despair Girls, malgré tous ces déboires, reste un jeu très appréciable et ce notamment en prenant en considération la plateforme sur laquelle celui-ci est sorti. La PSVita étant officiellement traitée comme une plateforme à jeux indé de la part de son propre géniteur Sony, il est appréciable de voir un genre peu traité sur celle-ci, le TPS, exécuté sous contrôle des seuls considérant encore la portable PlayStation comme viable : les développeurs japonais.

Qui plus est, quand bien même il ne s'agit pas d'un bon jeu de tir, Another Episode reste un très bon Danganronpa. La plume de Kazutaka Kodaka ne déçoit toujours pas et livre encore une belle œuvre faisant jongler situations glauques et morbides avec un humour décalé et enfantin. Hommage par exemple aux munitions spéciales "Dance" faisant danser les Monokuma pour les attirer entres eux, parfait attirail pour souligner encore plus le décalage entre l'univers et les thèmes abordés par Danganronpa.

Les cinématiques 3D font le boulot

On notera surtout une nouvelle corde à l'arc Spike Chunsoft pour la série Danganronpa, puisque ce spin off se permet désormais d'illustrer certains dialogues et situations par le biais de cinématiques créées par le studio Lerche (responsable de l'adaptation animé du premier jeu). Ce nouveau Danganronpa ayant une portée plus action par la présence de Genocide Jack, la voir uniquement à l’œuvre dans les sprites 2D et artworks parsemant l'histoire du jeu aurait été un brin frustrant. De très bonnes qualités et avec la possibilité de choisir les voix japonaises originales ou un doublage anglais, elles représentent une évolution positive pour une saga qui pourrait paraître bien verbeuse pour qui n'est pas amateur de visual novel.

Des énigmes bien senties

Afin de conserver l'esprit de la série, le côté cérébral de Danganronpa Another Episode : Ultra Despair Girl aura quant à lui été mis en scène dans de petits puzzles en 3D à résoudre tout le long du jeu. Généralement basé sur l'appréhension d'une situation fixe donnée et des bonnes armes à utiliser pour le résoudre d'un seul trait, il s'agissait là de phases vraiment bienvenues conservant le rythme du gameplay autant que les valeurs de Danganronpa. Se corsant de plus en plus tout en restant accessibles, il s'agissait là des phases les plus appréciables donnant son ton au spin off.

Un cas d'école

Et c'est là le mot résumant vraiment au mieux cet épisode, dans sa création comme son intérêt : un "spin off", au point de croire que son game designer en ait gardé la définition sur un post-it tout au long de sa conception. Il faut dire que l'histoire d'Ultra Despair Girls ne l'aide pas nécessairement à s'en détacher. D'une construction plus classique que les 2 épisodes principaux, enchaînant les boss logiquement en entrecoupant de scènes d'exposition, Another Episode souffre d'être un jeu normal pour une série que les habitués reconnaissent comme excentrique.

Aussi bien écrit soit-il, le titre ne touche pas ou très peu au fil conducteur de la série mais étoffe plutôt son background. De ce fait, bien qu'extrêmement plaisant pour un fan, le jeu peut manquer de consistance scénaristique à qui tenterait de rejoindre l'aventure à ce point ou n'est pas si emballé par Danganronpa que je puisse l'être. Il faut dire que la surabondance de Monokuma(s) du titre dilue nécessairement l'une des plus grosses forces de cette saga : le dialogue des captifs avec l'ours halluciné et hallucinant, ce que ne parviennent pas à capturer les deux autres ours intégrants cette histoire.

Vous reprendrez bien un peu de kuma ?

Reste que pour quiconque est déjà conquis, l’œuvre apporte des réponses à bon nombre de questions concernant ses anciens protagonistes comme sur des points clefs du monde post-apocalyptique dans lequel Danganronpa évolue. Ainsi, en quelques rencontres fortuites et recherches bien senties, des visages familiers resurgissent bien vite et les réactions de Fukawa Touko à ce propos valent toujours le détour. Le jeu regorge par ailleurs de collectibles divers provoquant de nombreuses scénettes bonus entres les 2 personnages principaux : dispensables certes, mais appréciables par leur écriture.

Et c'est là la grande question que m'a posé Danganronpa Another Episode : Ultra Despair Girls… Pourquoi y jouer ? Le gameplay étant à peine passable même dans ses meilleurs moments, et l'histoire dispensable pour sûr, y a‑t-il vraiment un intérêt pour cet épisode ? Et pourtant, ma réponse restera…

Oui. Tout simplement parce qu'il faut revenir à la raison première : pourquoi joue-t-on à Danganronpa ? Et c'est par ce biais que l'on se rappelle que "le gameplay" n'est jamais la réponse donnée. Another Episode n'est que plus que ce que l'on aime de la série : des personnages hauts-en-couleur, des scénarios forçant tour à tour le rire et le rictus de dégoût sur nos visages, et des Monokuma en folie signature de la série.

Il est de plus une fenêtre sur les nouveautés qui pourraient être intégrées à un épisode canonique de la série, New Danganronpa V3 : des phases de puzzle game en 3D, des cinématiques intégralement animées et doublées, une plus grande présence de quêtes secondaires… Et toujours plus de connaissances approfondies pour un univers qui n'en finit plus de s'étoffer dans les bonnes directions. Peut-on vraiment s'en plaindre, tant cet univers fait dans l'originalité dans un contexte de jeux japonais comme occidentaux usant souvent des mêmes ficelles éculées ?

Pensée bonus : Le Danganronpa tout en réalité augmenté me fera acheter un PlayStation VR. C'est dit.

Article réalisé à partir d'une version commerciale fournie par l'éditeur.

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