Que s'est-il passé avec Le Livre de Boba Fett, dernière série Disney+ dans l'univers de Star Wars ? L'épisode final derrière nous, c'est la question qui reste. Entêtante. Lancinante. Plus qu'une opportunité manquée, la nouvelle histoire s'oublie en chemin pour jouer sur la facilité. Quitte à mettre des bâtons dans les roues de son propre univers étendu.
Trilogie, prélogie, postlogie. Derrière ces trois mots se cachent aujourd'hui des "tribus" de Star Wars, qui n'ont eu de cesse que de s'écharper depuis des années. La majorité reste d'accord sur la trilogie Star Wars, l'œuvre originelle qui a fait naître le mythe. La prélogie a ensuite divisé. D'un côté ceux qui apprécient les intrigues politiques mises en œuvre pour expliquer la chute de la République, de l'Ordre Jedi, et de l'Élu qui condamne la Force à la nuit. De l'autre ceux qui ne peuvent pardonner les CGI, Jar-Jar Binks et ce sable grossier, irritant, qui s'insinue partout. La postlogie enfin a assené son coup, mettant de côté papy Lucas pour mélanger clins d'œil forcés, direction aléatoire et majeur juvénile levé en l'air en dépit de toute logique… et a su plaire à certains, les derniers arrivés, probablement fans de Phil Collins.
Dans ce contexte, on comprend pourquoi Disney a vite préféré retourner à la source avant que leur nouveau vaisseau ne vienne à manquer d'une essence qu'il a lui-même créé, et a été en peine de produire. The Mandalorian a mis l'uppercut dans la foi qu'on attendait tous, au point que les padawans ont ressenti une turbulence dans la Force. Pour sa saison 2, le food-truck Jon Favreau a fait un détour chez Dave Filoni pour partager son sandwich, et mêler avec brio prélogie et trilogie. Jusqu'à ce qu'un teaser surprise apparaisse devant nos yeux : Le Livre de Boba Fett. Première série spin-off rattachée à The Mandalorian.
Boba Fett vous une raison
L'apparition de Boba Fett dans la saison 2 de The Mandalorian a été célébré joyeusement, et avec raison. Il s'agissait après tout du retour d'un acteur original de la prélogie, Temuera Morrison, dans l'univers Star Wars. Si son rôle au sein de la deuxième vague Star Wars a été vivement critiqué à l'époque de la sortie de L'Attaque des Clones, il faut avouer que la postlogie a fait changer l'ambiance générale chez la majorité des fans. "Ah bah finalement, ça pouvait être vraiment pire", ou l'utilité de la perspective. Car oui, la prélogie avait osé faire de Boba Fett un simple clone non altéré de Jango Fett, chasseur de prime craint de tous dont l'ADN a su attirer l'œil des Kaminoens. Alors que Boba Fett, dans la trilogie, c'était quand même quelque chose !
Remettons un premier point au clair avant de nous attarder sur Le Livre de Boba Fett. Dans la trilogie, Boba Fett était lui aussi un "chasseur de primes craint de tous" en sous texte. Dans les faits ? Ce fut surtout le paratonnerre des attentes des fans entre Un Nouvel Espoir et L'Empire Contre-Attaque. Ce qui a rendu le personnage si connu a surtout été son apparition dans les premières images de promotion du film, sur lesquelles tous les fans ont spéculé pendant des mois et des mois. Un design réussi, une petite ligne sur son background, et une tonne de jouets ont réussi à rendre Boba Fett plus grand que nature.
Mais son véritable rôle au sein de la trilogie ? Pointer un gun sur Han Solo quand celui-ci se fait choper par Dark Vador sur Bespin, après la trahison de Lando Calrissian. Autant dire que Lando est un "vilain" plus efficace que Boba Fett dans ce film. Puis s'envoler deux secondes dans Le Retour du Jedi chez Jabba, tout blaster dehors, avant d'être envoyé manger du côté de chez Sarlacc par un Han Solo myope. That's all folks.
Boba Fett vos jeux, rien ne va plus
D'aucuns diraient que l'implication de Boba Fett ne s'arrête pas à ces deux films, et c'est bien vrai. L'univers étendu a offert au chasseur de primes une seconde vie qui a permis aux fans touchés par son apparition promotionnelle d'être rassasiés. Mais ces extensions pour cheveux de Wookie n'existent plus de nos jours, reléguées au rang de "Légendes" par Disney pour permettre un redémarrage à zéro. De quoi prendre toute l'inspiration des écrivains d'antan sans avoir à créditer l'œuvre. La réapparition de Boba Fett dans la saison 2 de The Mandalorian était donc l'occasion pour le géant à short rouge de mettre en place la troisième vie du personnage, et le réhabiliter dans son propre canon. Un pari réussi : sous la réalisation de Robert Rodriguez, Temuera Morrisson a sauté dans le champ pour donner une leçon à quelques Stormtroopers présomptueux, avant de laisser le Mandalorien faire du stop à bord du Slave‑1.
C'est dans les mêmes conditions que l'on retrouve Boba Fett dans sa propre série, Le Livre de Boba Fett. Pour une raison jamais tout à fait logique, le chasseur de primes a décidé de devenir le nouveau Daimyo de Tatooine, le Jabba à la place du Jabba. Pas pour y faire régner une loi du plus fort tout à son avantage, non. Plutôt parce qu'il a vécu un Burning Man incroyablement transcendant après son dîner chez Starlacc, où sous quelques pouffées de peyotl, Boba s'est lié d'amitié avec une tribu Tusken. C'est grâce à cela qu'il a appris l'art de se battre avec un didjeridoo à boule, aidé par une salamandre dans le pif loin d'être gadget. Mais puisque des motards ont allumé les Tuskens plutôt que la figure de bois, il est temps de se venger. Et pour cela, priorité au fait de récupérer le Slave‑1 Firespray, se faire sa propre pote sniper chez Build-A-Bot, et récupérer le contrôle de la région des mains des Pykes. D'autant que ces derniers font tourner de l'épice sur le territoire, et la drogue, c'est mal m'voyez.
C'est un peu le problème premier de cette série : son personnage principal n'a jamais été très intéressant de base, et les premiers épisodes ne lui donnent pas vraiment plus de consistance. Monolithique et souvent absent, Boba compte beaucoup trop sur ses aventures précédentes pour qu'on l'imagine être plus qu'un grognard. Était-il possible de faire mieux ceci étant ? Bien à l'aise dans ses premiers rôles de telenovelas et pour faire l'armoire à glace au début des années 2000, Temuera Morrisson est aujourd'hui un daron qui répète inlassablement "back in my days, I used to be badass."
Boba Fett du slip
Mais n'était-ce pas ce qu'on attendait, en vérité ? Un Boba Fett impitoyable, retord, qui ne ploie devant rien pour arriver à ses fins. Le genre de mec qui appellerait son vaisseau "Slave", en somme, plutôt que de se contenter de l'appeler par son numéro de série "Firespray". À trop chercher à le transformer en anti-héros, Le Livre de Boba Fett crée surtout un personnage insipide, mollasson, qui à la moindre pichenette doit se faire une séance de thalassothérapie en bacta tank. On s'attend presque à la fin de l'intrigue que le bon Temuera se tourne vers la caméra pour nous lancer un "Winners don't do drugs." La décision est d'autant plus étrange qu'une autre œuvre a déjà fait le choix d'humaniser la figure de fer, mettre en avant la culture et le cœur de sa tribu. Et c'est très précisément la série principale dont Le Livre de Boba Fett est tiré : The Mandalorian.
C'est probablement face à ce sentiment de redite que la série se délite progressivement. Au tournage, il a été dit aux acteurs qu'ils étaient en train de créer la saison 3 de Mando, avant que le subterfuge ne soit révélé. Mais ce sont surtout les scénaristes qui se sont pris au piège, et l'avouent presque délibérément dans cette saison. Après quatre épisodes de mise en place d'une backstory sympathique sans casser cinq pattes à un bantha et une guerre insipide pour les rues de Mos Esley, Le Livre de Boba Fett abandonne ses propres personnages. À croire que le sentiment général fut "Nan mais ça marche pas notre truc, revenons à ce que les fans demandent."
Épisode 5. Le moment où Le Livre de Boba Fett se désavoue pour laisser place à la saison 2.5 de The Mandalorian. Et pour deux épisodes, c'est un trip aux bâtons de la mort pour tous les fans de la série. On retrouve d'abord l'excellent personnage campé par Pedro Pascal et quelques figures aujourd'hui reconnaissables de son univers. Et puis, c'est la vraie Fett du slip : d'abord avec le retour d'Asohka Tano, qui aura elle aussi bientôt droit à sa propre série. Grogu revient charmer la planète entière, à croire qu'il reste encore des stocks de peluches. Filoni se fait un kiff en ressortant Cad Bane du chapeau de Clone Wars, pour le faire mourir aussitôt.
Il n'y a pas de Boba Fett sans lendemain
Mais surtout, surtout, Luke revient. Plus qu'un clin d'œil comme on l'a vu auparavant dans The Mandalorian, il est désormais une poupée de CGI, poupée de sons. L'acteur engagé pour donner corps à un Mark Hamill jeune, Graham Hamilton, devient le moins et le plus important rouage du mécanisme aujourd'hui bien huilé de Disney. Un automate, sur lequel apposer un visage et une voix générés automatiquement par intelligence artificielle. La réussite technique est aussi digne d'éloges que le procédé questionne la morale. On ne peut s'empêcher de repenser à ce bon vieux George Lucas, qui bien qu'obnubilé par les CGI a toujours refusé de recréer des acteurs de toutes pièces, l'acting étant une affaire d'âme. Et s'il faut se trouver des états d'âme sur la pratique, encore faut-il en avoir une : Disney semble n'avoir aucun problème.
Et alors que l'aventure The Mandalorian progresse à vitesse grand V en deux épisodes, on ne peut s'empêcher de se dire… Pourquoi ? Quid des spectateurs qui font l'impasse sur Le Livre de Boba Fett ? The Mandalorian Saison 2, épisode 8 : Luke Skywalker se casse avec Grogu sous le bras, laissant Mando avec un cœur brisé et sa dévotion au dogme chamboulée. Saison 3, épisode 1 : Grogu est de retour, cote de mailles sur le corps, aux côtés d'un Mando plus dévot que jamais, en quête d'absolution, à bord d'un vaisseau flambeau neuf aux allures de Naboo Starfighter. Ne vous y trompez pas : ces deux épisodes sont les seuls devant lesquels la tentation de piquer un somme n'est jamais apparue. Mais pour une mauvaise raison : parce qu'il s'agit d'épisodes de The Mandalorian, et non du Livre de Boba Fett.
Si on retire à la série ces deux bons gros morceaux, que lui reste-t-il ? Un Wookie badass au design réussi, hérité des Légendes, qui n'a jamais vraiment d'impact sur quoi que ce soit si ce n'est la cohérence d'une scène. Être traîné derrière une barricade sur un plan, la jambe shootée au blaster, pour se mettre à gambader gaiement sur le suivant, dans le même affrontement, c'est cocasse. Une bande de bikers modifiés par Silvercrest dont le trait le plus remarquable est d'avoir tuné ses bécanes aux couleurs des Power Rangers et de rouler moins vite qu'une voiture sans permis. Une Fennec Shand sous prozac qui passe la majorité de son temps à observer le bordel ambiant en murmurant "This is fine", elle qui a montré et continue de montrer un énorme potentiel. On peut lire dans son regard que Le Livre de Boba Fett serait une collection de courts-métrages si le scénario n'exigeait pas qu'elle s'empêche d'utiliser ses talents.
La Boba Fett est finie
Si seulement le spectacle rattrapait les choses, mais il n'en est rien. Lorsque Robert Rodriguez a été annoncé à la réalisation sur une poignée d'épisodes, on s'attendait à ce que l'ambiance western voulue offre l'occasion de retrouver une certaine originalité dans les plans. Il n'en est rien. La direction héritée de The Mandalorian s'en voit au contraire étrangement appauvrie : señor Rodriguez semble plutôt aller du côté du travail de commande que de se prendre au jeu. À l'exception de plans efficaces mais convenus lors de l'affrontement entre Cad Bane et Cobb Vanth, qui a d'ailleurs été réalisé par Filoni et non Rodriguez, rien ne sort du lot. On retiendra finalement de la caméra de Rodriguez une scène de course-poursuite en moto dans les rues de Mos Espa, dont l'intensité n'a d'égal que la séance d'aqua bike du samedi de Giselle, 72 ans, femme dynamique et indépendante.
The Book of Boba Fett n'a pas même les excuses habituelles des spin-off. Le projet de faire revenir Boba Fett dans le nouveau canon date de 2014, et était d'abord imaginé en film avec Josh Trank de Chronicle à la réalisation. La réception de Solo : A Star Wars Story a mis fin à ces plans, qui ont connu une renaissance suite au succès de The Mandalorian. Ici, on retrouve toujours Jon Favreau et Dave Filoni en grands chaperons de l'univers sériel Star Wars, ce dernier multipliant comme à son habitude les emprunts à sa saga Clone Wars.
Mais dans Le Livre de Boba Fett, rien ne va. La réalisation, les personnages, le scénario : tout fonctionne sous assistance respiratoire, jusqu'à ce qu'on appelle Din Djarin à la rescousse pour trouver un quelconque intérêt à cette nouvelle production. Et ce, quitte à nuire à son propre univers, comme si l'on reprisait un caleçon H&M troué en sacrifiant la doublure d'un tailleur Chanel. Ce n'est d'ailleurs pas le seul manquement fait au canon lancé par Disney ; Le Livre de Boba Fett a quelque peu fermé les yeux sur les avancées pourtant canoniques des comics Star Wars, et les fans l'ont remarqué.
Boba Fett entrer l'accusé
Boba Fett méritait mieux ? Non. Star Wars méritait mieux. The Mandalorian a réussi son pari en basant la création de son univers sur une idée originale, qui bien que respectueuse du passé s'est libérée des attentes pour tracer son propre chemin. Si la nouvelle série est son spin off et donc héritière, Le Livre de Boba Fett est revenu à la mentalité qui a causé la perte de la postlogie : chercher à ne brusquer personne, des vigies aux aguets de la culture prédominante jusqu'aux gardiens du savoir perdus dans leur nostalgie.
Résultat des courses, elle devient à la fois incroyablement dispensable à l'univers et totalement indispensable pour The Mandalorian comme un Zygerrien de Schrödinger. Preuve s'il en est que Le Livre de Boba Fett aurait dû humblement rester dans le carcan de cette dernière, où il aurait pu encadrer sa nostalgie mal placée pour mieux la maîtriser. En l'état, la série ne fait que remettre au goût du jour une question que l'on rêvait d'arrêter de se poser : y a‑t-il un pilote dans le X‑Wing ?