L'année 2025 a été une année mémorable pour le jeu vidéo. Aux côtés du frénétique Hollow Knight : Silksong et du majestueux Clair-Obscur : Expédition 33, c'est une toute autre aventure qui m'a à son tour conquis. Blue Prince, un alien créé par Dogubomb nommé aux Game Awards, propose un voyage aussi intimiste que fascinant à mi-chemin entre jeu de réflexion et roguelike.
Blue Note
“Moi, Herbert S. Sinclair, du domaine de Mount Holly à Reddington, publie et déclare cet instrument comme mon dernier testament, et révoque par la présente tous les testaments et codicilles jusqu’ici établis par ma personne. Je donne et lègue à mon petit-neveu, Simon P. Jones, fils de ma chère nièce Mary Matthew, tous mes droits, titres et intérêts sur la maison et le terrain que je possède près du mont Holly.”
J’ai commencé à tenir ce journal en tentant de comprendre ce qu’il se passait dans ces salles indiquées en bleu sur mon plan. Elles ont pour la plupart des caractéristiques uniques tandis que d’autres donnent l’impression de pouvoir agir de concert pour un meilleur résultat. Si ces paroles vous apparaissent cryptiques c’est que vous n’avez pas encore posé les mains sur Blue Prince. L’étrange jeu développé par Dogubomb en ce début d’année.
Amateurs d’énigmes, de mystères et de labyrinthes, cette aventure est faite pour vous. Une maison aux propriétés uniques, un défi qui semble défier la logique et surtout une profondeur qui a de quoi transformer l’aventurier innocent en archiviste illuminé, détenteur des clés d’un monde dont il est difficile de parler aux profanes. Les chapitres qui suivront pourront parfois être confus, les notes s’entremêlent et les différentes sections ne se dévoileront pas de la même manière pour chaque lecteur. Si toutefois vous allez jusqu’au bout de votre lecture, j’espère que vous tenterez l’aventure.
Orange is the new hack
Je ne savais pas à quoi m’attendre en passant cette porte, mais sûrement pas à davantage de portes. Le papier peint orange qui orne ces couloirs a quelque chose de rassurant, de déjà vu. Car si la proposition de Blue Prince est unique en son genre, elle puise son inspiration chez des prédécesseurs inoubliables. Un héritage illustre, celui du jeu de puzzle narratif, qui envoûte le joueur à travers une histoire poignante tout en opposant une forme de défi à celui qui désirerait en découvrir le fin mot.
On peut ainsi citer l’inénarrable saga Myst dans les années 90 qui a posé les jalons du genre et qui jouit à ce jour de remakes en cours. Mais aussi dans le désordre : The Witness, The Talos Principle, Quern, Call of the Sea, Superliminal, Botany Manor, Lorelei and the Laser Eyes, Viewfinder, Maquette ou évidemment Outer Wilds. Des œuvres qui ont su éveiller la fascination pour ces errances solitaires aux confins de l’imaginaire. C’est une sensation unique que de se perdre de salle en salle, où chaque pièce est celle d’un puzzle toujours plus grand, où chaque résolution mène à de nouvelles réflexions.
Les couloirs de Blue Prince sont sculptés dans le même bois. Les ramifications peuvent sembler vertigineuses, voire infinies, dès lors que l’on a touché du doigt le début d’une vérité. À chaque porte que l’on ouvre, on s’enfonce un peu plus dans l’histoire de cet étrange manoir. À chaque page que l’on tourne, c’est notre propre histoire que l’on façonne.
Red Flag
C’est rageant, cette salle aux murs rouges me nargue et me voit impuissant. Si le prologue de Simon P. Jones est d’être invité à découvrir le manoir de son grand-oncle, on peut aisément en tant que joueur se sentir persona non grata. Certaines journées se déroulent au mieux et nous gratifient du plaisir grisant de la progression, à l’inverse d’autres laissent démunis face à l’injustice de leur déroulement.
Blue Prince est une œuvre qui possède un parti pris déroutant : celui d’utiliser les codes du rogue-like dans un jeu de puzzle. L’exploration des lieux se fait de manière décisive pour le joueur puisqu’à chaque porte qu’il ouvre on lui demandera de choisir entre trois salles différentes. Chacune possédant ses propres caractéristiques, sa propre configuration et surtout ses propres effets. Il faudra apprendre à faire les bons choix pour ne pas être pris au piège.
Car ce n’est pas en une seule journée que l’on parvient à percer les mystères du manoir, mais en plusieurs dizaines. Dès que notre tentative d’agencer les lieux s’avère infructueuse une seule solution demeure : aller se coucher en se disant que demain est un autre jour. À ce moment, la mystérieuse bâtisse revient à sa position initiale. Seuls demeurent le hall d’entrée et la mystérieuse antichambre qui se trouve à son opposé et que l'on cherche à tout prix à atteindre.
Commence alors ce duel entre l’hôte indésirable et l’ingrate baraque. Un combat qui dépend beaucoup de l’aléatoire mais dont on tentera d’exploiter chaque faille. Blue Prince est une partie d’échecs injuste face à un opposant qui semble avoir plusieurs coups d’avance. Mais le Mat reste toujours possible à force de ruse et de patience, il n’appartient qu’à chacun de se rendre véritablement maître des lieux.
Purple Main
C’est en m’asseyant sur le lit de cette chambre aux murs violets que j’essaie d’organiser mes pensées. Porté par nos pas, on en oublierait presque la raison de notre venue en ces lieux. Un défi, aux règles tout aussi étonnantes que l’endroit lui-même. Notre objectif étant ainsi décrit : Trouver la quarante-sixième pièce de ce manoir qui n’en contient que quarante-cinq.
Un nombre très précis et pour cause : la particularité unique du lieu est de se construire salle par salle à chaque fois que nous ouvrons une porte. Ainsi, chaque jour, nous aurons l’occasion d’utiliser ces 45 espaces pour inventer notre manoir. Et chaque nuit, celui-ci reviendra à sa configuration initiale. Un étrange jour sans fin qui appose au joueur la même malédiction que Dédale, à la fois architecte du labyrinthe et explorateur de ses couloirs.
Cependant, pas de minotaure dans cette demeure aux propriétés inédites. Laissons les sueurs froides sur le perron quantique de La Maison des Feuilles. Blue Prince se présente davantage comme l’un de ces jeux de puzzle à l’ambiance apaisante, presque méditative. Ces aventures qui nouent une relation de complicité avec leur joueur, les amenant peu à peu à découvrir les ficelles qui régissent son univers.
Qu’importe alors de chercher à tout résoudre en une journée. Les buts du joueur deviennent multiples et il sera même parfois compliqué de se cantonner à un seul d’entre eux. Il est d’ailleurs conseillé de prendre des notes au fur et à mesure de notre exploration sans quoi des détails qui semblaient anodins pourraient devenir cruciaux sans que l’on s’en souvienne. Certains griffonneront sur un carnet, d’autres rempliront des dizaines de pages sur un tableur Excel, tandis que certains dessineront sur un tableau blanc. Mais il est assurément impossible d’arriver au bout de cette histoire sans en coucher les détails sur papier.
Oh Green World
Comme toute expédition, une bonne préparation est nécessaire afin d’en arriver à bout. Et ça tombe bien, cette salle aux murs jaunes a tout qu’il faut pour progresser. Dans Blue Prince les ressources sont le nerf de la guerre. Il y a bien évidemment l’argent, mais aussi les clés qui permettent d’ouvrir les portes et les gemmes qui permettent de découvrir des pièces plus intéressantes. Manquer de quoique ce soit sonne rapidement le glas de l’aventure.
De plus, une journée dans le jeu est composée d’un nombre limité de pas, c’est la ressource qui prime sur toutes les autres. Dès que l’on arrive à zéro, la journée est terminée et il faudra reprendre le lendemain. En reprenant tout depuis le départ. Les pas sont perdus dès que l’on change de pièce, il devient alors nécessaire de progresser avec précaution, le moindre écart farfelu pourra être responsable de votre chute.
L’explorateur devient alors stratège, il apprend à maîtriser les effets de chaque salle du manoir, à manier chaque objet pour en exploiter les attributs. On se heurte tour-à-tour à de nouveaux murs qui nous séparent de la vérité. On se sent pris au piège comme un pion sur l'échiquier. Mais à défaut d'être roi en cette demeure, c'est en se découvrant fou que l'on élabore de nouvelles stratégies inattendues. Car même si l’ensemble du manoir se réinitialise entièrement à chaque nouvelle journée, certains éléments échappent à cette règle.
L’extérieur des murs par exemple n’est pas soumis à cette règle et l’exploration des alentours pourra souvent être aussi essentielle afin de mieux progresser plus tard. Ces éléments, une fois débloqués, le resteront pour les prochaines journées. Conférant peu à peu de nouvelles opportunités pour optimiser chaque expédition au mieux. Et après plusieurs dizaines de jours à camper devant le manoir du Mont Holly on découvre l’aventurier que l’on devient. Plus aguerri, le joueur dompte les stratagèmes qui lui permettront d’optimiser la gestion de son expédition. Sa progression de plus en plus assurée afin de parvenir à atteindre de nouvelles vérités.
Paint it Black
Ça y est. Je suis parvenu au bout de l’aventure dans cette salle aux murs noirs, il ne reste plus rien à accomplir. Cette odyssée n’a pas été sans mal et je n’en serais peut-être pas arrivé au bout seul. Heureusement que Menraw adore remplir des cases et répertorier chaque infime détail, que ma compagne m’accompagnait sur mes sessions tandis qu’un couple d’amis faisait de même de son côté. Friand de puzzles en tous genres, je n’ai jamais pris autant de notes pour aller au bout d’un jeu, des dessins et arabesques, des captures d’écran griffonnées de notes…
Qu’elle est terrible cette sensation d’être orphelin d’une œuvre en sachant que l’on ne pourra plus la découvrir comme la toute première fois. Quelle solitude on ressent face aux lignes du générique tandis que l’on se remémore les obstacles et les réussites. Quel sentiment apaisé l’on peut ressentir à y repenser quelques mois plus tard, fugacement, alors que des détails fusent et se ravivent à notre souvenir le temps d’un instant.
Blue Prince n’est pas le jeu parfait et certains auront jeté l’éponge avant d’en atteindre les confins. Cependant, si c’est ce genre de sensation presque mystique que vous souhaitez ressentir, alors il est temps pour vous de visiter le manoir qui se trouve sur le Mont Holly, à Reddington, Fenn Aries.
Ovinn Nevarei.











