Super Crooks est un sushi au bacon, et je l'aime pour ça

Netflix a sorti presque en catimini un nouvel animé : Super Crooks. Réalisé par Studio Bones sur la base du comics du même nom créé par Mark Millar, il représente un cas particulier dans le milieu de l'animation : une véritable fusion entre les cultures japonaises et américaines. C'est moins une adaptation ou une nouvelle vision qu'une œuvre qui grandit en étant au contact des deux côtés de l'océan Pacifique.

Netflix traverse une période assez "weeb" dans sa production de contenu. Regardez seulement ses derniers gros trucs de l'année 2021 pour en être convaincus. Son plus grand succès international n'est autre que Squid Game, une série sud-coréenne. Peu de temps après, sa plus grande sortie – mais pas son plus grand succès, puisque la série a déjà été annulée – ne fut autre que l'adaptation en live action de Cowboy Bebop. Et en ce mois de décembre, c'est la saison 6 de Jojo's Bizarre Adventure qui fait l'actualité de la plateforme. Il faut dire que sur le terrain des animés, le service de VOD a su faire les bons choix et pousser des œuvres extrêmement originales comme Aggretsuko ou Blue Period.

C'est un avion, c'est un oiseau… C'est un fail

C'est bien heureux que le succès soit trouvé du côté des productions asiatiques, puisque le dernier pari réalisé par Netflix qui soit ancré dans la culture américaine n'a pas réussi à trouver son public. Ce pari, c'était Jupiter's Legacy, une série qui se voyait déjà monter sur le ring en compagnie des séries Disney+ basées sur le mastodonte Marvel comme Loki et du petit frère plus turbulent et indécent The Boys produit pour Amazon Prime Video. Résultat des courses ? Huit épisodes mondialement boudés par la critique comme les spectateurs, à cause d'une réalisation pas top et d'un ton beaucoup trop lourd qui n'a pas réussi à trouver son originalité. Mais ce que certains d'entre vous ignorent peut-être est que Netflix voyait vraiment Jupiter's Legacy comme son futur, à tel point que l'entreprise a racheté Millarworld et les droits de tous les comics créés par Mark Millar afin de créer l'empire de demain.

Super Crooks

L'univers reste celui de Jupiter's Legacy, avec ses héros

Difficile de le faire lorsque la première pierre de l'édifice explose à la minute où elle touche le sol. La série Jupiter's Legacy a été annulé un mois après sa sortie sur Netflix, et bien avant que le show puisse explorer les meilleurs arcs du comics qu'il adapte. Mais l'accord avec Millarworld est loin d'être mort, et c'est de là qu'est né l'animé Super Crooks. À l'origine, il s'agit d'un comics existant dans le même monde que Jupiter's Legacy, mais mettant en scène des bandits du bas monde qui ont moins l'idée de conquérir la planète que de se tirer avec la caisse. Et dans les plans de Netflix en 2019, se devait avant tout être un spin-off plus léger de Jupiter's Legacy pour un public différent. Aujourd'hui, c'est son plus grand espoir de sauver son investissement sur Millarworld.

Ok 3, 2, 1, let's jam

Un spin-off animé, ce n'est pas la première fois que l'on voit cette idée. D'Animatrix aux tous derniers Star Wars Visions, on a l'habitude que les producteurs américains offrent un peu d'amour aux créateurs japonais en les laissant jouer à loisir avec une licence occidentale. C'est toujours rafraîchissant, mais du même temps quelque peu limité ; ce mouvement pousse les créateurs à mettre en avant les spécificités de leur pays. Il y a donc rarement l'idée de mélanger les influences comme l'a justement fait à l'époque Cowboy Bebop, pour l'excellent résultat que l'on connaît. Super Crooks fait différemment : il n'adapte pas directement le comics. Netflix a eu la bonne idée de faire démarrer l'animé un peu plus tôt dans la continuité du comics, et a laissé le scénariste Dai Satō (Cowboy Bebop, Ghost in the Shell SAC, Wolf's Rain) écrire sa propre version des événements amenant au premier bouquin. Avec tout le loisir de consulter Mark Millar et la librairie du Millarworld dans le processus bien sûr.

Super Crooks

Les super-héros n'ont aucun respect pour les dégâts qu'ils causent

C'est grâce à cela que j'ai envie de vous recommander Super Crooks aujourd'hui. Mais d'abord, faisons les présentations d'usage. Dans un monde où les super-pouvoirs pullulent, le nombre de super-héros se multiplie à vue d'œil. Johnny Bolt se découvre enfant la capacité de contrôler l'électricité, mais les circonstances difficiles de son enfance le poussent à devenir une petite frappe qui ne manque pas d'esprit pour autant. C'est pour son âme sœur Kasey, elle-même dotée de pouvoirs psychiques puissants, qu'il cherchera à avoir plus d'ambitions dans le monde criminel, se retrouvera recruté dans une grande équipe de vilains et organisera le plus grand casse de son histoire : voler une fortune aux grands boss de ce monde pour partir à la retraite accompagné de sa chérie.

Nouveau poisson dans l'Océan

Ocean's Eleven. Vous l'aviez en tête, autant vous le dire de suite : oui, c'est une histoire de casse à la Ocean's Eleven, avec plus ou moins le même ton pseudo-intelligent mais très léger, où les retournements de situation font toute la sauce de la situation. Mais aussi avec les mêmes écueils que le genre lui-même : puisque les sujets principaux de ce genre vont forcément gagner, la tension ne peut pas être aussi forte que dans un autre genre d'histoire. Et les twists, surfaits de nos jours, deviennent très vite téléphonés. Reste qu'il existe toujours un petit plaisir simple mais efficace à voir un plan se dérouler sans accrocs, surtout si les personnages de l'équipe réussissent à sortir leur épingle du jeu.

Super Crooks

Les meilleurs personnages, et de très loin

C'est évidemment sur ce point que Super Crooks réussit à tenir sa formule. Les deux personnages principaux sont Kasey et Johnny, et leur dynamique de couple est plus que touchante. Lui un homme au cœur bon mais qui ne peut s'empêcher de faire les mauvais choix, elle une femme ambitieuse mais qui ne fait confiance à personne. Dans leurs dialogues, dans leur relation, dans les événements qui transparaissent, Super Crooks n'a pas besoin d'en faire beaucoup pour qu'on comprenne l'intensité des sentiments qui les unissent. Et on se prend à trouver une dynamique pareille un jour, comme on fantasme sur le fait de devenir les Bonnie et Clyde d'un nouveau monde. Le reste se base sur des archétypes éprouvés et efficaces, mais qui gagnent un peu d'originalité grâce à la présence de super-pouvoirs. Et plus que tout autres personnages, ce sont les frères Diesel –pensez aux frères Malloy dans Ocean's Eleven – qui en jouent le mieux . On trouve toujours cette petite dynamique familiale, dont la chamaillerie fait le charme. Imaginez maintenant que ces deux frères se tabassent à coup de jambes qu'ils se sont arrachés l'un l'autre, puisqu'ils sont tous les deux capables de se régénérer comme Deadpool à partir de rien ?

Doublage en japanglais

Mark Millar reste Mark Millar, et c'est pourquoi cette dernière description n'aura pas vraiment choqué ceux qui ont l'habitude de l'auteur de Kick Ass. Il a après tout fait de sa marque de fabrique le fait de regarder avec cynisme les grandes tendances du genre super-héros, et trouver l'humour noir en leur cœur pour créer des histoires uniques. Super Crooks continue cette grande tradition en nous faisant principalement rire par la relecture sarcastique des super-pouvoirs et de l'impact réel de ceux-ci sur notre monde. Des super-héros corrompus, des syndicats du crime très discrets ou au contraire incroyablement violents, l'aura médiatique plutôt que le bon pour l'humanité, des petites frappes pas très malines… Voilà ce qui fait vraiment tourner le monde créé par Mark Millar, et comme toujours, il n'est pas difficile de tomber d'accord avec lui et se laisser porter.

Super Crooks

Les scènes d'action sont toutes très réussies

Ce qui est vraiment appréciable, c'est que les créateurs japonais conservent ce ton très cynique et sarcastique, brut de décoffrage. Je vous en parlais déjà pour Rascal does not dream of Bunny Girl Senpaï, mais cet humour n'est pas vraiment une marque japonaise, bien au contraire. Aussi, que Dai Satō le comprenne et l'intègre à sa propre vision de l'œuvre montre comme les deux cultures ont réussi une première fusion de ton qui fait un bien fou. Le scénariste a pris possession de cet humour et y a ajouté ce sens de l'absurde typiquement japonais, dans une combinaison qui crée un cercle vertueux. Par son ton, Super Crooks est une des rares séries produites au Japon qui m'a donné envie de la revoir une seconde fois avec son doublage américain. Dans les deux cas, la cohérence persiste. C'est aussi trash que la culture américaine en est capable, aussi fou que la culture japonaise a l'habitude de faire, mais toujours dans l'équilibre. Et tant mieux, puisque sans cela, il faut aussi admettre que Super Crooks ne sort pas du lot scénaristiquement parlant : le syndrome Ocean's Eleven est présent de bout en bout. Un pur divertissement d'action, sans prise de tête.

So electromagnetic

C'est dans l'opening de Super Crooks que l'on peut voir une nouvelle preuve de ce mélange d'influence. Sur un beat groovy et minimaliste que ne renierait pas Bruno Mars, on peut voir Kasey danser avec impudence sur des fonds d'influence new-yorkaise, mais graphiquement influencés par la tendance pop art résurgente sur les dernières années au Japon. À titre de comparaison, l'ending de Jujutsu Kaisen s'inscrit dans un mouvement similaire, sans l'influence américaine prononcée de Super Crooks. Disons-le simplement : c'est beau et superbement animé, même si les angles aguicheurs pourront choquer certaines sensibilités. Rien d'étonnant de la part de Studio Bones.

Si le nom ne vous dit rien, sachez qu'on les retrouve aux crédits de l'anime My Hero Academia, des deux adaptations de Fullmetal Alchemist, de Mob Psycho 100 ou encore de Bungo Stray Dogs. Dans le milieu, ce sont des pointures. Le genre de studio qui inspire les autres à donner le meilleur d'eux-mêmes. Et de toute évidence, Netflix a sorti le chéquier pour récupérer la meilleure team, puisque la qualité d'animation de Super Crooks reste excellente de bout en bout. Pour conserver l'attitude cool du ton de Mark Millar, Studio Bones semble avoir choisi de mettre en avant la gestuelle de ses personnages, en décortiquant leurs mouvements et leurs expressions avec précision. On sent la colère profonde de Kasey dans sa manière de bouger ses cheveux, la naïveté de Johnny dans ses sourires, la violence du Bâtard dans son visage figé qui n'a de vie que dans la commissure de ses lèvres. Et puis, il faut aussi avouer qu'on a affaire à une belle bande de poseurs. Mais pas dans la tradition d'un Saint Seiya ou les corps élastiques d'un Jojo, plutôt le style du mannequinat new-yorkais.

Sushi au bacon

Super Crooks a toutes les chances de passer inaperçu, car il a comme principal défaut de sortir au milieu d'une actualité déjà chargée pour Netflix. Et parce que lié à un projet désormais annulé, il semble que la plateforme n'ait pas voulu lui faire une grande place dans son budget marketing et communication, a minima en Europe. À mes yeux, c'est bien dommage. Super Crooks a beau s'inscrire dans une tradition très américaine du storytelling, il réussit à remplir une mission qu'on ne lui a jamais vraiment donné : celle de mettre la culture américaine et la culture japonaise sur un pied d'égalité dans la production de son adaptation. Un sushi au bacon qui réussit à être savoureux.

Il faut que Netflix s'en rende compte désormais. Après l'annulation de Jupiter's Legacy, la boîte de production a annoncé mettre en plan une adaptation en live action de Super Crooks pour 2022. Aussi, cette première saison en animé pourrait être condamnée à ne servir que de prologue à une série live américaine somme toute classique. Un gâchis alors que l'animé Super Crooks est une petite curiosité qui a le potentiel de se transformer en une véritable pépite, pour peu qu'on la laisse s'affermir.

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