Saint Seiya : l'anime culte dont le temps n'a pas terni l'éclat

L'enfance du Pop

Appel du pied ou coïncidence, ce 27 avril 2022, date de mon anniversaire, la série culte Saint Seiya, aussi connue sous le nom des Chevaliers du Zodiaque sous nos latitudes, débarque en SVOD sur la plateforme ADN. 73 épisodes composant le premier arc mythique du Sanctuaire, en attendant en mai prochain les suivants : Asgard et Poséidon. Une occasion en or pour une Enfance du Pop dédiée à cette saga si chère à mon cœur.

Mars 1988. Au détour d’une allée d’un magasin de jouets où je suis venu contempler les rayonnages, je n’ai d’yeux que pour les figurines de Musclor et de ses p’tits potes en slip tout en muscles. Et pour une nouvelle gamme de Transformers qui se changent en dinosaures. Sur une tête de gondole, un éclat doré attire mon regard. De mystérieux personnages tout d’or vêtus. C’est sublime. Ça brille de mille feux. En relevant le carton, on aperçoit sous un blister transparent des bouts de métal et de plastique. Il semblerait qu’on puisse mettre les morceaux du costume sur le personnage ou sur une sorte de socle de forme animale. OK. Ça a l’air cool. Mais je ne sais pas ce que je regarde. À ce moment-là, personne ne connaissait ce produit, pourtant rutilant et séducteur. Les étals débordent de ces curieux personnages au look classieux. Mais la puissance des circuits commerciaux et du fret sont allés plus vite que la musique. Qui achèterait ces jouets inconnus quand on peut compléter sa collection de figurines de trucs qui passent à la télé et dont on parle avec les copains à la récré ?

I am Legend

Bercé dès l’enfance par les récits paternels vantant la philosophie des mythes grecs et ses légendes, et doté d’un goût certain pour l’astrologie et les constellations, l’arrivée des Chevaliers du Zodiaque a fait pour moi l’effet d’une bombe dans mon petit cosmos personnel en pleine construction. Le dessin animé réunissait en un grand tout syncrétique toutes mes sources d’inspiration. Tandis qu’Ulysse achevait sous mes yeux son odyssée spatiale, une nouvelle proposition débarquait et elle promettait de se placer comme un véritable chaînon manquant, au croisement de toutes mes influences. Les Chevaliers du Zodiaque, c’était ce lien entre ma culture classique et mon goût pour les mangas et animés – bien avant qu’on ne connaisse ces appellations. Le point d'équilibre entre ce Japon moderne et exotique qui me fascinait, ce passé tangible, bien européen, même méditerranéen, et une note de fantastique. Une apparition magique servie dans un écrin sublime pour les yeux grâce aux traits de Shingo Araki et de Michi Himeno, et pour les oreilles grâce aux sublimes mélodies de Bernard Minet Seiji Yokoyama. Du haut de mes 8 ans, une véritable révélation.

Mercredi 6 avril 1988, 14h30. Comme la plupart des têtes blondes de ma génération, je cesse toute activité pour filer devant la télévision. Plus rien n’existe. Ni les Lego : mon château fort restera encore un peu en chantier. Ni mes robots : Optimus Prime et ses comparses devront squatter leur base en boîtes à chaussures encore quelques heures. Ni mes devoirs : on va encore attendre pour bien mémoriser les conjugaisons du verbe avoir. Après tout, c’est les vacances de Pâques, et à 14h30, c’est le top départ de la grand-messe hebdomadaire : Gigi, les Minipouss, Goldorak, les Silverhawks, G.I. Joe, Jem et les Hologrammes, Bioman… C’est l’heure du Club Dorothée. Pas le temps pour le reste ! Mais ce mercredi là sera différent. Car aux alentours de 16h30, un nouveau dessin animé fait irruption sous nos yeux ébahis.

Des 4 coins de l’univers, quand triomphe le mal

Après un générique trop court, mais entraînant, au design particulièrement léché, 26 minutes de pur bonheur. Pour l’image, on va dire que je me suis rappelé que je pouvais refermer la mâchoire au bout de l'épisode. D'abord une voix off pose les bases. La légende raconte qu’à chaque fois que la Terre est menacée, une caste de héros revient à la vie. Des guerriers se battant à mains nues, capables de déchirer le ciel ou de fendre les montagnes. Les Chevaliers du Zodiaque. Un ordre sacré de combattants en armure, tous placés sous la protection d’une constellation. Un groupe réuni pour protéger la réincarnation de la déesse Athéna. Mettant fin à cette introduction, une clameur résonne dans les rues de Tokyo où un Colisée a été construit. Avec un design rappelant l'Amphithéâtre Flavien qui domine Rome, il se distingue de ce dernier grâce à tout le modernisme technologique de notre monde actuel, avec ses écrans géants, ses projecteurs et ses enceintes. C’est en fait un stade. Une foule en délire assiste à un curieux duel. Deux personnages en armures colorées se battent au milieu d’un ring et déchaînent l’un sur l’autre des pouvoirs fantastiques. La caméra remonte sur la tribune d’honneur. Une jeune femme splendide aux longs cheveux violets et vêtue d’une magnifique robe blanche arbore un regard triste. Elle ne suit pas le match qui a lieu pourtant quelques mètres en contrebas. Ses pensées vagabondent. Parmi les appelés, plusieurs manquent encore. Notamment le guerrier censé rapporter l’armure de Pégase, le cheval ailé mythologique.

Rupture de ton et d’ambiance. Sous un ciel bleu sans nuage, au cœur d’une vallée aride et rocailleuse, un personnage masqué et majestueux, qui a donné son nom au site sur lequel vous lisez ces lignes, impose le silence à de curieux spectateurs vêtus de pagnes et de ceintures élimées. Contraste marqué avec la séquence d’ouverture. Où sommes-nous ? Mieux encore, quand sommes-nous ? On se croirait revenus dans l’Antiquité. Un jeune garçon fait face à un colosse au teint buriné. Ce jeune homme, c’est celui que l’on voit dans le générique. Son nom est Seiyar – avec un R pour respecter la traduction française. Il doit remporter ce duel pour gagner la fameuse armure de Pégase. S’engage alors un combat sanglant où tous les coups sont permis. Le jeune héros est mal en point. Il se rappelle les enseignements qu’il a reçus. Il se relève et une aura bleue rayonne autour de lui tandis qu’il dessine la constellation de son animal totem avec ses mains. Il s’élance face à son adversaire et déclenche son attaque : “Par les météores de Pégase !” Des projections d’énergie pure jaillissent des ses points et terrassent son adversaire. Seiyar est sacré Chevalier.

Alors qu’il s’apprête à rentrer au Japon, il est pris en chasse par la mystérieuse femme aux cheveux verts qui soutenait son adversaire. Elle veut se venger. Seiyar doit fuir de nuit sans autre forme de procès s’il veut rester en vie. Il a beau être devenu Chevalier, son adversaire l’est aussi, et depuis bien plus longtemps. Acculé, il doit se résoudre à endosser son armure, jusque-là trimballée comme un fardeau dans une boîte en bronze sculpté. À peine a‑t-il tiré la poignée qui pend de la bouche de la tête de cheval gravée sur la paroi qu’un éclair de lumière déchire la nuit. Il est transporté dans le ciel et la statue de Pégase qui a jailli de la boîte se décompose pour revêtir son corps comme autant d’étoiles filantes. Toujours la jambe gauche. Puis la droite. Les hanches. Un bras, une épaule, l’autre, le corps, puis la tête. Un casque de forme équine complète la panoplie. Seiyar a revêtu son vêtement sacré, l’armure de Bronze de Pégase… C’est le début d’une aventure intense qui mènera un groupe de héros du Japon à la Grèce, au cœur des contrées d’Europe du Nord, sous l’océan, du plus profond des Enfers et même jusqu’aux Champs Élysées – Non, ceux du paradis grec Jean-Germain ! Pas l’avenue parisienne ! Qu’est-ce que tu veux que des héros mythologiques viennent faire sur les Champs ? Du shopping ?

Brothers in Arms

Nous ne creuserons pas beaucoup plus le scénario de Saint Seiya. Beaucoup d’autres l’ont déjà fait. Pas plus que nous n’analyserons l'œuvre complète et l’hypermythe. Pour ça je vous renvoie à l’excellent Le mythe Saint Seiya. Au panthéon du manga de Valérie Précigout chez Third Editions, un incontournable. Ou à la très complète Chaîne Nébulaire sur YouTube, qui en plus de son nom en forme de jeu de mot fort bien inspiré, s’attèle en profondeur à décortiquer point par point ce qui a fait le sel et le succès de l’animé. Un seul article, même fleuve ne rendrait pas hommage à l’ensemble, à ce dessin animé fer de lance de l’animation japonaise en France. Restons vous et moi du côté de cet enfant de moins de 10 ans qui a vécu ce bouleversement un peu avant l’aube des années 1990.

Fin de l’épisode. Je suis sous le charme. J’ai vécu une apothéose. De celles qui arrivent peu. Il me faudra attendre la transfiguration de Goku face à Freezer dans Dragon Ball Z pour la revivre. Le lendemain matin, dans la cour de récréation, c’est l’heure de refaire le match. Pas un mot sur le nouvel Anterak dézingué à coups d’Astéro-Hache ou de Cornofulgur par Actarus. Rien sur le coup de Bio-Canon qui a servi à atomiser le monstre géant dépêché sur Terre par le Docteur Mad. Les seules questions qui nous animent tous et toutes, c’est de savoir si Seiyar va prendre part au tournoi. Où qui sont les autres Chevaliers. Quels sont leurs pouvoirs ? Si Shaina va vouloir se venger. À quoi ressemble Marine sous son masque…

Dès le mercredi suivant, les mystères s'épaississent. En effet, Pégase va prendre part au tournoi, mais il va le faire motivé par le désir de retrouver sa sœur. Le lot à remporter, aussi prestigieux soit-il, ne semble pas motiver la plupart des individualités qu’on nous présente. Plutôt que de se battre pour remporter l’Armure d’Or, le très affable Chevalier du Dragon veut faire honneur à son vieux maître chinois. Andromède, quant à lui, espère croiser la route de son frère, le Chevalier du Phénix. Le Cygne enfin, s’il se fait un peu désirer, débarque enfin de sa Sibérie natale et veut seulement prouver qu’il est le plus fort. Mais tout ne se passera pas comme prévu, puisque le fameux Phénix s’est entouré des terribles Chevaliers Noirs, des renégats de l’ordre d’Athéna, et dérobe l’Armure d’Or. Les quatre protagonistes improvisent alors une alliance pour récupérer l’armure sacrée.

Je n’aurai pas le temps

Comme beaucoup d’animés, Les Chevaliers du Zodiaque est l’adaptation d’un manga. Un manga au succès incontestable mais sans douté occulté par les séries auxquelles il a ouvert la voie. S’il a acquis au fil des années un statut d'œuvre culte auprès de ma génération, ses successeurs l’ont trop facilement relégué au rang des gloires du passé un peu désamourées. La faute peut-être à un design quelque peu daté il faut en convenir. Son auteur, Masami Kurumada, reste un incroyable chef d’orchestre, mais sans le redesign de l’animé, je doute que la série aurait eu l’aura qu’on lui connaît. Toujours est-il qu’après un plébiscite notoire dans le Shônen Jump, Les Chevaliers du Zodiaque, ou Saint Seiya de son vrai nom aura la chance d’être distribué en volumes reliés, puis de se voir adapté en dessin animé.

En France, la série débarque donc avec un nouveau nom qui fera mouche : Les Chevaliers du Zodiaque. Exit la notion de Saint, et ouverture sur les 12 signes. En anglais on parle de Knights of the Zodiac et en espagnol de Caballeros del Zodiaco par exemple. Et à cet époque, le doublage de dessin-animés japonais, c'était vraiment quelque chose… Pour incarner Seiyar – mais d'où vient de -R final à la fin ? –, c'est Eric Legrand qui donne de la voix, des années avant qu'il ne se glisse dans la peau de Végéta. Malgré l'implication totale et tout le talent de comédiens (Marc François, Henry Djanik, Serge Bourrier, Virginie Ledieu, Laurence Crouzet…), on sent que les directeurs artistiques ont un peu de mal à relier tous les points. Shun, Shaka ou Mû se retrouvent régulièrement avec des voix féminines. On saluera l'effort de garder au maximum les noms originaux, contrairement à ce qui se faisait trop souvent à l'époque, mais les erreurs de traduction et les approximations sont nombreuses. Comme les facilités d'écriture. Mais c'est paradoxalement aussi ce qui a fait le charme de la série.

Je me demande comment les générations actuelles vont accueillir ce mètre étalon des années 1980 aujourd'hui, car comme beaucoup d'animés adaptés de mangas, la publication traîne souvent par rapport à la diffusion télé. S’en suivent bien souvent des épisodes ‘fillers’ ou ‘de remplissage’ généralement peu inspirés et dispensables. Certains se souviennent peut-être de Goku et Piccolo passant leur permis. Un épisode de DBZ plus qu’oubliable… Or dans le cas de Saint Seiya, le premier tiers de l’animé est gravement pollué par ce genre de détours plus ou moins inspirés. Les Ghosts Saints, Docrates, puis plus tard Le Chevalier des Flammes, la Tarentule, le Maître de Crystal ou les Chevaliers d’Acier n’étaient que des ajouts de la Toei Animation pour éviter de se retrouver à court d’histoire. Notez que paradoxalement, l’arc d’Asgard est un filler de création pure découpé en 26 épisodes, imaginé en collaboration avec Bandai pour vendre toujours plus de figurines et pour laisser au manga le temps de prendre de l’avance. Il n'en reste pas moins l'un des moments les plus intenses et appréciés de l’animé.

Le Grand Pope

Mais revenons à l'œuvre en elle-même. La quête des Chevaliers de Bronze face aux Chevaliers Noirs est de courte durée et signe la fin des hésitations de l’animé. Très vite, on rattrape les wagons. Une véritable intrigue fait irruption dans le scénario : bien avant la naissance de nos héros, un mystérieux assassin aurait usurpé le trône du Grand Pope, autorité suprême et commandant des armées des Chevaliers, et aurait tenté d’éliminer la réincarnation de la déesse Athéna encore bébé. Le chevalier à l’armure d’or, témoin de la scène, aurait sauvé l’enfant et démasqué l’ennemi. Mais après un retournement de situation, c’est finalement lui qui est considéré comme traître. Il parvient malgré tout à s’échapper du Sanctuaire, lieu mythique et magique où vivent, sur une montagne grecque, les chevaliers. Laissé pour mort, il est retrouvé agonisant avec le bébé et son armure par un touriste japonais. Apprenant l’histoire, ce riche personnage philanthrope décide de créer une fondation dont le but caché est de rétablir la vérité et de recréer la garde de la future déesse.

Et c’est ce qui arrive au fil des épisodes. La jeune femme qui regardait les affrontements en ouverture est la réincarnation d’Athéna, et les guerriers que l’ont suit depuis le début sont ses protecteurs. Leur mission prend de la hauteur, puisqu’ils décident, après avoir subi de nombreuses agressions perpétrées par les sbires du Grand Pope, de se rendre au Sanctuaire et de tirer au clair toute l’histoire. Après les Chevaliers Noirs, c’est l’arrivée des Chevaliers d’Argent, une caste supérieure censée écraser la petite rébellion. Après tout, nos héros ne sont que des Chevaliers de Bronze, la plus basse classe de l’armée d’Athéna. Puis vient la révélation ultime. Il n’existerait pas une mais bien douze armures d’or. L’élite de la chevalerie. Douze guerriers placés sous les douze signes du zodiaque et qui prêtent leur nom à l’œuvre à l'international. Des combattants quasiment invincibles. Mais parmi ceux encore en vie, certains sont des déserteurs et questionnent déjà la légitimité du Grand Pope. Depuis longtemps ils nourrissent des soupçons vis-à-vis des agissements de leur maître. L’arrivée de nos héros va alors être l’amorce d’une révolution au sein de l’ordre…

Le Pouvoir de l’Amitié

L’une des grandes forces de Saint Seiya, c’est d’abord ses personnages. Dans le cinq majeur, on retrouve les archétypes de l’équipe des héros des shōnen. Le grand taciturne un peu rebelle, d’abord ennemi puis allié. Le personnage plus sensible, mais aux ressources inattendues. Le beau gosse froid et distant. Le sage, réfléchi et pondéré. Et le héros. Cet éternel loser magnifique. Toujours à ramer, dépassé par les événements, mais qui trouve toujours au fond de lui la force de se relever. Saint Seiya est le shōnen. Ces cinq là, éternellement mis en difficulté, puisent dans leur amitié l’énergie et l’espoir pour toujours aller de l’avant, quand bien même sur le papier leur défaite paraît inéluctable.

Devant des adversaires toujours plus puissants, ils affrontent leurs propres démons et se transcendent à chaque fois, apprenant de leurs défaites et se relevant toujours plus forts. Une force de caractère et une abnégation totale, un don de soi qui confine par moments en une forme de croyance presque religieuse, qui par la souffrance trouve la sublimation. Les multiples sacrifices du Dragon, qui hypothèque sa vie puis ses yeux pour sauver ses amis ; celui du Phénix qui n’hésitera pas à perdre ses cinq sens pour venir à bout de son adversaire ; celui d’Andromède qui refuse régulièrement les combats et essaiera toujours d’ouvrir les yeux de ses ennemis ; celui du Cygne, qui doit se départir du deuil de sa mère ou de l’ombre de son maître pour avancer. Ou enfin celui de Pégase, tête brûlée émérite qui n’aura de cesse de se jeter corps et âme dans la bataille, au détriment de toute sauvegarde de soi. Toujours pour la cause. Pour Athéna. Pour l’Humanité. Et toujours pour ses frères de bataille.

Old But Gold

Saint Seiya propose une grande galerie de personnages secondaires. Du plus vil au plus tragique. De l’anecdotique feule au plus charismatique des héros. Du grand-guignol au divin. Les Chevaliers d’Argent sont par exemple tous réunis dans la même mystification, mais souffrent de caractères orgueilleux. Peu sont à sauver parmi ces faire-valoir en goguette, malgré la classe indiscutable de certains. C’est dans leur opposition au Yin des héros qu’ils se révèlent, dans leur état de Yang. Misty du Lézard, Moses de la Baleine, Perseus d’Argol, ou le Chevalier de la Méduse sont de ceux-là. Des adversaires qui, par leurs actes et leurs pouvoirs, font office de tremplins à nos héros. C’est par contraste, en creux, qu’ils brillent. Mais aussi prenant que soit l’animé, régulièrement ponctué de révélations et de moments forts, jamais il ne serait entré au Panthéon sans les vrais darons du game. Entrent ici les Chevaliers d’Or !

Pour beaucoup, Les Chevaliers du Zodiaque, c’est ça. Dans l'imaginaire collectif, c'est là. Une ascension folle et terrible, avec la vie d’Athéna en exergue, la poitrine transpercée d’une flèche dorée. La traversée des 12 Maisons à effectuer en moins de 12 heures. L’apogée crépusculaire. La quête du 7e sens. Au rythme d’un épisode toujours trop court par semaine. Chaque mercredi. La découverte d’un nouvel antagoniste. De ses pouvoirs. Saint Seiya entre dans la légende. C’est cette folie qui s’empare de tous les mômes de mon âge. Une effervescence hebdomadaire qui confine au sacré. La traversée des 12 Maisons. Une ferveur qui a même conduit les coachs de mon club de foot à décaler l’heure de l’entraînement tant toute l’équipe était en retard chaque semaine. La traversée de 12 Maisons. Et la rencontre avec les Chevaliers d’Or, cette génération d’adultes, supérieure en tous points à nos héros adolescents et dépassés. Invincibles et invaincus pour la plupart. Mais qui choisiront en général de s’effacer ou de baisser les armes face aux Chevaliers de Bronze, car convaincus de leur bon droit. Ah ! Les Chevaliers d’Or ! Rarement des personnages secondaires auront autant volé la vedette aux principaux. Et soudain je comprenais… Ce jouet brillant. L’an passé. Dans ce magasin ! Ils avaient commercialisé les Chevaliers d’Or avant le reste, spoilant allègrement l’animé. Mais nous n’avions pas fait le lien, naïfs que nous étions.

Les Chevaliers qui venaient du froid

Passée la bataille des 12 Maisons, comment raviver l’intérêt des fans ? Avec un changement de décor, de nouvelles armures et une ambiance radicalement différente tiens ! Délaissant les contreforts désertiques du Sanctuaire et le soleil grec, nos héros s’envolent pour les contrées nordiques et enneigées du mythique royaume d’Asgard. Ce territoire sera le témoin d’un arc inventé pour l’occasion d’une rare intelligence et d’une mélancolie profonde. Plutôt que de faire dans le plus grand, le plus waouh, ou le plus fort, l’animé va nous convier au plus intense, vers l’intime. Avec des ennemis tragiques, bons et bienveillants mais bernés par une autorité maléfique. Comme si les X‑Men devaient affronter les Avengers dans une bataille totale. Les Guerriers Divins sont ces tristes héros terrassés d’abord par la duperie. C’est à chaque fois au moment de leur mort que tous comprennent, laissant adversaire, héros et spectateurs hébétés, tandis que les mélodies toujours plus tristes et déchirantes de Yokoyama achèvent leurs partitions. L’arc d’Asgard est un crève-cœur subtil mais total qui avec le recul me rappelle la tristesse intense ressentie après le terrassement de chaque géant dans Shadow of the Colossus, un déchirement auquel je me devais de rendre hommage en quelques lignes.

Puisant avec envie dans les eddas nordiques et la mythologie scandinave, convoquant à la fois Odin, Thor, Siegfried, l’Anneau des Nibelungens, l'Épée de Balmung, Freya, Fenrir, Sleipnir, le Mjöllnir ou Jörmungand, la fusion des genres bat son plein et les nouveaux ennemis rayonnent d’un charisme triomphant. Sept Guerriers Divins pour autant d’étoiles de la Grande Ourse, placés sous la protection d’Alpha, Delta, Gamma, Beta ou Epsilon, et répondant à l’autorité de leur prêtresse, Hilda de Polaris. Des combattants au destin funeste, véritables hérauts tragiques, sacrifiés sur l’autel des manigances de Poséidon. Après l’épopée d’Asgard, nos cinq Chevaliers de Bronze repartent sans attendre vers la Méditerranée et le royaume sous-marin du Dieu des Mers et de ses généraux en un troisième acte plus classique et moins inspiré. Au bout de 114e épisodes de combats et de déchirements, Pégase et ses frères d’armes regardent alors du haut d’une falaise un coucher de soleil trompeur. Le chapitre le plus ambitieux du manga ne sera pas adapté en animé. Du moins pas pour le moment. C’est la fin de l’âge d’or pour Saint Seiya.

Le puissant Odin, protecteur du Royaume d'Asgard

Alpha et Omega

Pendant la diffusion de l’animé, Saint Seiya se voit aussi décliné au cinéma. Quatre films verront le jour ; des long métrages plus ou moins réussis aux qualités plastiques certaines mais aux scénarios bien trop souvent expédiés. Il faudra attendre le début des années 2000 pour qu’enfin la Toei Animation commande plusieurs séries d’OAV afin d’adapter l’arc d’Hadès. La pierre angulaire qui fait entrer le manga dans une autre dimension, puisqu’il est maintenant question de Guerre Sainte, de réincarnations régulières des forces en présence et de poursuivre les combats de l’Enfer au Paradis. Dans ce dernier acte apocalyptique, véritable point d’orgue de la saga, les Chevaliers de Bronze ne seront plus les seuls à prendre part au combat, mieux encore, ils seront même éclipsés par les Chevaliers d’Or qui accomplissent ainsi leur destinée.

Après l’adaptation de la saga Hadès, Kurumada proposera un roman, la Gigantomachie, une suite au manga, Next Dimension, et autorisera d’autres auteurs à ajouter leur pierre à l’édifice. L’Épisode G relatant des guerres entre les Chevaliers d’Or et les Titans et surtout Lost Canvas, préquelle moderne et enthousiaste à l’histoire originale, se distinguent. Ces dernières années, un nouveau film déroutant, une histoire parallèle mettant en scène un groupe d’héroïnes, Saintia no Shô, une suite dispensable baptisée Omega et une aventure inédite des Chevaliers d’Or au Royaume d’Asgard contre le dieu Loki, Soul of Gold, tentent vainement de relancer la machine. Hélas, la recette peine à convaincre, la faute à un manque d’intention ou de budget et de nombreuses trahisons à l’ambiance si atypique de l'œuvre originale. Dommage, mais rien d'aussi catastrophique et hors sujet que la toute récente adaptation Netflix ou le long métrage d'animation en CGI qui se vautre même en une comédie musicale du plus mauvais goût.

Le 5 majeur entoure la déesse

Car ce qui a fait le succès de Saint Seiya, c’est d’abord cet équilibre entre les influences et sources d’inspiration plurielles de Kurumada. En puisant dans les mythes antiques et dans des cultures aussi diverses, il a su hisser son récit par delà les modes, proposant une fresque new age universelle et humaniste qui ne s’arrête pas aux oppositions manichéennes que ses suites ont tenté de mettre en scène. Saint Seiya est une série riche et variée qui n’hésitait pas à sacrifier ses héros et faisait peu à peu grandir son récit au fil de l’évolution de ses personnages. Magnifiés par le dessin de maître Shingo Araki et de Michi Himeno (Goldorak, Ulysse 31, Lady Oscar, Albator, Cat's Eyes, Yu-Gi-Oh, Les Entrechats, Les Petits malins, Kindaichi, Lucille, Kojirô…), les chevaliers, avec leurs physiques androgynes et élancés et leurs armures spectaculaires et si recherchées, ont su se créer une identité propre dans la masse des propositions des animés de la fin des années 1980. Ces guerriers en armures reprenant les formes et particularités des créatures mythologiques ou des constellations se différenciaient radicalement des autres héros d’alors.

Symboles et Cymbales

Toujours très documenté et avide de placer de nombreuses références plus ou moins dissimulées dans ses créations, Kurumada s’est beaucoup amusé en imaginant ses personnages. Les noms, pouvoirs ou origines des protagonistes sont ainsi rarement gratuits. Puisant sans scrupule dans les mondes de l’art ou dans l’Histoire, il a beaucoup joué de la métaphore et de l’allégorie, n’hésitant pas à dresser des ponts d’or à ses héros. Au détour d’une page, on découvre par exemple que le Chevalier du Verseau serait Français. Son nom Camus est un hommage pas du tout dissimulé à Albert Camus. Milo, Chevalier du Scorpion est Espagnol. Et si l’on met de côté l’amalgame entre les L et les R propre à la langue japonaise, on reconnaît sans peine le patronyme du peintre Miro… Et quand ce n’est pas l’art, c’est l’astronomie. L’attaque ultime du Scorpion – encore lui – est Antarès, l’Aiguille Écarlate ; or la constellation du Scorpion abrite une étoile rouge baptisée… Antarès. De la même façon, Aldébaran est à la fois le nom du Chevalier du Taureau et le nom d’une étoile de la même constellation… Pas de règles précises chez Kurumada, mais un véritable jeu de piste et de symbolique qui fleure parfois l’occultisme.

Si le chara-design de l’animé est un ravissement pour les yeux, Saint Seiya est aussi une œuvre riche musicalement avec une bande originale parmi les plus affirmées qu’il soit. Les thèmes sont parfois éthérés et profondément mélancoliques, presque vaporeux, et parfois d’une chaleur langoureuse ou menés avec panache sur un rythme enlevé et moteur. Mixant les claviers des 80’s et des instruments traditionnels aux accents antiques, l’OST de Saint Seiya est un dépaysement total qui sait se faire guerrier lors des scènes de bataille, dissonant pour rappeler le chant dérangeant des sirènes, ou magnifier les moments épiques avec des mélodies fortes, très assujetties au récit et à ses héros. Chacun a son thème personnel, voire ses chansons psalmodiées ou transfigurées par des chœurs volubiles. Soulignant les montées d’adrénaline ou les respirations de l’intrigue, Seiji Yokoyama a su créer un univers sonore à la hauteur de la proposition. Une réussite totale vendue à des millions d’exemplaires. Côté générique, c’est la touche très 1980 mais entraînante du groupe japonais Make-Up qui se distingue, avec entre autres, l'inénarrable Pegasus Fantasy qui sera reprise comme thème au héros de l’aventure.

As-tu déjà ressenti le Cosmos à l’intérieur de toi ?

Il est loin ce petit garçon de 8 ans qui rêvait de vérifier si, au bas de la falaise du Cap Sounion, il n’y avait aucune prison cachée menant au Royaume de Poséidon. Il est loin ce temps naïf où les mélodies de Yokoyama résonnaient dans son walkman tandis qu’il alignait ses figurines hors de prix à l’effigie de ses héros. Saint Seiya a toujours été pour lui une œuvre à part, vantée même par ses parents qui reconnaissaient enfin ses dessins animés comme un nouveau quelque chose d’important. Un point de jonction entre son monde et le leur. Le zénith médian entre l’art majeur et l’art mineur, entre les anciens et les nouveaux. Un lien entre les mondes. Un pont entre les générations. Et au final il n’est pas si loin ce petit garçon, en dépit des rides, des désillusions et des années. Il aligne toujours ses figurines sur autant d’étagères, entend toujours la lyre d’Abel aux premiers éclats d’un soleil d’été sur la Méditerranée, ou sourit bêtement, le regard dans le vide, en pensant au passé, quand il entend parler de la galaxie d’Andromède, de l’Étoile Polaire, des ‑273,15° du zéro absolu, d’Albert Camus ou du Cosmos. Une douce nostalgie l’envahit.

Aa ashita no sora wa blueDi pinto di blue !

À R.P.

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2 commentaires

Jérôme 9 novembre 2023 - 20 h 02 min

Très bon article. Il respire une passion pure et sincère qui ne peut être issue que de l’enfance. Je me suis beaucoup retrouvé dans cette introspection, voire même certaines anecdotes.
Seul petit ajout de ma part, je ne crois que tu aies mentionné (je rédige ce message plusieurs jours après ma lecture de l’article) l’importance de la mise en scène, ainsi que des cadrages qui soulignaient la dimension dramatique et l’emphase des situations présentées. On se croirait parfois chez Leone, et comme la musique possède parfois des accents Morriconiens, l’effet fonctionnait à balle.

Tout cela fut très agréable à lire, comme tes autres sur lesquels je me suis précipité. Et comme il faut remercier les personnes qui agrémentent nos vies (beaucoup apprécié celui sur The Witcher 3 notamment), alors je te l’ecris, merci.

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Menraw 9 novembre 2023 - 20 h 36 min

Merci beaucoup ! Voilà le genre de commentaire qui réchauffe par une journée grise comme aujourd'hui !
Tu soulèves un point vraiment intéressant. En grand fan de Moriconne et des westerns de Leone, j'avais jamais vraiment fait le lien mais y'a quelque chose à creuser. Merci beaucoup !

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