Resident Evil : Bienvenue à Raccoon City ou le râle d'agonie du film-zombie

Quelqu'un avait demandé un nouveau film Resident Evil ? Vraiment ? Personne ? Eh bien vous l'aurez quand même ! Sorti chez nous le 24 novembre, Bienvenue à Raccoon City se vend comme un reboot de la franchise au cinéma : une origin story mélangeant les événements des deux premiers jeux vidéo sortis à la fin des années 1990. À la barre, un seul homme, crédité à la fois en temps que réalisateur et scénariste : Johannes Roberts. Un geek assumé qui ne parvient à faire de son rêve notre cauchemar. « Entrez dans mon monde » nous lance-t-il de son sourire carnassier, la bave aux lèvres et les yeux injectés de sang. Mais nous ne sommes pas dupes : derrière même le plus bienveillant des aubergistes peut se cacher un piètre maître d'hôtel.

Des zombies et des lettres

Vous connaissez le Boggle ? Mais si, ce jeu de lettres dans lequel vous insérez de manière aléatoire des dés représentant des lettres à la place des habituels chiffres, dans un plateau carré prévu à cet effet. Une fois que tout est en place, vous placez un couvercle par-dessus et vous secouez, pour obtenir un nouveau tableau de lettres, encore plus aléatoire. Le but du jeu est alors de constituer en un temps limité le plus de mots possible en reliant une à une les lettres qui se touchent. Pourquoi cette recommandation jeu de société périmée en ouverture de cet article ? Parce que Resident Evil : Bienvenue à Raccoon City est ce qui se rapproche le plus d'un Boggle cinématographique.

Johannes Roberts a pris quelques uns des événements, personnages, lieux et monstres marquants de Resident Evil 1 et 2, ainsi que quelques objets caractéristiques et une poignée de clins d'œil à la série ; il les a ensuite placés dans une grande boîte, refermé le couvercle et agité ses bras très fort, laissant le hasard opérer. Ne lui restait plus alors qu'à constater le résultat, avant de tracer les grandes lignes de son scénario à main levée. Qu'importent l'enchaînement ou la cohérence des mots listés, au diable les quelques fautes d'orthographes ou de conjugaison plus ou moins volontaires qui traînent au fil des lignes, tant que chaque lettre se voit représentée au moins une fois.

La coupe est pleine

Et de fait, tout le monde est là. Alors que ces lignes sont tapées en plein dimanche pluvieux de décembre, on pourrait même étoffer notre après-midi « jeux du siècle dernier » à la salle polyvalente de Pouzioux-la-Jarrie avec un petit Bingo. Vous avez tous bien récupéré vos cartons et vos pastilles à l'accueil, à côté du stand de crêpes ? Oui Josiane, pour la dernière fois, c'est deux par personne maximum. Allez, c'est parti ! Nous avons Chris et Claire Redfield, frère et sœur passés par l'orphelinat de Raccoon City, sous lequel se cache le laboratoire où William Birkin expérimente sur Lisa Trevor, tandis que le rookie Leon S. Kennedy s'apprête à vivre son premier jour au commissariat du chef Irons, pendant que les membres des S.T.A.R.S. Jill Valentine et Albert Wesker enquêtent sur d'étranges événements au manoir Spencer. Sur leur route faite de rues vides et de couloirs vides, ils croiseront un chien zombie, un corbeau zombie, un zombie qui se retourne en gros plan la bouche maculée de sang, des clés en forme de pique, cœur, carreau et trèfle, un piano magique, des militaires masqués à la solde d'Umbrella, un Licker, un boss final avec tout plein de zyeux, un lance-roquette et un tunnel ferroviaire secret menant hors de la ville. Ceux qui ont réussi à ne pas piquer du nez ont même pu apercevoir un caméo pointu des jumeaux Ashford.

Si la licence Resident Evil vous est étrangère, ce paragraphe name dropping vous a probablement au mieux fait lever un sourcil. Dans le cas contraire, vous n'êtes sans doute pas passé loin de l'indigestion – comme lors des trente ans de mariage de Tonton Raymond et Tata Christine ce samedi soir grisâtre d'octobre à la salle polyvalente de Pouzioux-la-Jarrie. N'épuisons pas inutilement notre stock limité de rubans encreurs : cette surabondance de personnages et de lieux, engoncés au chausse-pied dans une série B au budget serré comme la mâchoire d'un Crimson Head est le principal problème de Bienvenue à Raccoon City. Cela pourrait-il venir d'un caprice de producteur ? La peur de passer pour des branquignoles en amorçant un reboot complet de la franchise avec un nouveau premier épisode… qui ne sera jamais suivi d'un deuxième, faute de succès ? Non, ce gâchis porte bien en lettres de sang sur son front la signature de Johannes Roberts.

Itinéraire d'un enfant gâté

Resident Evil - Bienvenue à Raccoon City - Johannes Roberts

Sur cette photo : un prédateur de sang-froid aux dents acérées évoluant en eaux troubles et un grand requin blanc.

Et puis d'abord c'est qui ce gars-là, Johannes Roberts, qui vient tenter de faire de la lèche aux geeks amateurs de frissons et de litres d'hémoglobine ? Pour les dérangés du bulbe comme votre serviteur, qui à cause d'un certain Steven Spielberg aiment bien mordre de temps en temps dans un petit film de requins, il est l'animal qui se cache dans la cage du sympatoche 47 Meters Down et de sa suite Encaged, sortis respectivement directement en VOD et sur Amazon Prime entre 2017 et 2020. Pas un orfèvre du Septième Art donc, comme le prouve le reste de sa filmographie où l'on trouve également une improbable suite à The Strangers – le home invasion avec Liv Tyler, pas le chef d'œuvre coréen – mais a minima un amoureux du genre, qui tient en sa propre adaptation de Resident Evil un véritable rêve de gosse. Preuve que l'histoire est un éternel recommencement, on en vient alors à se rappeler un brumeux précédent : l'adaptation par Christophe Gans de Silent Hill, pour un résultat loin d'être déshonorant mais oubliable, qui avait au moins l'excuse de s'être fait écorché par ses producteurs.

Johannes Roberts lui, avait les mains libres. Et même mieux que ça, il a carrément pu compter sur la collaboration de Capcom, qui lui a fourni les plans des deux lieux principaux autour desquels il voulait articuler son film : le commissariat de Raccoon City et le manoir Spencer. Sauf que récréer à l'exact certaines des pièces les plus iconiques du jeu vidéo d'horreur est une chose ; les filmer et les éclairer de façon à ce que l'on s'y croit réellement et non pas dans un décor de carton-pâte, et surtout réfléchir à une mise en scène qui leur rendrait hommage et immergerait le spectateur au sein de ces bâtiments devenus cultes au fil des ans et des remakes, en est une autre. D'autant qu'il faut attendre 45 minutes montre en main avant d'apercevoir les murs de la bâtisse. Avec guère plus de temps derrière pour boucler le film, l'heure n'est donc déjà plus à l'exploration. Les endroits les plus marquants des jeux disparaissent ainsi au profit de scènes d'actions imbitables, dont une filmée entièrement dans le noir. Comment excuser cette paresse, cette mollesse, quand Resident Evil 1 et 2 se démarquaient à l'époque de la façon la plus cinématographique qui soit, avec une série de plans fixes précalculés et pensés au préalable pour que le joueur se sente doublement prisonnier : du manoir/commissariat et du cadre.

Les seuls moments de mise en scène interviennent au moment d'introduire de nouveaux personnages : le premier zombie croisé dans le film, dans une séquence calquée sur celle du jeu original – fainéant le gars on vous a dit – le chien, le Licker ou Lisa Trevor, le temps d'une intro sans aucune surprise, avant de la retrouver en sidekick qui lâche des high kicks. Un hommage à Sainte Milla sans doute. Une preuve supplémentaire que l'ami Johannes est passé à côté de son sujet : aussi charismatiques que peuvent être certains des grands méchants de l'univers Resident Evil, et exception faite du troisième volet, qui porte en lui sa Nemesis, on se souvient des différents épisodes de la série comme de celui qui se passe en Espagne, en Afrique, dans un bateau, dans une maison cradingue du bayou de Louisiane ou encore un village au pied d'un château. En partant de ce postulant, on imagine Roberts jubiler à l'idée d'exploiter le potentiel énorme d'un Mister X dans un tel film, mais malgré toute la bonne volonté du monde, il « n'a pas trouvé de moyen de l'intégrer ». Johannes Goodenough.

Recherche persos désespérément

Traître à son nom, Bienvenue à Raccoon City ne nous offre jamais le tour du propriétaire que l'on est en droit d'attendre. Et au vu de ce qu'il y a à voir, ce n'est peut-être pas plus mal. Car surprise, à ce sujet-là, Johannes Roberts semble avoir un jour été pris d'une idée folle : transformer Raccoon City en une de ces corporate towns devenues presque du jour au lendemain villes fantômes, suite à la faillite de l'entreprise qui y pourvoyait la majorité des emplois, en l'occurrence Umbrella Corporation. Ne cherchez pas un éventuel message politico-social qui aurait pu se greffer tel un furoncle sur un corps narratif déjà bien meurtri : personne n'avait semble-t-il le temps, le talent et/ou l'envie pour ça. À la place, la réponse se trouve probablement et comme souvent du côté de la trésorerie : il est bien plus facile de filmer des rues désertes où plus rien ne bouge, et de cacher la misère avec une série de (très) gros plans des mêmes trois zomblars se débattant derrière une grille, que d'embaucher plusieurs centaines de figurants ou de créer une armée de morts-vivants en images de synthèse façon World War Z.

On pourrait bien sûr pardonner si cela ne créait pas un problème au niveau des enjeux, autrement plus important. À en croire la version officielle, au lancement de Resident Evil 1, Raccoon City est dans le jeu vidéo une charmante bourgade d'environ 100 000 habitants. Rien de démesuré à l'échelle de ce grand et prospère pays que sont les États-Unis, mais tout de même de quoi nous affoler au moment d'apprendre que la ville et l'intégralité de sa population sont menacées par un virus inconnu et mortel, puis que le gouvernement s'apprête à la raser de la carte par mesure de précaution. Transposez ce même problème dans le bled à l'abandon peuplé par trois rednecks malades de Bienvenue à Raccoon City et vous comprendrez que l'on est loin de trembler d'inquiétude.

Pas même pour tous ces personnages au charisme d'endives faisandées, incarnés par un casting de séries TV constamment à côté de la plaque d'égouts. On défie jusqu'aux fans les plus hardcores de Labyrinthe d'en pincer ici pour la Claire de Kaya Scodelario, tant elle ne dégage aucune émotion. La Jill Valentine de Hannah John-Kamen (Killjoys et Intimidation, ça vous parle ?) est une fausse badass amoureuse transie du Wesker de Tom Hopper (Luther dans Umbrella Academy), traître malgré lui au rôle aussi flou qu'inutile, qui réussit l'exploit de nous faire regretter le blond platine complètement nanardesque des films de Paul W.S. Anderson. Quant à Leon S. Kennedy, nouvelle recrue de choc dans les jeux devenu poltron incapable et Chris « gros muscles » Redfield, les images ci-dessus parlent d'elles-mêmes.

Partons vite et revenons tard

N'y‑a-t-il donc rien à sauver de Resident Evil : Bienvenue à Raccoon City ? Si vous parcourez les Internets en quête d'une quelconque critique positive, vous verrez qu'il est de bon ton de surévaluer ce reboot à l'aune des pitreries gentiment débiles de Paul W.S. Anderson. Mon cerveau rebranché et mon amour pervers pour cette saga mis de côté, concédons à cet épisode 2021 son envie de parler aux fans. Il faut dire que ces petits êtres sans défense ont été blessés au plus profond de leur âme pendant près de quinze ans par six films qui ont décidé d'écrire une timeline alternative et surtout, à partir du troisième, n'ont plus du tout cherché à les brosser dans le sens du poil en tentant de raccrocher les wagons avec les jeux. Fidèle à lui-même, Paulo a pioché dans tout ce qu'il trouvait pour confectionner son propre joujou et en tirer le maximum de blé.

Cynique, Bienvenue à Raccoon City ne l'est pas du tout. Bienveillant, sincère, oui sans aucun doute. Mais aussi emprunté, hésitant, prévisible et au final terriblement ringard, jusqu'à son tout dernier plan, sans aucune ampleur, et une scène post-générique introduisant le seul personnage qui manquait à l'appel. Si on lui en veut, ce n'est certainement pas pour s'être moqué de nous, mais parce qu'il a simplement fait ce qu'on attendait de lui. Sans jamais nous surprendre mais sans jamais nous énerver. Ni tout à fait vivant dans notre esprit, ni complètement mort, il traîne sa carcasse au milieu de nulle part, avec comme seul espoir qu'une âme charitable veuille bien le réanimer, le sortir de sa léthargie. Un film zombie, que l'on n'a même pas envie d'achever.

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