Je fais grand cas depuis quelques jours du fait d'enfin recevoir mon PC. Un PC que je conçois avant tout comme un outil de production à la solde de la conquête du monde opérée par Le Grand Pop, bien évidemment, mais qui par inadvertance est aussi… un PC de joueur.
Nombreux pourraient ne pas le deviner en m'écoutant railler avec nonchalance cette communauté de joueurs dès qu'occasion se présente sur notre Twitch, mais mes humbles origines se sont faites sur la machine à cœur amovible. Par mon récent achat, bien que j'ai choisi de ne pas le monter moi-même cette fois-ci, j'ai été naturellement conduit à me réintéresser à l'univers PC et ses traditions… si particulières.
Il est des choses que l'on ne peut pas nécessairement faire sur consoles, j'en conviens. Un jeu de gestion, par exemple, y a rarement sa place tant le combo clavier/souris est supérieur. De même, à mon très humble avis et sans ne juger personne, que les FPS qui sont intégrés dans mon ADN comme nécessitant un petit coup de… point'n'click, dira-t-on. L'esport évidemment est intimement lié au PC, lui qui a donné naissance aux plus grandes LANs me faisant rêver enfant. Mais de cette époque à nos jours, je retrouve toujours cette notion qui m'a fait petit à petit apprécier bien plus la console : la méta.
Méta vu ce qu'ils font ?!
Non très cher lecteur, je ne parle pas ici d'une autoréférence réflexive, ni même de transcendance. Bien qu'avouons-le, certains aimeraient que cette dernière notion les touche un peu plus régulièrement au milieu d'une partie. Je parle de "méta" comme l'in fine d'un jeu, la règle gouvernante primordiale, l'Alpha et l’Oméga. Je parle de la méta comme ces chaînes invisibles qui guident la partie, faisant du joueur aussi bien un dieu qu'un vulgaire suppôt, capable de tout et de rien à la fois, ses élans glorieux brisés par un pragmatisme glacial. Ou du moins, c'est ce que beaucoup aimeraient croire.
Le jeu vidéo a la spécificité d'être un loisir interactif. Et qui dit interactivité dit notion de création, d'imprévu. Tous les joueurs sont les mêmes dans ce qu'ils peuvent accomplir au sein de l'enclave que représente leur monde virtuel de prédilection. Et tous les joueurs sont différents dans ce que leur personnalité leur intimera de réaliser en premier, puis en deuxième, ou parallèlement. Il existe des jeux comme les autres, mais il n'existe pas de partie comme une autre : c'est la loi qui régit la création même dans notre loisir préféré.
Ne vous perdez pas dans la réflexion : je parle toujours de méta. Méta, méta, méta… ce mot prononcé à tort et à travers aussi bien par des trentenaires à la barbe envahissante que des marmots abjects dont la mue n'arrivera jamais assez tôt. Les deux ont cependant bien souvent le même but : se donner consistance en employant des concepts et termes dont ils ne comprennent pas eux-mêmes l'essence. Mais pourquoi ? Car dans l'univers des possibles, nombreux sont les esprits à vouloir se recroqueviller pour garder leurs bonnes vieilles habitudes. Une loi humaine que l'on a tous affrontée.
Face à la courbe exponentiellement croissante de popularité de l'esport, le public est devenu de plus en plus conscient de la fermeture des univers vidéoludiques. Si beau qu'il soit, si imaginatif, un titre ne reste qu'une suite de 0 et de 1 contrainte par des règles mathématiques et scientifiques qui régissent le monde depuis des millénaires. Un seul .xml vous manque et tout est dépeuplé. Auquel cas, il y a forcément une manière optimale de jouer, n'est-ce pas ? Les commentateurs et joueurs ont pu mettre devant les yeux de tous leurs optimisations, comme Newton pourrait brandir fièrement sa pomme devant Saint Pierre – à défaut d'Adam, mais je m'égare.
Méta pas suivi les règles
La méta est entrée dans l'inconscient collectif et n'a plus jamais lâché prise. On le voit dans les tier-lists qui pullulent toujours plus chez les jeunes joueurs, les influenceurs en quête de buzz ou de drama, les discussions sur les prochains patchs d'équilibrage qui démarrent deux jours après que le dernier soit sorti, mais surtout sur le moindre jeu en ligne où l'interaction entre les joueurs est obligatoire. Impossible de gagner sans "jouer la méta", n'est-ce pas ? Et comme je suis au courant de son existence, que je me suis renseigné auprès des joueurs professionnels et des commentateurs, que j'ai étudié tout cela… Je suis en place de pouvoir expugner quiconque ne la suivrait pas, car Elle Est La Sainte Voie Par Laquelle Nous Devons Tous Tracer Notre Route.
Tous les joueurs sont les mêmes dans ce qu'ils peuvent accomplir… Mais tous les joueurs sont différents dans ce que leur personnalité leur intimera de réaliser. Cette dernière loi a été totalement oubliée à mesure que l'esport s'est massivement répandu, notamment par le biais des jeux free-to-play. À mesure que les stars de l'esport se sont faites un nom en accomplissant des miracles en jeu. Au même rythme que les joueurs banals se sont mis à rêver de les détrôner.
Devinez quoi ? Vous n'êtes pas joueur professionnel, et ces discussions ne vous appartiennent pas. Le concept même d'analyser la méta ne vaut que pour ceux qui ont atteint un tel niveau sur un jeu, n'importe quel jeu de n'importe quel genre, qu'on en vient à analyser leurs actions comme l'on observe Neo s'envoler dans la Matrice. On compare un algorithme avec un autre. La précision d'une machine. Toi, Jean-Germain, qui balance à tort et à travers "méta", tu peux vraiment me regarder dans les yeux et me dire que ton gameplay est assez exemplaire pour tenir face à une analyse de la sorte ? Spoiler Alert : même moi je peux voir que t'as chié ton gank, que t'as pas dressé ta barrière, que t'étais pas foutu d'aller sur le payload, et à quel moment tu whiff ça sérieux ?! La bombe est sur le B, gros malin.
Méta rien compris mon neveu
Dans le jeu vidéo, plus que n'importe où ailleurs, les règles sont faites pour être brisées. Comment la méta s'est créée à votre avis, hum ? Et comment va-t-elle se faire contrer ensuite, dites ? Plus basiquement, même : c'était quoi le moment le plus hype de la dernière compétition de n'importe quel jeu que vous avez regardé ? Quand tout s'est passé exactement comme prévu ? C'est parce que l'on évolue avec une mentalité humaine dans un monde mathématique que le jeu vidéo est intéressant. Cette ambivalence crée l'exaltation des compétitions, que ce soit dans votre canapé, sur le ladder ou dans les plus grandes compétitions du monde.
Je suis de ceux qui pensent que l'exacerbation de la méta conduit à l'appauvrissement du jeu vidéo au sens large. Et c'est particulièrement visible sur les jeux typés esport. Regardez donc ce qu'est devenu Overwatch : après que le jeu a été un terrain d'expérimentation chaotique mais fun, la communauté a élu la composition 2:2:2 (2 Tanks, 2 DPS, 2 Healers) comme seule viable, a intimidé tous les débutants souhaitant utiliser des persos "non-optimisés" pour qu'ils rentrent dans le rang, et les développeurs… ont suivi. Et désormais, le hero-shooter perd petit à petit ses joueurs, faute de retrouver le fun du début. Surprise : vous êtes responsables. Les jeux de combat se simplifient de plus en plus pour avoir une méta plus lisible, mais sacrifient pour cela les moyens d'expression et d'individualité des joueurs… qui attendent maintenant la dernière Tier-List de leur pro préféré pour choisir un personnage. HearthStone est tellement gangrené par sa méta que Blizzard offre désormais un deck optimisé dès que quelqu'un se crée un compte.
Vous vous bouffez tous seuls à ne penser que par le prisme de la méta. Maverick, joueur pro de HearthStone, me l'a lui-même dit en interview : "Ne jamais prendre un joueur de haut, même si on a accompli énormément de choses. Certains qui jouent énormément vont parfois essayer des aspects que nous, en tant que joueurs pro, on a tendance à laisser de côté." Obnubilés par la matrice, vous oubliez que vous êtes ceux qui l'alimentent. Mais contrairement au film que référence cette métaphore, vous n'avez pas besoin d'être un hacker de génie, d'attendre l'apparition d'un simili-berger et d'avaler une pilule colorée pour vous en sortir : vous avez seulement à vous rappeler que vous pouvez, vous aussi, créer. Qu'il ne s'agit toujours que d'un jeu, et que jouer n'est pas uniquement un exercice ; c'est une forme d'expression.
3 commentaires
Très chouette article, comme d'habitude ! L'internet moderne est une terre sauvage, un désert où l'aridité ne vient pas du manque d'eau mais du manque d'ouverture et de gentillesse. En ce sens, Le Grand Pop est une oasis où j'apprécie me désaltérer.
En lisant, je me suis rappelé mes jeunes années, quand je jouais à Magic l'Assemblée. Je crois que ce qui m'éclatait le plus était la création de decks. On testait 50 idées par jour avec mon meilleur pote. Je n'ai jamais retrouvé cette sensation avec les jeux de carte en ligne comme Hearthstone, probablement pour les raisons évoquées dans l'article : l'influence (que j'ai bien voulu accepter) de la méta.
Concernant la créativité en jeu, je trouve que l'exemple d'Alpha Go est assez frappant : une IA qui fait des choix totalement farfelus pour les plus grands champions de Go, et pourtant, tous ont fini battus à plate couture ; ça fait réfléchir. 🙂
Héhé merci dude, c'est très agréable à lire ce que tu dis sur Le Grand Pop 🙂
Magic l'Assemblée me ramène à bien des souvenirs aussi 😀 J'ai quelque part eu la même frustration que toi sur Hearthstone : j'ai cherché en vain à faire un deck qui correspond à ma personnalité, mais même à bas level et malgré avoir passé des heures à chercher à en faire quelque chose, j'ai dû me rendre à l'évidence : tu es obligé de jouer la méta sur le jeu. Impossible de faire autrement que de rentrer dans le rang même à bas niveau. C'est en partie ce qui a motivé la rédaction de cet article d'ailleurs haha
J'interviens simplement pour réagir à la première partie de ton commentaire : merci beaucoup du fond du cœur ! Des réactions comme celles-là étaient exactement ce que nous souhaitions en créant le site et tout ce qui tourne autour. Ça fait vraiment plaisir et ça donne envie de se donner à fond pour continuer dans ce sens 🙂