On pensait la saga au point mort, noyée dans les sables du temps, mais Ubisoft a surpris tout le monde en annonçant pour 2024 un nouvel épisode de la série : Prince of Persia : The Lost Crown. Plutôt que de se complaire dans la facilité du jeu d’action-aventure en monde ouvert, l’éditeur a décidé de nous offrir un Metroidvania solide et nerveux.
Prince of Persia fait partie des papis du jeu vidéo. Née en 1989, la série au vécu plusieurs périodes plus ou moins inspirées avant de débarquer en janvier dernier sous la forme d’un Metroidvania avec Prince of Persia : The Lost Crown. À l’origine, le jeu avait fait sensation. Sous l’égide de son créateur, Jordan Mechner, le Prince de Perse avait su se distinguer. Avec son gameplay inspiré par Pitfall mais basé sur l’animation de son personnage, le jeu offrait un vrai bol d’air frais au genre, et a très vite été imité (Another World, Flashback…). Malheureusement, vers la fin des années 1990, un écueil majeur a fait sombrer de nombreuses gloires du pixel. Le Prince fait partie de ceux qui se sont pris les pieds dans le tapis du passage à la 3D. Il faudra attendre 2003, alors que la licence est au fond d’une oubliette, pour qu’Ubisoft s’empare de la série et nous propose un petit coup de polish. Les Sables du Temps, dirigé par Yannis Mallat, redonne à Persia ses lettres de noblesse. Le succès est tel que l’éditeur imagine un épisode basé sur l’infiltration et le parkour. Cet épisode, d’abord pensé comme un spin-off, deviendra une nouvelle licence. Vous en avez peut-être entendu parler, ils l'ont appelée Assassin’s Creed.
Un succès tel qu’il éclipse même la saga Persia qui nous avait quitté en 2010 après un épisode Les Sables Oubliés… oubliable. Malgré son statut et son nom, la série sombre à nouveau dans les limbes. Un film produit par Walt Disney Pictures et Jerry Bruckheimer avec Jake Gyllenhall, Gemma Arterton, Alfred Molina et Ben Kingsley tente un va-tout la même année, espérant en vain reproduire le succès de Pirates des Caraïbes. Depuis, c’est le désert. La torpeur aride des tentatives ensevelies. Jusqu’à cette annonce lors du Summer Game Fest 2023. Ubisoft Montpellier s’est emparé de la licence et a opéré un retour aux sources habile. Délaissant les jeux d’action-aventure AAA qui ont fait la marque de l’éditeur, le studio français opère un virage à 180° assumé.
Après tout, le premier Prince of Persia n’était-il pas un proto-Metroidvania ? Contrairement à Assassin’s Creed, qui a tenté de renouer avec son passé en le singeant jusque dans ses défauts avec un Mirage dispensable, ce nouveau Prince of Persia offre un vrai nouvel élan plein d’envie à la série et rajoute au passage une brique à l’éventail du catalogue Ubisoft.
Qui se ressemble s'assemble
Quand un jeu laisse son nom dans l’histoire au point de donner son nom à un genre, on s’expose bien souvent à subir le comparo ad nauseam. Si, en 2024, il paraît naturel de voir débarquer de nouveaux SoulsBorne ou Souls-Like, c’est parce qu’il y a quelques années, un petit génie et un studio aux confluences des bons choix et du bon moment a su se transcender pour accoucher d’un mètre étalon. Littéralement. Miyazaki pensait-il créer un nouveau sous-genre du RPG et du jeu d’action-aventure lorsqu’il imaginait Demon’s Soul ? Sans doute pas. Mais après avoir maintes fois revu sa copie et lâché sur le monde Dark Souls, Bloodborne, Sekiro et Elden Ring, il a ouvert une nouvelle niche dans laquelle n’ont pas tardé à s’engouffrer de nombreux studios. Le concept a même fait des petits au-delà de sa propre famille, saupoudrant ses logiques jusqu’à des Tunic ou des No Rest For The Wicked, le futur projet à venir des créateurs d'Ori. Mais tous les titres du genre qui sortent sont forcément jugés d’après le cahier des charges initial.
C’était le cas à la fin des 90’s pour les FPS qu’on appelait des Doom-Like ou des Quake-Like. Et c’est encore le cas aujourd’hui pour les Metroidvania. Mâtiné de Rogue-like, de Souls justement, plutôt orienté action ou plutôt plateforme, léger et coloré ou dur et sombre, en pixelart, en 2,5D, en 3D, futuriste ou fantasy, le genre a explosé grâce à la vulgarisation populaire du jeu indé. Mais il reste malgré tout soumis aux bases établies par ses pères-fondateurs : Metroid et Castlevania. Les deux sagas ont en ça une complémentarité qui n’aura pas échappé aux joueurs et joueuses fans du genre. Le genre hérite de Metroid ses niveaux labyrinthiques, son level design précis, ses power ups, sa narration environnementale, ses pourcentages de complétion et sa dimension shoot. De Castlevania, il reprend les combats au corps-à-corps, la dimension RPG, les PNJ donneurs de quêtes, les pouvoirs passifs ou le storytelling. Aux deux, il emprunte sa map, codifiée et singulière, ses mécaniques de va-et-vient et ses secrets cachés.
Quel que soit le Metroidvania à observer, il se heurte aux codes du genre, et est souvent jugé à l’aune de ce qu’il propose en plus – ou en moins –, ce qu’il fait mieux ou moins bien, ce qu’il réinvente, ou comment il joue justement avec les codes établis. Voyons donc de plus près ce que le nouveau Prince de Perse a à offrir.
Prince of the Universe
Même s’il faut reconnaître qu’Ubisoft Montpellier a mis un point d’honneur à raconter une nouvelle histoire qui sert de reboot à la série, je fais partie de l’école du minimalisme quand il s’agit d’un Metroidvania. J’aime le sentiment de solitude et la narration environnementale d’un Metroid classique. Je préfère les bribes d’indices que les dialogues à outrance ou la direction imposée. J’aime l’exploration, la sensation de liberté. ‘Montre-moi’ plus que ‘raconte-moi’ en somme. Or ce n’est pas ici le choix du studio. Votre héros, Sargon, fait partie d’une troupe, et chaque membre de la petite cohorte dite des ‘Immortels’ représente un archétype des univers de fiction. Le grand barbu balèze avec une grosse hache, la rapide masquée et agile, l’archer habile, le mentor charismatique… Tout ce petit monde sert une histoire de tragédie antique, d’héritage bafoué et de magie temporelle, dans un syncrétisme pulp inspiré des mythes perses. Le tout se tient plutôt bien et l’univers est cohérent.
Très présents au début et à la fin du jeu, les dialogues, manifestés par des artworks et des pavés de textes doublés façon Light Novel font le taff et savent se faire plus discrets une fois l’aventure vraiment lancée. Les scènes clés du récit servent surtout à donner un peu de profondeur aux personnages et à échelonner l’ensemble, mais ces derniers sortent rarement des clichés établis. L’histoire, cependant, parvient à nous garder en haleine et certains retournements de situation pourtant attendus trouvent des rebonds bienvenus. En un mot, vous êtes envoyés sur les ruines de l’ancienne capitale du mythique Roi Darius pour secourir le fils de la Reine de Perse avec votre escouade. Mais sur place vous vous rendez vite compte que les apparences sont trompeuses et que le temps ne s’écoule pas de manière linéaire au Mont Qaf, entraînant de nombreux paradoxes visuels et scénaristiques.
Everybody Jump
Qui dit Metroidvania dit d’abord sensations manette en main. Et là, il y a plusieurs écoles. La nervosité d’un Dead Cells ou d’un Ori, la lourdeur cathartique d’un Blasphemous. L’inertie à appréhender d’un Hollow Knight. La saccade artistique d’un Guacamelee ou d’un Apotheon. Le minimalisme d’un Axiom Verge ou le néo classicisme d’un Wonder Labyrinth. Le choix d’Ubisoft Montpellier est clairement le même que celui des Bordelais de Motion Twin : Persia se pose comme un élève exemplaire de l’école du gameplay vif, réactif et rythmé.
Sargon répond au doigt et à l'œil et enchaîne les séquences de sauts et d’esquive avec une fluidité exemplaire. Course, dash au sol ou en l’air, double-Saut, grappin et wall bounces – des mécaniques de déplacement iconiques du genre – répondent à l’appel. Enchaîner les déplacements est tout ce qu'il y a de plus grisant et le mapping des boutons super instinctif. Résultat, si parfois le titre peinait un peu à me garder totalement dans l’aventure, le plaisir de jeu, la facilité à prendre Sargon en main et le découpage des reliefs qui obligent à utiliser toutes les capacités du personnage ont comblé mes attentes.
Une précision mordante qui se retrouve aussi du côté des combats. Armé de deux cimeterres, Sargon enchaîne les combos et les pouvoirs avec beaucoup de talent et les variations sont assez nombreuses pour se renouveler sans sombrer dans la collectionnite. Comprenez que vos choix de builds sont très marqués et spécialisés. Encore une fois on est dans du très classique, avec quelques combos à rentrer, des mix à débloquer selon les pouvoirs récupérés, une barre de magie avec différents niveaux de puissance, une esquive, une parade qui peut se transformer en contre et des tirs à distance… Rien de nouveau, mais un ensemble particulièrement jubilatoire à utiliser. Sargon pourrait aisément faire son entrée dans le roster Smash Bros. tant les logiques de hits sont proches !
Au final, les combats sont un peu exigeants sans être rébarbatifs, et même si la barre de vie s’étiole vite au début, vos augmentations de passifs sauront y répondre. Côté équipement, on retrouve un système de reliques et d’emplacements inspiré d’Hollow Knight (autant puiser chez les meilleurs), et de quelques ensembles de skins sous forme de colors swap à débloquer ça et là. La map est claire, interactive et assez classique en soit, mais offre une innovation tellement évidente qu'elle manquera désormais à tous les jeux du genre : vous pouvez faire un screenshot de l'endroit où vous êtes bloqué et revoir les images via la carte pour éviter des aller-retours à n'en plus finir : "Ah oui, j'étais bloqué par… [insérer l'élément bloquant désiré]". Vous l’aurez compris, The Lost Crown ne brille pas par son originalité de prime abord, mais fait très bien ce qu’il entreprend, ce qui le distingue déjà de la masse.
Love Me Two Times
Mais alors, c’est un bon Metroidvania bien classique ce Prince of Persia : The Lost Crown ? Alors oui, mais pas que. Comme on l’a vu, sans rien réinventer, il se pose comme un bon élève, c’est vrai. Mais les Montpelliérains n’ont pas entre les mains une saga naissante. Ils posent leur prose de pixels et de sprites sur un plus grand canevas, celui de la série des Persia. Or cette saga est très marquée par la notion de temps. Les Sables du Temps, en son temps (!), avait fait sensation en proposant de rembobiner les dernières secondes de jeu – oui comme en lecture arrière – afin d’éviter une chute, un combat mal engagé, un piège ou toute autre fatalité du destin. Une mécanique qui fera des émules dans un autre registre et qui n'a par exemple pas échappé à Don’t Nod, qui a basé son roman interactif Life is Strange sur ce concept.
The Lost Crown hérite de cette logique, mais plutôt que de simplement la réemployer, il la transcende. Outre les pouvoirs communs propres au genre et à l’étoffement des possibilités de déplacements, votre avatar peut littéralement jouer avec le temps. Après en avoir déverrouiller l'utilisation, vous pouvez, d’une simple pression, poser un clone de vous même et revenir à lui instantanément. Pas un replay arrière donc, le temps continuant de s’écouler normalement en dehors de votre alter ego. De la même manière, votre arme de lancer pourra se transformer en point de téléportation vous permettant de vous matérialiser à n'importe quel point de sa course. Simple de prime abord, ces capacités débouchent vers des types de puzzles et des mécaniques nouvelles qui ouvrent le gameplay vers un autre champ de possibles… En fin d’aventure, d'autres nouveaux pouvoirs du même acabit viennent encore étoffer vos capacités et distinguent le titre de ses pairs. Surtout quand ces pouvoirs s’additionnent entre elles et à vos possibilités de déplacements et que des cancels sont bien présents sur de nombreux éléments du décor. En gros, en fin de partie, vous êtes quasiment capables de traverser la majorité d'une zone sans toucher le sol. Je schématise un peu, mais le résultat est jubilatoire tant il paraît naturel.
I know what you did
Visuellement, encore une fois, des choix ont été faits. Qu’on aime ou pas, le style de 2,5D en cell shading permet au jeu de tourner partout de manière très fluide. Le jeu est d’ailleurs dispo un peu partout : PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series, Nintendo Switch ou PC. Comme dans la plupart des titres du genre, on opère dans un monde au défilement latéral, et les moments forts, comme les rencontres avec les boss ou les super-attaques sont mis en scène avec des mouvements de caméra façon Metroid Dread.
Au final, le jeu est lisible et plutôt agréable à l'œil grâce à une très bonne gestion des effets de lumière et des éclairages, mais souffre parfois d’un effet de nivellement qui empêche d’utiliser pleinement les supports les plus puissants – oui Jean-Germain, y’a un côté jeu mobile à certains moments, mais fallait bien que ça tourne sur Switch… The Lost Crown se rattrape un peu par ses choix artistiques, et si pour ma part j’ai un peu soupé des looks rétro-punks comme celui du héros, je dois avouer que les grands aplats de couleurs qui prennent l’ascendant sur les textures pour magnifier l’action et les effets de traînées lumineuses qui accompagnent les déplacements font leur petit effet. Tout comme les partitions musicales qui se fondent dans l’ambiance traditionnelle orientalisante ou explosent avec envie lors des combats de boss.
L’ensemble manque peut-être de singularité graphique – jetez un œil à Ultros ou au futur Mariachi Legends –, mais ça reste tout-à-fait recevable. Les artworks publiés par l'éditeur attestent même d'une note d'intention plus marquée, sans doute bridée par le cahier des charges imposé. Côté level design, The Lost Crown est plutôt bien pensé et parvient à se renouveler malgré le cadre unifié imposé par l’histoire (Mention spéciale à la zone de l'océan figé). Beaucoup de passages ne s’ouvrent que d’un côté ou qu’après l’obtention de certains pouvoirs et débloquer les raccourcis via des croisements ou des téléporteurs comble toujours nos expectations. Dommage de voir certains patterns trop répétés, comme ces loops de couloirs remplis de pièges qu’on empruntera qu’une seule fois afin de débloquer un embranchement, mais qui tombent dès lors dans l’oubli.
Au contraire, on saluera les challenges de collectibles pour les plus acharnés, durs mais pas impossibles, et surtout pas trop nombreux. Si l’éditeur nous a habitués à rallonger artificiellement l’expérience de vie de ses productions avec des artefacts inutiles à récupérer jusqu’à plus soif, j’applaudis des deux mains l'équilibre entre quantité et difficulté du titre. Mon 100% bien rond est comblé. Et d’ailleurs, j’en profite pour glisser un mot aux développeurs qui me liront peut-être. Sachez que vous m’avez beaucoup fait rire en de nombreux endroits du jeu. Après un enchaînement de sauts, de rebonds, de dash, d’esquives et de rattrapages qui jalonnent certains chemins, je me suis planté plus d’une fois sur des pièges positionnés en des endroits si étudiés, que seuls de grands fans du genre pouvaient placer, que je vous ai mentalement fait de nombreux high five à distance, derrière mon écran. J’ai physiquement ri aux éclats devant la justesse de votre travail et les obstacles mortels laissés aux bons endroits (plutôt que de rager sur des design foireux comme c’est trop souvent le cas) avec ce sentiment de connivence. Comme quand on vanne ou qu’on se fait vanner par un(e) pote de longue date.
Metroid chez Razhade
Au final, Prince of Persia : The Lost Crown se révèle comme bien plus original qu’il n’y paraît de prime abord. Surtout, il est plaisant à jouer tout du long grâce à son gameplay précis et efficace. Pris entre un classicisme formel et une envie de nouveauté, il alterne sans cesse les élans atypiques et les bonnes idées mais ne parvient pas complètement à rompre les chaînes de son carcan. Ce premier pas est une incursion réussie qui ne demande qu’à s’affirmer un peu plus pour s’imposer pleinement. Peut-être le poids de la machinerie Ubisoft qui pousse bien souvent au consensuel a‑t-elle scié les ailes de ses artisans ? Dans tous les cas, la formule plaira aux amoureux du genre et ouvre avec un certain brio ce qui s'annonce comme une grande année pour le Metroidvania !