Qui aurait parié sur une telle portée internationale pour la série Ryū ga Gotoku ? Et pourtant : la sortie soudaine de Like a Dragon : Ishin ! sur nos terres prouve une chose, s'il le fallait encore : les weebs ont gagné.
La série Like a Dragon, que l'on connaît bien mieux sous le nom Yakuza par chez nous, est loin d'être un nouveau venu sur le marché. Le premier épisode, sobrement baptisé Yakuza, est sorti en 2005 sur PlayStation 2 et avait déjà conquis une poignée de joueurs européens. Cependant, force est de constater que Ryū ga Gotoku – le nom original de la série – n'était d'abord une institution qu'au sein de son pays natal. Sous nos latitudes, les difficultés de localisation ont eu tôt fait de retarder voire annuler purement et simplement la sortie de certains des épisodes les plus acclamés.
Like a Dragon Ishin est de ceux-ci. La version sortie sur PS5 le 17 février dernier est ainsi un remake du jeu du même nom sorti neuf ans plus tôt sur PS3 et PS4. Il faisait d'ailleurs partie du line-up de sortie de cette dernière au Japon, et avait été présenté en grandes pompes lors du Tokyo Game Show précédant la sortie de la console. Hélas, il a fallu que nous traversions toute une génération sans y goûter, mais le parcours de Like a Dragon Ishin n'est autre que celui que nous, amateurs de jeux japonais, avons dû traverser pour le voir gagner ses lettres de noblesse aujourd'hui.
Ne vous mettez pas entre le dragon et sa colère
Commençons par le commencement. Contrairement à la majorité des épisodes principaux de Yakuza, notamment Yakuza 0, Ishin se déroule au Japon lors de l'ère Meiji. Comprenez que Kiryu qui arpente les rues pleines de panneaux LCD de Kamurosho n'a pas lieu d'être ici, bien au contraire : nous incarnons Ryoma Sakamoto, un jeune épéiste dont le retour au pays après un long entraînement au katana ne se passe pas comme prévu. Car oui, une tradition persiste : le père adoptif se fait assassiner dans de mystérieuses circonstances, et nous mettons notre honneur en jeu pour retrouver le véritable responsable de ce meurtre.
La narration habituelle de Yakuza est donc bien de la partie dans Like a Dragon : Ishin !, mais avec des éléments qui font la part belle à son contexte historique. Les suivants de l'Empereur s'écharpent face à ceux du shogunat, et les trahisons s'empilent à la chaîne. Le remake ne change rien au scénario du jeu, mais l'enrobe d'une nouvelle couche de peinture et vient apporter à nous autres gaijins des précisions historiques et géographiques bienvenues. Sur ce dernier point, ne vous attendez pas à un jeu éducatif pour autant ; Like a Dragon : Ishin ! est aussi proche de l'Histoire que ne l'est un Assassin's Creed se permettant d'intégrer l'Atlantide.
Il y a cependant assez pour commencer à titiller sur l'histoire du pays lui-même et cette période historique plus mystérieuse pour nous autres occidentaux. Au moins, le langage utilisé est le bon, et la qualité de l'écriture des Ryū ga Gotoku Studio s'exprime toujours autant. À mi-chemin entre un show policier classique et un drama typiquement japonais, Like a Dragon : Ishin ! est au même titre que tous les autres épisodes, un jeu vidéo qui sait autant se prendre au sérieux que rester léger. Un repas complet que tous les fans de la série ont appris à adorer, mais ce n'est hélas pas forcément l'épisode que l'on pourra recommander aux curieux.
Et mĂŞme les dragons ont une fin
Certes, cette version remasterisée apporte son lot de modifications graphiques. Sa nouvelle intégration dans le moteur de jeu Unreal Engine 4 fait de lui une petite beauté graphique, puisqu'il peut profiter des modèles 3D absolument impeccables que sait concocter le studio depuis tant d'années. Ces mêmes modèles qui savent retranscrire à la perfection le jeu des doubleurs de chacun des personnages principaux, dont l'acting est plus subtil qu'on ne l'imaginerait de prime abord.
C'est hélas sensiblement le seul point où le jeu est vraiment bluffant : les graphismes. Au-delà , le terrain de jeu est cantonné à une nouvelle ville très restreinte et des activités dont l'étendue est loin de correspondre à l'image que l'on se fait de la série. Ne pensez pas pouvoir passer à côté de la tournée des bars et des multiples mini-jeux qui font la série, mais Kyo – la ville principale du jeu – fait pâle figure après quelques années passées sur les nouveaux épisodes. On est plus proche des Kiwami que nous ne le sommes du 7e épisode.
Il en va de même pour le gameplay, qui fait la part belle au beat'em all pour laquelle Like a Dragon était connu, jusqu'à ce qu'il fasse un petit virage par le tour par tour avec l'épisode 2020. Pas besoin de débloquer ses écoles de combat, nous les avons d'entrée de jeu : le poing, le katana, le pistolet, et une danse combinant les deux derniers pour toujours plus de nervosité. Il faudra toutefois réussir ses enchaînements à la perfection et profiter de toutes les interactions possibles pour débloquer des orbes permettant de mettre à jour ses capacités.
Sauf que voilà : Like a Dragon : Ishin ! est un jeu "terriblement PS3". La quasi-intégralité des opérations du jeu se font par le biais de menus ou de boîte de textes. Le remaster n'est pas venu ajouter plus de polish sur ce qui était déjà un jeu complet ; il vient surtout le remettre au goût du jour pour que nous puissions enfin en profiter. Et le fait de bien belle manière, pour peu que l'on sache à quoi s'attendre et qu'on ne soit pas allergique aux temps de chargement. Mais lorsqu'on aime Like a Dragon, Ishin est une manière de voir nos traditions préférées sous un angle rafraîchissant, d'autant plus que le départ de SEGA de Toshihiro Nagoshi – le créateur historique de la série – pour rejoindre NetEase peut être une petite source d'angoisse pour l'avenir de la série. Ici, le simple fait d'apprécier Like a Dragon : Ishin ! pour ce qu'il est a quelque chose de grisant.
Qui trop combat le dragon devient dragon lui-mĂŞme
En jouant, je dois avouer que peu de notes ont traversé mon esprit. À bien des égards, et c'est plutôt naturel pour ce qui est essentiellement un jeu "fan service", Like a Dragon : Ishin ! fait exactement ce qu'on attend de lui. Au point que critiquer ses points faibles semble vide de sens. Mais plus que tout, manette en main, j'ai été saisi d'un sentiment de liesse que je n'avais pas nécessairement prévu. J'ai été submergé par la pensée que ça y est, je pouvais enfin y jouer ! Je me souviens encore de l'annonce au Tokyo Game Show ; et du dépit qui m'a saisi quand SEGA a officialisé qu'il n'avait absolument pas prévu de le sortir en dehors du Japon.
Plus qu'une unique bataille remportée, Like a Dragon : Ishin ! fait office de l'emblème marquant la fin de la guerre. Une guerre qui a été particulièrement difficile à vivre sur la génération PS3, et dont la génération PS4 a commencé à panser les plaies jusqu'à ce que celle que l'actuelle remette l'église au centre du village. Face à des développeurs japonais affaiblis par une nouvelle génération difficile à maîtriser, et enorgueillis par l'explosion des moteurs de jeux, les occidentaux ont su tirer leur épingle du jeu sur PS3 et Xbox 360. Au point que la fierté occidentale a fini par entacher le talent artisanal des créateurs japonais, relégués au rang de suiveurs malgré quelques (trop rares) moments de bravoure.
Like a Dragon : Ishin ! 2014 est l'un des derniers représentants de cette ère difficile pour les amateurs de jeux japonais. Les localisations se sont faites plus rares, ou à tirage limité, quand la qualité des projets a commencé à partir en sucette. On parle d'un temps où Bomberman est devenu un Robocop au rabais, et où le nouveau Parasite Eve est devenu un TPS mal-fichu exclusif à la PSP. Heureusement, nos amis nippons ont repris du poil de la bête sur la génération PS4, au point qu'aujourd'hui, il est plus rare de voir un jeu rester exclusif à l'archipel. Les grands éditeurs comme Capcom, Square Enix et SEGA ont retenu la leçon et ne font plus l'erreur d'ignorer leur talent ou de transférer leurs productions en dehors du continent : ils intègrent au sein de leurs équipes les talents ayant grandi avec leurs références, pour leur apporter une nouvelle fraîcheur.
Like a Dragon : Ishin ! 2023 est le symbole de cette nouvelle ère bénie du jeu vidéo japonais. Tout commence par "Like a Dragon", cette appellation succédant à "Yakuza" pour effacer le côté très cliché de la localisation. Ce au profit d'un nom plus proche d'une traduction littérale de "Ryū ga Gotoku", et donc plus proche de l'intention originale des développeurs. Il y a ensuite l'utilisation d'Unreal Engine 4, qui succède au moteur de jeu développé en interne auparavant et qui ralentissait non seulement la production, mais aussi les progrès techniques des créateurs. Enfin, il y a le simple fait que ce spin-off trouve enfin sa place dans nos rayons, prouvant la confiance que porte maintenant SEGA en l'appétit des joueurs occidentaux pour ses créations, même âgées de près d'une décennie.
Ainsi, Like a Dragon : Ishin ! devient plus qu'un très bon jeu : il est l'étendard de la victoire pour tous les weebs qui ont dû traverser cette époque compliquée. Ryoma a bien raison : qu'il est bon de revenir au pays.
2 commentaires
J'ai acheté le jeu suite a ce test, tu a mon temps et mon argent sur les mains, Otax.
La PRESSION