Hades est le dernier bijou du studio Supergiant Games. Roguelike endiablé prenant son décor dans la mythologie grecque, le titre des développeurs de Bastion est aussi une comédie familiale particulièrement prenante. Et sans doute un des jeux les plus marquants de l'année. Et si on en parlait comme un rogue-like ?
Lundi matin, le Roi, la Reine et le P’tit Prince, sont venus chez moi pour me serrer la pince ! Hadès, Perséphone et Zagreus se sont effectivement invités dans mon PC : les designers de Supergiant Games ont encore frappé. Ils signent même un retour fracassant avec leur nouveau titre, Hades. Pour ce quatrième jeu, la patte des artistes maison est toujours aussi reconnaissable et on est une nouvelle fois charmé par la prise de risque des deux fondateurs du studio, Amir Rao et Greg Kasavin. Avec une incursion maturée au pays des roguelikes sur fond de mythologie grecque, le duo propose un titre accrocheur au gameplay instinctif pour un résultat complètement enivrant !
Erase and Rewind
Hades est un roguelike.
Je ne vous ferai pas l’affront de réexpliquer en détails ce qu’est un roguelike, mais disons en quelques mots que c’est un genre de jeu plutôt populaire depuis quelques années sur la scène indé suite au succès de Spelunky, The Binding of Isaac, Rogue Legacy ou Faster Than Light. Même si ses racines datent des années 80 avec le jeu Rogue de Glenn Wichman et Michael Toy qui donne son nom au genre, il faut attendre l’explosion de Steam pour voir se multiplier les titres. Dans un roguelike moderne, le but du jeu n’est plus tant d’arriver au bout que de parvenir à faire progresser son avatar et de débloquer de plus en plus de possibilités de jeu.
En général, on a affaire à un dungeon crawler – littéralement, une traversée de donjon – et ça se passe en vue plongeante, de côté, en 2D, en 3D… Et il existe autant de sous-genres que de titres. Pour faire simple et comme disaient les anciens, l’important n’est pas la destination, mais bien le voyage. Chaque mort du personnage se révèle définitive, et l’apprentissage se fait à la dure. C’est la recette du die & retry. Après chaque défaite on repart, l’épée au clair, déterminé à aller plus loin. On retient les techniques de certains ennemis, les subtilités du terrain. Et c’est encore un game over. Et on repart dans le jeu. D’ordre général, les niveaux et la faune hostile qui les composent sont générés aléatoirement, ce qui garantit une refaisabilité quasi infinie.
Mais pourquoi s’entêter de la sorte ? Pourquoi se faire autant de mal ? Tout simplement parce qu’au bout d’un certain nombre de parties, en allant chaque fois plus loin, vous allez récupérer des richesses et des talents qui vous permettront d’aller toujours plus loin et d’améliorer vos capacités. Et bien souvent, on parle autant des vôtres en tant que joueur, que de celles que votre héros peut débloquer in-game. Un sentiment de progression et de récompenses qui, quand il est bien équilibré et mis en scène, peut faire chavirer les cœurs de nombreux joueurs. Et même de ceux ayant le holster austère.
Highway from Hell
Hades est un roguelike où vous incarnez Zagreus, fils du Dieu des Enfers.
Votre point de départ est donc le palais du paternel, au plus profond du royaume des morts. Une incartade mythologique bienvenue qui ouvre sur des possibilités de narration originales mettant les conflits familiaux des Olympiens au cœur du récit. Le but du jeu est de fuir l’obscurité du Tartare pour essayer de remonter à la surface, en une ascension paradoxale : la plupart des jeux du genre vous font aller du confort de votre demeure vers le palais du boss de fin, alors qu’ici vous tentez justement de vous barrer. Cette quête désespérée est d’ailleurs motivée par un vraie discorde : Zagreus et Hadès ne peuvent plus se supporter, et le fils a décidé de mettre les voiles, envoyant au passage bouler ses obligations princières et ses collègues de travail.
Dans sa fuite perpétuelle, Zagreus croisera ainsi des figures plus ou moins connues des légendes grecques : les dieux et déesses de l’Olympe, Zeus, Poséidon, Déméter, Athéna & Cie ; mais aussi des divinités infernales – ou Chtoniennes – que je n’aurais jamais connues sans Saint Seiya comme Hypnos et Thanatos, respectivement dieu du Sommeil et de la Mort, qu’on retrouve au milieu de leurs pairs brossés en mode teens classieux par les artistes de Supergiant. Les monstres et héros mythologiques se retrouvent nombreux dans le jeu, soit comme ennemis, soit comme soutien, et la plupart des PNJ ont tous des liens très développés qu’il vous faudra découvrir en enchaînant vos runs.
Ma petite entreprise
Hades est un roguelike où vous incarnez Zagreus et où l’Enfer est présenté comme une petite entreprise familiale.
Chacun a son poste. Hadès, derrière son grand bureau, juge les âmes des terriens qui débarquent là. Hypnos dort dans le hall principal. Dusa, une petite gorgone, fait le ménage dans le palais. Le grand héros Achille est votre maître d’armes. Cerbère, le gardien des enfers est votre ‘petit’ chien de compagnie. Nyx, la Déesse de la Nuit, prodiguera sur vous ses bienfaits maternels à travers son miroir… Tout est organisé, tout est sous contrôle. Mais c’était sans compter sur le caractère bien trempé et la colère d’Hadès qui râle après son fils sans interruption depuis sa naissance pour on ne sait quelle raison.
Zagreus délaisse donc ses tâches quotidiennes et décide de quitter le navire. Arrivé dans le Tartare et armé de son épée, il se retrouve face aux habitants du coin ; et ceux-ci sont bien décidés à l’empêcher de passer. Après tout, les Enfers sont réputés inviolables. Très vite, le labyrinthe commandé par Hadès à l’ingénieur Dédale révèle ses mystères. De salle en salle, les ennemis se font plus nombreux et plus coriaces. Et ce n’est pas les quelques joyaux et obsidiennes trouvées ça et là ou les pièces d’or à dépenser auprès du taciturne Passeur du Styx, Charon qui joue le rôle du tenancier d'un shop aléatoire et salvateur, qui vous permettront à elles seules de triompher. Non, pour parvenir à quitter cet enfer, Zagreus va avoir besoin d’un petit coup de pouce du destin…
Heureusement pour vous, les Moires sont au-rendez-vous et tissent pour vous un destin plus ou moins influençable. En effet, vous pourrez orienter le développement de vos builds grâce à un ingénieux système : vous pouvez voir quelle récompense est à saisir avant de changer de salle et choisir en votre âme et conscience vers quelle salle vous diriger parmi les multi embranchements que le jeu propose. Un peu plus tard, vous pourrez même influer sur les possibilités en permutant aléatoirement les récompenses, quitte à emprunter des voies plus obscures grâce aux portails du Chaos ou d’Érèbe, dont je ne spoilerai pas ici plus avant l'utilité et les fonctions. L’Enfer a ses mystères.
Nom de Zeus !
Hades est un roguelike où vous incarnez Zagreus et où l’Enfer est présenté comme une petite entreprise familiale au moment de discuter de la répartition des bénéfices.
Car le sel de l’aventure, c’est aussi de découvrir un peu plus à chaque fois le scénario du jeu, qui se délivre au fil des conversations que vous choisissez ou non de lancer avec les PNJ rencontrés ou en actionnant les bienfaits divins qui parsèment votre périple à chaque tentative d’évasion. Mis au courant des dissensions qui opposent Hadès et Zagreus, les oncles, tantes et cousins de ce dernier – Hermès, Dionysos, Arès et toute la clique en toge blanche qui squattent le Mont Olympe – ont décidé de lui filer un coup de main.
Au début du jeu, vous pouvez donner des coups d’épée, utiliser une technique liée à votre arme, faire un dash avant ou lancer un cristal qui cause des dégâts à distance et doit se récupérer par la suite. Au fil de l’aventure, vous tomberez sur des divinités. Chaque dieu ou déesse vous permet de booster une de ces quatre capacités, auxquelles s’ajoutent des pouvoirs passifs et une sorte de rage qui se déclenche quand une barre de colère est remplie. Vous aurez à choisir parmi trois possibilités, chacune d’entre elle étant pondérée par une rareté aux effets exponentiels. Certains choix seront normaux, d’autres rares, épiques, héroïques ou légendaires. Le tout multiplié par le nombre de divinités et de pouvoirs qui leur sont associés, avec des synergies uniques les unes au regard des autres… Vous avez du pain sur la planche.
Très rapidement, on comprend que chaque dieu ou déesse se définit en fonction d’archétypes pré-établis. Leurs bienfaits s’organisent selon le profil de leur totem : Athéna mettra en avant des facultés liées à son bouclier, Zeus est affilié à l’élément foudre, le caractère tempétueux de Poséidon vous fera développer des techniques de poussées d’eau, ce bon vieux Arès saura renforcer vos dégâts et Artémis vous octroiera des talents insoupçonnés dans l’art des attaques à distance. Toute la famille ou presque – Où es-tu ô Héphaïstos, Dieu de la Forge et seigneur-marronnier des forgerons dans jeux à consonance mythologique ? – s’est donné rendez-vous pour une fiesta infernale.
Armes fatales
Hades est un roguelike où vous incarnez Zagreus et où l’Enfer est présenté comme une petite entreprise familiale au moment de discuter de la répartition des bénéfices, et vous êtes prêt à tout faire péter !
Les possibilités de croisements et d’associations de talents sont incroyables, et votre degré d'intimité avec chacun a son importance. Rarement un titre du genre a su proposer une telle variété dans les builds, car en plus de votre épée, vous pourrez très rapidement débloquer jusqu’à six types d’armes (arc, lance, bouclier, gants ou gun), et que chaque arme dispose de quatre formes ou Aspects différents, pour autant de subtilités de gameplay. Comme si cela ne suffisait pas, parmi d’autres bonus et collectibles, il vous arrivera de tomber sur un objet surpuissant : le marteau de Dédale, du nom du célèbre bâtisseur grec. Ce marteau vous permettra de transformer chaque aspect d’arme pour en révéler les possibilités cachées. Et oui Jean-Germain, je vois que tu commences à comprendre ce que les mots ‘diversité de gameplay’ signifient.
Comme tout roguelike qui se respecte, vous pourrez dépenser les richesses pillées dans les Enfers pour retaper le palais de l’infernal daron et débloquer autant de nouvelles mécaniques. Je vous le dis d’emblée, au début c’est à en perdre la tête tant il y en a. Aussitôt débloque-t-on un élément cosmétique ou un avantage pour se faciliter la tâche que deux nouveaux apparaissent, avec autant de nouvelles ressources à accumuler. La progression se fait de la sorte. On remonte à la surface en se frayant un chemin au travers des quatre régions des Enfers, en récupérant à chaque fois des ressources. À la fin de chaque tentative, on réapparaît au palais les poches pleines. On parle aux collègues, on se fait réprimander par le maître des lieux, une caresse au chien-chien, on dépense ses joyaux, on débloque de nouvelles mécaniques, on augmente sa vie, sa puissance, ses capacités, et on repart à l’assaut de la surface…
Redemption song
Hades est un roguelike où vous incarnez Zagreus et où l’Enfer est présenté comme une petite entreprise familiale au moment de discuter de la répartition des bénéfices, et vous êtes prêt à tout faire péter, mais avec classe !
Au-delà du système de progression complètement fou et assez addictif, le jeu est techniquement très réussi. On reconnaît la patte Supergiant avec sa vue en 3D isométrique, ses ennemis au design si particulier aux couleurs pleines et ses ambiances si justes. Après l’incursion fantasy de Bastion et la technopole nocturne de Transistor, les artistes du studio ont une fois de plus su trouver comment renouveler leur style. Des décors du Tartare avec son ambiance fantomatique et jusqu’aux bucoliques Champs-Élysées en passant par la fournaise de l’Asphodèle, les Enfers prennent vie tout en respectant les descriptions dites classiques, fleuve de sang et piliers en ossements compris.
Dans la même veine, les nombreux artworks de chaque personnage qui surgissent lors des dialogues sont somptueux et modernisent les divinités tout en restant en adéquation avec l’imagerie collective. On voit qu’on a eu à cœur de respecter le matériau de base. La réinvention des héros mythologiques s’inscrit dans une rupture pleine d’emphase qu’on croyait presque disparue ces derniers temps, tant tuer le père semblait devenu un leitmotiv dans la création contemporaine. Rassurez-vous, cette fois, Supergiant transcende les Anciens et les Nouveaux et cale bien tranquille ce petit monde en ordre de marche : les récits antiques ont cela d'intergénérationnel et d’absolu qu'ils se moquent des siècles puisqu’ils touchent à un aspect commun à toutes les époques et toutes les cultures : les liens humains.
Toute cette partition s’écrit d’ailleurs sans fausse note du côté de l’ambiance sonore. Outre les musiques justes et à‑propos, on retrouve une fois de plus le talent de Darren Korb, compositeur du studio depuis ses débuts, et qui a déjà signé les fabuleuses OST de Bastion, Transistor et Pyre. Toujours accompagné au chant d’Ashley Barrett, il livre une bande son envoûtante et une direction vocale hilarante et pertinente. Délaissant pour la première fois son storytelling signature marqué par une voix off mémorable et contextuelle, le studio se révèle tout aussi à l’aise dans l’écriture de dialogues, délivrant tout le lore à travers les nombreux échanges entre les différents personnages du jeu. L’occasion rêvée pour entendre à nouveau – entre autres – le timbre si particulier de Logan Cunningham, narrateur des titres précédents, ici très à l’aise dans le rôle d’Hadès, Poséidon, Achille, du minotaure Astérion, de Charon et une fois de plus en voix off.
Event Horizon
Hades est un roguelike, et c’est sans doute un des meilleurs jeux de 2020. Ni plus, ni moins ; et tandis qu’une nouvelle génération de consoles s’apprête à envahir nos salons.
En modernisant avec talent et respect les mythes anciens et en plongeant son héros au cœur d’un conflit familial dantesque, les petits génies du studio Supergiant ancrent leur roguelike maison dans un cadre juste et pertinent où leur maîtrise du storytelling opère en creux, entre deux runs sauvages et jubilatoires.
Hades est un roguelike ambitieux et immense qui livre ses trésors au compte-goutte aux aventuriers les plus motivés.
Zagreus se relève dans la mare de sang qui sert de perron au palais de son père. Il franchit la porte des Enfers et file vers la surface, bien décidé à respirer l’air frais du monde des vivants. Mais tel le flux et le reflux des marées, l’histoire se répète, inlassablement.
Hades est un roguelike, mais c’est avant tout une réussite.