Sorti initialement en 2011 sous l'impulsion d’Edmund McMillen pour le studio Nicalis, The Binding of Isaac a énormément évolué en plus de dix ans, avec quantités d'extensions et de nouvelles versions aux titres chatoyants : Wrath of the Lamb, Eternal Edition, Rebirth, Afterbirth… Après un remake en 2014 et une version définitive baptisée Repentance sortie en 2018, il était temps de parler enfin du roi des rogue-like et de son univers si particulier.
The Binding of Isaac sort en 2011 du cerveau malade d’Edmund McMillen, développeur prolixe de jeux en Flash déjà auréolé du succès d’un certain Super Meat Boy. Il voit le jour à une période charnière de la grande histoire du jeu vidéo, lorsque ce que l’on appelle aujourd’hui ‘le jeu vidéo indé’ n'en était qu'à ses balbutiements. Depuis cette date, le titre a fait pas mal de chemin, et le monde du jeu vidéo affiche désormais un écosystème bien différent. Après un succès d’estime et la réunion d’une communauté de joueurs toujours plus nombreux, le très cryptique The Binding of Isaac a droit dès 2014 à un remake baptisé Rebirth.
C’est sur cette nouvelle base, qui propose un nouveau moteur de jeu plus abouti, que la réputation du jeu dépasse les frontières de Steam pour s’inviter sur la plupart des supports modernes. PC bien sûr, mais aussi Mac OS, Linux, Wii U, New 3DS, PS Vita, PS4, Xbox One, iOS ou Switch plus récemment. The Binding of Isaac : Rebirth est la version la plus connue du jeu, et celle qui tourne aujourd’hui. Elle propose un contenu colossal, enrichi au fil du temps par une série de DLC tous plus denses les uns que les autres, avec de nouveaux personnages jouables, de nouvelles salles à arpenter, de nouveaux objets à collectionner et une difficulté toujours plus poussée. En 2018, McMillen et Nicalis annoncent une dernière extension, Repentance. Cette dernière englobe les dernières idées du studio et inclut en plus les concepts de game design développés dans Antibirth, l’extension imaginée par des fans talentueux. Une version totale et définitive encore mise à jour jusqu’à peu.
Cry me a river
On a vu que The Binding of Isaac était un jeu dit indé, un jeu très riche, très suivi, mais en quoi ça consiste et de quoi ça parle ? N’y allons pas par quatre chemins – le jeu le fait de lui-même – le scénario, bien que complexe, plein de subtilités et de non-dits pour les puristes, est surtout un prétexte à proposer une ambiance très particulière. L’histoire raconte comment notre petit Isaac, transfuge non dissimulé de son pendant biblique soumis au sacrifice paternel, va subir le joug d’une mère très religieuse et transie bien décidée à le tuer, parce qu’une voix lui aurait demandé. Commence alors une quête de fuite puis de revanche ou le jeu vous demande ni plus ni moins que d’éliminer la matriarche abusive. Le tout via un périple qui débute dans les sous-sols d’une maison fantasmée, jusqu’au paradis ou en enfer. Une quête délicieuse – non – mâtinée de petits cacas tout mignons, d’insectes hargneux, de monstres dégueux, de fœtus morts, d’anges, de démons, de cavaliers de l’Apocalypse ou d’autres références aux écrits sacrés. Oui Jean-Germain, avec des cacas qui sourient.
Vous l’aurez compris, l'ambiance du jeu est atypique, plutôt malsaine et malaisante, terriblement foutraque et surtout, les avancées du scénario vous sont livrées de manière parcellaire et morcelée. Comme on l’a dit, cette toile de fond est surtout le prétexte à matérialiser de nombreuses références bibliques et de s’amuser avec, à la limite de ce qui peut être acceptable pour un studio et un public d'abord américains… Le décor est planté. The Binding of Isaac parle de péchés capitaux, de diables, de démons, de crucifix, de médailles bénies, de rosaires, de La Bible, du Livre des Révélations de Caïn, de Judas, de Eve et de Lilith… Bref, de tout un tas de personnages et d’objets fort connotés, mais aux fonctions très cadrées par un système de jeu d’une infinie rejouabilité et de challenges toujours plus complexes.
Shine on you crazy diamond
Car tout cet enrobage bien barré ne serait rien sans un game system particulièrement solide. The Binding of Isaac se présente comme un rogue-like en vue de dessus, très inspiré par les donjons des premiers Zelda. Le cheminement se fait d’ailleurs en suivant les mêmes règles, avec son lot de clés, de bombes, de pièces à collecter afin de s’enfoncer au plus profond des labyrinthes du jeu, générés aléatoirement de manière procédurale. Un chemin de croix souvent injuste, qui s’amuse à vous faire miroiter des portes fermées ou des trésors inaccessibles, en prenant un malin plaisir – ce sera votre sentiment – à toujours se jouer de vous et de vos choix.
Il faut très peu de temps pour comprendre comment se déplacer, comment tirer, appréhender l’inertie et la physique de vos larmes… Ah oui, on ne vous a pas dit ? Les tirs de votre personnage sont en fait ses larmes ; il pleure en permanence au vu des situations et du contexte. Ambiance. Très rapidement donc, on comprend comment utiliser les consommables mis à notre disposition, à faire des choix simples et à s’enfoncer toujours plus profondément au cœur de cet enfer. Mais cette apparente facilité d’accès cache en réalité une somme folle de notions cachées à appréhender et à digérer qui font du titre un mètre étalon du genre.
Tonight we dine in Hell !
Ce n’est que là, après quelques parties, que le travail de McMillen et de son équipe se dévoile réellement. Pour bon nombre d’actions possibles, scrupuleusement scrutées par le jeu à votre insu, des probabilités de conséquences viennent perturber vos parties. Pour le mieux comme pour le pire. Et comprendre comment influer sur ces choses et sur l’univers fait partie de l’apprentissage général que tous les joueurs et joueuses de The Binding of Isaac intègrent à la dure. En se trompant. En perdant. En recommençant.
Régulièrement, vous allez débloquer des choses. De nouvelles capacités qui viennent rejoindre la grande liste des possibles de chacune de vos parties. Car la richesse du jeu vient aussi de ses ‘builds’, comprenez de l’infini mélange de possibilités de capacités fusionnées qui entrent – ou pas – en harmonie. Mais ce faisant, vous débloquez aussi de nouvelles péripéties, des accès inédits vers d’autres objectifs plus difficiles encore, de nouveaux boss, de nouvelles fins. Des challenges toujours plus nombreux, qui semblent ne jamais avoir de fin. Et pour débloquer tous les objets et possibilités offertes par le jeu, il faudra s’armer de courage. Le jeu est exigeant. Punitif. Mais on n'est jamais à l'abri que le hasard nous récompense avec un item cheaté ou un enchaînement de récompenses qui fonctionnent particulièrement bien les unes avec les autres. Bien entendu, tous les objectifs à accomplir le sont sur différents niveaux de difficultés, et avec plusieurs personnages, pas loin d’une bonne douzaine, qui ont chacun et chacune leurs propres spécificités. Les esthètes du jeu iront même jusqu’à débloquer des versions alternatives à tous ces personnages, avec lesquels il faudra encore une fois tout accomplir…
Hit Me Baby, One More Time
Je me souviens avoir fait mes premières parties grâce au bouche à oreille, et grisé par l'engouement autour du renouveau de ces jeux dits 'indés'. Joueur majoritairement console à l'époque, essentiellement pour des raisons de liquidités, j'ai accueilli avec grande joie ce bol d'air frais et cette accessibilité nouvelle. Peu après avoir créé mon compte Steam, j'achetais The Binding of Isaac. Mieux, le jeu a même été mon premier achat sur la plate-forme. Depuis, plus de dix ans se sont écoulés. Et en marge des apports réguliers offerts par Nicalis et McMillen, c'est surtout cette sensation de rajouter une nouvelle brique, de débloquer ou de comprendre de nouvelles choses qui me fait revenir.
Chaque année, j'ai une période Isaac. Chaque année, je reviens voir le goût du millésime et me remets à l'ouvrage, fort de nouvelles découvertes. Chaque année aussi, je vais plus loin, j'affronte la montagne. Découvrant chaque fois de nouveaux sentiers quand je pensais être bientôt arrivé. Et chaque fois, au delà de cette ambiance si unique et pas vraiment accueillante, je suis à chaque fois emporté par la proposition. Niveau game design et gameplay, The Binding of Isaac est une évidence ; une expression même de la Loi de Bushnell : "easy to learn and difficult to master". Aussi rageant parfois que jubilatoire quand un run s'enchaîne bien et qu'on roule littéralement sur le jeu. Un éternel recommencement et à la fois une progression personnelle.
Unleash the Kraken !
C'est bien simple, le jeu est tellement vaste dans ce qu’il propose comme éléments à déverrouiller que les joueurs occasionnels peuvent passer à côté de nombreuses possibilités offertes. Un arbre qui cache une forêt de chemins et de monstres encore plus retors. À un moment donné, on peut même ressentir une sorte de découragement. Si "Les voies du Seigneur sont impénétrables", celles de The Binding of Isaac le sont tout autant, mais à travers la souffrance. Les objectifs ne sont jamais vraiment clairs. L’effet des objets non plus. Tout s’apprend sur le tas. En essayant. Bien entendu, vous trouverez en ligne des éclaircissements. La communauté de Isaac est à ce titre très ouverte et toujours désireuse de vous aider. Que ce soit sur les forums, Discord ou autres moyens plus modernes.
Vous pouvez aussi suivre quelques tutos ou runs de joueurs chevronnés disponibles sur YouTube. À ce titre, les parties de MisterMV ou de Shisheyu font référence en langue française ; ce dernier ayant même mis à disposition une série baptisée Learning of Isaac très complète, sans laquelle votre serviteur serait longtemps resté bloqué à la surface du jeu.
The Binding of Isaac est un éternel recommencement. Mais passé un certain niveau de compréhension, une fois acquise une solide expérience manette en main, il révèle un nouveau palier de satisfaction. La forme s’allie alors au fond, et les notions d’expiation et de sacrifice sont enfin récompensées dans une apothéose de béatitude vidéoludique. On accède à un niveau de conscience du jeu supérieur où tout prend sens et s’emboîte. Isaac rompt ses liens et s’invite à la table des grands, démontrant au passage toute la puissance d’une proposition totale qui n’en attendait pas moins de vous.