Plus de 30 ans après un premier volet qui avait révélé Tom Cruise au grand public, c’est le grand retour de Top Gun au cinéma, avec une suite sobrement baptisée Maverick en hommage à son héros iconique. Un film généreux et consciencieux qui réinvente la légende grâce à une sincérité tangible et une réalisation décoiffante.
J’ai grandi avec mes propres héros. Fanfan, Ulysse, Personne, Luke Skywalker… Des héros venus de tous horizons et hérités de mon enfance. Mais arrivé à l’adolescence, sans doute trop bercé de culture classique et par les productions de ce lointain Soleil Levant, j’ai un jour pris un énorme coup sur le râble. Un peu loin de moi et des vieux films de capes et d’épées avec Jean Marais que je regardais en boucle, il existait un univers pop et explosif que, par culture familiale, on boudait un peu à la maison. Le super-héros reaganien, bodybuildé et farouchement armé vantant l’American Way of Life, le Coca-Cola et l'impérialisme Yankee n’avait pas forcément bonne presse auprès de mes parents ; il était expandable dirons-nous… Sans être interdits, les biceps de Schwarzy, les ralentis acrobatiques de Jean-Claude, les marcels de John McLane et la nuque longue de Stallone n’étaient pas vraiment les bienvenus non plus. Ils distribuaient leurs bastos, leurs mandales et leurs punchlines en dehors de mes préoccupations. Jusqu’à ce jour fatidique, incroyable et électrisant.
Dans une chambre immense aux allures de dortoir, je découvrais avec stupeur un des trésors de mon meilleur pote : une collection de VHS enregistrées à la télé par ses grands frères. Conan, Terminator, Piège de Cristal, Tango & Cash, Police Academy, Piège en Haute Mer, Gremlins, la quasi intégrale des Van-Damme, Rocky, Rambo, Rain Man, Retour vers le Futur… De véritables trésors pop complètement inconnus de ma petite personne. Je me sentais comme un explorateur qui aurait découvert l’Eldorado. Inconscient du cadeau qu’il me faisait – écrirais-je sur Le Grand Pop sans cette rencontre ? – cet ami ouvrait pour moi la porte d’un nouveau monde, et je me prenais sur le coin du museau plus de dix ans de trésors insoupçonnés, du kitsch sans honte au pur joyau devenu culte. J’étais tel Christophe Colomb découvrant les Amériques, tel Neil Armstrong foulant la surface de la Lune. Un grand pas pour moi, mais un petit pas pour l’Humanité donc. Pas moins.
Parmi tous ces films incroyables, un avait une place à part sur les étagères. Et c’est d’ailleurs par lui qu’a commencé ma séance de rattrapage. Avec ses deux frères engagés ou en passe de l’être dans l’armée de l’air, lui qui choisira plus tard la même carrière, avec son sourire ultra bright au coin des lèvres, je le revois saisir à la volée la cassette et appuyer sur play. Je n’ai eu que quelques secondes pour lire sur la tranche de la VHS les six lettres d’un titre énigmatique avant que le magnétoscope ne se referme. Top Gun.
Over the Tom
Sous un soleil pesant aux teintes dorées, des manœuvres filmées de près. En contre-jour, des silhouettes casquées s’agitent, tirant leur lot de câbles ou branchant des machins sur des bidules qui vrombissent. Ils communiquent par signes précis. On distingue des avions de chasse qui semblent danser sur le pont étroit d’un porte-avions. Sur quelques notes bien ciselées signées Harold Faltermeyer, un thème se grave dans ma mémoire. Puis une gueule. Effrontée, rayonnante, charmeuse et souriante. Derrière ses Ray-Bans Aviator – forcément – je fais ma rencontre avec Tom Cruise.
Autant vous dire qu’à l’annonce d’une suite à ce film si important pour moi – on parle d’un coup de cœur au-delà du raisonnable, de ceux qui viennent de l’enfance – et tandis que les 'legacyquels' se répandent sur nos écrans comme les flammes le long d’une traînée de kérosène, mon sang n’a fait qu’un tour. N’allez pas (encore) me saloper le bouzin ! Après des trailers plutôt encourageants et les multiples reports dûs à la pandémie, Top Gun : Maverick a enfin atterri sur notre tarmac. Il a d’ailleurs fait ça en grande pompe, sur le tapis rouge du Festival de Cannes, hors compétition, mais en accord avec la démesure de son incarnant immortel.
Ground control to Major Tom
Mais laissons là Tom et ses comparses et revenons au film. Je dois vous avouer quelque chose. Je ne saurais dire depuis combien de temps je ne suis pas ressorti d’une salle de cinéma avec ce sentiment, pourtant tout simple, de vrai contentement, de satiété. Tous les set ups du film ont un pay off. Top Gun : Maverick est une suite fidèle au film de Tony Scott de 1986. Il est exactement ce à quoi on pouvait s’attendre. Exactement ce que vous avez en tête. Ce que vous aviez imaginé. Et c’est presque prodigieux aujourd’hui, quand chaque histoire racontée doit proposer maintenant son agenda idéologique, plus ou moins bien intégré, et parfois au détriment des codes de l’univers dans lequel évoluent ses personnages ou de son scénario. Top Gun : Maverick, c’est un film à l’ancienne, mais paradoxalement, tout à fait conscient de son temps. Il n’a pas la prétention de plus, ou presque. Et ce qu’il fait, ce qu’il montre, ce qu’il raconte, il le fait bien. Avec envie. Et surtout celle de faire plaisir.
On pourrait presque s’en tenir là. Mais ce serait prendre le risque de passer à côté de quelques éléments importants. Top Gun : Maverick reprend l’histoire de Pete Mitchell plus de trente ans après les événements du premier film. C’est une vraie suite qui a l’intelligence de vous donner les clefs de l’intrigue par son écriture ou grâce à des flashbacks empruntés au film de 1986. Vous n’avez plus en tête ou jamais vu l’original ? Aucun problème de compréhension, tout vous est servi sur un plateau. En même temps, on n’est pas sur une intrigue de très haute volée non plus. Les tenants et aboutissants sont évidents, mais sans que ça ne gâche leur portée. Au contraire, les motivations de chacun et chacune n’en sont que renforcées et cette simplicité scénaristique apparente masque parfois une profondeur surprenante qui parvient à nous cueillir.
Très calqué sur le premier volet dans sa construction, on retrouve le personnage de Maverick en pilote d’essais d’engins supersoniques catapulté malgré lui en vétéran légendaire chargé de former une nouvelle génération pour une mission… impossible. Retour à la base donc, et retour aux basiques aussi, avec dans l’ordre, l’arrivée en moto cheveux au vent dans le blouson iconique chargé d’écussons du pilote émérite, la scène du bar et sa chanson alcoolisée, celle du briefing, celle de la mise à pied, du coup de poker, puis du combat réel. Le tout entrecoupé des incontournables séquences de flirt, d’entraînement sur la plage et autres appels du pied au film de Tony Scott à qui le film est dédié, le frère de Ridley ayant cassé sa pipe en 2012. Tout ce qui devrait me faire lever les yeux au ciel en général n’a fait que me désarmer ici à chaque fois. Pourquoi ? Sans doute grâce au plaisir contagieux d’être là d’un Tom Cruise solaire qui rayonne littéralement sur chaque plan, mais aussi par des choix plutôt fins de variations de tons, mêlant avec art les moments de nostalgie, les easter eggs, les séquences d’émotion, les phases d’action ou une profondeur inattendue.
Top Cruise
Tout est pourtant réuni pour me mettre sur la touche. Sur le papier, on est quand même sur une bande de bonhommes qui font des trucs de bonhommes en bombant la poitrine et en se faisant de grandes tapes viriles dans le dos. Mais derrière cette caricature, la sincérité de la proposition fait mouche. Déjà parce que ces bonhommes ne sont plus tous seuls. Contrairement aux règles en vigueur à l’époque du premier film, la Navy engage maintenant aussi des femmes pilotes, et le film s’est mis à la page. Les minorités aussi sont plus et mieux représentées. Mais pour les unes comme pour les autres, ce n’est jamais un cliché. C’est comme ça. C’est évident pour toutes et tous : le monde est pluriel, mixte, riche dans sa diversité, mais ce n’est pas le sujet. Et cette légèreté consciente aussi, elle fait du bien.
En toile de fond, je ne peux m’empêcher de penser que Maverick est le vrai grand rôle de Tom Cruise. Lui qui enchaîne depuis plus de vingt ans les Mission : Impossible et pourrait être associé plus directement au personnage d’Ethan Hunt ; lui qui peut s’enorgueillir sans doute du plus beau pédigrée de l’histoire du cinéma, pour avoir tourné avec quelques uns des plus grands réalisateurs de ces 70 dernières années (Kubrick, Scorsese, Pollack, Spielberg, Stone, Mann, De Palma, Coppola, les frères Ridley et Tony Scott, Paul Thomas Anderson et j’en passe), aucun rôle ne lui colle autant à la peau que celui-là. Une proximité habitée qui se révèle totalement dans cette suite. Les contours de la superstar vieillissante mais toujours au top et ceux du pilote de génie au bord de la retraite oscillent continuellement, entrant en harmonie pour parfois se confondre. Comment ne pas voir entre les lignes un discours sur les carrières et destins des deux personnages, le vrai et le faux ? Toujours sur le fil. Qui des deux est la tête brûlée avide de sensations fortes au sourire carnassier et charmeur ? Qui est l’idole qui résiste au temps ? Le pilote ? L’acteur ? Mav ? Tom ?
Retour vers le futur
Tom Cruise est sur chaque plan. Il absorbe l’espace et impose à jamais les traits de Maverick dans la culture populaire. À ses côtés, Jennifer Connelly lui renvoie son miroir de jouvence et son charisme assuré. Elle joue dans le creux, dans le non-dit. Ses silences sont révélateurs et son origin story cryptique. Elle naît d’une réplique du film de 1986 réservée aux inconditionnels. Mais il n’est nul besoin de détails pour comprendre. L’aplomb de sa fille qu’elle élève seule, son sourire effacé mais sûr et son regard profond bien que triste nous racontent son histoire. Autour du couple, Jon Hamm poursuit ses rôles de petits chefs étriqués et caricaturaux, mais le fait avec panache. Ed Harris vient cabotiner et faire son Ed Harris, mâchoire serrée et regard oppressant en avant. On prend plaisir à revoir des trognes oubliées ou burinées par les années ou les aléas de la vie. Charles Parnell reprend son rôle de Warlock et imprime au personnage une maturité bienvenue. Last but not least, Val Kilmer est de la fête, car que serait Maverick sans Iceman, catapulté Amiral. Un échange intense et poignant qui m’a beaucoup touché, brisant même sans l’avouer le quatrième mur. Encore une fois, à qui s’adressent les répliques ? Mav ? Tom ? Putain de poussière dans l’œil.
Autour des vieux briscards, la nouvelle génération est loin de se contenter de rôles de figuration. Enfin surtout pour les plus utiles au récit. En tête du groupe, Miles Teller est irréprochable et juste et retrouve toute son intensité ressentie dans Whiplash. Il incarne Rooster, le fils de feu Goose, le meilleur ami de Maverick, décédé dans le premier film. La relation entre Mav et Rooster est au cœur du scénario et les interactions entre les deux acteurs particulièrement crédibles, malgré une évolution évidente. Glen Powell est Hangman, le nouvel antagoniste à la Iceman. Caricatural et prévisible, le personnage reste dans le ton, mais manque souvent de profondeur. La faute à un film qui va à l’essentiel, ciselant son rythme pour mieux nous scotcher à nos sièges. Lewis Pullman, fils de l'acteur Bill Pullman (mais si, le Président-Pilote d'Independance Day) et Monica Barbaro s’en sortent mieux, mais n’ont pas non plus un territoire d’expression extensible. Mais encore une fois, qu’il est bon de ne pas sombrer dans ce défaut du film à rallonge, triste sort de beaucoup de blockbusters sortis ces dernières années.
Do a barrel roll !
Ce qu’il perd en caractérisation creusée, ce Top Gun : Maverick le gagne en rythme. Les personnages secondaires sont esquissés par le haut, même s’ils restent sûrement trop fonctionnels. Mais cela suffit à adhérer au rythme de chacun. Cette condensation des intrigues permet de mieux creuser les personnages principaux et de jouer avec talent sur les temps de respiration et d’accélération tout en développant plusieurs actes bien marqués. La mise en scène de Joseph Kosinski (Tron : Legacy, Oblivion) est détonante et enlevée, et prend toute sa mesure sur les scènes de vol. Venu du monde du clip et de l’animation CGI (le trailer de Gears of War sur Mad World, c’était lui), le réalisateur parvient à donner un rythme et une identité au film, jouant à la fois sur l’appel du pied aux plans de Tony Scott et de l’appel d’air sur les scènes de dog fight. Chapeau bas à Tom Cruise bien sûr qui aura une fois de plus mouillé le maillot pour réaliser certaines des scènes d'action et piloté lui-même certains appareils, mais aussi à l'ensemble de l'escadrille de pilotes qui l'entourent, ces derniers ayant eux-aussi été filmés en conditions réelles dans les cockpits des avions de chasse.
Quel plaisir de voir des effets pratiques et pas des fonds verts bardés d’images de synthèse. Que ce soit les G pris dans la tronche par les acteurs et leurs visages déformés par la vitesse ou leur souffle coupé, les manœuvres des F‑18, les décors et les paysages, quel pied de sortir du pré-calculé et de la technologie Volume popularisée par Disney+ !
S’il n’est pas avare de qualités pour les yeux, Top Gun : Maverick sait aussi être généreux pour les oreilles. Grâce aux talents conjugués de Harold Faltermeyer cité en ouverture, mais aussi de Giorgio Moroder, Hans Zimmer ou du Danger Zone de Kenny Loggins, du Great Balls of Fire popularisé par Jerry Lee Lewis de bien d’autres encore, le film s’inscrit dans les traces de son aîné et reste dans une évidence très marqués 80’s. Seule ombre au tableau, le titre de Lady Gaga n’a pas le sel du très désuet mais marquant Take My Breath Away de Berlin, et une nouvelle version de la chanteuse aurait sans doute eu plus d’impact que sa création originale, anachronique et aussitôt oubliée.
It took my breath away
Top Gun : Maverick est un film enivrant et jubilatoire. Il possède cette capacité rare, celle de vous scotcher au fond de votre siège et de vous emporter à Mach 10 vers une série de superlatifs. On ressent l’adrénaline et la pression du cockpit au fond du bide, on est transbahuté sans repères tandis que la ligne d’horizon se déforme et que le ciel et la terre se confondent dans des mouvements habiles. Cet enchaînement fusionnel permet aux personnages d’exprimer tout leur potentiel et de nous toucher droit au cœur. Leur passé, leurs espérances, leurs regrets… Cette suite est une clé de voûte envoûtante qui rend hommage à Top Gun et dresse un habile rapprochement entre son héros et son acteur. Il parle de passage de flambeau, des renoncements nécessaires et d’héritage. De lâcher prise.
Dans quelques années, quand Tom Cruise recevra une récompense pour l’ensemble de sa carrière, on fera un montage de ses apparitions à l’écran. Il y sera en officier habillé en blanc, en costume de lin, en tueur à gages grisonnant, en quadra libertin, en magnat du porno, en vampire, en agent secret ou en vétéran du Vietnam… Mais l’image qui restera sera celle de ce visage là. Ce sourire en coin de canaille, cette assurance dans l'œil, ce regard effronté. Quelques gouttes de sueur qui perlent sur le front, un blouson plein d’écussons, et un fou en moto qui fait la course avec un avion sur fond de soleil couchant. Mais qui ? Mav ? Tom ?