Difficile d’entrevoir un autre livre que Des Fleurs pour Algernon par Daniel Keyes pour un premier article sur Le Grand Pop, de présentation mais aussi d’introspection. Retour sur un classique de la science-fiction grand public.
On ma proposer d ecrire ici avec les copins. Ils on dits que je pouvaient amener quelque chose. Alor je sais pas quoi je vait amener mais si ca peu leur faire plaisir alor je vait le faire. Peutétre des bonbons, ou des fleurs comme a mamie. En tout ca jai envie quil soie content et quil dise que céter une bonne idée de vouloir minviter.
Comme je sais pas quoi apporter alors je vais raconter une histoire. C'est pas grand-chose mais j’ai pas d’autre idée. Alors je vais raconter l’histoire de Charlie. Charlie c’est ce garçon avec une sacrée histoire. Je pense qu’il est très gentil et qu’il comprend pas tout c’est pour ça que des fois les gens parlent de lui et il comprend pas. Alors c’est sur qu’il est pas triste parceque quand on comprend pas alors on sait pas que les gens ils se moquent.
C'est dans ce style maladroit et intriguant que le livre s'ouvre à nous. Rebutante aux premiers abords, c'est pourtant cette lecture cryptique qui captera toute notre attention et piquera notre curiosité à vif.
Mais Charlie il pense qu’il serait plus heureux s’il comprenait les gens. Alors il essaie de devenir un telligent il va dans les cours pour adultes attarder avec Miss Kinnian. Et un jour il apprend que des docteurs peuvent le rendre plus intelligent grace a la science.Les docteurs ils disent que Charlie va devenir un telligent comme Algernon.
Algernon c’est une souris du laboratoire a qui les docteur on fait pareille quils vont faire a Charlie et qui et devenu drolement futer. Et maintenan Algernon est super forte pour réussire des labirinttes que meme Charlie arrive pa a faire. Mais si l’opération réussit, Charlie pourra surement devenir plus fort qu’Algernon aux labyrinthes. Il pourra meme reussir les autre test des docteurs. On ressent déja les premiers changement dans les compte rendu que les docteurs lui demande d’écrire.
C’est comme ça que commence l’histoire de Charlie Gordon, cet adulte au regard d’enfant, qui va voir sa vie bouleversée par un projet nietzschiesque d’augmenter les capacités intellectuelles de l’être humain par la chirurgie. Ainsi débute une étrange épopée intellectuelle : les premiers pas hors de la caverne d’un homme alors considéré comme inférieur par ses pairs et contemplant sa propre transcendance dans le labyrinthe alambiqué de la vie.
L’auteur du roman, Daniel Keyes, prend ici le parti de nous conter cet étonnant accès à la connaissance du Bien d’un point de vue épistolaire : c’est à travers les yeux de Charlie, à travers son écriture qui s’améliore chaque jour, à travers ses pensées de plus en plus pertinentes, que nous vivons son aventure.
Au commencement était le Verbe
Des Fleurs pour Algernon se présente comme une œuvre de science-fiction soft, j’entends par ici que le rapport au réel n’est pas trop distant de ce que nous connaissons. Cela fait de ce livre une première lecture idéale pour ceux qui voudraient se plonger dans le genre sans être rebuté par les styles parfois rugueux d’un Isaac Asimov ou alambiqués d’un William Gibson – et je peux vous assurer qu’on y arrivera par la suite.
La soft sci-fi, comme on la nomme, se base généralement sur un postulat simple à accepter. C’est de là que pourra découler l’ensemble du scénario, dès lors que le lecteur aura choisi d’appréhender l’information qui lui est donnée. Ici, on nous présente la déficience de Charlie comme une sorte de voile, un brouillard qui parasiterait son esprit, éloignant de sa portée un monde plus normal.
C’est cette normalité qui sera au centre de l'œuvre, car dès que les premiers changements s'opèrent sur l’esprit de Charlie, un nouveau monde se dévoile à lui. La compréhension des choses simples de la vie, dans ses espoirs mais aussi ses déceptions. Dans la boulangerie où Charlie effectue des corvées basiques, adaptées à ses capacités, sa subite évolution intellectuelle fait des émules. N’était-ce pas plus simple quand il ne comprenait pas les moqueries, qu’il prenait un croche-patte comme une simple maladresse, quand les insultes n’avaient rien de railleur…
Ainsi, Charlie, qui pensait pouvoir être enfin plus proche des autres en devenant plus intelligent, finit fatalement par se retrouver plus seul qu’auparavant, détenteur d’une perception du monde qu’il peut de moins en moins partager. Et ce sentiment se fera de plus en plus important puisque la réussite de l’opération semble dépasser bien des espérances. Le QI de Charlie, après avoir atteint celui de la moyenne de ses congénères, continue d’augmenter, jusqu’à outrepasser celui des docteurs et universitaires. Après avoir expérimenté l’intégralité de ce spectre, c’est bien aux deux extrémités que l’on est le plus démuni. Que ce soit dans l’obscurité occasionnée par un retard important. Ou à l’inverse, aveuglé par un rayonnement trop intense. Dans les deux cas, inadapté à ce qui fait une vie.
Prométhée nouveau
Des Fleurs pour Algernon nous pose alors régulièrement devant plusieurs questions relatives à notre légitimité. La légitimité de s’exprimer d’abord : y a‑t-il un niveau de compétence nécessaire pour avoir le droit de donner son avis sur tel ou tel sujet ? Si je suis considéré comme moins intelligent qu’un autre, n’ai-je pourtant pas le droit de me passionner pour une matière que je ne maitriserai peut-être jamais ?
Ces interrogations ont assez fréquemment fait écho, au cours de ma lecture, à une peur qui m’a souvent paralysé sur ma liberté de créer. En illustration, on parle d’art block, et moi comme tant d’autres l’avons subi par un sentiment d’absence de légitimité. Comme si un droit quelconque devait être attribué pour que son art soit bon ou mauvais. Sans surprise, cela a évidemment été le cas pour l’écriture ; de la poignée d’articles que j’ai pu écrire, c’est celui-ci qui paraîtra avant les autres. Un premier envol probablement mal assuré et surtout mal assumé.
Mais au-delà de ça, le roman met en avant la question de la légitimité de l’humain lui-même en tant qu’être, qui se fait finalement par la validation auprès de ses pairs. L’un des médecins s’occupant de Charlie aime par exemple à lui rappeler que c’est lui qui l’a créé, comme une sorte de créature de Frankenstein, qui n’aurait rien été d’autre qu’un tas de chair avant l’insufflation de la vie.
Et de la même manière naît alors la colère. Par l’évolution de sa conscience, Charlie découvre le ressentiment, le sentiment d’injustice. Même le rejet n’était pas aussi problématique lorsqu’il était diminué. D’enfant, il devient adolescent et se heurte à toutes les contradictions que cela apporte. D’un côté, le désir de se rebeller contre l’institution universitaire, faisant office de figure paternelle et dépassée. De l’autre, la découverte de l’amour, un autre aspect de la vie qu’il n’avait jusque-là jamais osé considérer. Comme libéré d’une castration psychologique, renforçant encore cette idée d’avoir été moins qu’un homme.
Stuck in the Middle
C’est lorsque Charlie pose les yeux sur ses anciens comptes-rendus qu’il réalise l’immensité des changements survenus en lui. Il est alors incapable de reconnaître ce qu’il était, ou du moins d’assimiler le fait que ce Charlie et lui soient une seule et même personne.
Cela résulte inévitablement à la création d’une sorte de dissociation de personnalité en guise de réflexe protecteur. Qui n’a jamais éprouvé de regrets ou remords à l’évocation de certains souvenirs d’enfance ? Ces sentiments désagréables s’estompent dès que l’on accepte que l’on “était plus jeune” ou que l’on “ne comprenait pas les choses de la même manière”.
Sauf qu’ici, c'est une insupportable transcendance que subit Charlie. Il devient capable de donner un sens à la plupart de ses traumas, qui n’étaient à l’époque que de mauvaises pensées, englobées de brouillard. L’entièreté d’une vie à être moqué, violenté et délaissé sans jamais réellement comprendre les événements. Et dorénavant, il est bien plus intelligent qu’eux, seul en haut de sa tour d’ivoire.
Presque seul à vrai dire, puisque Charlie s’est accaparé la compagnie d’Algernon la souris. De plus, Miss Alice Kinnian, la psychologue qui prodiguait les cours pour adultes attardés, demeure la seule oreille attentive et empathique qu’il lui reste. Prise d’affection pour Charlie même lorsqu'il suivait ses leçons, elle est maintenant écrasée par le fossé intellectuel qui les sépare. Reste alors à savoir comment apprendre à vivre avec cet insoutenable don.
Bouquet Final
S’il y a bien une chose qui terrifie Charlie plus que son fardeau, c’est de le perdre. En effet, les capacités d’Algernon semblent se mettre à décliner. Si cela s'avérait, la souris deviendrait alors plus abrutie qu’avant l’opération. Et ça n’annoncerait rien de bon pour Charlie : après avoir volé trop près du soleil, s'ensuivrait une chute le précipitant de nouveau dans la pénombre. Reviendrait alors l’autre Charlie. Celui qui semble attendre son heure quelque part dans le brouillard. Muet et affichant son sourire idiot et complaisant.
N’était-ce alors là qu’un aller-retour dans le monde des vivants ? Quelle justice pour ceux qui ont essayé de jouer aux dieux ? Quelle morale tirer de la légitimité de la nature humaine ? Autant de questions qui auront travaillé Daniel Keyes tout au long de sa vie.
Des Fleurs pour Algernon est son œuvre majeure. Ce n’est pas sans raison qu’il publie près de trente ans plus tard l’essai autobiographique Algernon, Charlie et moi. Un travail d'introspection dans lequel il traite de son impossibilité à se séparer de ce personnage qu’il a créé.
Car finalement, les réflexions de Charlie sont celles que s’est posées Daniel Keyes durant l’ensemble de sa vie. Ayant lui-même grandi dans la pauvreté, devenu professeur à l’université, il aura donné des cours à des personnes en difficulté. C'est ici qu'est né le personnage de Charlie.
Juste un homme
Un jour, l’un de ses élèves lui demandera “Monsieur, je veux être intelligent”. C’est probablement ce déclencheur qui aura insufflé Des Fleurs pour Algernon. Keynes écrira à ce sujet : “Où qu'il soit, quoi qu'il fasse, je n'oublierai jamais ces mots qui m'ont donné la clé de la nouvelle et du roman. Ses mots ont touché des dizaines de millions de lecteurs à travers le monde. Et ils ont changé ma vie. Maintenant, grâce à lui, je suis moi-même beaucoup plus intelligent que je ne l'étais quand nos routes se sont croisées".
Aujourd’hui encore, le personnage de Charlie Gordon me hante toujours moi aussi. Sa sensibilité infantile, son pragmatisme comme réflexe défensif face à la vie, ses interrogations permanentes… Autant de points de détails qui m'ont incité à choisir Des Fleurs pour Algernon comme sujet de présentation.
2 commentaires
Bel article !
Content qu'il t'ait plu et merci ! (Je me hâte de préparer les prochains de ce fait)