Une année difficile est surtout un film difficile à regarder

Le duo formé par Éric Toledano et Olivier Nakache fait partie des valeurs sûres du cinéma contemporain en France. Mais face à leur dernier film, Une année difficile, et malgré quelques idées intéressantes, on ne peut qu'admettre la vacuité totale du propos et l'absence d'envolées.

En France, il y a le duo Toledano/Nakache. Les deux réalisateurs, qui travaillent ensemble depuis de nombreuses années, ont souvent réussi à m'emporter avec eux. Deux films en particulier ont su m'agripper : Nos jours heureux, qui sur fond de colonie de vacances développe une galerie de personnages aussi drôles qu'attachants avec de nombreux dialogues très faciles à citer. Et Intouchables, leur carton international, campé devant la caméra par un autre duo, François Cluzet/Omar Sy, qui réussit à éviter la plupart des clichés rattachés à des films mettant en scène, au choix, un banlieusard ou un handicapé. Aussi, la curiosité l'a emporté face à l'affiche d'Une année difficile, leur toute dernière production sortie en salles ce 18 octobre.

Joe la combine

Une année difficile, c'est l'histoire de deux perdants magnifiques. D'un côté, Albert (Pio Marmaï), sans domicile fixe et combinard bien rodé qui fait son pain quotidien en récupérant les objets stoppés à la frontière à l'aéroport. De l'autre, Bruno (Jonathan Cohen), le rattrapé-du-fisc qui a enchaîné les crédits conso pour pouvoir séduire sa dame. Les deux sont surendettés, n'arrivent plus à tenir les mensonges qui leur font encore avoir un semblant de vie, et s'apprêtent à chuter plus bas que terre.

Un duo qui mérite mieux

C'est à ce moment-là qu'ils font la découverte d'une association militante écologiste, à la tête de laquelle se trouve Cactus (Noémie Merlant). Des jeunes pleins de bonne volonté, pleins d'espoir, qui organisent des actions de plus en plus importantes pour ouvrir les consciences de la population face à l'urgence climatique. Pour Albert et Bruno, c'est d'abord l'occasion de siroter une bière gratuite en bouffant des chips, avant d'essayer de finir leur soirée avec Cactus. Mais petit à petit, ils se trouveront pris au jeu de la lutte et pris au piège de leurs combines.

La ruée vers lourd

On retrouve très clairement la patte Toledano/Nakache dans le fait de dépeindre un univers contemporain, palpable pour n'importe quel spectateur. Et sous couvert d'un film se voulant être une comédie, ils tentent de glisser une nouvelle fois quelques bribes de messages sur des urgences sociétales qu'il serait bon de garder en tête. Mais voilà : là où leur talent s'est toujours exprimé dans leur habilité à écrire des personnages cohérents dans des contextes naturels, leur envie de satire sur ce nouveau projet se prend très rapidement les pieds dans le plat.

Fun fact : certains extras sont réellement des militants

Tout commence par la mise en scène d'une action militante face à un grand magasin, avec l'idée pour le jeune groupe de bloquer l'ouverture du Black Friday. Une image très américaine de la ruée vers les stocks, qui fonctionne toujours à l'international. La caméra fait dans l'action, l'immédiat, portée à l'épaule, et on commence à se dire qu'il s'agira probablement d'un film un peu noir, un peu conscient, surtout en voyant un Pio Marmaï déguenillé qui se moque de cette jeunesse pleine d'espoir.

T'as vu ma grosse subtilité ?

Sauf que le film avance, et qu'on retombe dès lors sur Jonathan Cohen… qui fait du Jonathan Cohen. Avec certes un peu plus de plomb dans l'aile en considérant le personnage suicidaire qu'il incarne, mais toujours dans cet humour absurde qui fait sa force autant qu'il l'emprisonne aujourd'hui dans ces mêmes rôles successifs. Très bien, mais qu'en est-il du reste ? À mesure que l'on découvre la bande de militants, les vrais, tout ce que l'on peut y voir est une sorte de vision terriblement étriquée.

Le tabac, c'est tabou- Ah oui non merde

Tous ses membres portent des surnoms – Cactus, Quinoa, Antilope… – qui semblent tout droit sortis des délires d'un vieux con avachi devant les émissions de Cyril Hanouna. Et à mesure que l'on creuse le personnage de Cactus, on y découvre une petite fille de bonne famille qui n'a pas vraiment conscience de la réalité de la vie et des chances qui lui permettent aujourd'hui de créer sa rébellion. Pourquoi pas dès lors confronter à cela les galériens Albert et Bruno, pour remuer un petit peu les consciences de tout le monde ? Nope, on préfèrera plutôt filer à Pio Marmaï une romance qui tient à peine debout tant les personnages sont écrits sans alchimie, tandis que Jonathan Cohen finira avec la harceleuse sexuelle du groupe parce que tu comprends, quand c'est les hommes qui subissent, c'est drôle.

Une valse à mi-temps

C'est le plus gros problème de ce film : il ne sait pas où il va ni ce qu'il veut dire. C'est d'autant plus triste que les bases d'un scénario intéressant sont là, mais Une année difficile semble peiner à les trouver. Et lorsque c'est le cas, il les expédie avec froideur dans un rythme mou qui n'est réellement tenu que par du Cohen réchauffé vu 100 fois à la TV. Rien ne l'exprime plus que son grand final, où Cactus, à peine tamponnée par une voiture, se retrouve dans un coma pendant on-ne-sait-combien-de-temps, et se réveille sous le regard ébahi d'un Albert assagi qu'on a laissé veiller sur elle tout ce temps.

GROSSE romance, on y croit de FOU

La fille de bonne famille qui n'a pas vraiment été déracinée de son milieu est donc sous la surveillance d'un SDF auquel l'hôpital offre tous les droits. Cerise sur le gâteau : le monde a finalement bien changé. Les militants ont gagné, les gens ne sortent plus de chez eux, la nature reprend ses droits sur Paris, et nos deux héros dansent la valse dans une rue déserte. Ah ça, avoir le pognon de vider Paris le temps de tourner trois scènes, c'est impressionnant.

Mais pour le récit ? Il s'agissait de la seule manière dont les deux personnages pouvaient finir ensemble, et Une année difficile n'hésite pas à y aller au chausse-pied pour retomber mollement sur ce qui est au final une romance insipide vannée deux, trois fois par Cohen. Et pourquoi pas saupoudrer ça de trois scènes avec Mathieu Amalric seul, totalement sorties du récit, qui n'apportent ni mise en perspective ni humour.

La fièvre du lundi soir

Les meilleurs moments que j'ai passés devant ce film ont été de tapoter des doigts sur mes genoux au rythme de Little Wing de The Jimi Hendrix Experience et The End de The Doors, tous deux dans la bande son. À part ça ? Le film s'amuse à faire une longue liste de fusils de Tchekhov posés bien à plat aux yeux de tous, sans aucune ambiguïté, avant d'embrayer sur une fin sans queue ni tête, indigne du palmarès des deux réalisateurs. Des fusils partout, et pas un seul coup de brio tiré malgré l'apparat d'un film conscient revêtu dès l'introduction, qui fait se succéder les platitudes de nos présidents successifs décrivant chacun leur tour "une année difficile".

J'imagine les acteurs faire exactement ça en voyant le résultat final

C'est bien dommage, car tout était réuni pour. L'affinité entre Pio Marmaï et Jonathan Cohen fonctionne très bien à l'écran, et on me dit le plus grand bien de Noémie Merlant malgré le jeu sacrément rigide qu'elle a été obligée d'adopter pour incarner Cactus. Un personnage qui tient très bien son pseudonyme tant sa consistance peut être représentée par les trois millilitres d'eau plate requis pour l'arrosage. La réalisation assez convenue du duo peut se pardonner beaucoup plus facilement quand ils ont des choses à dire, mais avec Une année difficile, c'est très pénible à vivre. En clair, ça ne vole pas beaucoup plus haut que le téléfilm TF1 du lundi soir.

Allégorie, ou "allez golri" – au choix

Alors, soyons plus honnêtes que la promotion du film. Nous sommes devant un scénario de toute évidence bâclé en plein COVID, sur lequel sont venus se greffer quelques petits noms sympatoches pour faire bien sur l'affiche et pouvoir monter le projet. La mission ? Tenter de donner un peu de goût à l'ensemble, comme on verserait du Tabasco dans une soupe au poireau. Comme quoi, écrire avec de la fièvre, c'est loin d'être une bonne idée. Évitez-vous ça, au même titre qu'on aurait aimé que le duo s'évite cette tache sur leur CV.

3 commentaires

jl.lombardini@gmail.com 29 octobre 2023 - 8 h 16 min

Consommation, c'est le mot clef. Et oui, quand on rate Jimi Hendrix, sûr qu'on peut rater un film avec des ellipses. Ben , tapoter du doigt en écoutant…pardon , "sur " du Jimi Hendrix ..euh Jimmy Hendricks peut-etre.

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Alexandra 29 octobre 2023 - 10 h 08 min

Oui, je suis assez d'accord ! Ce qui m'a le plus frappé, c'est l'absence de rythme (les plans sont si mal coupés, ils comment avec 3 secondes de rien et finissent avec 3 secondes de encore rien) et puis l'indigence de l'écriture. Ca donne l'impression d'une équipe qui a trop la confiance, et d'un producteur qui n'a pas fait son boulot. Mais bon, tout le monde a le droit à son loupé, même Chabat a raté quelques expériences. Donc on pardonne !

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OtaXou 9 novembre 2023 - 23 h 43 min

Voilà, je pense qu'il vaut mieux rester sur ce que tu dis : tout le monde a le droit à son loupé haha

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