Le Hobbit : le parcours du combattant qui a lessivé Peter Jackson

Que s'est-il passé avec Le Hobbit, partie 1

Si l'adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux fait aujourd’hui office de monument sacré, le bilan est plus mitigé pour la saga du Hobbit. Trop longue, trop boursouflée d’effets spéciaux criards, ne respectant pas l’univers de Tolkien, manquant de cohérence… Le Hobbit de Peter Jackson n'aura cette fois pas réussi à convaincre les critiques et le public. Près de dix ans après sa sortie et à quelques mois de l’arrivée de la série Les Anneaux de Pouvoir sur Prime Video ; tandis que le légendaire de Tolkien revient plus que jamais sur le devant de la scène, petit aller et retour sur un véritable cas d’école.

Le Hobbit : un parcours semé d'embûches

Home Alone

Dans un immense plateau sans vie, la silhouette reconnaissable et nouvellement grisonnante de Peter Jackson. Assis contre un bout de décor, il a les épaules tombantes et les bras croisés. Le regard vide et fuyant. Dans une chemise à carreau typique de sa garde-robe, il contemple un mur froid en carton-pâte. Petite forme esseulée dans un colossal hangar vide. Allégorie du poids de ses tracas. En voix off, il commente lui-même les images. C’était une période compliquée. Contrairement aux trois ans de pré-production du Seigneur des Anneaux, il n'a que quelques mois. Pas de storyboards. Un scénario mal abouti. À partir du lendemain, il explique qu’il va tourner à l’impro. Il reste alors un film et demi à mettre en boîte…

Loin du matériel promotionnel et des interviews langue de bois de la plupart des DVD et Blu-Rays, les éditions collector qui accompagnent les versions longues des films issus de la Terre du Milieu ont toujours été un puits de savoir pour raconter l’aventure humaine et les secrets de productions des deux trilogies de Peter Jackson. Ici pas de blabla consensuel à base de “On a adoré faire ce film. Brian et Brenda sont vraiment les meilleurs des partenaires…” avec un sourire goguenard ultra bright. Non. Ici, on s’attarde sur la cantinière qui doit gérer des ravitaillements en pleine nature quand bien même elle n’a pas d’électricité pour réchauffer ses plats, ou qu’il n’y a pas de route pour installer le catering. On écoute les costumières qui expliquent qu’elles ont mis l’emblème des Rohirrims sur le revers de l’armure du roi Théoden. “Pour que Bernard (Hill) le voit et que ça l’aide à se mettre dans le rôle”. Pas pour la caméra. Pas pour le public. Pour la team.

Y a‑t-il un pilote dans l’avion ?

Des heures et des heures de docs, de making-of, d’interviews, de commentaires audio en compagnie du réalisateur, de ses co-scénaristes, des acteurs… Vraie mine d’informations, ces bonus avaient fait date au début des années 2000, sans occulter les galères, les accidents, les engueulades, les déceptions ou les soucis de productions. Comme pour Le Seigneur des Anneaux, la trilogie du Hobbit proposera elle aussi ses appendices. Et on comprend à leur visionnage que cette fois-ci, il n’y aura pas d’alignement des planètes. Dès le coup d’envoi de la production, Le Hobbit sera un cauchemar.

Bernard Hill portant l'armure de Theoden imaginée par les équipes de Weta Workshop

Avec en moyenne trois millions de spectateurs en moins par film que la trilogie du Seigneur des Anneaux en France, les trois films du Hobbit ne sont jamais parvenus à égaler la première incartade de Peter Jackson en Terre du Milieu, en dépit de leur budget pharaonique de près de 745 millions de dollars et d'un résultat net de 2,9 milliards de dollars à l'échelle mondiale. Les critiques sont au mieux sévères quand elles ne sont pas assassines. Le public est peu emballé. Même les plus irréductibles fans de Tolkien sont gênés ou se perdent dans des justifications pleines de mauvaise foi quand il faut revenir sur les dégueulis d’effets spéciaux, les nains caricaturaux, les chansons malvenues, les blagues potaches ou une intrigue diluée jusqu’à plus soif. Comme un peu de confiture étirée sur une trop grande tartine. Mais pourquoi faire trois films de trois heures pour adapter un petit livre d’un peu plus de 300 pages alors qu’on a fait autant avec les plus de 1300 du Seigneur des Anneaux ? Par mimétisme ? Par opportunisme commercial ?

Qui a les droits ?

Pour mieux comprendre les ratés des films, il faut d’abord comprendre les soucis de production que la trilogie a affrontés. Et ce, dès le début : notre histoire débute en 1995. À cette époque, Peter Jackson est surtout connu pour ses séries Z et ses délires gores : Bad Taste, Meet the Feebles et surtout Braindead. Ses œuvres plus lisses et exploitables pour démarcher des studios sont très récentes et se comptent sur les doigts d’un moufle. Créatures Célestes est sorti en 94, Forgotten Silver, son 'documenteur' sur l’origine présumée néo-zélandaise des techniques de cinéma en 95 ; quant à Fantômes contre Fantômes avec Michael J.Fox, il est encore en production. C’est pourtant là qu’il se lance avec sa femme Fran Walsh en quête des droits du Hobbit. L’idée de départ était de faire un premier film sur le livre de JRR Tolkien, puis deux films sur la Guerre de l’Anneau.

Bilbo s'apprête à enchaîner les galères. Allégorie

Depuis de nombreuses années, les droits du Seigneur des Anneaux et du Hobbit appartiennent à un certain Saul Zaentz, producteur de ‘petits’ films indépendants comme Vol au-dessus d’un nid de coucou, Le Patient Anglais ou Amadeus. C’est lui qui avait d’ailleurs produit la version animée du Seigneur des Anneaux de Ralph Bakshi en 1978. Or en 1995, Miramax lorgne du côté des écrits de Tolkien. C’est le point de départ d’une lutte sans concession et pleine de rebondissements. En effet, si Saul Zaentz possède bien les droits de production et de distribution du Seigneur, il ne possède hélas plus que les droits de production du Hobbit. Les droits de distribution sont eux en possession de la société United Artists depuis une vingtaine d’années, suite à un obscur montage entre les deux partis. Les droits de Bilbo bloqués, Jackson se concentre sur Le Seigneur des Anneaux avec le succès qu’on lui connaît. Et ses déboires avec Harvey Weinstein, son départ de Miramax et l’arrivée inopinée de New Line dans l’équation sont une autre histoire sur laquelle je compte bien revenir une autre fois.

On a les droits !

L’histoire reprend en 2006, soit trois ans après le sacre et les onze Oscars du Retour du Roi. La MGM est alors sur le point d’acquérir les droits d’United Artists pour distribuer Le Hobbit. Les dirigeants du studio font savoir qu’ils aimeraient lancer une adaptation en collaboration avec New Line et Peter Jackson. Tout semble se profiler correctement, jusqu’à ce que le réalisateur n’envoie New Line devant les tribunaux, réclamant une partie importante des profits du merchandising de La Communauté de l’Anneau qu’il n’aurait jamais touchée. Robert Shaye, boss de la compagnie de production, déclare Jackson persona non grata. Ce dernier claque la porte de New Line. La belle entente souhaitée par la MGM prend l’eau.

Après deux ans de reports, Del Toro abandonne.

Il faut attendre la fin de l’année 2007 pour que Peter Jackson obtienne gain de cause et la somme rondelette de 250 millions de dollars. Sous la pression des fans, des acteurs et des studios, le réalisateur accepte de revenir dans l’aventure. Mais il sera uniquement producteur exécutif. En 2008, Le Hobbit est officialisé. Ce sera un diptyque. Pour coiffer la casquette de réalisateur, plusieurs noms sont pressentis. Les rumeurs enflent. Sam Raimi est souvent cité et aurait été le premier choix de Jackson. Ce sera Guillermo Del Toro. Le réalisateur mexicain prend l’avion et s’installe en Nouvelle-Zélande où le savoir-faire pour faire vivre la Terre du Milieu à l’écran n’est plus à prouver. La date de sortie est annoncée. Le Hobbit : Un Voyage Inattendu sortira en décembre 2012.

Il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant

La fin des années 2000 est marquée par la crise des subprimes et une importante récession financière. La MGM est aux abois. La pré-production du Hobbit prend du retard. Les mois passent. Les derniers imbroglios de passage des droits n’en finissent plus. Courant 2010, ne voyant pas de fin à son aventure néo-zélandaise et écœuré par les reports à n'en plus finir, Del Toro jette l’éponge. Le film est menacé. Peter Jackson confie avoir déjà raconté tout ce qu’il avait à dire sur la Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux. On se rappelle par exemple des chevaucheurs de wargs des Deux Tours, absents du livre mais directement puisés dans Le Hobbit. Or le temps presse. Plutôt que de partir en quête d’un nouveau réalisateur, Jackson choisit à contre-cœur de reprendre la réalisation et d’assumer la double fonction : il sera à la fois producteur exécutif et réalisateur.

Peter Jackson reprend la réalisation du projet

Avec Fran Walsh et Philippa Boyens, il se lance alors dans la réécriture du scénario de Del Toro. Longtemps pressentis au casting, James McAvoy et Saoirse Ronan ne seront finalement pas de la fête. Pour incarner Bilbo, le trio jette son dévolu sur Martin Freeman, mais ce dernier refuse car son agenda, verrouillé par le tournage de la série Sherlock, ne lui permet pas de s’absenter aussi longtemps que la production le nécessite. Le calendrier de tournage est encore modifié. Jackson renvoie au second film les principaux problèmes et en post-prod CGI tout ce qui ne pourra être filmé : il s’achète du temps. Il ne savait pas alors que le sort était une fois de plus contre lui…

No Pain No Gain

L’embellie qui fit suite au retour de Jackson à la réalisation a peu duré. Même avec un retour en grâce des finances de la MGM et l’entrée de la Warner dans les budgets, Le Hobbit essuie de nouvelles péripéties. Pour commencer, plusieurs syndicats cinématographiques néo-zélandais menacent de se mettre en grève. À l’origine de la grogne, certains accords sur les salaires et conditions de travail entre le personnel et la société de production ne seraient pas respectés. Le ton monte, et des rumeurs de délocalisation en Angleterre électrisent encore les grévistes. L’affaire monte jusqu’au plus haut de l’État, car le manque à gagner pour l’économie nationale, estimé à près de 1,5 milliard de dollars, est conséquent. Le premier ministre néo-zélandais John Kerry intervient et obtient un accord avec la Warner. Le tournage va pouvoir débuter.

Enfin, c’est le premier tour de manivelle. Mais c’est un Peter Jackson diminué qui est à pied d'œuvre, confiant de nombreuses séquences à des équipes B. En effet, le réalisateur a été hospitalisé en urgence et souffre d’un ulcère perforé à l’estomac. Nous sommes alors en mars 2011. Pendant plusieurs semaines, il dicte ses consignes et observe les rushs de pré-tournage depuis son lit d'hôpital. Le premier film est toujours prévu pour la fin d’année 2012… Des vidéos de making-of voient le jour. C’est déjà le début de la campagne promotionnelle à laquelle il participe activement. On le retrouve en maître d’œuvre, amaigri et flottant dans une veste trop grande pour lui. Acteurs et costumes sont révélés au public. Les titres des deux films sont officialisés : An Unexpected Journey ouvrira la danse et There and Back Again clôturera l’aventure l’année suivante.

Plus c’est long, plus c’est long

Juillet 2011. Contre toute attente, Jackson fait une sortie inattendue au Comic-Con de San Diego. Il révèle à un public abasourdi que de deux films, l’adaptation du Hobbit passe à trois (très) longs-métrages. On apprend dans la foulée le changement de titre du second volet. Si rien ne change pour Un Voyage Inattendu, on découvre que la suite des aventures de Bilbo et des nains s’appellera La Désolation de Smaug et que La Bataille des Cinq Armées viendra achever ce qui est désormais une trilogie prévue pour enchanter les fêtes de fin d’année en 2012, 2013 et 2014…

Le diptyque devient une trilogie

Mais si Le Seigneur des Anneaux était une adaptation des romans éponymes de Tolkien, le Hobbit sera, à quelques exceptions près où le réalisateur fait mouche, du pur PJ sans filet. Les films sont même régulièrement des caricatures de la patte de Jackson, compilant ad nauseam ses défauts les plus marquants, comme son goût pour l’humour potache ou sa passion pour le mauvais goût. Pire encore, le réalisateur recycle ses idées originales et accouche de scènes micro-ondées et tièdes, mélangeant trop souvent la cohérence liée à la logique de préquelle et l'easter egg facile et forcé. Sans temps de pré-production adéquat, il renvoie ses problèmes en post-production, confiant dans le talent de ses équipes chez Weta Digital, ce qui conduit à des aberrations de tournage. Comme cette scène chez Beorn, tournée au matin dans des décors naturels, mais reshootée dans l'après-midi sur fond vert in-situ avec les paysages numérisés incrustés sur la pellicule.

Cry me a river

Près de dix ans après les innovations techniques du Seigneur des Anneaux, Jackson choisit qui plus est de filmer en 48 fps sur des caméras Epic, et opte pour un traitement 100% numérique de ses films. Ce choix va conduire à de nombreux déboires, les spectateurs ayant d'un côté l'impression d'être davantage devant une vidéo filmée au caméscope plus que devant un blockbuster, et engendrer de l'autre des soucis inattendus.

Par exemple, si des effets pratiques innovants et inédits en trompe l’œil et des doublures avaient été choisis fin 1990, cette fois-ci, pour gérer les problèmes de différences de taille entre Nains, Hobbits et Humains, deux décors sont créés à deux échelles précises et filmés en même temps. Sir Ian McKellen s'est donc retrouvé seul une grande majorité du temps dans un décor vert, tandis que le reste du casting était à côté dans une reconstitution précise de Bag End. Une expérience douloureuse pour l'acteur shakespearien, qui se retrouvait des journées entières à parler seul en fixant des points de repères animés et sans aucun retour direct de ses collègues : regards, sourires, gestes… Les 'Behind the Scenes' qui reviennent sur cet exemple sont de véritables crève-cœurs où l'on voit l'acteur britannique littéralement craquer et fondre en larmes, prêt à jeter l'éponge et abandonner le tournage. Comme il l'explique, il est un acteur venu du théâtre qui se nourrit des interactions entre les personnages. Les mots du réalisateur suffiront à peine à réconforter Gandalf.

Cette scène est un exemple typique de ce qui ne va pas dans Le Hobbit

Même s'il était loin de s'en douter, Un Voyage Inattendu était un titre prophétique pour Peter Jackson. Tous ces déboires côté coulisses ont énormément influencé les choix artistiques du réalisateur néo-zélandais jusqu'à aboutir sur les films que l'on connaît, avec leurs nombreux défauts – et malgré tout quelques moments de gloire, j'y tiens. La trilogie du Hobbit, improvisée et mal maîtrisée, ne proposera jamais le souffle épique et la profondeur du Seigneur des Anneaux. Mais en dépit de toutes ces mésaventures, d'autres choix auraient pu être faits. Des choix sur lesquels nous reviendrons dans une seconde partie de cet Aller et Retour au pays du Hobbit.

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