Le stand-up et les spectacles comiques d'ordre général ne sont pas l’apanage d'une population particulière. Toutes les voix sont représentées, par définition de l'art même. Et la génération des trentenaires dans ce monde est parmi les plus puissantes que j'ai pu entendre ces derniers temps.
Le stand-up est un art majeur à mes yeux. Un art puissant. Et cela s'explique d'une bien simple manière : la beauté de chaque spectacle réside dans le fait de parler avec honnêteté et facétie de sa propre expérience du monde. À mes yeux, les artistes de ce genre sont les plus inspirants, et ce à bien des égards. L'honnêteté peut être un outil de compassion formidable, particulièrement lorsque celui-ci est lié au rire, mais est aussi la pierre angulaire d'un dialogue sain. La verve peut aider les voix les plus faibles à s'élever face à la masse pour tenir tête aux puissants. Et garder captif son auditoire comme le font ces talents, tout en gardant leur compression intacte, réclame une écriture impeccable qui me sert d'inspiration au moindre texte que j'écris.
On parle souvent des grands noms de ce monde. En France, on citerait probablement Gad Elmaleh, l'un des artistes les plus connus de notre pays et dont l'amour du stand-up américain est bien connu depuis le CopyComic. Aux États-Unis, des légendes comme George Carlin ou Richard Pryor ont pavé les voies qu'empruntent aujourd'hui des personnes comme Dave Chappelle, Bill Burr ou encore Ali Wong. Mais ce milieu ne s'arrête jamais de produire de nouvelles voix venant de tous les milieux, qui s'élèvent pour parler avec franchise de leurs propres batailles comme de leurs propres bêtises. De l'infiniment petit à l'infiniment grand, tant que cela provoquera un rire au bout.
Plus que de tenter de faire une critique, je voulais simplement vous partager aujourd'hui quelques uns des comédiens favoris de ma génération. Soit les trentenaires, qui ne sont pas tout à fait "débutants", mais n'ont pas encore eu l'occasion de se faire un nom aussi puissant qu'un artiste ayant enchaîné les décennies. De ceux que vous devriez, à mon humble avis, suivre avec attention dans les prochaines années.
Bo Burnham : la bête de scène
Est-il encore nécessaire de présenter Bo Burnham ? Le comédien a absolument explosé avec son dernier spectacle conceptuel Inside sur Netflix, tourné en plein confinement sur plusieurs mois. Cela étant, ce que vous ne savez peut-être pas le concernant est qu'il était avant tout cela un simple vidéaste sur YouTube, spécialisé dans les chansons humoristiques. C'est ce qui l'a fait connaître avant qu'il ne se tourne vraiment vers la scène, avec notamment son premier spectacle What. disponible en intégralité sur YouTube. Son second show, Make Happy, a par la suite été signé par Netflix et représente fondamentalement l'artiste au plus haut de sa forme dans un contexte traditionnel. Inside est la preuve définitive du talent du monsieur, aussi bien dans son humour que dans sa maîtrise de la mise en scène.
Ce qui le sépare du reste selon moi est sa conscience de lui-même, de son milieu comme de ses spectateurs. Il joue constamment sur l'idée du spectacle, et du fait de se mettre en scène. On sent dans ses punchlines et dans ses introspections une dualité entre l'homme, réservé et introspectif, et la bête de scène à la créativité incroyable qui n'appartient qu'à lui. Plus qu'un humour d'observation, la plume de Bo Burnham est ancrée dans l'absurdité de notre monde, avec un cynisme mêlé d'humanisme qui provoque un rire particulier. Doux-amer. It's funny because it's true.
Taylor Tomlinson : la sincérité comme arme
Taylor Tomlinson est à mes yeux l'artiste qui mérite une ascension fulgurante au cours des prochaines années. Elle a tous les traits qui caractérisent les plus grands : ses sujets sont simples, humains, terre à terre, mais toujours observés avec un mordant particulier qui touche au plus profond de chacun. Sa particularité à mes yeux est sa capacité à partager ses meilleurs comme ses pires traits, sans jamais nécessairement les normaliser. Une façon de se mettre à nu sans pour autant se tourner au ridicule ou jouer sur l'ironie de l'image qu'elle renvoie (comme peut le faire un Pete Davidson par exemple), mais dans un véritable effort d'honnêteté.
C'est ce qui lui permet de nous faire rire aux éclats en un instant, dans un spectacle qui paraît sortir d'elle-même sans effort, quand bien même le travail est évident. Taylor Tomlinson se prend en exemple avec dérision et humilité pour mieux nous faire admettre nos propres défauts et les désarmer. Si son premier spectacle Quarter-Life Crisis est plus porté sur les relations femmes-hommes et la destruction des clichés liés à la romance et à la vingtaine, son second, Look At You, tape toujours plus fort en humanisant les problématiques de santé mentale. Taylor Tomlinson est impressionnante parce qu'elle sait nous inclure dans son intimité tout en nous faisant amener nos propres sensibilités. Magistrale.
Daniel Sloss : le branleur au grand cœur
Je n'attendais absolument rien de Daniel Sloss lorsque j'ai cliqué sur ses spectacles disponibles sur Netflix. Il ne s'agissait ici que d'essayer de trouver un semblant de suite, après avoir essoré le catalogue de mes comédiens favoris à cette période. Et ce simple geste m'a fait prendre parmi les plus puissants uppercuts à l'estomac qu'il m'ait été donné de prendre. Sur le papier, Daniel Sloss est plus ou moins "le branleur" de n'importe quel groupe de mecs : celui qui a la voix qui porte le plus et qui envoie les vannes les plus cinglantes avant de se taper une ligne de shot et de finir mort sur le trottoir quelques heures plus tard.
Oui, mais… il le sait. Et en joue. De son humour qu'on qualifierait généralement de "noir" (et que je qualifie d'absurde, mais nous aurons ce débat un autre jour) ressortent effectivement ces clichés, mais le comédien joue de ces attentes pour prendre des virages à 180° qui arrivent toujours à surprendre. Et pas forcément comme on l'entend : ses setups choquent et font grincer, quand ses pay-offs rassurent et englobent. Surtout, de son propre aveu, il est le comédien qui offre "40 minutes de blagues et 20 minutes de Ted Show triste". Car ses monologues de fin sont parmi les plus puissants que vous pourrez entendre. Sa métaphore du puzzle dans le spectacle Jiggsaw sur Netflix a provoqué plus de 400 divorces et 200 000 ruptures, quand la fin de X sur HBO est l'une des histoires les plus importantes à entendre dans notre ère culturelle.
Ronny Chieng : le nettoyage à l'acide
Ronny Chieng est connu comme l'un des intervenants réguliers du Daily Show de Comedy Central aux États-Unis. Mais en bon Français, je n'avais aucune idée de son existence avant qu'il n'apparaisse avec son propre spectacle sur Netflix. Le comédien a une histoire très intéressante, puisqu'il est né en Malaisie et a vécu à Singapour, puis dix ans en Australie, et enfin dix ans aux États-Unis. Sa perspective sur l'Amérique du Nord, qu'il offre dans son premier spectacle Asian Comedian Destroys America ! est donc particulièrement intéressante. Dans Speakeasy, son second spectacle, il utilise une nouvelle fois cette perspective pour parler un peu plus des différences culturelles, dans le contexte culturel actuel un brin… tendu.
Ronnie Chieng est pour moi spécial sur cette scène. Et tout cela est lié à sa manière d'agir sur scène : constamment stoïque, presque monotonique, alors qu'il sort les phrases parmi les plus venimeuses qu'il est possible de sortir avec un micro à la main. Et c'est quelque part ce qui fait sa force : il incarne ces pensées acides que l'on peut se surprendre à avoir, et les incarne pleinement. Sans prétention, sans excuse. Mais rien n'est jamais gratuit : les vannes féroces motivées par sa grande culture sont là pour nous amener à ouvrir nos horizons et assumer nos faiblesses.
Fary : le visionnaire farceur
Si le stand-up est une tradition très américaine, et que j'avoue ne pas vraiment suivre la scène française, reste un artiste qui ressort un peu plus en France à mes yeux : Fary. C'est dans son évolution de spectacle en spectacle que j'aime observer son parcours. Au micro, son style est léger. Joueur. Presque faussement enfantin, parfois. Je le trouve très connecté à la culture de cette constante représentation que l'on subit avec les réseaux sociaux, et dont il joue lu-même. Contrairement à un Bo Burnham qui la retourne contre elle-même, Fary sait surfer sur elle pour mieux la prendre en dérision.
Mais si je parlais de l'évolution de Fary comme point principal de mon intérêt pour lui, c'est que l'on peut voir ses thématiques et ses points de vue évoluer de Fary is the new black à Hexagone, les deux disponibles sur Netflix. On peut le voir plus émouvant, plus sincère aussi, et prêt à tacler des sujets un peu plus profonds à chaque fois. Toujours dans ce style léger, mais qui n'est pas dénué d'intelligence et de panache. Mais surtout, on voit que le comédien ne s'arrête pas qu'à ses spectacles, et développe un projet artistique plus large. Qu'il s'agisse de le voir en chanson sur le titre Demande, ou dans la création de Madame Sarfati, son propre comedy club, Fary paraît avoir un plan à long terme qui réserve bien des surprises.