Sortie en 2023 sur AppleTV+, la série Silo est l’adaptation d’une série de livres signés Hugh Howey. Trilogie de science-fiction dépeignant un monde post-apocalyptique, son passage du papier à la pellicule nous offre une nouvelle lecture très permissive, souvent pour le meilleur.
Il existe une étrange aura qui entoure le monde de la science-fiction. Une certaine responsabilité que l’on ne vient pas questionner chez la plupart des autres genres : une œuvre de SF doit-elle être politique ? On en revient systématiquement à ces questions. Vouloir comprendre ce que dénoncent les dystopies, ce que camouflent les utopies. Dans Star Trek, entre deux missions sur des planètes sauvages, il est régulièrement souligné que Starfleet et la Fédération des planètes unies ont permis d’abolir les différences sociales pour avancer vers un but commun. Dans Star Wars, l’avènement de l’empire galactique et la résurgence de ses doctrines après sa chute constituent un appel du pied on ne peut plus clair.
Parmi les nombreux imaginaires qui nous impactent régulièrement, on retrouve en bonne place le post-apocalyptique. Elle est arrivée, la fin du monde telle que nous le connaissions (and i feel fine), laissant place à des paysages dévastés et une société en quête de reconstruction dans un monde où les cartes ont été redistribuées. Un genre en vogue, que l’on aura notamment vu briller avec des séries comme The Last of Us ou See. On y retrouve cette thématique commune : à quoi ressemblerait la vie après l’apo ? Que ce soit en suivant des humains comme vous et moi arpenter des gratte-ciels en ruine peuplés d’animaux échappés du zoo ou en observant des sociétés néo-féodales bâties au cœur d’un ancien barrage hydraulique.
L’idée derrière ces sujets n’est évidemment pas de se flageller en projetant le pire, encore moins de le prévoir comme inéluctable. C’est au contraire un message d’espoir, qui déclare que la vie trouve toujours un chemin. Elle peut ainsi se dévoiler sous une infinité de formes, repensant les sociétés et les constructions sociales. Kim Stanley Robinson par exemple, auteur emblématique de cette génération et érigé en penseur des lendemains, disait à ce sujet que “si vous écrivez de la SF aujourd'hui et que vous n'incluez pas le changement climatique, vous faites en réalité de la fantasy”.
Way down in the hole
C’est précisément dans cette lignée que s’inscrit le projet de Hugh Howey. Il a été initié avec une première nouvelle sortie en 2011 sur Kindle et a connu un succès retentissant, menant à un total de cinq épisodes qui constituent le premier tome. Le synopsis est aussi simple qu’efficace : dans un monde post-apocalyptique, le reste de l’humanité survit enfermée dans une structure appelée le Silo. Un postulat qui ne sera pas sans rappeler de nombreux scénarios affiliés au genre, la Vérité avant-dernière de Philip K. Dick en tête de liste, où quand la science-fiction fricote avec l'anthropologie.
Un titre plus qu’évocateur : enfouie sous terre, cette méga-structure de 144 étages est le seul refuge sûr pour les derniers survivants de l’espèce, attendant des jours plus cléments. L’analogie du silo est limpide : on y patiente jusqu'à pouvoir un jour en sortir. Les étages sont répartis par sections, du bureau du maire et du shérif au sommet jusqu’aux assourdissantes machines entretenues par les habitants des profondeurs. Comme dans La Maison des Feuilles, le bâtiment devient un personnage à part entière. Un organisme entretenu de la tête aux pieds par des mains humaines et œuvrant en principe pour un but commun, son gigantesque escalier central faisant office de colonne vertébrale.
Hugh Howey alimentera par la suite le mythe de ce silo et de l’univers qui l’entoure. Arrive en premier lieu Silo : Origines, qui emmène les lecteurs aux causes du cataclysme et dévoile l’envergure du projet. Vient ensuite Silo : Générations, qui nous raconte ce qui survient après le premier tome, offre de nouvelles réponses et permet d’amener l’ensemble vers une conclusion concise. Une construction morcelée qui offre un rythme soutenu mais qui provoquera sans doute quelques interrogations.
Chutes des classes
Dès les premiers chapitres, on réalise que cette gigantesque machine est gangrénée par des guerres internes. Des ghettos se sont créés et certaines classes ne se mélangent pas. Les gens vivant en bas aux Machines sont surnommés les Graisseux par les classes occupant les étages supérieurs, ne récoltant pour leur part que le mépris des étages inférieurs. Service informatique, section des fournitures, étages consacrés aux fermes, le Silo a été intelligemment conçu par ses créateurs.
Au fil des siècles, l’identité même des fondateurs relève alors du mystère. Le savoir se transmet et se déforme ; mais surtout se contrôle. Certaines entités font office de loi et veillent à réécrire le roman sociétal pour le conformer à une vision unique de ce monde de poche. Les habitants du Silo savent finalement peu de choses de leur passé commun, ignorent tout de l’apparence du monde extérieur et ignorent la vraie raison de leur présence entre ces murs de béton.
Seule demeure leur mission, avancer ensemble pour accomplir leur objectif : pouvoir permettre à l’humanité de perdurer. Des objets du “monde d’avant” circulent pourtant de mains en mains. Des objets anodins que l’on qualifie de relique et dont la possession demeure strictement interdite. Face à l’absurdité du monde, c’est une colère sourde qui gronde et emplit progressivement les étages.
L’enfer c’est les hôtes
La verticalité du Silo devient dès lors le symbole des différences sociales qui l’affectent. Des castes dirigeantes émergent des ombres et leur réel pouvoir s’avère être la possession et le contrôle de l’information. De nombreux secrets sont dissimulés au sein du Silo, des mystères qui donnent au lecteur l’impression de se muer en John Locke, découvrant porte après porte les vérités dissimulées sur l’île de Lost. Toute la fatalité de ce schéma humain n’est pas nouvelle : les puissants en haut, les oubliés en bas : cette construction millénaire semble se répéter en spirale comme les marches de l’escalier du Silo.
On sera forcément tenté de se rappeler une variation très similaire, horizontale cette fois-ci, avec l’histoire de Snowpiercer, Le Transperceneige. L'œuvre originelle est un ensemble de romans graphiques imaginé par Jacques Lob et illustré par Jean-Marc Rochette, poursuivi par la suite par Benjamin Legrand et Olivier Bocquet. Dans cette histoire poignante nous suivons les aventures de survivants de l’humanité occupant un colossal train futuriste roulant éternellement à travers les neiges. L’hiver nucléaire a frappé le monde et l’extérieur n’est plus que glaces et nuits éternelles. Ici, ce sont les wagons qui représentent les différentes sections de cet univers en huis clos, des wagons de queue pour les plus démunis à la tête de la locomotive pour les plus aisés.
Tout comme Silo, Snowpiercer a eu droit à des adaptations sur écran, extrêmement permissives également. La bande-dessinée mettait en avant un univers dur et étouffant en noir et blanc, renforcé par les comportements glaçants d’une humanité incapable de s’unir face à un danger pourtant évident. Bong Joon-Ho, réalisateur coréen principalement connu pour Parasite, mais aussi Memories of Murder ou The Host, revisitera en premier l’œuvre en proposant un univers plus coloré et une violence plus affichée. Il accuse davantage l’humanité de la catastrophe survenue mais conserve cependant une trame similaire : une révolte se déclare parmi les classes les plus délaissées, qui finit par remonter l’entièreté du train en quête de vengeance et de réponse.
Arrive ensuite la série Netflix, sortie en 2020 et toujours en cours, qui conserve à nouveau les enjeux sociaux inhérents à l'œuvre tout en y apportant des intrigues d’enquête. Ceux-ci viennent encore une fois édulcorer la dureté du roman graphique, mais introduisent dès le départ la responsabilité des dirigeants de l’ancien monde dans la chute qui est survenue. Chaque version trouve ainsi son public et réussit à proposer une vision différente d’un thème marquant : dénoncer les abus d’une prétendue élite auto-déclarée, dans un univers hostile où la raison voudrait plutôt voir s’abolir les frontières entre semblables.
Maybe tomorrow
Le projet d’adaptation de Silo dure pour sa part depuis une décennie. Originellement brigué par 20th Century Studios, avec notamment Ridley Scott à la production, l’acquisition du studio par Disney avait fait tomber le projet dans l'oubli. Il faut attendre 2021 pour qu’AppleTV+ récupère les droits et confie le projet à Graham Yost, déjà producteur sur d’autres séries de la plateforme tels que Justified ou Slow Horses.
AppleTV+ étoffe son catalogue bien plus modérément que ses concurrents mais si la quantité n’est pas au rendez-vous, la qualité l’est indubitablement, notamment pour les amateurs de science-fiction. Impossible de ne pas citer en premier lieu Severance, véritable ovni pince sans rire, indescriptible et pourtant inoubliable, beaucoup trop proche de notre réalité pour ne pas se montrer troublant. Ou encore For All Mankind qui réécrit l’histoire du monde de 1969 à nos jours, décrivant l’effet papillon d’un événement qui aura tout changé : et si l’URSS avait marché sur la lune avant les États-Unis ? Enfin, See décrit ce que serait le monde qui aurait survécu à un cataclysme, mais où l’humanité aurait été privée de la vue. Retournant ainsi à des sociétés quasiment primales, où la simple évocation de ce sens perdu ferait trembler les esprits d’une peur panique. La plateforme voit grand dans ses projets de SF, tentant encore à ce jour d'adapter l'emblématique saga Foundation d'Isaac Asimov avec une troisième saison en préparation.
Apple a toujours démontré un intérêt pour l’avenir et sa plateforme de streaming ne lui fait pas défaut. Silo la série se dévoile ainsi avec une première saison de dix épisodes, constituant environ un tiers du premier roman. Le nombre définitif de saisons n’a pas encore été annoncé mais la trame semble prendre son temps afin de pleinement développer son potentiel.
Les livres de Hugh Howey ont été écrits au fur et à mesure, sous forme de nouvelles, et cela se ressent par moments. La série d’AppleTV+, écrite en étroite collaboration avec l’auteur des livres, profite quant à elle d’une vision d’ensemble sur les tenants et aboutissants des intrigues et se permet de modifier de nombreux éléments, approfondissant des personnages et exploitant davantage leurs relations.
Take Control
La série suit la direction du roman en nous invitant à suivre le destin mouvementé de Juliette Nichols. Mécanicienne au fin fond du Silo depuis des années, elle entretient sans relâche la génératrice alimentant l’ensemble de la structure avec un acharnement obsessionnel. La tête enfouie dans le vacarme mécanique pour ne pas avoir à penser et ne pas avoir à se souvenir. Les proches qui lui ont été enlevés n’ont pas disparu sans raison, victimes de leur curiosité à l’égard du Silo et de son fonctionnement.
C’est lorsqu’un étrange hasard de circonstance la propulse à la surprise générale au rang de shérif que Juliette décide d’affronter son passé en enquêtant, plus ou moins officiellement, sur une vérité qu’on semble lui dissimuler. Des écrans montrent des images de l’extérieur dévasté du Silo, retransmis par des caméras, mais ces visions sont-elles réelles ? Pourquoi le désir d’en apprendre davantage sur le passé de l’humanité est-il tabou ? Existe-t-il réellement un groupe de personnes en charge de surveiller les habitants à leur insu ? Une seule règle est au-dessus des autres dans le Silo : la personne qui formule le souhait de sortir y est irrémédiablement envoyée lors d’une cérémonie. Et c’est généralement là que finissent tous les rebelles. Les habitants restants, à l’abri derrière leurs écrans, les voient irrémédiablement s'effondrer au bout de quelques minutes. Nul ne sait de quoi est constitué l'air à l'extérieur, la seule chose qui est certaine c'est que même équipé d'une combinaison, on ne tient pas plus de quelques minutes.
Le rôle principal est tenu par Rebecca Ferguson (les derniers épisodes de Mission Impossible, Dune) qui incarne parfaitement le personnage brisé mais stoïque de Juliette. On retrouve au casting d’autres visages connus tels que Rashida Jones, Iain Glen, le Jorah Mormont de Game of Thrones ou encore le rappeur Common qui y incarne un protagoniste glaçant conçu spécialement pour la version télévisée. Les différences avec les romans sont nombreuses, de nouveaux personnages viennent donner plus de corps à l’histoire et de nouvelles sections du Silo complexifient les relations entre les survivants.
L’exemple le plus frappant reste l’une des révélations du dernier tome, exposée ici… dès le premier épisode. Cela a pour effet notoire d’accentuer le sentiment de paranoïa et le désir de rébellion de certains personnages. En un sens, la série télévisée axe davantage son propos sur la société de contrôle et ses dangers. L’utilisation de plusieurs timelines permet notamment de donner une réelle histoire à des entités qui n’étaient que citées dans les livres.
Nos futurs
Si Silo campe un postulat très politisé dans sa structure, il place cependant les émotions de ses personnages au centre de son histoire. Les survivants ne sont pas autorisés à sortir, et prononcer le vœu de le faire revient à signer son arrêt de mort. Règne sous terre une forme d’obscurantisme fascinant, piégés sous ces dalles de béton, l'humanité vénèrent leurs ancêtres sans réellement les comprendre. Les anciens humains sont érigés au statut de quasi déités, ayant fait s’abattre une fureur divine à la surface et ayant protégé leurs progénitures au sein de leur arche.
C’est aussi ce qui rend Silo parlant à une majorité du public. D’une part, ce futur pourrait être le nôtre et l’ensemble demeure parfaitement tangible. D’autre part, son univers s’articule à faire perdurer l’humanité. Le “Freedom Day”, qui donne son nom au premier épisode, est une fête qui vise à accomplir ce devoir de mémoire en remerciant les générations passées. Une appellation paradoxale lorsque l’on parle de milliers de personnes enfermées sous terre. Certains mots perdent leur sens premier dans un monde qui n’est plus en mesure de les comprendre.
Dès lors que toutes choses substantielles sont sujettes à être déformées par absence de cohérence, ce qui ressurgit c’est le reste. La réalité des sentiments, la colère dissimulée de Juliette, les regrets de deux amants qui se seront tout avoué trop tard, la crainte panique du reste du monde, l’excès de zèle pour tenter de protéger une idée. Le nom de l’héroïne est inspiré de la pièce de Shakespeare et ce n’est en rien anodin.
La mort est dans l’après
Cette première saison plutôt convaincante réussit son effet avec un cliffhanger haletant et de nombreuses questions en suspens. La structure même du Silo participe par ailleurs grandement à ce succès avec un effet de gigantisme prenant. Les 144 étages sont crédibles, de l’immense escalier en colimaçon sur lesquels circulent des centaines de survivants, aux ruelles résidentielles empreintes d’une légère patte rétro futuriste.
Le challenge est pour l’instant réussi et la saison 2 est déjà en préparation. Le parallèle sera cependant évident avec une seconde sortie à venir : l’adaptation de la saga de jeux vidéo Fallout sur Prime Video. Monument de l’univers post-apocalyptique à l’ambiance US des 50’s, son univers se démarque par ses drive-in abandonnés, son esthétique rétro, mais aussi par ses abris anti-atomiques.
Lieux de refuge pour l’humanité, les abris de Fallout ont la particularité d’avoir également servi d’expériences sociales durant leurs décennies de confinement. Le post-apo a définitivement le vent en poupe, reste à espérer que tout cela continue à relever de la fiction et non pas de la prévision météorologique.