The Newsroom ne cessera jamais d'être d'actualité

The Newsroom n'est pas une série HBO comme les autres. Créée par le scénariste Aaron Sorkin en 2012, elle reste tout aussi pertinente une décennie plus tard, car elle a pointé du doigt un problème que nous affrontons toujours aujourd'hui : qu'est-il advenu de la presse ?

Avez-vous toujours vécu avec internet, ou l'avez-vous connu en grandissant ? Je ne saurais me prononcer pour la première catégorie, mais je pense pouvoir parler au nom de la seconde pour déclarer que l'actualité a changé. Et bien que nous subissons vague après vague d'événements politiques, économiques et de santé majeurs depuis trois décennies, je parle de l'actualité elle-même. Non seulement ce qui fait l'actualité, mais ce qu'est l'actualité.

Il est cependant difficile de prendre conscience d'une telle évolution lorsque l'on parle d'un réflexe de consommation quotidien, ou au pire hebdomadaire. Lorsque l'on voit la même personne tous les jours, il n'est plus si facile d'observer comme ses cheveux ont poussé depuis deux semaines. Au même titre que face à un éléphant, il nous faut donc prendre du recul. Un recul qui nous permettra de mieux comprendre ce qui était, ce qui est, voire ce qui sera. Ce recul sur la nature-même de l'actualité, la série The Newsroom nous force à le prendre, sans aucune condescendance ou paternalisme.

L'honnête homme est celui qui se fait payer l'opinion qu'il a

C'est en abdiquant sur le coût supplémentaire du Pass Warner sur Prime Video, contenant le catalogue HBO et lors d'une énième nuit d'insomnie, que j'ai découvert la série. Elle bénéficiait déjà d'une solide réputation depuis 2012, année de sa première saison, et pour cause. Elle est après tout l'un des bébés d'Aaron Sorkin, scénariste et producteur américain déjà auréolé de succès à l'époque, pour nous avoir offert À la Maison-Blanche à la télévision (The West Wing en V.O.), comme A Few Good Men ou The Social Network au cinéma. Un bonhomme que l'on aime pour sa capacité à raconter des drames humains, mais surtout à intellectualiser son récit. Pour résumer sa spécialité, me vient en tête l'image de ma grand-mère insérant les médicaments de son chien dans une portion de vache qui rit. Voilà le genre du bonhomme.

Dix ans plus tard, c'est presque "à l'ancienne"

La distribution de la série est tout aussi merveilleuse. Au petit plaisir personnel de revoir Alison Pill, qui jouait Kim dans le film Scott Pilgrim, s'ajoutent une palanquée de stars du grand comme du petit écran, toutes connues pour leur capacité à osciller entre le drame et l'humour. On pourra citer Dev Patel, qui s'est fait connaître grâce à la série Skins avant de crever l'écran dans Slumdog Millionaire. Un petit Sam Waterson, plus connu récemment pour son adorable rôle dans la série Grace and Frankie. Jeff Daniels, qui est passé de Dumb et Dumber à Looper ou encore The Martian. Emily Mortimer, qui peut se targuer d'avoir autant joué dans le Scream 3 de Wes Craven que le Shutter Island de Martin Scorsese. Ou même Olivia Munn, qui après avoir fait ses armes dans les films de genre, s'est vraiment faite remarquer grâce à la série, avant d'incarner Psylocke dans X‑Men : Apocalypse.

Le vrai quotidien du journaliste : les réunions chiantes

Malgré le sérieux que cela pourrait vous inspirer à la lecture, on retrouve à la réalisation Greg Mottola dont le film le plus connu est certainement… SuperGrave. Un homme qui, sans vouloir lui manquer de respect, n'est pas loué pour ses trouvailles de réalisation, mais reste un très bon client. Et ironiquement, que cette série ne soit pas marquée par une image pleine d'identité sert parfaitement le propos.

Le journalisme est illisible et la littérature n'est pas lue

Car le propos est simple, concis. The Newsroom suit Will McAvoy, le présentateur phare d'une des plus grandes émissions d'information aux États-Unis. Nous ne parlons pas ici d'un Late Night Show façon Jimmy Fallon, mais plus d'un 20h avec une émulsion de Jon Oliver sur le côté. Will a perdu de son mordant au fil du temps, et n'a fait qu'être neutre et sympathique pendant quelques années avant que ne revienne en tant que productrice l'une de ses ex, Mackenzie McHale. La paire va progressivement redonner un sens à l'émission News Night et à Will et l'intégralité de sa rédaction le goût du journalisme bien fait, avec une ligne éditoriale abrasive cherchant à offir un sens nouveau aux élections politiques américaines.

Pas besoin de cacher ses lights quand on filme un plateau

En soit, le pitch est celui d'une comédie américaine basique. Le milieu du journalisme a longuement été romancé, il n'y a qu'à voir ce qu'il devient dans Sex and the City ou Le Diable s'habille en Prada. Mais The Newsroom a un twist particulièrement intéressant : son scénario reprend des événements réels de la vie politique et sociale américaine. Et sur la période qu'il traite, les morceaux sont de choix : le peuple a élu Barack Obama en tant que premier président américain noir, son administration a fini par tuer Oussama Ben Laden et le mouvement Occupy Wall Street a pris son envol. Même Dominique Strauss-Kahn a le droit à sa mention – souvenez-vous : l'affaire DSK c'était en 2011.

Le journalisme, c'est le contact et la distance

Si The Newsroom traite cette actualité réelle comme le point d'orgue de son scénario, il n'essaie pas de la mettre en scène, d'en rajouter pour autant. La série s'attache plutôt à décortiquer la manière très concrète par laquelle les journalistes en viennent à récupérer ces informations, les sourcer, les vérifier, et s'assurent de partager la vérité sur leur émission. Mais plus encore, nous sommes à la période où les réseaux sociaux prennent toujours plus d'ampleur dans le discours public, et leur influence se fait déjà sentir lors de la sélection des sujets ou leur mise en valeur. Le sensationnalisme, qui était déjà présent auparavant, se retrouve décuplé face à la recherche perpétuelle de buzz voulue par les investisseurs.

Breaking news : le lion est mort ce soir

Plus encore que l'excellente écriture des chroniques qui animent News Night et par extension la série, nous avons le droit à une ode au travail journalistique bien fait. De celui qui cherche à révéler des faits, à éduquer et informer sur les problématiques du monde. Et qui le fait dans le respect de la déontologie. Et grâce à cela, elle fonctionne comme un rappel de ce que l'on est en droit d'attendre de nos actualités, nous qui vivons dans un monde où les réseaux sociaux sont désormais rois, et où le factuel a aujourd'hui moins d'attrait que le sentimental, même au sein de nos institutions les plus importantes.

Une grande catapulte mise en mouvement par de petites haines

Mais tout cela serait d'une terrible verbosité et probablement d'un onanisme sans nom si The Newsroom n'était réellement que ça. Nous sommes après tout face à une série, pas un documentaire à charge. Et c'est ici qu'on reconnaît particulièrement "Mamie Sorkin" : si cette remise en valeur du travail journalistique est la pilule, il fallait bien lui trouver sa vache qui rit. Vous l'avez sans doute compris au pitch, mais c'est dans les histoires d'amour que chaque épisode adoucit ses coins pour mieux dissoudre son message dans notre système.

Quand les patrons te regardent taffer

The Newsroom est en effet incroyablement banal lorsqu'il se penche sur les histoires entre collègues de rédaction. Tous les poncifs de la télé américaine sont au rendez-vous, bien qu'un peu plus consistants qu'habituellement. La petite secrétaire qui passe journaliste en un claquement de doigts, le geek qui est le seul à comprendre les ordinateurs, les deux collègues faits pour être ensemble mais sur lesquels le destin s'acharne… Et bien sûr, le "fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis" de Will et Mackenzie. La TV américaine adore cela et en refait le packaging presque tous les ans, avec plus ou moins de succès. Ici, on est au niveau de qualité d'un Castle : c'est peut-être gnangnan ou convenu, mais le duo d'acteur et les dialogues sont si attendrissants qu'on gobe le tout avec plaisir. Oh, mais depuis quand ça croque, la vache qui rit ?

Tout ce qui aura moins de valeur demain qu’aujourd’hui

Divertir façon Sorkin, c'est mettre en avant une ribambelle de gens brillants et les humaniser. Faire fi de l'image du savant, non pas pour insulter son intelligence, mais pour le rendre accessible. Attachant. Et donc, inspirant. C'est ainsi qu'on se retrouve à rire d'un Will faisant l'idiot en citant Don Quichotte, qu'on a envie de le baffer en constatant son inaptitude à pardonner Mackenzie… et qu'on boit ses paroles dès qu'il se met à monologuer, en sachant pertinemment qu'un discours si frappant provient d'un travail impeccable rendu par des personnes pourtant aussi faillibles que lui. Il n'y a qu'à écouter celui qui fait office d'ouverture au pilote de la série pour le comprendre.

Et nous aurons le droit à notre moment émotion sous la pluie avec du Coldplay en fond entre temps, oui. Nous aurons les concours de coqs des deux prétendants, bien sûr. Mais c'est grâce à ces moments à l'air libre que nous avons le souffle de recevoir les frappes de The Newsroom, qui sait décortiquer avec minutie comment étaient traitées nos actualités, mais aussi pourquoi cette simple action est devenue trop rare aujourd'hui. Pas en nous culpabilisant ou en accusant, mais en nous incitant de faire grandir notre culture, affûter notre esprit critique et réclamer plus de notre information. Le tout en serrant dans nos bras notre moitié.

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