Ça y est, la nouvelle année est là, l'heure est donc venue de célébrer le cinéma de ces douze dernières mois. Vous l'avez compris, vous n'échapperez pas à la tradition : c'est parti pour notre sélection des meilleurs et des pires films que 2021 nous a apportés.
Quelle folle année cinématographique ce fut mes amis ! On a tout eu : des reports en pagaille, des salles fermées pendant six longs mois, des querelles intestines au sein des studios, des stratégies balbutiantes, des films expédiés sur diverses plateformes sans autre forme de procès… Et puis, la lumière au bout du tunnel : une réouverture en forme de raz-de-marée. Un trop plein cinématographique de près d'un an et demi s'est déversé sur nous, emportant avec lui les films déjà prévus pour débarquer lors du deuxième semestre. Ce qui nous a donné un calendrier démentiel fait de quatre Marvel en l'espace de cinq mois, trois Disney, un Pixar, deux énormes comédies françaises dont une attendue depuis des lustres, et une avalanche de blockbusters dont le Dune de Denis Villeneuve, un nouveau James Bond, un nouveau Matrix, un nouveau S.O.S. Fantômes, un nouveau Kingsman, un reboot de Suicide Squad ou encore Free Guy. Côté réalisateurs aussi le cinéphile a eu de quoi faire chauffer la carte UGC, avec pêle-mêle Paul Verhoeven, Julia Ducournau, M. Night Shyamalan, Edgar Wright, Wes Anderson, Pedro Almodóvar, Paul Schrader ou encore Mamoru Hosoda. Et ce, sans parler de ceux qui seront cités plus bas.
Entrons tout de suite dans le vif du sujet : il s'agit à titre personnel de la plus belle sélection que j'ai eu l'occasion de dresser depuis que je me prête à ce petit exercice annuel. Assurément celle qui me tient le plus à cœur. Pour ceux qui préfèrent les chiffres aux sentiments, c'est la première fois que j'attribue à chacun des dix films de mon top la note maison quasi maximale de 4,5/5. Preuve d'un grand cru, dans les salles obscures comme les plateformes de streaming, particulièrement chargé émotionnellement et au niveau de l'agenda. Ainsi, malgré 89 longs-métrages visionnés sortis sur nos terres de quelque façon que ce soit entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021, une poignée m'ont inévitablement échappé. Désolé d'avance si votre petit chouchou n'apparaît pas ou a été maltraité, mais pour vous éviter la syncope, voici un dernier conseil avant d'en finir avec cette introduction : prenez cet article comme une grande liste de recommandations et piochez‑y ce qui vous intéresse. So, may we start ?
Historique : 2020 – 2019 – 2018 – 2017 – 2016 – 2015 – 2014 – 2013
Flop 10 : les pires films de 2021
10/ House of Gucci, de Ridley Scott
Et c'est le super moit' moit' cette année pour Ridley Scott. Sortie six semaines après un Dernier Duel réussi à bien des niveaux et qui échoue d'ailleurs aux portes du top 10 ci-dessous (oops, spoiler), cette maison Gucci sent bon la naphtaline et le renfermé. 2h37 de grand vide, durant lesquelles Sir Scott reprend ses pantoufles de Papy Ridley, et opère en pilote automatique, sans chercher à tirer quoi que ce soit d'une histoire tragi-comique au potentiel pourtant fort. La photographie tristoune aux teintes bleu gris ferait passer l'Italie pour le nord de la Norvège en plein hiver, la mise en scène est pour ainsi dire inexistante, les accents italiens forcés vrillent les tympans et, par dessus tout, on en vient à angoisser à l'idée de voir Jared Leto débouler dans le cadre, plus malaisant que jamais derrière ses 23 couches de maquillage – elles irréprochables. Parfaitement oubliable.
À éviter également : Avec ses airs de projet formaté pour une course aux Oscars – perdue d'avance – House of Gucci m'évoque celui qui a profité d'une année 2020 tronquée pour rafler tout ou presque sur son chemin lors de la dernière saison des récompenses : Nomadland. Attendez, l'Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisatrice dans les films à éviter ? Mais il est siphonné le Fleg ! Il a le tambour encrassé le Lavo-matic ! Rassurez-vous, tout va bien. En plaçant le personnage fictionnel de Frances McDormand au milieu de nomades aux trajectoires de vie et aux problèmes eux bien réels, j'ai eu l'impression d'assister à un vrai-faux documentaire voyeuriste. Sans parler du fait que Chloe Zhao ne parle jamais de l'éléphant dans la pièce : le grand capitalisme qui a pourtant mis son héroïne à la rue – ou plutôt dans un van – du jour au lendemain. Un long et lent malaise.
9/ Halloween Kills, de David Gordon Green
J'ai déjà dit tout ce que j'avais à dire sur la suite de la suite/reboot du chef d'œuvre de John Carpenter dans ma critique de Halloween Kills écrite peu après sa sortie. Un projet à deux doigts de la malhonnêteté qui dénature la figure du boogeyman ultime en lui greffant sans once de subtilité un discours politique qui n'a rien à faire là. Une créature de Frankenstein qui se permet même de réécrire le passé pour le plier à ses idéaux. Arrêtez-moi ou je repars pour un tour.
À éviter également : Candyman, parce que les deux films, sortis à quelques semaines d'écart, se ressemblent douloureusement. La réappropriation par le méta d'un mythe qu'ils ne comprennent pas ; une volonté de renversement de l'original mais piètrement réalisée et un final grotesque qui transforme d'un coup le Candyman en héraut vengeur de la communauté noire face aux violences policières. Un coup de crochet dans l'eau.
8/ OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire, de Nicolas Bedos
Bien sûr, il y a les blagues potaches, un sens du timing comique imparable ou encore une galerie de personnages impayables. Mais ce qui faisait tout le charme et le sel des deux premiers OSS 117 était la façon dont Michel Hazanavicius se réappropriait les codes du cinéma des années 1950 puis des Sixties pour les détourner et nous livrer deux pièces maîtresses du pastiche à la française – pour creuser le sujet, je vous renvoie vers cette vidéo de la chaîne Calmos. Or, c'est exactement tout ce que n'a pas compris Nicolas Bedos, qui n'utilise jamais le contexte des années 1980 et livre à la place une comédie d'action de son temps, à l'allure proprette, rarement drôle, beaucoup trop longue pour son propre bien et construite n'importe comment. Pire, on sent même un profond mépris pour tous les personnages principaux, OSS 117 en premier lieu, le jeune premier joué par Pierre Niney, puni pour avoir raison, et jusqu'à la femme du dictateur incarnée par Fatou N'Diaye, jetée à la poubelle lors d'un final débectable. Et si la patte de Jean-François Halin ressort par bribes, elle ne parvient pas à sauver l'ensemble du désastre.
À éviter également : Aussi talentueux que soit Alexandre Astier, assurer l'acting, la réalisation, l'écriture, la composition musicale et le montage d'un projet aussi attendu que ce Kaamelott – Premier Volet n'était visiblement pas une très bonne idée. Le film est écrasé sous le poids de ses références, ne sort jamais de son esthétique de série TV, est parcouru d'énormes problèmes de rythme – les flashbacks, pourquoi ? – et, à vouloir inclure l'ensemble de la famille et donner à manger à tous les copains, se perd dans tout un tas de scènes inutiles. On pourrait aussi parler du jeu hystérique de certains seconds rôles – oui Christian, c'est de toi qu'on parle – du montage désastreux et d'étonnants choix esthétiques – les Burgondes en costumes fluos ? – mais le Graal est déjà suffisamment plein, non ?
7/ Godzilla Vs Kong, de Adam Wingard
Souvenez-vous, c'était lors du premier semestre 2021, l'une des périodes cinématographiques les plus troubles de notre temps. Lassé de devoir attendre une réouverture des cinémas dont l'horizon ne cessait de s'éloigner, Warner Bros. décidait d'abandonner les salles pour certains de ses plus gros projets et menaçait de sortir ceux à venir en parallèle sur grand écran et sa plateforme de streaming HBO Max, s'attirant les foudres de réalisateurs stars comme Denis Villeneuve et Christopher Nolan, qui claquera d'ailleurs la porte en septembre pour filer chez Universal. Résultat des courses : trois blockbusters privés de salles obscures chez nous, et après visionnage, on comprend mieux pourquoi : les voici aux trois prochaines places de ce classement. Au-delà de deux scènes de baston que l'on aurait quand même aimé voir autrement que sur sa TV, Godzilla Vs Kong est un film bête comme ses (géants) pieds, qui rame pour donner un semblant d'utilité à des personnages humains aussi insupportables que stéréotypés et règle le problème du grand méchant en renversant du soda sur un ordinateur. Voir deux légendes du cinéma maltraitées de la sorte, ça donne envie de crier sa détresse du haut de l'Empire State Building.
À éviter également : J'ai beau ne jamais avoir joué de ma vie à un Monster Hunter, dans l'adaptation ciné – elle aussi sortie directement en DVD/VOD/streaming chez nous – résonnait la promesse d'un grand film d'aventure au sein d'un univers féérique. Bien entendu, ce cher Paul W.S. Anderson ne fait rien de tout ça, et préfère à la place balancer Milla Jovovich sur un rocher au milieu du désert, pour la faire se battre contre des araignées sorties d'un mauvais Starship Troopers. Il faut attendre la toute dernière partie pour entrapercevoir un début de développement intéressant, teasant une suite qui ne verra jamais le jour. Et dire que ce n'est même pas la pire adaptation de jeu vidéo de l'année…
6/ Mortal Kombat, de Simon McQuoid
À la place, c'est ce Mortal Kombat sauce 2021 qui repart avec le trophée. Un autre film qui n'a pas conscience de sa propre stupidité, tout en se prenant beaucoup trop au sérieux. Un navet pur et simple, déjà mis K.O. par le Mortal Kombat de 1995 signé Paul W.S. Anderson (on y revient). Allez plutôt vous tataner sur MK11 en attendant le 12, ça vaudra mieux.
À éviter également : Plus de bagarre, beaucoup plus de trucs qui explosent, mais au moins autant de blabla inutile dans un Black Widow qui arrive bien trop tard au sein du MCU. Film Marvel moyen par excellence, qui se termine, ô surprise, dans une énième forteresse volante secrète, il a au moins le mérite d'introduire le personnage de Yelena et d'offrir une fin un peu plus digne à la Veuve Noire de Scarlett Johansson. Mais ne nous y trompons pas : tout cela manque globalement d'intérêt.
5/ Wonder Woman 1984, de Patty Jenkins
Nous arrivons enfin au bout de ce tunnel gracieusement sponsorisé par Warner Bros. avec ce qui est sans doute LE plus gros film oublié de cette année : Wonder Woman 1984. Maintes fois repoussé avant d'être bazardé dans l'indifférence générale, cette suite est une anomalie, un concentré de mauvais goût qui nous fait en plus l'affront de s'étaler sur 2h30. Le film a coûté 200 millions de patates mais les effets spéciaux semblent sortir d'un film de série B… de 1984 ; Diana passe de l'Amazone sûre d'elle à la jeune active mal dans sa peau en quête du grand amour ; le plan du grand méchant joué par un Pedro Pascal à moumoute est aussi incompréhensible que les règles qui le régissent. Bref, un supplice taille XXL qui nous donne envie de faire un seul vœu : que tout cela s'arrête, et vite.
À éviter également : Quatre heures d'egotrip snyder-ien, de ralentis interminables, de fonds verts infâmes, de muscles saillants, de cubes de la destinée et que sais-je encore : je ne rajouterai rien sur Zack Snyder's Justice League, dont nous avions discuté avec Gauthier lors d'un Petit Popcast avant que Menraw n'ajoute sa pierre à l'edifice dans sa propre critique, si ce n'est que cette version reste assez nettement supérieur au montage original. La belle affaire. En tout cas, plus de huit mois après le visionnage, j'ai encore du mal à croire que je me suis infligé ça.
4/ Eiffel, de Martin Bourboulon
Le biopic lourdingue dans toute sa splendeur, qui ressasse tous les poncifs du genre et ne nous épargne aucun passage obligé. Pire, Bourboulon passe à côté de son sujet, en ne faisant qu'effleurer les critiques subies de toutes parts à l'époque par le projet et nous fait subir à la place une histoire d'amour en laquelle on ne croit pas une demi-seconde. Peut-être que de faire incarner le même personnage à plus de vingt ans d'écart par une actrice surtout connue pour jouer les lycéennes n'était pas une super idée. En clair, le film passe plus de temps à nous parler de la tour de Gustave que de la Tour Eiffel et se termine par une ultime insulte à l'intelligence du spectateur. De quoi émettre de sérieuses réserves quant au diptyque à venir signé Bourboulon autour des Trois Mousquetaires, malgré son casting de dingue.
À éviter également : Les Éternels, parce que même si les deux films n'ont rien à voir l'un avec l'autre, ils se disputent la palme de la séance durant laquelle je me suis le plus ennuyé cette année. Et puis, alors que j'attendais de Chloe Zhao qu'elle traite ce sujet-ci avec un peu plus de sérieux, quelle ne fut pas ma surprise de devoir encaisser quelques unes des blagues les plus lourdingues et les plus mal amenées du MCU. Pas tout à fait le baptême que j'attendais dans la légendaire et majestueuse grande salle du Grand Rex.
3/ Conjuring 3 : sous l'emprise du diable, de Michael Chaves
Où va le Conjuring-verse ? Et surtout, qui s'en soucie encore ? Huit ans après un premier épisode réalisé par James Wan qui avait réussi à renouveler un cinéma d'horreur en décrépitude, la formule est aujourd'hui plus qu'éculée, rincée par trois Annabelle paresseux, une Nonne nanardesque et une Dame Blanche sans idée. Et ce n'est certainement pas ce troisième volet fait par-dessus la jambe qui va venir bouleverser cet état de fait. Même entre deux ronflements, on arrive à voir venir la résolution de l'intrigue à des kilomètres et, si l'on était déjà habitué à ne plus beaucoup frissonner, on ne sursaute même plus. Tout est sur des rails et pourtant, le train fantôme est en panne.
À éviter également : Dans la famille "Film d'horreur qui n'en est pas un", j'appelle la dernière adaptation cinématographique de la plus grande licence de Capcom. Resident Evil : Bienvenue à Raccoon City n'est rien d'autre qu'un reboot léthargique.
2/ Le Genou d'Ahed, de Nadav Lapid
Ne vous y trompez pas, Le Genou d'Ahed est intrinsèquement un bien meilleur film que tous ceux figurant jusque-là dans ce classement. Mais il figure en bonne place, si ce n'est tout au haut, de la liste de mes expériences en salle les plus traumatisantes. La faute à des parti pris de réalisation très tranchés, notamment de violents mouvements de caméras, latéraux ou circulaires, un ton ultra théâtral et des dialogues autour de la condition des artistes en Israël auxquels je n'étais peut-être pas tout à fait préparé. De quoi chopper instantanément un bon gros mal de crâne, qui ne m'a pas quitté de toute la séance. Un violent rejet comme on en subit heureusement peu et une position forcément beaucoup plus subjective que les autres dans ce flop.
À éviter également : Difficile de trouver un équivalent à une telle sensation de révulsion, mais dans le genre caillou dans la chaussure qui ne vous quitte pas de toute la randonnée, les étranges choix de cadrage et le jeu des acteurs de Old m'ont complètement sortis du film. Sans compter qu'encore une fois, Shyamalan se plante dès qu'il s'agit de donner corps et de construire un récit qui tient la route autour de son concept de base.
1/ Venom : Let The Be Carnage, de Andy Serkis
Que dire qui n'ait pas déjà été dit sur ce film, si ce n'est qu'il est l'un des pires objets filmiques de ce siècle. Un gâchis de temps, d'argent et de talents, que ce soit au niveau du casting que de l'équipe technique. Comment Robert Richardson, directeur de la photographie ayant bossé avec Oliver Stone, Martin Scorsese et Quentin Tarantino, peut accoucher d'une telle immondice visuelle ? Même Tom Hardy, qui a sans doute cru un temps au projet, n'en a plus rien à secouer. Quant à savoir s'il est pire ou meilleur que le premier volet – déjà numéro 1 de ce flop en 2018 – cela reviendrait à comparer deux étrons fumants laissés par un chien tuberculeux au milieu d'un tas d'ordures pour savoir lequel sent le moins mauvais. Le néant cinématographique, un trou noir qui aspire toute matière et toute capacité cognitive. Et ne venez pas me parler de la scène post-générique toute naze, aussitôt résolue par celle de No Way Home. Si même Sony se fout de son héros devenu encombrant, faites comme eux et allez voir ailleurs. N'importe quoi d'autre vaudra mieux que ça.
À éviter également : Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux, pour sa dernière partie, un énième combat final tout en CGI, mal éclairé et mal chorégraphié, syndrome d'un film globalement laid, qui ne rend pas justice aux performances martiales de ses combattants. D'accord on est content de retrouver Tony Leung et Michelle Yeoh, mais on les préfère ailleurs.
Mention spéciale : The Empty Man, de David Prior
Quel dommage que l'un des meilleurs films de genre de ces dernières années ait connu un destin aussi funeste. Projet compliqué ayant mis des années à se faire, produit par la Fox puis enterré par Disney après le rachat du studio par le grand méchant Mickey, The Empty Man a finalement échoué sur Disney+ en mai dernier, immédiatement relégué au fond de catalogue, à l'abri des regards. Un vrai crève-cœur, tant le film est d'une générosité folle. Tour à tour film de possession, slasher à base de légende urbaine, polar, thriller sur fond de secte occulte, film de monstre avant de partir dans le mystique, The Empty Man n'est jamais là où on l'attend, enchaînant les fausses pistes et les retournements de situation imprévisibles. Le résultat est un brin foutraque et difficile à suivre, surtout en s'étalant sur 2h15, mais donne à voir quelque chose de véritablement neuf et revigorant, dont une poignée de scènes parmi les plus glaçantes de l'année.
À voir aussi : The Nightingale, un autre film de genre qui n'a pas eu le destin qu'il méritait. Proposé en festivals dès 2018, il n'est sorti qu'en mars chez nous… en DVD/VOD. Âpre, éprouvant, poisseux, ce vrai faux rape & revenge dans la Tasmanie du début du XIXe siècle détourne les codes du genre à mi-parcours pour se recentrer autour de la relation entre deux personnages principaux qui ont tout perdu, elle ancienne détenue irlandaise, lui aborigène et dernier représentant de son clan. Le tout porté par une réalisation et une interprétation sans failles.
Top 10 : les meilleurs films de 2021
10/ Drive My Car, de Ryusuke Hamaguchi
Sans vraiment le vouloir, j'avais tendance à démarrer mes top 10 par des films grand public, accessibles voire carrément pop-corn. Soit exactement tout ce que n'est pas Drive My Car, que l'on pourrait résumer de façon caricaturale en : trois heures de blabla autour de la vie, l'amour, la mort, et les traces que l'on laisse derrière nous. Vous vous en doutez, ce prix du scénario à Cannes n'est pas aussi caricatural. S'il met aussi longtemps à développer ses thématiques, c'est pour nous en laisser apprécier la gravité, et parce que ce rapprochement à l'écran de deux personnages aussi meurtris à l'intérieur et aussi introvertis prend forcément du temps. Par ses nombreuses scènes de voiture, Drive My Car épouse presque la forme du road movie pour proposer un voyage introspectif, sans réelle destination. Un film qui mériterait d'être revu encore et encore pour entrevoir l'entièreté de son discours, de l'impossibilité du deuil à l'universalité du langage en passant par le poids de ces mots qui ont parfois tant de mal à sortir. Un futur objet d'études fascinant.
À voir aussi : Cette musique ne joue pour personne, film qui tourne lui aussi sur l'omniprésence essentielle de la culture, sous n'importe quelle forme, et son caractère indispensable en tant que bouée de sauvetage pour toute une galerie de personnages dérivant sur l'océan de la vie, incarnés par un casting au top (avec une mention spéciale au binôme Bouli Lanners / JoeyStarr). Un très beau film mélancolique.
9/ Un héros, de Asghar Farhadi
Entrée (très) tardive pour un film sorti chez nous en toute fin d'année après avoir décroché le Grand Prix (ex æquo) à Cannes, qui nous emmène dans un tourbillon de destins entremêlés comme Asghar Farhadi adore en tisser. Cette fois-ci, tout tient en équilibre précaire à la frontière de la vérité et du mensonge, entre petits arrangements avec la réalité, pseudo modèle de vertu érigé bien trop vite sur un piédestal bien trop haut, instrumentalisation des instances dirigeantes, égos blessés et honneurs bafoués. Une succession de petits riens qui finissent par former un grand tout et déconstruire une figure qui n'avait pas lieu d'exister. Le fatalisme ? Non, juste une série de décisions conscientes prises à demi-mot.
À voir aussi : De l'Iran à la Roumanie, pour un autre fait-divers réel, bien plus tragique celui-là, qui s'est propagé jusque dans les plus hautes sphères de l'État. Documentaire filmé au plus près de ses protagonistes, L'Affaire Collective se suit comme un thriller sur fond de scandale sanitaire, avec au centre du scénario un journaliste d'investigation déterminé et un ministre de la santé fraîchement débarqué, dont la candeur et la naïveté vont vite se transformer en stupeur et résignation. Un pamphlet anti-corruption qui donne la rage et fait froid dans le dos.
8/ Annette, de Leos Carax
Leos Carax sait se faire désirer. Neuf ans après un Holy Motors adulé des cinéphiles avertis – un peu moins par votre serviteur – le cinéaste culte était de retour à Cannes et en salles avec un projet aussi farfelu que lui : une comédie musicale basée à Los Angeles, co-écrite et composée par le duo anglais tout aussi culte Sparks, articulée autour du couple Adam Driver (dans son meilleur rôle) / Marion Cotillard, leur fille (la Annette du titre) et un troisième personnage de chef d'orchestre incarné par Simon Helberg, le Howard de The Big Bang Theory. Le résultat, bien qu'assez pessimiste sur la condition humaine, est paradoxalement réjouissant, tant il fait la part belle aux effets pratiques et à une mise en scène épurée. Artiste de l'ombre par excellence, Carax prouve aussi qu'il a passé ces dernières années les yeux grands ouverts derrière ses lunettes de soleil fétiches, à constater les dérives du star system, la masculinité toxique à Hollywood, le mouvement #MeToo ou encore l'instrumentalisation des enfants stars. Si le propos se délite parfois dans quelques longueurs, Annette a le bon goût d'être encadré par l'une des meilleures intros de l'année, qui fait immédiatement voler en éclat le quatrième mur, et une scène finale déchirante. Comme un excellent album que l'on aurait envie de relancer illico.
À voir aussi : Les Olympiades, signé d'un autre monstre sacré du cinéma français contemporain, Jacques Audiard. Maître dès qu'il s'agit de transformer un espace lambda en environnement anxiogène, il prend cette fois la tangente inverse, en magnifiant un quartier de Paris que l'on n'aurait jamais pensé aussi cinégénique, grâce notamment à une photo en noir et blanc à tomber par terre. Et que dire du trio de personnages principaux, notamment les révélations Lucie Zhang et Makita Samba, dont les errances existentielles, professionnelles, sentimentales et sexuelles nous vont droit au cœur.
7/ La Loi de Téhéran, de Saeed Roustayi
N'ayons pas peur de commencer ce paragraphe par une phrase toute faite : vous n'avez jamais vu un polar comme La Loi de Téhéran. Parce que dans la foulée d'une intro terrifiante de froideur, le deuxième film iranien de ce top se concentre moins sur la traque du sempiternel grand baron de la drogue par le flic implacable, que sur la confrontation entre ces deux personnages, au sein d'un poste de police transformé en cocotte-minute. Prenant pour cadre une triste réalité en Iran, où presque un habitant sur dix est accro au crack (oui, ça parait fou) le film étouffe ses spectateurs et ses personnages, tous en sursis, tout en parvenant à nous rendre tangible un système policier et judiciaire dont les maîtres mots sont la rapidité d'exécution et l'exemplarité. Des extérieurs servant de repères aux toxicos tout droit sortis de films post-apocalyptiques aux cellules bondées où la misère suinte, La Loi de Téhéran est une leçon de mise en scène et de montée en puissance dramatique.
À voir aussi : Boîte noire, qui a longtemps fait partie de ce top avant d'en être éjecté dans la dernière ligne droite. Tout simplement le meilleur thriller français de l'année, jouant habilement avec notre ressenti autour du personnage de Pierre Niney, avec un vrai soin apporté au sound design. Une œuvre documentée, puissante et finalement angoissante, par les éventuelles dérives qu'elle pointe du doigt.
6/ Le Peuple loup, de Tomm Moore et Ross Stewart
Fans d'animation réjouissez-vous, car c'est un joli trio qui vous attend aux quatre prochaines places. On attaque par un sublime conte irlandais à la direction artistique toute en nuances automnales qui rivalise d'inventivité visuelle en jouant sur une incroyable diversité de registres. Le sens du détail, le travail sur les perspectives, le sens caché derrière la géométrie des personnages et des environnements : tout devant nos yeux est bluffant. On se prend à rêver comme des petits enfants face à cette ode au retour à la nature, jamais gnangnan, auréolée d'un très bel appel à la tolérance et d'une réinterprétation de la cellule familiale, ce qui n'est pas banal dans un film destiné en priorité à un jeune public.
À voir aussi : Luca, car même s'il n'a pas la même portée, ou celle que l'on peut attendre d'un bon Pixar, il livre également un récit initiatique touchant de pré-adolescents en pleine découverte du monde. Un film mineur du studio, mais attendrissant. Et puis ça donne aussi envie de partir en vacances.
5/ Le Sommet des Dieux, de Patrick Imbert
Pourquoi vouloir aller toujours plus loin, toujours plus haut, repousser les limites de ce dont le corps humain est capable, de ce que le commun des mortels peut comprendre. Cette quête de sens, éternelle, universelle et obsessionnelle, c'est ce que porte à l'écran cette adaptation française du manga de Jirô Taniguchi – le génial auteur de Quartier Lointain. Jamais un film d'animation ne nous aura fait ressentir à ce point le souffle épique de ces ascensions durant lesquelles la mort guette à chaque coup de piolet, ni même le vertige, au sens propre comme au figuré, face à des paysages poussant à la contemplation et à l'introspection. Le pic d'émotions, lui aussi, atteint des sommets.
À voir aussi : 14 x 8000 : Aux sommets de l'impossible, documentaire Netflix retraçant l'improbable défi que s'est lancé l'alpiniste Nims Purja : gravir en sept mois les 14 sommets culminants à plus de 8 000 mètres d'altitude, là où le précédent record est de sept ans. Une leçon de bravoure et de détermination, qui s'évertue qui plus est à remettre à sa juste place la contribution des sherpas népalais dans l'histoire de l'alpinisme mondial.
4/ West Side Story, de Steven Spielberg
Ô Dieu du cinéma, pardonne-moi car j'ai pêché. Oui, je le reconnais, j'ai douté de ton fils Steven Spielberg après son désastreux Ready Player One. Et quand j'ai appris qu'il travaillait sur une nouvelle version de West Side Story, près de soixante ans après la première adaptation cinéma par Robert Wise de ce standard de Broadway, je m'en suis poliment désintéressé. Par indifférence pour le genre de la comédie musicale, mais aussi pour l'œuvre en elle-même, vue sans doute trop tôt et dans de mauvaises conditions. Entretemps, j'ai appris à (re)découvrir l'œuvre de Tonton Steven, prêchant en sa faveur tantôt en stream, tantôt par écrit. Et puis est arrivée la bande-annonce de son West Side Story, dont je ressens encore les frissons rien que d'y penser. Ces mêmes frissons qui ont parcouru mon corps deux heures et trente minutes durant : du premier plan, étalage discret – comme toujours chez Spielberg – de sa maîtrise de la mise en scène, à la dernière scène, qui affirme Rachel Zegler en tant que révélation magistrale pour son tout premier rôle, en passant par une scène de bal qui m'a ému quasiment jusqu'aux larmes. Bien sûr, on connait par cœur cette histoire de Roméo et Juliette new yorkais ; oui, l'histoire d'amour est toujours aussi naïve et non, Ansel Elgort ne s'est soudainement pas métamorphosé en James Dean. Mais quelle leçon de cinéma, de composition de plan, de photographie ! Là où certains jouent la carte du cynisme pour ne faire avec du vieux… que du vieux en moins bien, Steven Spielberg se réapproprie et modernise un mythe, et ce à plus de 70 ans. Non, plus jamais je ne douterai.
À voir aussi : S.O.S. Fantômes : L'Héritage, pour sa capacité à développer de nouveaux personnages – notamment celui de McKenna Grace – et à les relier intelligemment à la série. Dommage que le film se prenne un peu les pieds dans le tapis de l'hommage béat à Harold Ramis, dans une scène finale qui fonctionne émotionnellement mais beaucoup moins dans le ton et la construction.
3/ Les Mitchell contre les machines, de Michael Rianda et Jeff Rowe
Si vous cherchiez en No Way Home le successeur spirituel à Spider-Man : New Generation, mieux valait jeter un coup d'œil à la place à Mitchell contre les Machines, dernière pépite de Sony Pictures Animation, malheureusement privée de sortie en salles par le studio et refilée à Netflix. En épousant le point de vue de Katie, la fille de la famille qui se rêve en cinéaste, le film est un concentré d'idées comme il n'en existe aucun autre, qui utilise à merveille la culture Internet dans toute sa créativité, sa folie et surtout son grand n'importe quoi. Les memes pleuvent, l'action ne s'arrête jamais, le cadre est constamment rempli et pourtant, le film reste toujours sur le bon tempo, sans sombrer dans l'hystérie. Si le point de départ de la famille dysfonctionnelle partant pour un road trip à travers le pays n'a rien de nouveau en soi – on pense très vite à Little Miss Sunshine – leur évolution est ici tellement réjouissante et tellement en phase avec notre temps qu'elle prend une toute autre dimension. Surtout, l'idée finale n'est pas de corriger ce qui les rend différent pour les faire rentrer dans le moule, comme cela arrive bien trop souvent, mais de les faire embrasser leur bizarrerie. Une réussite à tous les niveaux, jusqu'au générique final beaucoup trop trognon, que l'on vous implore de regarder jusqu'au bout.
À voir aussi : Encanto, la fantastique famille Madrigal, pour la thématique familiale bien sûr, même si elle est traitée ici via l'angle opposé : le huis-clos (ou presque). L'enchantement vient alors de l'utilisation de l'architecture (magique) de la maison, personnage à part entière qui cachant une diversité d'environnements insoupçonnés pour presque autant de genres (aventure, épouvante, teen movie) qui se succèdent dans un déluge de couleurs. Ah oui, et même les chansons sont sympas.
2/ Onoda – 10 000 nuits dans la jungle, de Arthur Harari
Existe-t-il une thématique plus cinématographique que l'obsession ? Elle est en tout cas de celles qui produisent les plus beaux récits, jusqu'au-boutistes, tragiques, à la fois pour le personnage concerné mais aussi ceux qu'il entraîne avec lui dans sa descente aux enfers. Tirée de l'histoire vraie de ce soldat japonais envoyé en 1944 sur une île des Philippines et qui y restera près de trente ans après la fin de la guerre – les fameuses 10 000 nuits du titre – Onoda est d'abord un projet presque aussi dément que son sujet : un film français de presque trois heures tourné en décors naturels avec des acteurs japonais. Pourtant, sous la couche du monstre de festival se cache un film total, qui n'en devient que plus beau et plus magistral au fil des minutes, lorsqu'il finit par capter l'essence du rien, de l'attente, de l'absurde. Un film exigeant, parce que l'aventure qu'il dépeint est avant tout intérieure, à deux doigts du naturalisme. Au final, 10 000 nuits, ce n'est presque pas assez pour capter tout ce qu'Onoda a à offrir.
À voir aussi : 5e Set, un autre film sur l'obsession donc, celle d'un tennisman français impeccablement incarné par Alex Lutz, ancien jeune espoir du circuit, qui risque tout pour intégrer une dernière fois le tableau final de Roland-Garros. Non content d'offrir une vision juste et sans fard du quotidien d'un joueur de seconde zone, son réalisateur Quentin Reynaud parvient, fait rare, à proposer de vraies bonnes scènes de tennis, crédibles et remplies de tension. Jusqu'à un final qui doit beaucoup à The Wrestler.
1/ Illusions Perdues, de Xavier Giannoli
Elle est finalement là, la plus belle surprise de 2021. De Xavier Giannoli, je n'avais rien vu avant celui-là ; de Balzac – honte à moi – je n'ai toujours rien lu à ce jour ; de Benjamin Voisin, je n'avais pas une haute opinion après sa première prestation remarquée dans le maniéré Été 85 de François Ozon. Et puis, la magie a opéré, sous la forme d'un tourbillon narratif de 2h30 – oui c'était aussi l'année des films (très) longs – qui m'a donné plus d'une fois le vertige. La virtuosité avec laquelle Giannoli parvient à nous immerger au sein de micro-sociétés tentaculaires en une simple scène ou un simple plan tient du miracle. Et même lorsque la caméra marque une pause dans sa danse passionnée, les joutes oratoires ciselées prennent le relais pour faire vibrer le palpitant. On pourrait s'arrêter à la mise en scène, s'il n'y avait pas ce parallèle évident mais néanmoins grandiose entre cette frénésie littéraire et journalistique du XIXe siècle et les dérives actuelles d'un entre-soi parisien rompu aux jeux de pouvoir, à l'heure des fake news et des micro-polémiques incessantes montées de toutes pièces. Un film essentiel, qui nous rappelle qu'avec un peu d'ambition et en respectant son public, le cinéma français peut toujours nous proposer de grandes œuvres populaires.
À voir aussi : Benedetta, une autre histoire de manipulation, de mensonges et de faux semblant, par l'un des maîtres du genre, ce bon vieux Paul Verhoeven, et portée par une Virginie Efira effrayante en nonne lubrique illuminée.
Voilà, c'est tout pour 2021, et c'est déjà pas mal. Continuez de regarder des films, bons ou mauvais, n'ayez pas peur d'être surpris, de bousculer vos habitudes et de tenter de nouvelles choses. Cultivez votre imaginaire, évadez-vous et surtout, faites-vous plaisir. On se retrouve dans un an pour un nouveau bilan, en espérant que 2022 soit une année aussi faste que la précédente. Alors lors des douze prochains mois et depuis ses premiers pas :
Crédit photos : Allocine