Scott Pilgrim vs. the World est un film réalisé par Edgar Wright sorti en 2010. Mais avant cela, comme c'est souvent le cas de nos jours, Scott Pilgrim était un comics écrit et dessiné par Bryan Lee O'Malley. Ce qu'a réussi le premier en reprenant le deuxième est simple : la meilleure adaptation de comics en film, qui restera à jamais au panthéon.
Nous en sommes aujourd'hui à la phase 4 de l'univers Marvel adapté au cinéma et en séries. Cette phase nous a donné du bon, à l'image de la série Loki sur Disney+, comme du mauvais ou du passable. Il faut dire qu'après la claque Avengers : Infinity War, il était difficile de relancer la machine sans prendre un peu d'élan. Et ce n'est pas le style et le fan-service débridé de Spider-Man No Way Home qui est venu bouleverser la donne. Le problème dans tout ça ? Même 14 ans après le premier Iron Man, Marvel est vaincu. Et le restera. Pourquoi ? Parce que l'adaptation parfaite d'un comics au cinéma, un film bien mené qui sait autant tenir sur ses propres jambes qu'être un véritable éloge à l'œuvre qui l'inspire, existe déjà. Ce film est Scott Pilgrim vs. the World, réalisé par Edgar Wright et sorti au cinéma en 2010.
If your life had a face, I would punch it
Pour le comprendre, il faut d'abord se tourner du côté du matériau original : Scott Pilgrim, le comics. L'œuvre est signée Bryan Lee O'Malley, un dessinateur et auteur canadien bien geeky comme on aime, qui après avoir fait quelques petits boulots çà et là pour l'éditeur américain indépendant Oni Press a eu le droit de créer son tout premier roman graphique : Lost At Sea. C'est dans ce premier ouvrage que l'on découvre le style très particulier du dessinateur : des dessins qui sont à la marge des comics américains, car beaucoup plus influencés par les plumes des mangakas japonais. Avec tout de même un petit truc en plus, qui à bien des égards rappelle aussi les traits des comic strips américains. Surtout, on y découvre l'univers de Bryan Lee O'Malley. L'unique tome de Lost At Sea raconte l'histoire d'une jeune femme de 18 ans, Raleigh, qui est persuadé que son âme a été volée par un chat et qui malgré sa timidité part en road-trip avec des camarades de classe qu'elle connaît à peine. Onirique, pensif, doux-amer, le récit adolescent et introspectif de Bryan Lee O'Malley se montre aussi innocent que touchant, en dépit de son apparente légèreté et ses nombreuses références pop culture.
C'est avec ce premier projet réussi qu'il travaille ensuite sur Scott Pilgrim. L'influence japonaise se fait d'autant plus présente, puisqu'il a pour but de suivre les carcans des shonen de ses homologues nippons et y ajouter son propre univers. Cela se voit directement dans sa première impression de 2004 à 2010, puisque la série Scott Pilgrim reprend le format de poche des mangas japonais et est dessinée intégralement en noir et blanc. Plus portée sur l'humour, elle raconte l'histoire de Scott Pilgrim, jeune homme au début de sa vingtaine, qui tombé amoureux de Ramona Flowers doit vaincre les sept ex maléfiques de sa flamme pour avoir la possibilité de sortir avec elle. Les personnages sont inspirés de certaines de ses connaissances, notamment sa sœur. Les lieux mis en scène sont sa maison d'enfance, le château populaire local, la salle de concert du coin. Mais surtout, les références pop culture et musicales fusent, le nom du personnage principal venant même du titre éponyme par le groupe Plumtree. La chanteuse du groupe la décrivait comme "positive mais doux-amer" ; parfaite pour le style de Bryan Lee O'Malley, donc. En six tomes, Scott Pilgrim est devenu un phénomène dans la scène indépendante des comics, au point de faire partie de la liste des best sellers du New York Times.
Open your eyes, maybe you'll see
En 2004, Edgar Wright vient de finir son premier grand film : Shaun of the Dead. C'est pendant ce tournage qu'il découvre le premier tome de la série, baptisé Scott Pilgrim's Precious Little Life, et tombe amoureux du comics. Il imagine déjà certaines scènes en film, et voit Michael Cera comme le parfait Scott Pilgrim… bien qu'encore un peu jeune. Bryan Lee O'Malley de son côté n'est pas convaincu par le fait qu'Oni Press revende déjà les droits d'adaptation de son premier tome, mais a bien besoin d'argent. Et puis… l'histoire s'arrête là pour un temps : les astres ne sont pas encore alignés. Edgar Wright part créer Hot Fuzz, second film de ce qui sera "La trilogie Cornetto", pendant que Bryan Lee O'Malley continue sa propre série.
C'est quelques années plus tard qu'Edgar Wright et Bryan Lee O'Malley se retrouvent et commencent sérieusement à travailler sur l'adaptation. Car oui, c'est un des premiers points importants de cet argumentaire : l'auteur original a été intégré à la production du film dès le départ. Plus encore, les deux hommes deviennent très rapidement amis. Rien d'étonnant là-dedans : dans le travail des deux créateurs, on retrouve la même idée de proposer des personnages qui voient le monde par le prisme de la pop culture, et développent leurs propres références au sein d'un groupe d'amis atypiques. L'enthousiasme presque enfantin d'Edgar Wright se lie à la bizarrerie mélancolique de Bryan Lee O'Malley pour former une plateforme créative sur laquelle les deux esprits peuvent fournir le meilleur d'eux-mêmes. Du début à la fin du projet, le duo sera inséparable : Bryan Lee O'Malley rédige des lignes de dialogues, dessine des éléments du décor, influence la performance des acteurs… Edgar Wright lui délivre un espace sur lequel il peut se révéler en toute confiance. Même la sœur de l'auteur a participé au projet : elle a retrouvé le badge qu'elle portait en étant barista et l'a offert à Anna Kendrick pour jouer son rôle.
C'est là que l'obsession presque maladive d'Edgar Wright pour l'image a donné son meilleur. Désormais assez vieux, Michael Cera devient le parfait Scott Pilgrim. Pour trouver la parfaite Ramona Flowers, il faut une actrice qui puisse retranscrire à merveille son regard par lequel toutes ses émotions transparaissent. Au prix de nombreuses moues étranges, Mary Elizabeth Winstead remporte aisément le rôle. Des acteurs encore peu connus ou en pleine explosion dans le milieu du cinéma rejoignent rapidement le casting, comme Brie Larson qui deviendra Captain Marvel, Kieran Culkin qui campe aujourd'hui Roman Roy dans la série Succession, ou encore Aubrey Plaza dont l'aura caustique a capturé les spectateurs de Parks and Recreation. Même Chris Evans, ancienne Torche devenue Captain America, fait partie de ce casting incroyable. On le qualifierait de "casting d'ensemble" aujourd'hui, mais en 2010, il était encore composé de jeunes adultes talentueux en quête de reconnaissance.
We are Sex Bob-Omb
Voilà pour la pré-prod, mais il reste tout un film à tourner et monter. L'histoire de Scott Pilgrim tient grâce à son groupe d'amis, tous des jeunes adultes dans leur monde, sarcastiques et absurdes à la fois, qui ont leurs propres références et leurs propres mentalités. Bryan Lee O'Malley est un expert pour créer ces personnages, cette ambiance de groupe, mais la transposer en film est plus difficile qu'on ne pourrait le croire. Surtout lorsque tant d'acteurs interagissent en même temps. Pour créer cela, Edgar Wright a donc eu la bonne idée de créer une sorte de colonie de vacances durant laquelle tous les acteurs se sont entraînés ensemble pour réussir les scènes d'action. Et ça paye : à l'écran, on ressent leur camaraderie. Les acteurs jouent leurs personnages fictifs, mais leurs liens sont bien réels et crèvent l'écran. Comme dans le comics, on reste donc totalement happé par le groupe et sa dynamique.
C'est d'autant plus vrai que les lieux sont bien réels. Bryan Lee O'Malley a dessiné de véritables maisons, de véritables lieux ? Très bien : Edgar Wright les a retrouvés, et y a tourné ses scènes. Certains endroits comme la salle de concert ont fermé entre temps ? Pas de souci : on les recrée à l'exact, au point que l'auteur original soit frappé de nostalgie en arrivant sur le plateau. Mais surtout, surtout, l'adaptation a fait un choix fort malgré le côté loufoque et définitivement "comics" de ses batailles : que les scènes d'action soient majoritairement réalisées par le casting lui-même, et pas par des cascadeurs professionnels. Pas de fête aux CGI pour la baston ; toute l'équipe s'engage pleinement dans toutes les scènes. Un travail fastidieux, épuisant physiquement et mentalement, mais qui fait de Scott Pilgrim vs. the World une œuvre qui repose sur l'intégralité de son équipe, et lui confère une aura d'honnêteté et de naturel rare. L'inventivité de l'équipe de cascadeurs menée par Brad Allan (qu'on retrouvera ensuite sur les films Kingsman et Shang-Chi, rien que ça) est d'ailleurs aussi à saluer, sans quoi nous n'aurions pas cette scène inoubliable de créativité et d'humour. Des cadres mesurés à la perfection, des transitions inventives, des cascades innovantes : Edgar Wright a une nouvelle fois mis tout ce qui fait de lui l'un des meilleurs réalisateurs de sa génération dans ce film. Et ça paye.
Il est allé se surpasser face au contexte musical de l'histoire originale. Scott fait après tout partie d'un groupe indé méconnu, quand son ex démoniaque est la tête d'affiche d'un groupe à grand succès. Le groupe de potes est aussi et surtout un groupe de musique. Dans le comics, des paroles sans queue ni tête flottent au dessus d'un garage band clairement orienté indie rock. Mais comment réussir à retranscrire ça à l'écran ? En faisant appel à un musicien garage band clairement orienté indie rock, qui est capable de faire de la magie avec des paroles sans queue ni tête. Celui qui chantait en 1994 "I'm a loser baby so why don't you kill me?" : Beck Hansen. Aux musiques bien réelles déjà référencées par Bryan Lee O'Malley dans son comics, le musicien californien ajoute ses propres compositions pour les musiques du groupe, quand les acteurs apprennent chacun leur instrument et les partitions jusqu'à pouvoir les sortir sur commande. Brie Larson chante d'ailleurs elle-même sa reprise de Black Sheep par Metric. Comprenez-le bien : que le faux groupe baptisé Sex Bob-Omb ait uniquement joué devant des caméras n'empêche en rien le fait qu'ils aient vraiment joué leur musique. Pendant quelques mois de tournage, les acteurs ont été un groupe d'amis qui montent leur propre groupe de musique.
Échange de bons procédés : suite au film, Edgar Wright a réalisé le clip Colors pour Beck en 2018, avec Alison Brie à la danse. Qui est venue, en amie, remplacer sous deux jours l'actrice originale qui a hélas dû abandonner. La liste de potes est massive.
I want her to geek out on us
Que reste-t-il à rajouter à tout cela ? La magie d'Edgar Wright, bien sûr, qui ici peut particulièrement s'amuser sur la post-production. Le maître des transitions dynamiques a profité du contexte comics et des multiples références lancées par Bryan Lee O'Malley pour draper l'intégralité du film d'un univers graphique inspiré des jeux vidéo et des comics. Des bulles de dialogue, des emojis, des barres de vie : chaque image fourmille de petites idées saupoudrées tout au long des quasi deux heures du film. On pourrait presque le qualifier de précurseur, puisque ces préceptes de montage sont maintenant la base de toutes les vidéos YouTube actuelles. Et c'est aussi ce qui fait de Scott Pilgrim vs. the World une œuvre qui s'apprécie toujours autant sur de multiples visionnages. Son rythme très rapide permet de le dévorer sans même y réfléchir, et d'avoir un spectacle son et lumière aussi resplendissant que moderne. Comme pour chaque film du réalisateur, on s'amuse à trouver chaque référence, chaque attention dans chaque plan, comme tous ces X cachés tout au long du film ou cet interrupteur placé très haut pour renforcer l'hésitation de Scott en s'approchant de Ramona.
Finalement, on se rend compte que le film, au même titre que le comics, n'est pas qu'un simple délire semi-adolescent qui se repose avant tout sur des lumières flashy et des références connues de tous. C'est une histoire de trio amoureux qui, au milieu de toutes ses vannes et ses scènes d'action, arrive à toucher le spectateur sur bien des points. Certains y trouvent une ode aux personnalités hors du commun, d'autres ciblent le besoin d'expérimenter avant de trouver le véritable amour, et l'on comprend tous plus généralement un message doux sur le fait de réussir à respecter les autres et soi-même. De ne pas laisser le passé influencer l'avenir, particulièrement si le passé de notre moitié nous effraie. Le film est en vérité assez honnête et accessible pour que chacun y trouve d'autres messages plus personnels. Que vous souhaitiez le voir comme un film pop-corn ou un film plus intelligent qu'il n'y paraît, Scott Pilgrim vs. the World a toujours quelque chose à vous offrir.
I'm in lesbians with you
Alors oui : l'adaptation a dû faire des sacrifices. Beaucoup de sacrifices, puisqu'elle prend bien des éléments des six volumes du comics original pour créer l'intégralité de son scénario, mais a dû en laisser énormément de côté. Pour donner un gros exemple très parlant, parmi tant d'autres disponibles : Scott et Ramona emménagent ensemble dans le comics, le combat contre Roxie se passe dans leur jardin et n'a pas du tout la même résolution. Vous pouvez imaginer à partir de là à quel point le comics est différent du film. Mais à l'image d'Umbrella Academy, c'est aussi une force : cela permet aux lecteurs des comics de découvrir quelque chose de différent, et donne une bonne excuse aux amateurs du film de se plonger dans le comics.
Scott Pilgrim vs. the World est une adaptation unique en son genre. Un film écrit et dirigé par le réalisateur et l'auteur original devenus potes entre temps, dont la bande-son est gérée par le musicien qui est la personnification du mouvement musical mis en avant dans le comics, qui a attiré un casting devenu pour la plupart d'immenses stars de notre génération… et dont tous les membres ont ajouté leur petite touche personnelle et ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour en faire un film rare. Toutes les étoiles se sont alignées au cours de sa création, et ce n'est pas quelque chose que l'on a souvent vu dans les live action adaptés de comics, ni que l'on reverra aisément à l'avenir. Oui, Scott Pilgrim vs. The World a fait un four colossal à sa sortie au box-office. Et est devenu un film culte au cours des mois et des années suivants. Au point que pour son dixième anniversaire, il reçoive même l'honneur de connaître une ressortie remasterisée en Blu-Ray 4K HDR. C'est la preuve de sa différence, de sa qualité, et de son aura.
Scott Pilgrim vs. the World est et restera à jamais la meilleure adaptation de comics au cinéma grâce à cela. Il est le produit parfait de toutes ses influences et manipulé par les créatifs les plus en phase de leur génération. Un miracle du cinéma qu'aucun de ses concurrents formatés ne peut revendiquer.