Mortal Kombat. Ahem, pardon. MORTAAAL KOMBAAAAAAAT !!! Émergée du NetherRealm en 1992 – quelle grande année – au sein du feu studio Midway via les esprits dérangés des deux sales gosses Ed Boon et John Tobias, la série fait aujourd'hui partie des plus vénérables et des plus populaires franchises de jeux de combat. Depuis le début des années 2010, elle vit même un nouvel âge d'or. Avec un reboot sobrement baptisé Mortal Kombat et deux épisodes X et XI qui ont remis au centre de l'arène l'ADN de la saga tout en lui offrant un impressionnant lifting graphique, MK est sorti de son carcan de défouloir pour gosses américains attardés en mal d'hémoglobine, pour enfin devenir une référence en termes de baston. De quoi lui offrir une véritable légitimité esport et une présence régulière à, l'EVO, la Coupe du Monde des jeux de combat organisée chaque année.
Deux périodes bien différentes qui coïncident sans surprise avec les mises en chantier d'adaptations cinématographiques. Les deux premières, Mortal Kombat et Mortal Kombat : Destruction finale, débarquées chez nous entre 1995 et 1997 font à la fois figure de nanars taille patron et de fabuleux objets de fascination de la part de fans qui les vénèrent pour tout un paquet de mauvaises raisons. La troisième, intitulée… Mortal Kombat (un peu d'originalité les gens que diable !), après moult reports dus à vous-savez-quoi, est sortie le 23 avril dernier aux États-Unis, à la fois en salles et sur HBO Max et sera disponible à l'achat digital dans nos contrées le 12 mai. Une nouvelle version plus sombre, plus sérieuse, plus """réaliste""" (avec trois guillemets, oui), plus ambitieuse aussi, avec notamment James Wan (Aquaman, les franchises Saw et Conjuring) à la production. À mille lieux de l'autre navet de 1995 donc… ou pas. Et quelle meilleure façon d'en avoir le cœur net que de les faire s'affronter directement, dans un combat en cinq rounds constituant autant de critères sélectionnés avec soin. Le tout, bien sûr avec la mesure, la bonne foi et la rigueur qui nous en incombent. Mortal Kombat (1995) Vs Mortal Kombat (2021) : fight !
[Attention : à partir de ce point, de légers spoilers concernant les intrigues des deux films peuvent apparaître. Vous voilà prévenus.]
Round 1 – Casting : Christophe forever
Avant même de lancer l'un ou l'autre des deux films, jetez un œil à l'affiche de l'épisode de 1995. Que voyez-vous ? Non, en-dessous du gros dragon. Voilà. Est-ce bien nécessaire d'argumenter quand les deux noms imprimés en gros caractères sont ceux de Paul W.S. Anderson à la réalisation et de Christophe Lambert dans l'un des rôles principaux ? Histoire de vous rafraîchir la mémoire, le premier est l'un des plus grands cinéastes de ces trente dernières années (sic), responsable des pires – et donc des meilleurs – épisodes de la saga Resident Evil, ainsi qu'entre autres chefs‑d'œuvre récents, des Trois Mousquetaires et de Pompéi. Quant au second… bah c'est Christophe Lambert quoi ! Connor MacLeod (du clan MacLeod), Vercingétorix, le Tarzan de Greystoke ou encore Beowulf ! Et puis ce rire entré dans l'histoire du cinéma…
D'autant qu'ici, il est en roue libre, parfaitement à l'aise dans son costume La Foir'Fouille de Raiden, dieu du tonnerre et personnage mythique de la série. Il est le Monsieur Scénario du récit, celui qui sert à expliquer les lois qui régissent l'univers du film, qu'il balance en de longs monologues entre – littéralement – deux éclairs. Ajoutez à cela quelques bonnes têtes de séries B de l'époque, comme Bridgette Wilson en Sonya Blade, un Cary-Hiroyuki Tagawa cabotin dans le rôle du grand méchant Shang Tsung ou Talisa Soto (la James Bond Girl latina de Permis de tuer) dans la combinaison en latex de Kitana et vous obtenez déjà de quoi décrocher quelques sourires.
Quoi qu'il en soit, ça a toujours plus de tronche que la distribution de 2021. Je n'ai absolument rien contre Simon McQuoid, qui dirige ici son premier film, mais sa fiche Wikipédia anglaise tient en une ligne et fait état d'un vague passé de réalisateur de publicités alors que son profil Allociné est vierge de photo. Et je vous fais cadeau de Lewis Tan dans la peau de Cole Young, personnage principal créé de toutes pièces pour les besoins du film. Non apparemment, 75 personnages originaux dans lesquels piocher, ce n'était pas assez. Les fans de la série HBO Warrior (dont fait partie votre serviteur) reconnaîtront sans doute Joe Taslim en Sub-Zero et les amateurs de gros requins tiqueront peut-être en apercevant une Jessica McNamee à la carrière déjà proche de la noyade, trois ans après En eaux troubles. Pour le reste, il faudra se contenter d'un Hiroyuki Sanada impeccable mais beaucoup trop rare en Scorpion. Au moins cela nous aura-t-il permis de découvrir que ce dernier ferait un très bon Jin pour une autre adaptation de jeu vidéo à venir, celle de Ghost of Tsushima. Vous l'avez compris : le point part en 1995.
Round 2 – Scénario : bienvenue à Nanarland
Hey mais au fait, ça parle de quoi Mortal Kombat ? Le problème, quand on choisit d'adapter un jeu de combat créé au début des années 1990, c'est que le synopsis a de bonnes chances de tenir sur un post-it. Un souci qui peut aisément se transformer en avantage non négligeable lorsque l'on est un scénariste en mal d'inspiration, un producteur peu scrupuleux ou un rédacteur chargé de résumer deux films en un paragraphe. Que vous preniez la version 1995 ou 2021, l'intrigue est similaire et peut être présentée ainsi. Le vil sorcier Shang Tsung est en train de réunir ses généraux pour livrer la Terre à son seigneur issu d'un univers parallèle, l'empereur Shao Kahn. Son objectif : remporter le Mortal Kombat, un grand tournoi d'arts martiaux au terme duquel sera décidé le destin de l'Humanité. Pour contrer cette menace, Raiden, le dieu du tonnerre fait appel de son côté à plusieurs héros aux aptitudes uniques. Les nuages noirs s'amoncèlent : la bagarre, c'est pour bientôt.
Un bon scénar' de série B comme on les aime, bas du front et surtout qui va droit au but en promettant tout un tas d'affrontements entre personnages issus du lore Mortal Kombat. Dans les faits, entre les adaptations de 1995 et 2021, cela donne pourtant deux récits complètement différents. Disons-le tout de suite : la version de 1995 est la seule à respecter ce qu'on est en droit d'attendre d'elle. À savoir la rencontre de plusieurs combattants aux capacités hors normes, qui n'ont a priori rien en commun mais dont les buts convergent et qui vont distribuer des bourre-pifs et des high kicks aux méchants dans des arènes plus ou moins bien définies. En clair, tout le monde commence par se rendre sur une île où a lieu le fameux grand tournoi. Presque à la fin, le deuxième grand gentil tue le deuxième grand méchant, et à la fin le grand gentil tue le grand méchant. Seule petite "originalité" dans le cas présent : un cliffhanger nul en guise d'introduction à Destruction finale, une suite qui montera encore plus haut sur l'échelle du nanar (je renvoie les curieux vers cet épisode de Crossed).
Sauf que tout ça, ce n'est pas assez bien pour la version de 2021, qui fait une fixette sur un point bien particulier dont pourtant tout le monde se contrefout : d'où qu'ils viennent les super pouvoirs et les super capacités physiques de tous ces gens prétendument normaux ? Pour justifier cela, l'intrigue de Mortal Kombat version XXIe siècle prend donc des détours qui réussissent l'exploit d'être à la fois beaucoup trop alambiqués et profondément stupides. Entre ici l'arcana, un pouvoir comparable au chi qui dort au fond de nous et se matérialise différemment selon chacun. Manipuler le feu, tirer un laser avec son œil droit, transformer ses prothèses de bras mécaniques en prothèses de bras mécaniques vachement plus badass ou son chapeau en boomerang magique doublé d'une scie métallique sont autant d'exemples possibles de manifestations de l'arcana. Fermez-la, c'est magique.
Mais bien sûr, ces pouvoirs, nos valeureux champions de l'Humanité vont devoir les débloquer. L'un après l'autre. D'abord en se bastonnant sans la moindre once de plan dans une triste et minuscule arène en sable perdue au milieu du désert, avant que leurs mentors ne daignent leur fournir LA solution : pour débloquer son arcana, il faut se fâcher tout rouge. C'est ce qu'apprend Cole quand, acculé par un Goro beaucoup trop grand pour être honnête menaçant d'écrabouiller sa femme et sa fille, il décide enfin de prendre son destin en main, pour l'un des Deus Ex Machina cinématographiques les plus violents de ces dernières années. Les auteurs devaient être tellement paumés jusqu'au dernier moment qu'ils ont finalement opté pour des tonfas et une armure en Scénarium qui résiste à tout. Mais pas à notre jugement.
Problème : avec tout ça, on n'a plus le temps pour le grand tournoi qui donne son nom au film. Il faut dire que les quinze minutes de scène d'intro réglementaires pour introduire une rivalité Scorpion/Sub-Zero née dans le Japon féodal qui ne se résoudra que dans le quart d'heure final n'aident pas non plus. À la place d'un mode Histoire en bonne et due forme, on a donc le droit à 45 minutes dans la zone de training avant une partie en Arcade incohérente, à base de téléportations dans des arènes sélectionnées en aléatoire. En étant sympa, peut-être que le boss fight de fin vaut la peine de s'être enquillé tout ça. Quoi qu'il en soit, c'est insuffisant pour attribuer de point à qui que ce soit. Tenez et pour la peine, j'en enlève même un à la version 2021. C'est mon arcana à moi. Fallait pas m'énerver.
Round 3 – Effets visuels : le grand bond en avant
Rassurez-vous, le principe de cette partie n'est pas de comparer bêtement les effets spéciaux de deux films sortis à 26 ans d'écarts mais de les juger à l'aune de leur contexte. De quoi rééquilibrer la balance en la faveur de Mortal Kombat 1995 ? Absolument pas. Car deux ans après Jurassic Park, difficile de tolérer des modèles 3D de cette piètre qualité, même avec un budget trois fois inférieur (20 millions de dollars contre 60). Alors imaginez les (re)découvrir aujourd'hui. Un mauvais goût qui s'est visiblement étendu aux costumes, désespérément cheap. Pour le reste, malgré une photographie sans grandes nuances, le film s'en sort avec les honneurs, notamment au niveau des décors, dont une bonne partie ont été directement filmés en Thaïlande.
Forcément, à l'inverse, les effets spéciaux sont la grosse plus-value de la version 2021. Transparent 26 ans plus tôt, Sub-Zero se transforme cette fois en antagoniste principal, faisant étalage de sa capacité de manipulation de la glace à grands renforts de CGI. Le spectateur averti ne sera pas surpris par les effets les plus impressionnants et les plus ingénieux – le poignard de sang en tête – tous teasés dans la bande-annonce de février, mais aura du mal à réprouver un haussement de sourcil de contentement.
Mais là où ce MK21 se distingue encore plus nettement de son aîné, c'est dans sa représentation du gore. Sans être un grand projet de studio (il est produit par New Line Cinema), l'épisode 1995 se veut tout de même grand public et cherche donc à rester dans les clous du sacro-saint PG-13. Ce qui, au pays de l'Oncle Sam veut surtout dire une chose : pas de sang. Problématique pour l'adaptation d'un jeu connu avant tout pour ses Fatalities en Full Motion Video, grotesques certes mais qui représentent son principal argument de vente. Mortal Kombat 2021 a au moins le mérite de s'affranchir de cela et il ne s'en prive pas. Démembrements, cœur arraché, personnage tranché en deux, trou dans l'abdomen qui laisse apparaître la colonne vertébrale… : il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? Certes, on est avant tout dans le clin d'œil et le coup de coude appuyé dans les côtes des fans, mais face à une version 1995 beaucoup trop sage à ce niveau, et après une vingtaine de films Marvel sans la moindre trace d'hémoglobine ou presque, ces effets gore ont presque quelque chose de rafraîchissant. Cela vaut bien un point.
Round 4 – Mise en scène : less is more
Quiconque a déjà vu dans sa vie le moindre film de Paul W.S. Anderson – et en tout cas on vous le souhaite – sait que le Britannique s'est fait une idée toute personnelle du concept de mise en scène. En pas loin de trente ans de carrière et treize longs-métrages, Paulo ne s'est jamais embêté à développer une patte bien à lui, embrassant avec le sourire un rôle de sympathique faiseur, se contentant bien souvent de repiquer des idées entrevues dans les derniers films passés dans son lecteur DVD.
En 1995, il n'est encore qu'un jeune loup de 30 piges en charge de son deuxième projet, de loin le plus gros. Un statut de rookie qui l'invite sans doute à garder une certaine sobriété dans sa mise en scène, et surtout dans le découpage. Alors certes, on a le droit à quelques ralentis outranciers, une poignée de plans en vue subjective utilisés à tort et à travers (et surtout à travers), mais on savoure chaque affrontement avec plaisir. L'action reste lisible lors des scènes de combat et on n'en demande finalement pas beaucoup plus. Mieux, on a même le droit à quelques plans fixes suffisamment longs pour mettre en valeur les prouesses des rares acteurs capables de se battre, Robin Shou en tête, pour une poignée de cascades réalisées sans trucage.
Concernant Mortal Kombat 2021 en revanche, c'est une autre paire de manchettes. Exception faite du combat final, qui semble avoir concentré l'attention de tout le monde, le film souffre de tous les défauts de réalisation inhérents au cinéma d'action américain moderne, à commencer par un montage épileptique. Le moindre affrontement consiste basiquement en une succession de plans d'à peine une seconde qui se succèdent de façon désordonnée et sans la moindre cohérence. Mention spéciale à ce niveau au premier combat Scorpion/Sub-Zero, qui nous sert à plusieurs reprises des plans larges filmés de derrière un arbre situé à vingt mètres de l'action. Pour la lisibilité, on repassera.
Réaliser un film, comme beaucoup de choses dans la vie, c'est faire des choix, comme par exemple savoir quels plans utiliser et lesquels mettre à la poubelle. Dans MK21, on a le droit à de tout et surtout de ce qu'on ne veut pas. Ce n'est pas parce que vous pouvez planter 25 caméras à des endroits différents pour filmer une scène qu'il faut forcément le faire. Et même lorsque le film tente quelque chose, comme de boucler la boucle en déplaçant le combat final dans un lieu lourd de signification pour le héros, mais métamorphosé par les pouvoirs de Sub-Zero, il ne fait le travail qu'à moitié, n'essayant jamais de le mettre en valeur ou de s'en servir. C'est d'autant plus dommage qu'on a le droit à de vrais bons acteurs martiaux mais dont les prouesses sont gâchées par une infâme bouillie visuelle. Bref, je ne pensais pas dire ça un jour, mais le point de la mise en scène va à Paul W.S. Anderson et Mortal Kombat 1995. Un point par défaut, mais un point quand même.
Round 5 – Fun : un pavé dans le nanar
Fun ? Comment ça "fun" ? Le mec nous parle pendant 2 000 mots de critères objectifs, avec des mots qui font bien comme "distribution", "photographie" et "mise en scène", tout ça pour terminer sur le point le plus subjectif qui soit ? Eh oui Jean-Germain, car ainsi va la vie dans un octogone sans règle. Je vais même te dire, histoire de relancer le suspense de ce combat pour l'instant à sens unique et ton intérêt pour la fin de cet article : ce cinquième et dernier round vaut trois points. Comme le but vainqueur à la fin de la récré, celui qui le gagne remporte le match. Après tout, qu'attendre d'un film Mortal Kombat, licence bourrée d'auto-dérision et de grand n'importe quoi, capable d'inviter dans ces derniers jeux Rambo, Robocop, un T‑800 sous les traits de Schwarzenegger, un Xénomorphe, un Predator, Freddy Krueger ou encore Jason Voorhees, si ce n'est une centaine de minutes de pur divertissement ?
Vous l'avez sans doute lu entre les lignes précédentes : c'est exactement tout ce que n'est pas Mortal Kombat 2021. En reniant ce qu'il est vraiment, à savoir une énième série B, le film bafoue tout son potentiel et cherche à se montrer plus intelligent qu'il ne l'est. Pire, il réussit à se prendre les pieds dans le tapis de sa propre bêtise, s'empêtrant dans des justifications que personne n'a jamais demandé, tuant ce qui fait le sel de la saga MK depuis toujours : des personnages surpuissants qui se mettent sur la gueule en se lançant des punchlines. Punchlines qui tombent ici pour la plupart à côté en voulant en faire des caisses. Retenons quand même un "Get over here !" tout ce qu'il y a de plus satisfaisant, lancé par Scorpion pile dans le bon tempo et aux dépens de toute logique scénaristique (depuis quand il sait parler anglais ?) pour lancer le coup d'envoi du combat final. C'est bien maigre.
En face, pendant que la version 2021 essaie de nous embobiner, Mortal Kombat 1995 continue de nous séduire par sa sincérité, son charme désuet et la perruque de Christophe Lambert. C'est un objet culturel bringuebalant comme on les aime tant. Ni plus ni moins que le reflet de son époque, qui (sur)joue à fond la carte du premier degré. Un nanar authentique, élevé au grain et en plein air, sur lequel le temps ne peut avoir de prise puisqu'il était déjà daté à l'époque de sa sortie. À l'image de son thème iconique, complètement over the top et beaucoup trop énervé – il se lance d'ailleurs dès la première seconde du film, soyez prêt – on continuera d'y revenir au moindre petit coup de déprime ou le temps d'une soirée pizzas/bières entre amis. C'est comme ça, on ne nous changera pas : à une grosse soupe préfabriquée et sans âme, on préférera toujours un plus petit projet imparfait fait dans la bonne humeur. Surtout s'il y a Christophe Lambert.