The Batman capture l'essence noire des comics, jusqu'à l'oubli

Matt Reeves a décidé de réaliser l'impossible : tenter une nouvelle adaptation au cinéma de Batman. Sobrement nommé The Batman, son film se veut être le thriller le plus noir jamais adapté au cinéma. Au bout, la mission est réussie : difficile de faire plus sombre que son scénario, qui rend sobrement hommage aux écrits les plus importants du héros. Quitte, parfois, à s'y perdre.

Est-il encore possible de faire quelque chose avec Batman au cinéma ? Le chevalier noir a après tout transformé deux essais de la part de deux grands noms du grand écran. Nous avons dans un premier temps l'adaptation signée Tim Burton à la fin des années 80, qui a réussi pour la première fois à traiter sérieusement un héros de comics dans les salles obscures… Bien qu'il reste aujourd'hui l'adaptation la plus loufoque du lot. Et nous avons dans un second temps la trilogie de Christopher Nolan, qui a décidé d'ancrer au plus près du réel le héros de DC Comics, pour captiver le plus grand nombre, avant qu'un certain Marvel ne vienne transformer à tout jamais le blockbuster. Que peut bien faire The Batman face à ces deux mastodontes de leurs époques ? La réponse est finalement assez simple : se conformer aux récits les plus profonds du comics.

I am Vengeance

Halloween. La pluie battante n'empêche pas les citoyens de Gotham de festoyer dans les rues. Leurs masques grotesques sont tragiquement la meilleure expression de leurs âmes, les drames qui se jouent dans les ruelles sombres n'ayant rien à envier à la fête originellement dédiée aux défunts avant que le capitalisme ne la transforme. Les morts, pourtant, jonchent les rues historiques de la ville, appelant à ce que justice leur soit faite. Mais celle-ci est absente, étouffée par la corruption de ses prétendus hérauts. Alors je me fonds dans la nuit, dans la masse des pervertis, obsédé par une seule pensée : la vengeance. Les suppliques des innocents m'assourdissent, m'empêchant d'entendre les os craquer sous mes coups de poings et de pieds. Ma précision est chirurgicale. Mon objectif est clair. Ma résolution est absolue. Mais Gotham ne s'endort jamais vraiment. Déjà me voilà appelé sur un nouveau meurtre par le lieutenant Gordon, l'un des rares de la flicaille à ne pas être corrompu. Un nouvel ennemi m'invite à danser avec le diable au clair de lune. Et sur son passage laisse des énigmes étranges qui me rappellent à l'histoire de ma ville.

The Batman 2022

C'est ici la réunion des cosplayers anonymes ?

C'est presque sur ces mots que s'ouvre The Batman. Plus encore, c'est sur ce ton que le film entier est construit. Car la nouvelle adaptation est plus traditionnelle que les efforts passés, ce qui est étrangement rafraîchissant. Ici, nous sommes bien sur un thriller noir, qui prend son temps pour développer son intrigue et la psyché de ses personnages. Beaucoup de temps. Les 2h55 que durent le film sont en effet majoritairement occupés par de longs silences et de l'exposition, The Batman ayant à cœur d'ancrer son intrigue non pas dans le réel, mais dans son contexte. Grande opération anti-drogue, héritage des Wayne, politiciens corrompus et mafia bien installée : les ingrédients du Gotham que l'on aime sont tous présents, sorti du mystique introduit par la Cour des Hiboux.

I am the Night

On ne peut faire plus noir que les forces en présence. Le Batman de Robert Pattinson, dans ses plus jeunes années, est en proie au doute sur le bien-fondé de ses actions, le crime dans Gotham n'ayant pas été impacté par ses actions. Il donne la réplique à la Catwoman de Zoë Kravitz qui, désabusée par des années à naviguer dans la pègre, n'a pas l'optimisme inné de l'aristocratie représentée par Bruce Wayne. Ce qui ne les empêcheront pas de trouver une dynamique magnifique à l'écran, possédés par leurs rôles qui en sous-texte partagent les mêmes valeurs… Mais pas les mêmes méthodes. Plus que l'habituel "suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis" qui a souvent été mis en avant auparavant, on voit plutôt les deux personnalités se rapprocher grâce à des blessures semblables, un trait qui est souvent la meilleure incarnation de leur romance. Les deux acteurs sont excellents à l'image ensemble, et Robert Pattinson s'en tire bien dans le rôle d'un Bruce Wayne quelque peu émo, encore plongé dans la noirceur de son traumatisme et peu enclin à devenir un symbole d'espoir pour sa ville.

The Batman 2022

Robert Smith ou Pattinson ?

La pègre sait se montrer au niveau de cette dynamique, particulièrement grâce au Pingouin campé par Colin Farrell que l'on ne reconnaîtra jamais du premier coup d'œil. Le travail de maquillage est impressionnant, rendant l'acteur méconnaissable, ce qui est quelque part une faiblesse étonnante. N'y avait-il pas un acteur capable d'incarner ce personnage sans avoir recours à autant d'efforts ? Si bon Colin Farrell soit-il, le casting laisse un énorme point d'interrogation dans l'esprit. Ce qui n'est pas sans rappeler les machinations de l'antagoniste principal, le Riddler incarné par Paul Dano. Oubliées sont les cabrioles de Jim Carrey pour Joel Schumacher : le nouveau Sphinx a tout du fou dangereux se transformant en terroriste. La bouille d'amour de l'acteur joue en sa faveur pour exacerber son incommensurable instinct meurtrier. Sa mission rappelle l'angoisse laissée derrière de trop nombreux événements réels, sans que The Batman n'aille au pointage du doigt exaspérant. En grand fan du Riddler des comics, je dois admettre que je ne peux m'empêcher d'être triste à l'idée de ne toujours pas voir mon personnage préféré être dignement traité à l'écran. Mais Matt Reeves maîtrise ce qu'il fait de ces personnages, ce qu'il veut en présenter, et ce en faisant confiance tout du long à l'intelligence de son spectateur pour éviter les banalités. C'est plus qu'apprécié.

I am… Batman ?

On ne peut pas vraiment en dire autant de son scénario. En se plongeant aussi profondément dans les aventures du chevalier noir, The Batman réussit à capturer l'essence des meilleurs comics le mettant en scène. Le problème dans tout ça est qu'un comics n'est pas le même objet culturel qu'un film, et en mimant ses exemples, il en oublie parfois d'être un film. Tout commence par son rythme, qui étire ses instants d'étude de personnages en longueur pour mieux en apprécier les subtilités, comme si l'on s'arrêtait sur une page d'un comics pour mieux apprécier le lien entre la bulle et le dessin. C'est un choix stylistique assumé, mais qui tend parfois à l'insistance un brin obsessive. Ces moments étendus ont la contrepartie de souligner de temps à autre les difficultés du Batman de Robert Pattinson à remplir l'écran. Et surtout à afficher l'intelligence du plus grand détective de l'univers des comics.

The Batman 2022

The Incel

Un duel de Batman face au Riddler est toujours un duel d'intelligence. Mais dans The Batman, la construction est une formule éprouvée. Le grand détective passe dans un nouveau décor, éclate quelques têtes ou boude un peu, avant que se présente devant lui un mafioso qui lui tartine une nouvelle dose d'exposition à la tête lui permettant de comprendre le message caché de son adversaire. Et puisque le film a de nombreux actes calqués sur le même modèle, les fils deviennent vite apparents. Une faiblesse qui aurait peut-être été moins évidente si le temps était plus compressé mais qui n'empêche pas de se laisser porter par le spectacle. D'autant que l'intrigue totale ne se déroule que sur quelques jours. Bien qu'après l'énième fin, et un teaser peu convaincant pour une suite, on se demande si Matt Reeves n'a pas eu des difficultés à trouver le point d'orgue de son histoire.

Do you bleed ?

Il est un terrain sur lequel le film est inattaquable : sa cinématographie. Le réalisateur connu auparavant pour Cloverfield et les deux derniers épisodes de la nouvelle trilogie La Planète des Singes, montre ici qu'il a plus d'une corde à son arc. C'est sur le jeu des couleurs qu'il impressionne le plus. Les nombreux teasers entourant The Batman le montrent bien : l'homme sait donner des tons bien précis à ses plans, comme de grandes teintes orangées sur des scènes d'intérieur ou un duel répété entre le bleu et le rouge. The Batman s'amuse très souvent à montrer des scènes surchargées d'éléments, que la caméra parcourt avec une très grande précision pour orienter le regard du spectateur. Tout cela renforce une impression à la fois de richesse et d'intimité, bienvenue dans un récit se voulant être une enquête.

The Batman 2022

Le statut Facebook est "c'est compliqué"

Mais le plus impressionnant reste les scènes d'action. Tous les réalisateurs avant lui l'ont compris : en l'absence de super-pouvoirs, il faut montrer une physicalité supplémentaire avec Batman. Christopher Nolan avait une certaine subtilité dans l'approche, une maîtrise martiale, quand Zack Snyder savait jouer avec l'impact. Le Batman de Matt Reeves campé par Robert Pattinson est dans l'explosif, l'immédiat. On sent que son corps est au meilleur de sa forme, et que son entraînement n'est pas tout à fait complet. Le chevalier noir prend des coups massifs dans le ventre, se reprend très vite et laisse pleuvoir les poings jusqu'à ce qu'un corps inanimé se trouve sous lui. La caméra ne le lâche jamais, ce qui nous permet de savourer une lisibilité plus qu'appréciée. Il n'y a que sur la fin du film que la qualité baisse un chouïa par rapport au reste, avec davantage de doublures CGI dans les mouvements amples. C'est toutefois assez anecdotique, même si le budget pour la veste double-gras de Colin Farrell aurait peut-être été mieux utilisé dans ce contexte.

N'as-tu jamais dansé avec le Diable au clair de lune ?

Difficile d'être trop critique quand on est bercé par une bande-son qui sait brosser dans le sens du poil. Le compositeur du film, Michael Giacchino (qu'on a déjà entendu sur Jurassic World, Spider-Man No Way Home ou encore Rogue One), est un petit malin. Quelques notes douces de piano rappellent çà et là la composition de Danny Elfman pour Tim Burton. Et viennent les grandes élancées de cuivre qui ne sont pas sans invoquer l'esprit de Hans Zimmer pour Nolan. Moins qu'un plagiat, monsieur Giacchino va plutôt dans le clin d'œil discret mais remarqué, qui ne va pas à l'encontre de sa propre créativité. Retenue quand il faut, puissante quand elle doit l'être, la musique accompagne superbement la composition de l'image en tous temps. Et puis Something in the Way de Nirvana, ça ne se refuse jamais.

The Batman 2022

Difficile de faire plus iconique

Tout accompagne finalement cette langueur, cette angoisse ressentie tout au long du métrage, qui caractérise The Batman. C'est un film qui prend le temps de rendre hommage aux meilleurs traits du héros de DC Comics, sans se forcer à l'ancrer dans le réel ou de le rendre plus loufoque qu'il n'est. Quitte à s'oublier parfois dans sa propre contemplation, comme on peut se perdre dans une page ultra détaillée de Lee Bermejo ou un twist parfaitement maîtrisé par Scott Snyder. En restant focalisé sur sa mission, Matt Reeves force parfois ses personnages à rester dans un ton monotone qui lui permet de trouver sa maîtrise, mais l'empêche de jouer librement avec le matériel original.

The Batman 2022

WHERE IS ah oui non c'est vrai

Comme le Joker de Todd Philips, The Batman participe à un plan cinématographique plus large. Non pas de créer un multivers étendu à l'infini comme le fait Marvel, mais de s'inspirer de la grande époque Vertigo des comics pour se focaliser sur l'étude de ses personnages. Le film de Matt Reeves est une nouvelle pierre enivrante à cette édifice, qui vient mettre en place toutes les fondations du chevalier noir pour mieux étudier ses dimensions multiples. Il confirme de ce fait avoir les épaules assez solides pour l'ouvrage. Ne lui manque plus qu'à se débarrasser de sa timidité initiale à l'idée de tacler un mythe aussi important de la pop culture.

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4 commentaires

Aiupa 2 mars 2022 - 12 h 57 min

Excellent article, ça me donne encore plus envie de voir le film.
J'ai comme l'impression que l'univers DCU s'améliore.

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OtaXou 2 mars 2022 - 13 h 04 min

Y a une très grosse amélioration clairement, ça fait du bien de voir DC Comics en bonne santé sur le cinéma

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SkynWK 17 mars 2022 - 20 h 52 min

Cette amélioration risque malheureusement d'en prendre un coups avec la sortie de Aquaman, The Flash et Black Adam. A moins que ce ne soit les derniers films de leur tentative de création d'un Univers à la MCU. J'espère le meilleur mais me prépare au pire.

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OtaXou 17 mars 2022 - 20 h 58 min

J'ai l'impression qu'ils ont justement laissé plus de mou aux réals suite au succès de Joker. Adapter Flashpoint ça peut être cool, après j'avoue que les 2 autres… Je suis plus circonspect haha

Pour moi le pire des prochains risque au contraire d'être Shazam 2, vu comme il a le cul entre deux chaises.

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