Dune : l'adaptation de Villeneuve est-elle vraiment meilleure ?

Trente-sept ans après l’adaptation de David Lynch, Dune revient au cinĂ©ma, rĂ©alisĂ© par Denis Villeneuve. Entre les deux, le roman de science-fiction signĂ© Frank Herbert a enfantĂ© des jeux vidĂ©o et des tĂ©lĂ©films. Car, pour les ayatollahs de la SF, Dune est un matĂ©riau Ă  la fois rare, prĂ©cieux et inĂ©puisable. Pourquoi une nouvelle adaptation au cinĂ©ma ? Parce que le premier film est unanimement dĂ©testĂ©, y compris par son metteur en scène qui l’a dĂ©finitivement reniĂ©. Pourquoi choisir Denis Villeneuve pour corriger le tir ? Parce que, depuis cinq ans, c’est Denis Villeneuve qui doit racheter les grandes erreurs des annĂ©es 1980 cĂ´tĂ© SF, au point qu’on se demande si George Lucas ne serait pas en discussion avec lui au sujet d’Howard le canard.

On lit "CUNC" un peu, non ?

La science-fiction se classe en deux catĂ©gories : celle qui invente de nouvelles manières de charger son pistolet et celle qui creuse des dunes dans le sable. Imaginons deux rĂ©cits pour illustrer cette idĂ©e.

"En 2077, dans un monde où la réalité augmentée a pris le dessus, une force spéciale est créée pour réguler la cybercriminalité. On appelle ces nouveaux flics des Décrocheurs. Johnny McCool, ancien décrocheur suspendu après avoir accidentellement tué sa coéquipière, va devoir reprendre du service le jour où sa victime refait surface dans le monde virtuel."

Ça, c’est facile : c’est de l’anticipation. On prend des technologies existantes et on imagine les potentielles dĂ©rives de la science dans un futur proche, mais pas trop. Blade Runner en fait partie.

"En l’an 357 954 213, après l’invasion des Patcharnaks, les Grogüüls et les Zortex sont en guerre. Le contrôle de la planète Zguègue est entre les mains des Ractyctougs depuis sept-cents lunes. Le jeune Jake Sunblazer, dernier fils d’une longue lignée de cordonniers, travaille au service du Roi Plük. Mais il pourrait devenir l’Élu, celui qui libèrera le peuple Krackkrack et changera le destin de l’univers."

C’est plutĂ´t lĂ  qu’on va trouver Dune, parmi ces rĂ©cits qui se servent du futur comme d’un monde si distant qu’on ne peut plus s’y retrouver. Mais certaines choses, tels les rapports humains et les grandes tragĂ©dies, sont Ă©ternelles. En clair, c’est du Shakespeare dans un contexte irrĂ©el.

dune - blade runner 2049

"Blade Runner 2049" de Denis Villeneuve (2017)

Lorsque Denis Villeneuve tourne une suite Ă  Blade Runner trente-six ans après le premier film, il s’essaie Ă  la première mĂ©thode. Avec cette nouvelle adaptation de Dune, il fait dans la seconde. La rĂ©daction du Grand Pop est souvent divisĂ©e par ces deux faces de la mĂŞme pièce. On compte mĂŞme, parmi nos contributeurs, de grands fans de Dune, impatients de dĂ©couvrir ce nouveau film qu’ils aiment dĂ©jĂ . Pas de chance, c’est votre serviteur qui l’a vu le premier, dans une salle peuplĂ©e Ă  90% d'hommes dont un bon nombre roupillaient poliment.

Vive le Québec en roue libre

Depuis qu’il a rĂ©alisĂ© successivement IncendiesPrisonersEnemySicario et Premier Contact, le QuĂ©bĂ©cois Denis Villeneuve est devenu une sorte de nouveau dieu du cinĂ©ma, un intouchable, au mĂŞme titre que Christopher Nolan ou, en son temps, Stanley Kubrick. Il pourrait filmer un parpaing que le monde entier serait en pâmoison. On en a mĂŞme oubliĂ© ses trois premiers longs mĂ©trages, moins ambitieux. On y trouve pourtant dĂ©jĂ  le remarquable Polytechnique, qui reconstitue la tuerie de MontrĂ©al en 1989, cĂ©lèbre attentat terroriste Ă  caractère misogyne.

"Polytechnique", de Denis Villeneuve (2009)

Denis Villeneuve ne se trompe donc jamais, ce qui incite les grands studios hollywoodiens Ă  lui confier quelques projets insensĂ©s, comme une suite Ă  Blade Runner, ce chef d’œuvre incompris de la science-fiction qui s’est Ă©crasĂ© au box-office en 1982, ou un remake de Dune, tant le destin du film de David Lynch fut comparable deux ans plus tard.

En 2017 sort Blade Runner 2049, la suite que les fans n’attendaient plus. Or, qu’on l’aime ou non, ce nouvel Ă©pisode a suivi les traces de son prĂ©dĂ©cesseur. 150 millions de dollars de budget de production pour 260 millions de dollars de recettes, ce n’est pas un très bon investissement quand on pense Ă  ce que ces mastodontes coĂ»tent Ă  promouvoir. Allez savoir pourquoi, Warner Bros. a dans la foulĂ©e proposĂ© 165 millions de dollars Ă  Denis Villeneuve pour qu’il recommence avec Dune. Enfin… 165 millions pour la première partie ! Parce que oui, quitte Ă  se planter, autant le faire en deux temps, avec deux fois plus de pognon. ImmĂ©diatement, le cinĂ©aste est allĂ© rĂ©unir la distribution la plus bankable Ă  ses yeux, afin de s’assurer l’adhĂ©sion du public mondial. TimothĂ©e Chalamet et Zendaya incarneront donc ses personnages principaux. Une brève conversation avec sa boulangère lui aurait sans doute fait comprendre que TimothĂ©e Chalamet et Zendaya ne sont pas Leonardo DiCaprio et Meryl Streep, pas mĂŞme Jean Dujardin et Marion Cotillard, mais tant pis. Le tout-Twitter les adore, alors allons‑y.

Timothée Chalamet est Paul Atréides

Le problème, c’est que, comme l’histoire l’a si souvent dĂ©montrĂ©, il ne suffit pas d’avoir une belle distribution pour convaincre le public, surtout lorsqu’il s’agit de rĂ©cits aussi complexes que Dune. Après tout, David Lynch avait dĂ©jĂ  mis le paquet en 1984. MĂŞme si Kyle MacLachlan sortait de nulle part, il donnait la rĂ©plique Ă  Max Von Sydow, Patrick Stewart, Sting, Sean Young et Brad Dourif, le tout sur une musique de Toto. On aime d’ailleurs rappeler que le film de David Lynch s’est plantĂ© au box-office mondial, mais on se souvient trop peu qu’il s’agit du deuxième plus gros succès du rĂ©alisateur en France, après Elephant Man. Nous, David Lynch, on l’aime inconditionnellement. Alors, mĂŞme quand il rate un film au point de le renier, on est tout de mĂŞme 2,31 millions Ă  vouloir y jeter un Ĺ“il.

On vous rappelle aussi que le principe mĂŞme d’adapter Dune au cinĂ©ma est très risquĂ©. Pour vous en convaincre, il suffit de regarder l’excellent documentaire Jodorowsky's Dune de Frank Pavich, qui raconte comment le cinĂ©aste mythique Alejandro Jodorowsky avait dĂ©jĂ  essayĂ© d’adapter le roman de Frank Herbert Ă  l’écran, embauchant la crème de la crème du monde de l’art. Salvadore Dali devait y jouer un rĂ´le minuscule pour le plus gros cachet jamais payĂ©, face Ă  Orson Welles, Mick Jagger, Amanda Lear et David Carradine… La musique serait coĂ©crite par Pink Floyd et Magma… La direction artistique serait confiĂ©e Ă  Moebius et Ă  H.R. Giger, avec Dan O’Bannon aux effets visuels… Le tout devenait si dĂ©connant et l’addition si salĂ©e que Disney a fini par dĂ©brancher la prise.

Artwork de Dune par Alejandro Jodorowsky

Bref : Dune, c’est dangereux. Hormis les fans de SF, ça n’intĂ©resse pas grand monde et l’adapter, c’est souvent engager un pognon considĂ©rable dans une entreprise fragile. Mais puisque Denis Villeneuve est un dieu…

Dune, et de deux

Quel besoin de refaire Dune, comme s’il fallait annuler le film de David Lynch ? Pourquoi les fans du matĂ©riau d’origine se sont-ils sentis trahis au point de considĂ©rer que le roman n’avait finalement jamais Ă©tĂ© adaptĂ© sur grand Ă©cran ?

Probablement parce que David Lynch n’en a rien Ă  cirer, de Dune. D’ailleurs, il n’est pas franchement fĂ©ru de science-fiction. Après s’être fait remarquer avec Eraserhead, David Lynch a fait sensation avec Elephant Man. Un Ă©norme succès en salles, huit nominations aux Oscars… David Lynch Ă©tait devenu une sorte de Denis Villeneuve : un rĂ©alisateur très courtisĂ©, car tout ce qu’il touche se change en or. C’est pourquoi George Lucas est allĂ© le draguer pour qu’il rĂ©alise Le Retour du Jedi. Il faut entendre Lynch raconter cet Ă©pisode pour comprendre qu’il n’a aucune envie de prendre la science-fiction au sĂ©rieux.

David Lynch devait réaliser "Le Retour du Jedi"

"J’ai pris un vol pour San Francisco et j’ai louĂ© une voiture pour me rendre Ă  Sprocket, l’une des sociĂ©tĂ©s de production de Lucas. J’ai fait la connaissance de George, qui m’a parlĂ© de Star Wars. En un sens, j’étais flattĂ©, mais je me demandais ce que je faisais lĂ , car Le Retour du Jedi, ce n’était pas vraiment ma tasse de thĂ©. Enfin, Ă  mesure qu’il me parlait, j’ai senti venir une migraine, qui a rapidement empirĂ©. La conversation a durĂ© un bon moment, puis George m’a emmenĂ© dans sa Ferrari manger une salade. Le sang battait Ă  mes tempes. Je n’en pouvais plus et je rĂŞvais de m’échapper." – L’Espace du rĂŞve, David Lynch & Kristine McKenna, JC Lattès, 2018.

Après avoir tournĂ© les talons et pris la fuite du ranch Skywalker, David Lynch a Ă©tĂ© sĂ©duit par le producteur Dino De Laurentiis, dĂ©jĂ  plantĂ© par Ridley Scott, pour rĂ©aliser une adaptation de Dune. Le projet venait avec des moyens significatifs et il avait besoin de budget pour tourner ses films. En transposant le livre en scĂ©nario, il y a vu un prĂ©texte pour faire de l’art, pour imposer son propre univers. Seulement voilĂ  : Dino De Laurentiis s’en est rendu compte, a sabrĂ© le budget, massacrĂ© le montage et sucrĂ© le "final cut", si bien qu’aujourd’hui, lorsqu’on revoit le Dune de David Lynch, on ne comprend plus très bien si c’est de l’art ou du cochon.

Le premier plan de "Dune" par David Lynch (1984)

Donc David Lynch n’aime pas Dune, Dino De Laurentiis n’aime pas Dune, le public n’aime pas Dune, tout le monde est d’accord : mieux vaut recommencer. Pourtant, certains cinĂ©philes persistent, encore en 2021, Ă  dire qu’on ferait mieux de regarder le Dune de David Lynch de plus près. MalgrĂ© les coupes hasardeuses dans le scĂ©nario, malgrĂ© la faiblesse de certains effets spĂ©ciaux, malgrĂ© le look datĂ© de l’ensemble, il en reste une formidable Ĺ“uvre dĂ©viante et radicale, dans laquelle l’univers du cinĂ©aste demeure intact. Dès la première seconde, quand le visage de Virginia Madsen apparaĂ®t sur fond d’étoiles, on est chez Lynch. Certes, on n’est pas tous obligĂ©s d’aimer ça. Mais que propose Villeneuve ?

Le sable est grossier, agressif, irritant et s’insinue partout

Dès que s’éteignent les lumières de la salle, avant le logo Warner Bros., une voix synthĂ©tique gronde dans une langue inhumaine. En sous-titres, on peut lire : "Les rĂŞves sont les messages des profondeurs", phrase qui aurait sans doute beaucoup plu Ă  David Lynch. C’est Ă©norme. C’est colossal. On va en prendre plein la gueule. On n’est pas lĂ  pour se marrer. C’est le moment de faire preuve de clairvoyance : soit on est galvanisĂ© par ce dĂ©marrage en fanfare, soit on s’ennuie dĂ©jĂ . Car tout sera sur ce ton pendant plus de deux heures et demie. Notons que Lynch n’avait pas fait beaucoup moins long avec deux heures vingt, mais son film couvrait toute la première partie du roman, lĂ  oĂą Denis Villeneuve a choisi d’en faire deux films. D’ailleurs, qu’est-ce que ça raconte, tout ça ?

Timothée Chalamet et Rebecca Ferguson dans "Dune" de Denis Villeneuve (2021)

Schématiquement, Dune est une planète de sable sur laquelle on récolte une "épice" qui permet de voyager dans l’espace. D’ailleurs, Dune s’appelle Arrakis, en vrai, mais comme il y a du sable dessus, on l’appelle aussi Dune, c’est plus simple. Bref. Cette "épice" est donc la substance la plus précieuse de l’univers. La planète Arrakis (ou Dune) est à la merci du peuple Harkonnen qui l’exploite comme des porcs, sans parler du traitement qu’ils réservent aux Fremen, le peuple autochtone.

L’empereur Shaddam IV dĂ©crète alors que les AtrĂ©ides doivent en prendre le contrĂ´le, afin de superviser la rĂ©colte de cette "Ă©pice" qui permet de voyager dans l’espace. Comment ? Pourquoi ? Mystère et boule de gomme. Mais peu importe. Il s’agit en rĂ©alitĂ© d’une ruse pour que les AtrĂ©ides, incapables de faire les choses correctement, Ă©chouent dans leur mission afin de mieux rendre le monopole de l’épice aux Harkonnen. Qu’est-ce que c’est que cette stratĂ©gie Ă  la con ? C’est politique, les Harkonnen et l’empereur ne peuvent pas saquer les AtrĂ©ides. Ça permet de s’en dĂ©barrasser.

Seulement voilĂ  : Paul AtrĂ©ides, le jeune fils du duc Leto, a Ă©tĂ© Ă©levĂ© par sa mère pour devenir une sorte de chamane et dĂ©velopper des superpouvoirs qui l’aideront dans sa tâche quand il prendra le relais de son père. Après le massacre des AtrĂ©ides par les Harkonnen, Paul part en exil avec sa mère chez les Fremen (les autochtones) pour prĂ©parer une rĂ©bellion. VoilĂ . C’est pas plus compliquĂ© que ça. Oubliez tout le reste. Dune, c’est juste l’histoire d’un coup d’état et d’une rĂ©volution en reprĂ©sailles. Pas de quoi rĂ©inventer l’analyse politique. C’est justement lĂ  que David Lynch semble avoir calĂ© : le dernier quart de son film, consacrĂ© Ă  cette rĂ©volution, est expĂ©diĂ© en un montage foutraque de batailles ineptes. Denis Villeneuve, lui, prendra son temps dans un deuxième film pour mieux raconter tout ça.

Là encore, si on s'est amusé à apprendre les noms des clans, si on se prend au jeu d’imaginer ce qu’est l’épice, si on a envie d’en savoir plus sur les pouvoirs du jeune Paul, on est bien parti pour aimer le film de Denis Villeneuve. En revanche, si on trouve déjà tout ça grotesque, bon courage pour la suite. Car le cinéaste québécois a une belle qualité qui dissimule un gros défaut. Il sait mettre en scène des récits grandioses avec des moyens gigantesques, comme en témoigne toute sa filmographie. Mais il manque aussi cruellement de distance et d’humour. Ses films sont immenses… mais un peu pachydermiques, comme la musique criarde signée Hans Zimmer, qui tabasse les tympans jusqu’à l'ultime seconde du générique de fin.

L'atmosphère envoûtante de la planète Arrakis dans "Dune" de Denis Villeneuve (2021)

Le seul personnage sympathique et souriant est interprĂ©tĂ© par Jason Momoa, ce qui est un formidable drapeau rouge pour le spectateur. Quand le garant de la lĂ©gèretĂ© de l’entreprise est un colosse hawaiien barbu, on est foutus. Les autres personnages sont tourmentĂ©s. Visage fermĂ©, regard perdu dans le lointain, avec le plus grand sĂ©rieux ils ponctuent leur dĂ©sarroi de mots tels que : "Kwisatz Haderach". Et quand de grands comĂ©diens tels que Javier Bardem ou Charlotte Rampling en sont rĂ©duits Ă  dire "Kwisatz Haderach" avec aplomb, ça fait toujours sourire. C’était dĂ©jĂ  le cas dans la version de David Lynch mais, comme nous l’avons dit plus haut, Dune n’était qu’un prĂ©texte pour que le cinĂ©aste exprime sa crĂ©ativitĂ© Ă  l’écran. Son cĂ´tĂ© Star Trek du pauvre Ă©tait vite Ă©clipsĂ© par des plans sur le visage en putrĂ©faction du Baron Harkonnen, rappelant le visage boursoufflĂ© et monstrueux d’Elephant Man.

Tout seul sur le sable…

Soulignons tout de mĂŞme que Dune parvient en creux Ă  raconter une histoire touchante, celle de Paul AtrĂ©ides, un personnage mi-gamin mi-homme, sur le point d’accĂ©der Ă  des responsabilitĂ©s trop lourdes pour ses frĂŞles Ă©paules. InterprĂ©tĂ© avec brio par Kyle MacLachlan, il trouve en TimothĂ©e Chalamet une Ă©tonnante nouvelle incarnation. Le drame de Paul AtrĂ©ides, c'est de devoir continuellement se montrer Ă  la hauteur sans jamais donner satisfaction. Sa mère doute de lui. Son père doute de lui. Le chef de la sĂ©curitĂ© doute de lui. La grande prĂŞtresse doute de lui. Le peuple Fremen entier doute de lui. Pourtant, Paul ne cesse de dĂ©jouer leurs craintes et de dĂ©montrer qu’il est capable de relever tous les dĂ©fis que la vie lui envoie. Kyle MacLachlan et TimothĂ©e Chalamet ont Ă©tĂ© choisis Ă  l’exact moment de leur vie oĂą ils pouvaient interprĂ©ter ce personnage avec justesse, dans un mĂ©lange de pudeur, d’incertitude, de doute et une virilitĂ© qui s’épanouit Ă  l’écran.

Kyle MacLachlan dans son premier rôle au cinéma dans "Dune" (1984)

Et c’est en rapprochant ces deux incarnations du personnage qu’on commence Ă  prendre conscience des ressemblances entre le film de David Lynch et celui de Denis Villeneuve, puisqu’il s’agit du parcours initiatique de Paul AtrĂ©ides, le Messie de la planète Arrakis. Scène après scène, Dune rappelle Dune. La scène de l’entraĂ®nement au combat est lĂ . Celle de la boĂ®te Ă  douleur dans laquelle Paul glisse sa main, aussi. Celle de l’attentat dĂ©jouĂ©, itou. Et celle oĂą le Duc meurt en croquant une fausse dent empoisonnĂ©e pour tenter d’emporter le Baron Harkonnen avec lui, de mĂŞme. Les vers gĂ©ants des sables se ressemblent, les dunes de sable Ă©galement. Les yeux des Fremen sont aussi bleus en 2021 qu’en 1984. Les marteaux plantĂ©s dans le sol pour attirer les vers gĂ©ants semblent avoir Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©s dans les cartons d’accessoires du film prĂ©cĂ©dent, tout comme les pioches qui permettent de grimper sur les immenses crĂ©atures rampantes de la planète. On en vient parfois Ă  se demander pourquoi rien ne ressemble Ă  ce point Ă  Dune que Dune. Sauf que, lorsque TimothĂ©e Chalamet essaie de modifier la cadence de son pas pour arpenter la planète sans danger, il a moins d’allure que Kyle MacLachlan disant fièrement cette Ă©trange phrase poĂ©tique : "Marchez sans rythme et vous n'attirerez pas le ver." On en vient mĂŞme Ă  regretter le slip de Sting, qui donnait un peu de panache sexuel Ă  cette saga galactique barbante.

Sting en slip dans "Dune" (1984)

Bien sĂ»r, chez Villeneuve, la photo de Greig Fraser est dĂ©licieuse, dĂ©clinant toutes les teintes sombres imaginables. Bien sĂ»r, chez Villeneuve, les effets visuels laissent les spectateurs bouche bĂ©e. Bien sĂ»r, chez Villeneuve, on sent bien qu’on prend le temps de dĂ©ployer un long rĂ©cit complexe et qu’il n’y a pas un gros producteur Ă  cigare dans la table de montage, prĂŞt Ă  charcuter l’entreprise. Mais y a‑t-il quelqu’un qui cherche Ă  faire une Ĺ“uvre aussi singulière, barrĂ©e, poisseuse, glauque et dĂ©lirante que le film de David Lynch ? Aimera-t-on cultiver l’hĂ©ritage de Dune par Denis Villeneuve autant que nous avons aimĂ© mĂ©priser celui de David Lynch ?

Laissons encore sa chance Ă  Dune de nous envoĂ»ter avec un second film, puisque nous n’en sommes encore qu’au dĂ©but. Et rappelons-nous la première rĂ©plique du film de Lynch : "Un dĂ©but, c’est un moment dĂ©licat."

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7 commentaires

JĂ©rĂ´me 4 octobre 2021 - 20 h 31 min

Magnifique article ! Mon sentiment exactement.
En outre, j’ajouterais que le film de Villeneuve est bien moins beau : dĂ©cors, costumes, machines, paysages… tout est monochrome et moche. La “musique” de Hans Zimmer est un fond sonore industriel sans âme. J’avais pourtant bien aimĂ© Blade Runner 2049. Dommage.

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Gauthier Jurgensen 10 octobre 2021 - 20 h 31 min

Hello, JĂ©rĂ´me ! Content de voir que mon sentiment est partagĂ©. On se sent un peu seul dans cet ocĂ©an de louanges pour ce film. Ceci dit, tant mieux : c'est enthousiasmant quand une Ĺ“uvre est apprĂ©ciĂ©e, aussi !

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Benoît 26 octobre 2021 - 0 h 21 min

Salut Gauthier,
Merci pour cet article !
Je me sens moins seul ce soir moi aussi.
Amoureux du la version de Lynch, j'ai navigué de déception en déception en voyant la version 2021…
Kyle McLachlan m'a manqué, les décors m'ont manqués, la musique aussi,… Quant à la "Lynch touch", autant dire qu'on est bien loin de ce que j'ai tant aimé il y a près de 40 ans..
Je ne m'explique vraiment pas que l'on puisse encenser le film de Villeneuve à ce point…

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Gauthier Jurgensen 31 octobre 2021 - 15 h 16 min

Hello ! Apparemment, c'est plus polarisant que nous semblons le croire. Certains critiques, partout dans le monde, se sont ennuyĂ©s aussi. Nous ne sommes pas seuls !

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cyril 26 octobre 2021 - 19 h 02 min

Peut etre que cette nouvelle version grise, bien lisse et sans sucre poussera De Laurentiis et les ayants droits d'Universal Ă  sortir une version longue comme la version REdux qui circule sur le net et qui est vraiment vraiment meilleure.

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Gauthier Jurgensen 31 octobre 2021 - 15 h 17 min

Je croyais qu'elle existait déjà, la version longue de De Laurentiis, et qu'elle était plutôt moins bonne que la version cinéma de 1984…

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Dr Alien 15 février 2023 - 23 h 45 min

Je ne comprends pas qu'on puisse prĂ©tendre faire un remake de Dune sans faire construire le moindre ver !

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