Star War Jedi : Survivor, que je t'aime malgré tes défauts

Comment le nouveau jeu de Respawn souffle le chaud et le froid sur la galaxie Star Wars ?

Un peu moins de cinq ans après la sortie de Star Wars Jedi : Fallen Order qui avait su s’imposer grâce au bouche-à-oreille en dépit d’une présentation bancale à l’E3 2019, Respawn Studio revient à la charge avec une suite PC, PS5 et Xbox Series. Star Wars Jedi : Survivor reprend le cadre de son aîné et se permet d’élargir son cahier des charges en abandonnant le cross-gen. Mais cela suffit-il pour convaincre joueurs et joueuses de poursuivre plus loin encore les aventures de Cal Kestis ?

En 2019, Fallen Order était un pari ambitieux. Electronic Arts, éditeur du jeu, revenait à peine de ses déclarations désastreuses sur leur intention d’arrêter les jeux solo pour se consacrer aux titres multi, avec une idée très mercantile et très personnelle des micro-transactions et du loot payant. Malgré la mise en chantier d’une postlogie Star Wars chez Disney, les nouveaux projets cinématographico-sériels n’ont pas été accompagnés de jeux estampillés Star Wars particulièrement marquants. Du Battlefront sans la magie des originaux jusqu’à l’écœurement, du jeu mobile, des adaptations LEGO… Et beaucoup de coups de sabres laser dans l’eau. On ne parlera pas ici des annulations en série, Star Wars 1313 en tête. Tout n’allait pas pour le mieux dans la Galaxie Far Far Away.

Mais voilà que contre toute attente, les américains de Respawn (Titanfall, Apex Legends…) décident de s’atteler à un jeu d’aventure solo dans l’univers de Star Wars. Un jeu qui, sur le papier, se pose comme l’héritier des Jedi Outcast, Academy ou autre Force Unleashed ; et un jeu qui s’insère officiellement dans le nouveau Canon établi par Disney depuis le rachat de la licence. Fallen Order sera ce jeu. Un titre qui, il faut le reconnaître est parti de loin, après une présentation ratée qui avait entraîné une vague de bashing hors propos et plein d’a priori. Il faut dire que la démo diffusée en juin 2019 avait de quoi faire peur. Techniquement à la ramasse, le jeu avait fait sourire avec ses animations sommaires, ses textures hasardeuses et sa gestion physique discutable. Et ce sans compter les remarques désobligeantes gratuites et non avenues autour du physique du personnage principal, moqué parce que… roux. |soupir]

Mark Hamill embauché comme mentor de Cameron Monaghan pour la campagne marketing du jeu

Sorti dans une fin d’année 2019 chargée (en même temps que le GOTY Death Stranding et que le sublime et poétique Outer Wilds) mais où il jouait quasiment seul dans sa catégorie, Fallen Order avait su trouver son public, grâce à de vraies qualités intrinsèques et un engouement solide de curieux convaincus. Sans inventer beaucoup mais en digérant des logiques établies d’alors, le titre mélangeait avec succès des mécaniques héritées de ses prédécesseurs, de nombreux TPS d’action-aventure et pas mal de Dark Souls en version light. Côté scénario, il mettait aussi un coup de projecteur bienvenu sur une période de l’histoire de Star Wars moins connue et prolifique, – même si depuis Disney et Lucas Arts se sont bien rattrapés – à savoir, la Purge des Jedi, juste après le coup d’état de Palpatine qui voit l’avènement de l’Empire. Quelques années après l’Épisode III, et une bonne quinzaine avant Un Nouvel Espoir. C’est sur cet héritage que le studio remet le couvert en ce printemps 2023. Mais le paysage a bien changé depuis, tant côté jeu vidéo que Star Wars.

O’ The Times There are a‑changin’

Star Wars Jedi : Survivor sort lui en avril 2023. Dans l’ombre de géants comme The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, juste après le très moyen mais médiatique Hogwarts Legacy et le très attendu Resident Evil 4 Remake et avant les futurs mastodontes Final Fantasy XVI, Diablo IV ou autre Street Fighter VI qui se disputent les projecteurs en ce premier semestre particulièrement agité. Et si chacun de ces titres (sauf le Harry Potter, soyons sérieux) a su se réinventer pour s’imposer comme le maître étalon de son genre respectif, ce Star Wars nouveau ne propose pour sa part hélas qu’une version plus confortable de Fallen Order. Et encore, il y a beaucoup de choses à redire.

Star Wars a changé lui aussi. Fini le marasme qui a suivi le saccage de l’Épisode VIII et le ridicule de l’Épisode IX. Le Mandalorien et son petit pote aux oreilles pointues ont ravivé la flamme dans le cœur des fans, malgré une saison 3 paresseuse. Après pas mal de bégaiements, les projets se multiplient. Et parmi toutes ces propositions, une logique transmédia semble se dessiner ; que ce soit au cinéma, en série, en comics, en romans ou en jeux, la maison mère a décidé de lancer un grand arc scénaristique sobrement baptisé Haute République. Se déroulant plus de 200 ans avant la majeure partie des œuvres connues, ce nouveau territoire propose un vrai bol d’air frais et un cadre radicalement différent. Autre temps, autres mœurs tant pour le contexte de sortie de ce Survivor que pour les dynamiques scénaristiques et la création pure au sein de l’univers Star Wars. Un désir d’ailleurs qu’a bien compris Jedi Survivor qui délaisse sans transiger la Purge des Jedis de sa temporalité pour s’offrir une parenthèse qui renvoie vers un passé lointain, droïdes de la Guerre des Clones compris.

I’m a Survivor

Comme on l’a dit, Star Wars Jedi : Survivor reprend le cadre, les mécaniques et le gameplay de Fallen Order. L’Histoire reprend un peu moins de cinq ans après les événements du jeu précédent, un peu comme dans le vrai monde. On retrouve le héros du premier volet, Cal Kestis, maintenant devenu pleinement Chevalier Jedi, toujours aux prises avec l’Empire et ses Inquisiteurs. L’action se déroule à peu près à la même période que la série Obi-Wan ou que le très sous-estimé Andor, et comme les personnages de ces séries, Cal et ses proches vivent en parias, cachés, fuyant un Empire galactique au plus fort de son expansion dictatoriale. Obligé de se réfugier sur la planète Koboh, Cal découvre les vestiges de temples Jedi de la Haute République et entrevoit des perspectives nouvelles qui pourraient lui permettre de mieux combattre l’Empire.

Le groupe éclaté de Fallen Order va alors se reconstituer petit-à-petit, accueillir de nouveaux invités, et en cas de succès, les scénaristes ont trouvé leur solution miracle pour expliquer l’absence de Cal Kestis dans les guerres à venir entre les Rebelles et les forces de Palpatine et de Vador. Notons qu’au sortir d’un chapitre d’intro dans les hauteurs de Coruscant, le jeu a le bon goût de couper le lien avec la saga des Inquisiteurs pour nous mener sur Koboh, une planète inédite et d’ouvrir une page scénaristique plus rafraîchissante à base de havre perdu et d’héritage de la Haute République. Alors oui, la trame nous invitera aussi sur Jedha, planète entr'aperçue dans Rogue One (mais si Jean-Germain tu sais, la planète où se terre Saw ‘Forrest Whitaker’ Guerrera, celle qui se fait décoller la croûte par des tirs d'essai de l’Étoile Noire), mais cette incursion reste très dépaysante et étroitement liée à notre nouvelle toile de fond.

Alors oui, il faut bien avouer que comme nombre de propositions 'issues de Star Wars', un des problèmes majeurs dans la caractérisation des héros et des antagonistes, c'est que dès qu'un personnage hérité des films débarque, tous les shitty friends et méchants de service perdent instantanément tout charisme ou intérêt, et Star Wars Jedi : Survivor ne déroge pas à la règle, même s'il s'en sort avec honneur. Cal Kestis commence à devenir attachant, et Cere Junda une aura crédible. Le travail de Cameron Monaghan pour incarner le héros est pour le coup bien mieux réalisé que dans le volet précédent, et son inclusion au légendaire dans les prochains projets ciné-séries ne serait pas pour nous déplaire ; mais n’abordons pas plus ici le scénario et ses ramifications pour d'évidentes raisons de non divulgâchage. Et mon Dieu que ce mot est immonde.

You Have to Fight (For your Rights)

D’entrée, Cal dispose de la majeure partie de ses pouvoirs précieusement gagnés dans Fallen Order. Merci de nous éviter l’éternel twist pété de scénario pour justifier de devoir tout redécouvrir ou réapprendre. Votre personnage joue déjà du sabre-laser ou du double-lame inspiré par Dark Maul dans l’Épisode I. Très vite, il récupère sa capacité de double saut et de course contre les parois verticales marquées de petits stries, et votre avatar redevient instantanément opérationnel, en dépit de combos manquants ou d’une sensation de flottement et d’approximation dans les sauts toujours de la fête. Le personnage est très mobile (grappin !) et le level design vous permet de vous remémorer ou d'appréhender les contrôles basiques. En combat, on reprend tout de suite ses marques, avec une barre de force, une d’endurance et une de garde, une esquive et deux boutons de tape. Le plus gros des combats revient donc à esquiver, parer, se servir de la Force ou donner des coups de sabre selon les capacités des barres respectives. Ce sentiment de Dark Souls light plus permissif bien que toujours exigeant qui avait convaincu est toujours de la fête.

Ce n’est qu’une fois arrivé sur Koboh que Jedi Survivor se décide à enfin proposer du neuf. L'abandon du cross gen permet par exemple d’embarquer toutes les notions techniques 2023, avec son lot de reflets, de lumière etc. Mais cela se fait malgré tout dans la douleur, avec une version PC qui crie son besoin de patch, et même sur PS5 – version testée ici – le framerate est à la peine dans certains décors, les temps de chargements sont longs quand bien même dissimulés, et des anomalies visuelles persistent de loin en loin, notamment dans la végétation. Le jeu reste toutefois jouable sur consoles, ces désagréments ne venant pas perturber les affrontements ou l’exploration, contrairement à la caméra qui perd parfois la tête. Pourquoi des temps de chargements ? Simplement car le jeu troque ses notions de couloirs entrelacés pour des hubs bien plus vastes, mini open worlds de campagne vierge, bardés de raccourcis à débloquer comme dans tout Metroidvania qui se respecte, mais bien moins immersifs que dans les meilleurs titres du genre hélas. Combien de portes fermées frustrantes ou de tyroliennes à ouvrir 'depuis un autre côté' ?

Au fil du jeu, vous gagnez de l’expérience que vous devrez répartir dans différents arbres de capacités. Pouvoirs de la Force, maniement du sabre-laser… on souffle un peu devant le manque d’originalité des pouvoirs à débloquer ou la simplicité des enchaînements, même en endgame, tant certaines capacités devraient être innées et déjà présentes dès le départ (coucou la télékinésie), quand d'autres sont plutôt limite dans le respect du lore.  Mais il fallait des freins à l’exploration pour éviter de récolter coffres et secrets trop vite. L’accès à de nombreux passages, des zones entières ou des récompenses sont ainsi verrouillés par une évolution accessible au bon vouloir du scénario, et le jeu bloque toute tentative de raccourcis ou de break avec message d’erreur et renvoi à la dernière save en cas de réussite.

Vague à Lames

Le jeu est assez frustrant par certains choix de design opérés. La sensation de progresser se fait au détriment de l’immersion et le joueur expérimenté ressent trop souvent les logiques de production par rapport à la cohérence diégétique de l’univers. Une erreur majeure que ne faisait pas Fallen Order. Combien de fois retombe-t-on sur une porte verrouillée, un gadget inconnu non alimenté ou une plateforme aérienne désactivée ? Beaucoup trop de fois, on lit la matrice en levant les yeux au ciel : “Ah ok, c’est pour plus tard”…

Dans le même ordre d’idée, prenons l’exemple marquant de votre arme. Au début du jeu, vous pourrez utiliser votre sabre laser en version simple, ou double-lame. Rapidement, vous débloquez le double sabre (un dans chaque main). Trop bien vous dites-vous. Je vais pouvoir affronter le clampin moyen au sabre, les ennemis en groupe à deux mains et les boss au double. Mais non, les développeurs de chez Respawn ont décidé que vous ne pourrez en choisir que deux, et en changer uniquement sur les feux de camps. Avec un coût assez élevé pour débloquer la totalité de l’arbre de chaque style et la nécessité de choisir en amont sans savoir ce qui nous attend (surtout en monde ouvert) autant vous dire que chez moi, après avoir tout essayé pour les besoins de cette critique, j’ai mis de côté 4 styles sur 6. J’ai choisi de garder le sabre simple, très équilibré et polyvalent pour le commun, et un autre, réservé aux boss (une décision simple, renforcée par le peu d’apport et d’ampleur de certains nouveaux styles). Le reset des compétences, payant passé une première utilisation, ne suffit pas. Un simple mapping de boutons plus riche, qui permet au joueur plus de versatilité, plus d’agilité, était pourtant très simple à imaginer (au hasard, R1 + direction). Ghost of Tsushima approuve.

Sans ma barbe, quelle barbe

Dans Star Wars Jedi : Survivor, l’exploration est très moyennement récompensée. Vous avez du pif et avez ‘senti’ qu’au bout de cette plateforme un poil en retrait il y aurait un collectible ? Bravo. C’est très souvent payant. Ça brille, et ça vient s’ajouter dans votre inventaire. Derrière cette anfractuosité dissimulée au bout d’une série de murs et recoins, de saut en saut et de run latéral en charge aérienne, vous parvenez à un coffre ? Bravo encore. Vous avez, comme dans la quasi totalité des possibilités débloqué un bibelot cosmétique ou une série de couleurs pour vos armes et tenues. Ou pire encore une monnaie locale qui vous permet de troquer disques de données, minerais, parchemins contre… un bibelot cosmétique ou une couleur pour vos armes et tenues, certes très nombreuses et bien faites.

Au détour d’un chemin, vous pourrez assister une sorte de limace de mer pour pêcher des poissons qui viendront ‘enrichir’ l’aquarium de votre rade de prédilection. Ce qui ne sert à rien. Régulièrement, vous pouvez récupérer des graines et planter trois cactus et deux fougères ou faire une partie 'd'Échecs' du pauvre. Ce qui ne sert à rien non plus. Ah si ! Au bout d’un moment, vous pourrez affronter un clan de chasseurs de primes (qui ont tous quasiment les mêmes attaques) à vos trousses et gagner des jetons. Et ces jetons, attention c'est incroyable, permettent de débloquer des bibelots cosmétiques ou des couleurs pour vos armes et tenues ! Un monde ouvert, des quêtes annexes, mais presque aucune conséquence sur le gameplay, sans pouvoir additionnel, style de combat renforcé… Bref, zéro plus-value, excepté des sortes d'améliorations passives bienvenues mais trop limitées. Et comme je sens le côté obscur m’envahir, je ne ferai pas de chapitre entier sur les combats, plutôt décevants par rapport à Fallen Order. Là où le premier volet était exigeant, demandait de retenir des patterns précis et se renouvelait plutôt avec un bestiaire changeant, ce Star Wars Jedi : Survivor reprend majoritairement les mêmes scripts d’attaque et pire, en étant bien plus gratuit, se simplifie jusqu’à la garde, un boss optionnel mis à part (saleté de crapaud des enfers).

Pour rajouter de la durée de vie, les développeurs ont aussi rajouté une série de défis appelées 'Failles de Force' avec divers objectifs à atteindre. On y croise des combats avec armement et situations imposées ou des séquences de plateformes qui permettent de pousser au maximum l'utilisation de capacités découvertes dans l'aventure principale. Personnellement, chaque fois qu'arrivé devant ma récompense je tombais là-dessus, c'était une déception plus qu'autre chose. Enfin, un peu partout sur Koboh, on retrouve d'anciens temples de la Haute République. Ces structures abritent des 'épreuves' pour autant de casse-têtes à résoudre. L'inspiration des autels de Breath of the Wild est évidente, et même s'ils restent intéressants, la sensation de redite subsiste dans un recoin de votre esprit, d'autant que les récompenses à la clé sont bien moins impactantes que dans Zelda

When I Was a Child, I Was a Jedi

Mais alors c’est vraiment pas fou ce Jedi Survivor ? Effectivement, pour qui s’arrête là, on a un jeu techniquement pas optimisé, aux mécaniques paresseuses, sans vrai challenge, et bridé par des choix de gameplay frustrants. Pas de quoi donner follement envie même si le jeu reste tout à fait dans la norme de nombreux titres qui sortent régulièrement. Comprenez en soi qu'il n'est pas raté, mais simplement pas à la hauteur de ce que faisait son prédécesseurs. On attendait objectivement plus du jeu, c'est une évidence.

Mais si je vous disais qu’en dépit de tout ça, j’ai adoré y jouer ? Qu’est-ce qui m’a donc motivé de la sorte pour rester plus d’une trentaine d’heures à découper des trucs et à renvoyer des lasers rouges ? Qu’est-ce qui fait que je suis resté aussi longtemps à courir sur des murs, à faire des moulinets de lumière qui font vromb-vromb ou à repousser des stormtroopers d’un revers de la main ? Qu’est-ce qui fait qu’on y revient comme ça, à balancer un clampin sur son copain tout en faisant des cabrioles dans un déluge de lumières ? On se le demande…

En dépit de tous ses défauts, Star Wars Jedi : Survivor a pour lui un cadre établi et léché jusqu’à la moelle depuis Fallen Order. Il vous permet de ‘jouer à Star Wars’ ; et depuis Force Unleashed ou Jedi Outcast, pas un seul autre titre ne l’a vraiment tenté. Surtout, il le fait bien. Si certains jeux ‘font un peu CS’, d’autres font carrément Star Wars. On a beau se prendre un pied-bouche d’inconfort à base de restrictions d’utilisation de styles variés, qu’importe, on a entre les mains un sabre-laser… Son bruit emblématique, son utilisation virevoltante, cette sensation de puissance. Renvoyer des tirs de blasters sur des gardes, les faire s’entrechoquer à distance, faire voler ses p’tits potes par dessus la rambarde, le tout sur des partitions adaptées de John Williams, dans un décor froid, métallique, gris aux loupiottes rouges, ou dans un désert aride aux reflets rougeoyants au pied de statues immenses gravées dans la montagne même, y’a pas à dire, ça fait voyager. Le genre de jeu, si je devais le noter qui mérite, un 13 – 14, mais avec un ressenti de 17. Alors, même si c’est juste pour débloquer une moustache, un poncho ou une coupe mulet pour mon perso roux, peu importe le flacon, tant qu’on a l’ivresse !

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