Persona 3 Reload : mon JRPG préféré est toujours aussi profond

Persona 3 Reload est enfin là. Un remake plus qu'attendu du titre d'Atlus sorti à l'origine sur PS2. Il est l'épisode central qui a tout changé pour la saga de JRPG, et lui a permis d'exploser auprès du grand public pour que la série atteigne enfin le statut qu'elle méritait. Mais plus encore, Persona 3 Reload est le parfait moyen de goûter à l'un de ses meilleurs épisodes.

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été très porté sur les JRPG, ces jeux de rôle mettant en avant un certain savoir-faire nippon dans leur création comme leur approche. Mais aucun autre n'a su avoir un impact aussi fort sur moi que Persona 3. Pourtant, les débuts de la romance entre Atlus et moi n'ont pas été des plus simples. Bien que testé sur PS2, sa plateforme d'origine, dans sa forme la plus "complète", la version FES, le jeu et moi n'arrivions pas à nous retrouver sur la même longueur d'onde. On pourrait accuser l'absence de traduction française de l'époque, mais le problème était ailleurs : Persona 3 était surtout un mood complet qui prenait beaucoup trop son temps à démarrer pour le jeunot que j'étais, en attente de sensations vidéoludiques plus immédiates fournies par les titres typés arcade (Puyo Puyo, WipeOut, Street Fighter) qui faisaient mon quotidien.

Mais voilà : la PSP a tout changé. La console de Sony a en effet accueilli la "dernière" version de P3 du moment, Persona 3 Portable. Oui, quelques sacrifices ont dû être faits pour faire tenir le jeu sur le bon vieux format UMD, mais il en a profité pour gagner en rapidité. Si je n'ai pas connu le plaisir des séquences entièrement animées du jeu, j'étais heureux de pouvoir me téléporter instantanément en ville et contrôler précisément les actions de mes coéquipiers, choses qui étaient impossibles sur la version d'origine. La présence d'un personnage principal féminin, la grande exclusivité de P3P pour cette ressortie, m'aura également permis de partager l'expérience avec ma copine d'alors, ce qui a rajouté de la douceur à cette aventure de 70 heures.

Photo d'archive (août 2011) alors que j'ai tristement perdu mes sauvegardes

De cette époque, ne me reste que la PSP trônant fièrement dans mon dos à l'heure où j'écris ces lignes. Et surtout un amour fou pour Persona, ce jeu qui m'a pris par la main au lycée, m'a accompagné durant mon IUT, et m'a amené à l'âge adulte. Entre temps, Persona 5 a fait de la série une valeur sûre pour les fans de JRPG, au point qu'Atlus s'est enfin décidé à la traduire en français et sortir tous ses spin-offs en Occident sans que l'on n'ait à le supplier comme c'était le cas auparavant. Mais pour tout ce génie que l'on a pu constater sur Persona 4 Golden ou Persona 5 Strikers, rien n'est jamais arrivé à la hauteur de son épisode le plus torturé et sombre qui m'a ouvert les portes de la grande saga : Persona 3. Avec la sortie récente de Persona 3 Reload, je suis épris de liesse à l'idée non seulement de retrouver un vieil ami qui m'a beaucoup apporté, mais aussi que vous puissiez enfin faire sa rencontre et comprendre pourquoi il est resté dans mon cœur pendant tout ce temps, malgré les vicissitudes de la vie.

Bienvenue à Gekkoukan, vous prendrez bien un Tartarus ?

Si vous avez déjà été conquis par Persona 5 ou tout autre épisode, pas besoin de faire le pitch : Persona est un Persona, tout bêtement. Mais si vous tombez pour la première fois sur la série, sachez qu'il s'agit – au même titre que Final Fantasy par exemple – d'une licence faite d'épisodes indépendants les uns des autres dont les numéros ne servent qu'à décrire une philosophie partagée entre tous les titres. Heureusement, il n'y a pas besoin d'avoir jouer au premier pour comprendre tout ce qui se passe dans le cinquième. La saga Persona repose avant tout sur quelques principes fondamentaux : un groupe d'adolescents luttant contre une affliction commune, un protagoniste aux pouvoirs hors-normes, un mystérieux homme au long nez dans une chambre de velours, et des Persona, ces avatars de l'âme de l'utilisateur inspirés par les multiples mythologies du monde, qui affrontent des Shadows, des démons eux-mêmes inspirés de ces mythes. Le tout sur fond de principes philosophiques qui donnent un cadre à une lutte plus grande encore, pour le bien de l'Humanité, mais surtout de liens sociaux qui font votre quotidien d'étudiant autant qu'ils vous aident dans votre quête.

Tu vas prendre cher à la rentrée toi

Dans Persona 3, vous incarnez un orphelin nouvellement transféré dans le lycée Gekkoukan. Et comme toujours, ce protagoniste n'est qu'une toile blanche sur laquelle vous peindrez votre propre histoire. En parallèle, une étrange brume fond sur la nouvelle ville portuaire donnant son cadre à cet épisode, puis se teinte de couleurs verdâtres. Des cercueils d'apparence gothique vous entourent, et des giclées de sang se forment sur votre route. Vous arrivez en pleine nuit dans votre dortoir et êtes accueilli par un mystérieux garçon au teint livide, mais à l'œil vif, sa longue marinière rappelant bien plus l'accoutrement d'un prisonnier que d'un bambin. C'est en signant son contrat que vous finirez par découvrir la Midnight Hour, une heure cachée entre chaque jour durant laquelle vous êtes l'un des rares à rester conscient. Votre lycée se transforme alors en Tartarus, une gigantesque tour mystérieuse qui semble être au centre des attaques toujours plus récurrentes des Shadows.

Eh oui : il faut écouter, il y a des exams au bout

Un Persona, donc. Mais un qui pourrait choquer pour quiconque prend la série en cours de route. Non pas parce qu'il faut avoir connaissance des deux – trois, en vrai et a grand minima, mais ne compliquons pas les choses – précédents épisodes, mais parce qu'il est bien plus sombre que ce que nous ont présenté Persona 4 et 5 par la suite. L'atmosphère du jeu est plus lourde, empreinte de désespoir, et observer pour la première fois les lycéens invoquer leurs Persona a ce petit quelque chose de saisissant alors qu'ils pointent un pistolet sur leurs têtes avant qu'une explosion ne résonne. On est loin des clichés guimauves associés au JRPG.

À chaque jour suffit sa peine

Persona 3 Reload a surtout à cœur de remettre au goût du jour l'épisode qui a donné ses lettres de noblesse à la série. C'est sur la base de ce premier épisode PS2 que toutes les mécaniques bien connues des joueurs ont été solidifiées et progressivement améliorées par la suite. Mais à l'époque, notez que vos compagnons étaient obligatoirement contrôlés par intelligence artificielle et faisaient régulièrement les pires choix. Ou encore que chaque exploration de donjon vous fatiguait et vous forçait à dormir le jour suivant, vous conduisant à perdre un temps précieux qui aurait pu être utilisé pour réviser, accomplir des quêtes secondaires ou bien sûr passer du temps avec vos camarades et en découvrir de nouveaux.

C'est le jeu de jambes qui fait tout

Persona 3 Reload, c'est donc avant tout l'occasion d'effacer ces difficultés arbitraires. Par exemple, les mécaniques de fatigue et de maladie ont complètement disparu. L'une des grandes critiques soulignées sur le jeu original a été entendue : de nouveaux événements spéciaux ont été ajoutés pour permettre de découvrir plus avant la personnalité des membres de notre dortoir, et donc par extension, de notre équipe qui lutte contre l'invasion des Shadows. Ces derniers sont autant de rajouts permettant d'optimiser les gains de courage, savoir ou charme, tout autant que de récupérer de nombreux objets de soin utiles lorsque vient le temps d'explorer le Tartarus. Le reste est intrinsèquement lié à l'histoire principale, mais les histoires secondaires des liens que nous pouvons créer sont toujours aussi bien écrites.

Say hello to my holy friend

La noirceur de Persona 3 se ressent véritablement sur ce point. Si l'équipe d'Atlus en charge du développement nous a habitué à des scénarios profonds, aucun d'entre eux ne valent ce qu'apportent les liens sociaux de cet épisode. Si certains sont assez légers, une grande majorité nous envoie un coup de poing dans le foie auquel on ne s'attend pas nécessairement. Qu'il s'agisse de la petite fugueuse, de l'élève timide subissant en fait de terribles violences familiales, ou d'une personne mourante (littéralement), Persona 3 ne ferme les yeux sur rien, et Reload nous permet de le vivre dans une plus grande splendeur tragique.

Et toi ça va ?

Splendeur car, oui, comme attendu, l'une des plus grandes évolutions de ce remake est graphique. L'équipe en charge de l'interface utilisateur s'en donne une nouvelle fois à cœur joie, grâce au respect aussi bien moral que pécunier que lui offre Atlus. Mais là où Persona 5 partait d'une page blanche, Persona 3 Reload devait malgré tout respecter un certain cahier des charges venant de l'œuvre d'origine. À mon plus grand bonheur : ils ont tiré en plein centre de la cible. Plus épurés, mais pas sans personnalité, les menus ont leur propre vie et fourmillent de détails graphiques qui n'encombrent jamais l'ensemble. Au contraire : on se surprend à découvrir et redécouvrir çà et là des petites attentions qui viennent réaffirmer tout l'amour avec lequel le jeu a été développé.

One world, one love, but the battle goes on

La plus grande faiblesse de Persona 3 Reload est finalement… d'être basé sur Persona 3, justement. Si graphiquement, la notion de remake est bien là, le jeu se permettant même d'utiliser du ray-tracing – une technique très moderne – pour afficher ses reflets, il n'empêche que nous sommes sur un vieux jeu. Face aux nouveaux événements possibles dans le dortoir par exemple, l'atmosphère plus ancienne du titre original connaît une mise en lumière qui souligne un peu trop comme l'environnement en lui-même est assez vide. Les nouvelles pistes et remixes de la bande son originale, tous composée par Shoji Meguro, sont par nostalgie quelque peu grinçants à la première écoute avant qu'ils ne révèlent leur véritable attrait : ça y est, l'anglais des chanteurs est compréhensible à l'international, et nous avons même le droit à quelques couplets en plus pour approfondir les sujets abordés. J'ai encore du mal avec la disparition des paroles françaises de Changing Seasons ; voyez ça comme un brin de chauvinisme.

On s'fait un p'tit donj' ?

Mais le plus grand choc sera de découvrir le donjon central Tartarus pour quiconque a connu la série à partir de Persona 5. Car ici, le principe était de mettre en avant un donjon en génération procédurale, soit plus ou moins aléatoire. Plutôt novateur pour l'époque, il en reste en 2024 une succession d'étages dont le design se renouvelle assez régulièrement, mais qui est loin de l'orfèvrerie avec laquelle chaque donjon de Persona 4 et 5 a été conçu. Il fallait absolument conserver ce point pour la cohérence de l'histoire de Persona 3, qui justifie bien cette grande tour labyrinthique centrale aux détours mortels, mais un joueur moderne n'a pas les mêmes attentes.

J'ai toujours su que j'avais un certain charme de gauche

C'est d'autant plus vrai en considérant que Persona 3 est sorti à une époque où les JRPG étaient bien plus exigeants. La suppression de mécaniques difficiles pour rien libère un temps fou qui permet de ne rien louper de l'expérience, et le plein contrôle des actions de son groupe sera une nouveauté bienvenue pour quiconque a connu Persona 3 FES plutôt que Persona 3 Portable, mais voilà… Le jeu ne s'arrête pas là.

Le "J'ai !" version jeu vidéo

Atlus a ajouté à son RPG au tour par tour la possibilité d'offrir son "one more", son tour bonus gagné après avoir profité d'une faiblesse d'un monstre, à l'un de ses coéquipiers plutôt que de le conserver pour soi. Il a également modifié la mécanique des cartes de tarots : auparavant de simples bonus aléatoires en fin de combat, ils peuvent être choisis avec précision désormais. Et vous pouvez également additionner des cartes d'arcanes offrant de nombreux bonus – notamment en gain d'expérience – sur une expédition. Surtout, surtout, s'est greffé au système de jeu la Théurgie, des super attaques que chaque personnage charge au prix d'actions précises à réaliser en combat – soigner ses alliés, faire des coups critiques – qui sont aussi simples à garder en stock qu'à remplir.

Super classe et complètement pété

Persona 3 était un JRPG exigeant sur PS2 et PSP qui réclamait une fine gestion des jours de la semaine pour réussir à terrasser à temps des ennemis colossaux et retords. Persona 3 Reload ressemble plus à une petite balade où sauvegarder par peur de subir le cruel game over est proche de l'inexistant alors que l'on peut envoyer quatorze effets flashy toutes les cinq minutes et atteindre le dernier palier d'un étage du Tartarus en une nuit. Certes, on pourrait tout simplement pointer du doigt le fait que je suis un bien meilleur joueur aujourd'hui que je ne l'étais adolescent, mais je conseillerais tout de même à ceux cherchant du défi de commencer directement en Difficile. Un mode que je n'aurais jamais osé lancer sur le P3 d'origine.

Memento Mori

Ce dernier point n'est malgré tout pas une pique envoyée à Reload, auquel je n'aurais pour seule véritable critique personnelle que le manque de vie des environnements. Bien au contraire : par leur difficulté, les JRPG de l'époque étaient souvent des titres si exigeants qu'ils prenaient l'allure d'un genre qui prenait de haut ses joueurs, et c'est en partie cette arrogance qui a causé leur perte. Persona 3 Reload est bel et bien aujourd'hui la meilleure manière de découvrir ce qui est pour moi le meilleur Persona. Non pas pour ses mécaniques, partagées entre les trois derniers épisodes de la série, mais pour son ambiance unique.

Sa philosophie est pleinement affichée d'entrée de jeu : "Memento mori. Souvenez-vous que vous allez mourir. Le temps n'attend jamais. Il nous rend tous égaux à la fin." Reload magnifie parfaitement cette vision en jouant des motifs de l'eau qui s'écoule et de l'horloge qui continue de tourner, mais c'est de Persona 3 que l'on tire la véritable essence de ce qui crée la marque indélébile laissée par le jeu. Memento Mori. La cruauté de l'expérience humaine, que personne n'a choisi de vivre. Memento Mori. Le vœux pieu que le temps s'arrête pour ne plus avoir à la subir. Memento Mori. Le grand unificateur derrière chacun d'entre nous qui à lui seul a la puissance de nous lier solidement.

En vérité, tout est dit dès le menu

Si l'on a toujours envie de pointer du doigt la licence Persona pour ses expériences complètes entre RPG traditionnel et simulateur de vie quotidienne… Si l'on s'attache à encenser l'expérience visuelle et sensorielle de chaque titre comme provenant d'un travail méticuleux d'une équipe soudée… Ce qui nous reste, au bout de chaque Persona, est le grand thème qui forme un nouvel épisode.

Persona 5 nous enjoignait d'atteindre une liberté absolue, au-delà de toutes limites. Persona 4 nous poussait à accepter la vérité, si terrible soit-elle. Ce qui rend Persona 3 si merveilleux à mes yeux est qu'il a choisi le thème du cycle de la vie. Il fait tout pour nous montrer que, dans une existence que nous n'avons pas choisi, ce sont nos choix qui sont la source de notre bonheur. Même dans l'adversité, il choisit de célébrer la vie dans ses moindres aspects. Et sur une fin douce-amère, il nous rappelle comme ces temps de liesse sont fugaces, mais ô combien importants, car ils forment la raison de l'existence.

Memento Mori. Carpe Diem.

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