Réhabilitez Metal Gear Solid 4, le point d'orgue de la série de Kojima

Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots est loin d'être l'épisode le plus aimé de la saga créée par Hideo Kojima. Pourtant, il est à bien des égards le point d'orgue de la série chez Konami, qui a su rester innovant sans céder à la mode.

Au panthéon des séries qui ont transformé le jeu vidéo à tout jamais, il faut obligatoirement intégrer Metal Gear Solid. Le premier épisode de la série, sorti sur PlayStation en septembre 1998, a été l'un des premiers jeux vidéo à mettre en avant une mise en scène héritée des films, et l'a fait avec brio. Aujourd'hui, tous les titres populaires se revendiquent du même mouvement, et c'est à lui qu'on le doit.

Mais plus encore, Metal Gear Solid et ses suites ont permis de découvrir l'originalité de Hideo Kojima. Obsédé par les thématiques de la guerre nucléaire, de l'évolution technologique, des conspirations, il a créé tout un univers dont les subtilités sont encore disséquées aujourd'hui. En parallèle, il est un créateur ayant subi d'être le pilier des revenus de son entreprise mère. À un point tel que son bébé est progressivement devenu son pire ennemi.

Pas mal, non ? C'est japonais

Une relation ambivalente qui a influencé le message de ses jeux, jusqu'à Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots sorti en 2008. Un adieu bancal, mal accueilli, mais rempli d'un respect pour ses joueurs qui devrait lui être enfin accordé. D'autant plus que tous ces petites pics reçus au fil des ans l'ont empêché de connaître les multiples rééditions de la saga, faisant que pour y jouer dans de bonnes conditions aujourd'hui, il faut obligatoirement posséder la PS3 et une copie officielle du jeu.

La-li-lu-le-lo

Je ne suis pas de ceux qui ont découvert la saga Metal Gear Solid naturellement, en me penchant sur la galette PS1 – qui a immédiatement cartonnée à l'époque. J'ai toujours détesté les contextes militaires dans la fiction, alors vous imaginez bien que l'image d'un soldat s'infiltrant dans une base armée sous la neige n'avait rien de particulièrement excitant pour moi. Mon premier contact avec MGS premier du nom s'est fait dans l'amour et le dédain, alors que j'ai offert le jeu à mon ami d'enfance avant de le regarder jouer sans trop prêter attention, juste heureux d'avoir fait plaisir à un proche.

You're the best looking guy here

C'est en trouvant mon petit groupe de geeks à mes 18 ans que j'ai été poussé par la pression sociale à me réintéresser au jeu, pour la seule envie de pouvoir partager cette référence. Le premier épisode, je l'ai donc fait en émulation sur mon ordinateur, sans même chercher à retoucher ses défauts. Et si le gameplay avait quelque peu vieilli, la plume fantasque et l'univers terriblement otaku de Hideo Kojima m'ont immédiatement happé. Dès lors, équipé de ma bonne vieille PS2, j'ai fait l'acquisition de Metal Gear Solid 2 Substance et Metal Gear Solid 3 Subsistence, et ai dévoré fiévreusement les deux épisodes en m'attachant à ne tuer personne. Un bon moyen de me réconcilier avec l'univers militaire, en m'imaginant pacifiste sur le champ de bataille.

Appuyer sur un bouton n'a jamais été aussi dur

À l'époque, la PS3 m'était inatteignable. N'oublions pas que la console était sortie à 600 euros, et que je venais à peine de décrocher mon baccalauréat. Cependant, un de ces amis passionnés par MGS m'a fait une belle fleur : me vendre son modèle 60 Go pour une petite centaine d'euros… avec Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriot. Son but s'alignait avec le mien : pouvoir enfin goûter au grand final de cette saga qui nous réunissait. Mais déjà, le titre était controversé, et j'ai récupéré la galette avec les avertissements du groupe : "Tu vas voir, y a rien qui va".

La guerre a changé

Effectivement, ma première impression du jeu fut compliquée. Mais pas nécessairement pour les raisons avancées par mes compatriotes d'Outer Heaven. Non : c'est en étant forcé de regarder Old Snake fumer son cigare en attendant que le jeu installe sur mon modèle vieillissant de PS3 toutes les données dont il avait besoin pour son premier acte que j'ai été déçu. Mon premier contact avec la "nouvelle génération" d'époque m'a surtout fait prendre conscience très rapidement que celle-ci allait être bien différente de ce que j'avais connu auparavant. Plus tard, avec l'expérience et l'acquisition de bien plus de connaissances techniques, j'ai pu contextualiser ces temps de chargement pour ce qu'ils sont : des limites techniques par rapport à la vision du créateur. À l'époque, par contre ? C'était juste chiant. Très chiant même de ne pas pouvoir avoir cette consommation immédiate, presque boulimique, de l'univers que j'aimais tant et dont le dernier chapitre s'ouvrait enfin sous mes yeux.

Et puis, l'introduction. Moyen Orient. Le désert, la poussière, le soleil brûlant. Les notes lancinantes d'un violon qui semble pleurer dans les bras de son musicien, qui ne viennent être interrompues que par la voix gutturale reconnaissable entre mille de David Hayter pour exposer un fait simple : "War has changed". Alors qu'Old Snake m'expose les nouvelles conditions de ce monde, l'imagerie me rappelle la guerre en Irak, qui a malgré moi bercé mon imaginaire en grandissant. Ici, la guerre est violemment déshumanisée par l'intégration de nouvelles technologies qui permettent aux puissants d'envoyer à l'abattoir des soldats dociles, dont les nanomachines suppriment toutes les émotions. Plus de métaphore : les soldats sont bien des pions sur un échiquier dont ils n'ont plus aucune vision concrète. L'ignorance est la plus grande forme de contrôle.

Me faut bien une clope pour me remettre

La cantatrice, à la voix aussi puissante que meurtrie, raconte en hébreu l'histoire d'un amour perdu sur le champ de bataille. "Faisant vœu d'un monde qui n'a plus de larmes à pleurer, mon cœur est déjà mort. L'espoir. Tu me manques tellement que cela me fait mal". J'ai appris la signification de ces paroles en écrivant ces lignes, mais leur message m'avait transpercé au travers des barrières de la langue dès les premières intonations. Clope vissée au bec sous une moustache foisonnante, les cheveux blancs et l'air résigné, le plus grand soldat de l'Histoire s'élance pour la première fois dans un conflit bien plus large que tout ce qui nous a jamais été montré dans la série. Old Snake, comme on le surnomme, n'a pas les mêmes avancées high-tech que ses ennemis pour augmenter ses capacités, mais plutôt l'expérience réelle du conflit et ses nombreuses cicatrices pour le guider.

Je suis née sur le champ de bataille

Cinq pleines minutes de cinématique. Mais de celles qu'on ne peut ignorer, celles qui ont des choses à dire toutes les secondes de tous les plans. Où tout est fort d'évocation et de signification. Un court-métrage intégré au dernier jeu d'une licence connue pour avoir créé la symbiose entre cinéma et jeux vidéo. Et ça ne s'arrête pas là. À chaque Metal Gear son thème. Pour Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriot, c'est "Sense" qui succède (dans l'ordre) à "Gene", "Meme", et "Scene". MGS1 s'attardait sur l'héritage génétique et son influence. MGS2 approfondissait cette vision en y incluant l'héritage culturel et sa transmission. MGS3 y ajoutait les circonstances, le temps et le lieu dans lequel on grandit.

On me voit un peu, on me voit plus, on me voit

"Sense" est un peu plus littéral, au point que j'ai pu le reconnaître dès que le jeu m'a laissé le contrôle d'Old Snake. Le radar d'époque se retrouve affublé d'un nouveau cercle permettant de ressentir les sons environnants, qui viennent une nouvelle fois influencer l'infiltration que propose le titre. Et alors que je passe discrètement à côté des soldats mitraillettes en main, dotés de cerveaux bien plus "jeu vidéo" que "véritable conflit armé", je ne peux m'empêcher de penser à quel point tout cela ressemble à une belle métaphore de l'état du jeu vidéo de cette époque.

Il est temps de dire adieu

En 2008, nous sommes en pleine explosion du genre FPS, où Call of Duty a pris la même place que FIFA au rang de "ce qu'est le jeu vidéo aux yeux des observateurs". Voir Old Snake et sa moustache arpenter ce conflit sans queue ni tête fait l'effet d'un vieux briscard du jeu vidéo se glissant entre les mailles des tendances pour réussir à rester en vie. Métaphoriquement et littéralement. Un effet qui se confirme d'autant plus alors que, dans mes recherches, je tombe sur le premier trailer du jeu pour le TGS 2005. En sachant à quel point Hideo Kojima a le contrôle sur ses trailers, c'est bien simple : la théorie est confirmée.

Qui contrôle la guerre contrôle l'Histoire

Mais où se dirige vraiment Old Snake ? À mesure que les actes passent, la réponse est finalement très simple : vers les fans de la série. N'oublions pas que, malgré les épisodes sortis par la suite, Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots est resté la fin officielle. Celle voulue par Kojima, à une époque où Konami n'avait pas encore le pouvoir qu'il imposera sur Metal Gear Solid V (oui, V, et pas 5). Et alors que le premier acte s'achève, j'ai le plaisir de retrouver des visages que je n'avais pas vu depuis quelque temps, comme ceux de Meryl ou de Naomi, et le déplaisir simulé de voir l'amalgame de deux des meilleurs antagonistes de la série en la personne de Liquid Ocelot. Je me sens comme appelé par Kojima, comme si le message était : "Vous qui avez passé ces dernières années à décortiquer mes messages, il est temps de tout démêler".

Raiden contre les vampires

Une invitation à laquelle s'ajoute une mauvaise nouvelle dès l'acte 2. Alors qu'il est temps de tout poser sur la table, il est aussi temps de se confronter à un fait immuable : la fin de cette aventure. Old Snake, le personnage que j'incarne depuis 1998, va mourir des conséquences de la mutation du virus génétique Fox Die. Rien ne peut être ignoré, les actions entreprises jusque là doivent rencontrer leur conséquence logique. Mais grâce à cette vie que j'ai intégralement vécue manette en main, je ne suis pas seul : Raiden, transformé en ninja cyborg, affronte une nouvelle fois Vamp pour me sortir d'affaire. La transmission de mon savoir et de mon amour est mon salut dans cette situation houleuse.

Demande au père que tu as tué

L'acte 3 m'en révèle toujours plus. Big Boss, héros comme antagoniste au cœur de la série, est toujours cliniquement vivant et son corps au centre de bien des projets des Patriotes, dont on apprend l'origine. Notre mère, à Old Snake comme à moi le joueur derrière son écran, n'est autre qu'EVA, qui est en prime à l'origine de la création des Patriotes dont les machinations ont ruiné ma vie. Les circonstances de cette naissance ont créé l'intégralité des traumatismes que j'ai vécus.

Ah sh*t, here we go again

La situation mondiale s'aggrave alors que Liquid Ocelot prend le contrôle des nanomachines et invoque pendant un bref instant les "armes des patriotes". Behold ! La supercherie de la guerre est révélée aux yeux du monde : les armes scellées par les nanomachines refusent de fonctionner. Les pions redeviennent humains, et ces humains prennent conscience des horreurs qu'ils ont réalisé sans véritable but. Les humains retrouvent possession exclusive de leurs sens et s'en voient traumatisés.

Fais-moi sentir vivant

Les gènes, les mèmes, les scènes et les sens s'additionnent pour amener à la conclusion de l'histoire. Et tout du long, je suis face au Hideo Kojima que j'aime le plus : celui qui fait confiance à ses joueurs pour récupérer des tonnes de secrets, et observer ses facéties dans le monde qu'il a créé. Le gameplay de Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots est le plus abouti de sa simulation d'infiltration, au point que chaque situation peut être résolue d'une dizaine de manière différente. Tous les sens peuvent être utilisés pour tromper l'adversaire et le défaire en un éclair, alors que de nombreuses nouvelles évolutions, camouflage automatique en tête, viennent pimenter le tout. On est bien loin de l'obsession mécanique qui influencera Kojima par la suite sur MGS V et Death Stranding. Peut-être s'est-il lassé de voir  les joueurs passer trop souvent à côté de nombreuses subtilités de gameplay qu'il avait pensées ; ici, c'est à nous de créer notre jeu, en toute liberté.

Parce que pourquoi pas ?

Sans bien sûr oublier l'ambiance. De l'humour potache au clin d'œil bien senti, mais avec cette fois-ci un ton un peu plus grave. Car oui : la trame tissée au fil des jeux ne peut véritablement se conclure sans un goût doux-amer, et l'artiste aime beaucoup trop sa création pour ne pas aller jusqu'au bout de ce qu'elle a à offrir. Quand bien même le cadeau est empoisonné. Et pour réussir à mettre en scène cela, ce grand théâtre où Metal Gear Solid trouvera sa conclusion, Hideo Kojima s'est laissé le champ libre. Rien ne le montre plus que la durée de ses cinématiques : huit heures au total, dont pas moins d'une heure et onze minutes pour la plus fameuse d'entre elles. Un record mondial.

Je ne suis pas un héros

Déjà à l'époque, Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots avait été décrié pour cela. C'était le centre des avertissements de mes amis, et le cœur d'un mème passé entre plusieurs générations de joueurs. Encore aujourd'hui, nombreux sont ceux qui diront "MGS4 est l'un des meilleurs films auxquels j'ai joués". Je sais déjà que j'aurais ces réponses à mon tweet à la publication. La plupart n'auront sans doute même pas lu l'article. Toujours un plaisir l'originalité sur Internet.

Laisse-moi zoom zoom zang

Mais n'avez-vous pas conscience que ce jeu n'était pas fait pour vous, mais pour moi ? Arrivé aux actes finaux, me voilà, bon vieux Old Snake, aux commandes du vieux Metal Gear Rex pour mettre à bas le Metal Gear Ray. Me voilà à lutter contre un nouvel assaut nucléaire qui ruinerait la vie de mes proches, rencontrés sur le champ de bataille, qui me soutiennent une dernière fois, les yeux en larmes, alors que je rampe dans un gigantesque micro-onde pour mettre un point final à cette dernière menace. Et me voilà, exténué, face à l'incarnation de mes deux plus vieux ennemis, troublé par des visions de mon passé, à mettre un terme à mon héritage sanglant de mes propres mains.

L'Homme n'a pas besoin de lire son avenir, il le crée

Jusqu'à ce que l'avatar de Big Boss, qui n'est réellement que l'avatar de Hideo Kojima, ne vienne contempler de lui-même la tentative de suicide du bébé qu'il a mis au monde et chéri pendant tant d'années. Non pas pour le réprimander, mais pour le féliciter d'avoir eu le courage de rester en vie. Et alors qu'il met fin à la vie de Zero, le personnage au centre de toutes les machinations et sans lequel Metal Gear Solid n'a plus de raison d'être, la boucle est bouclée.

Tu veux qu'on s'tire l'oreille ?

MGS est un tout rendu cohérent par son quatrième et ultime épisode, celui qui a invoqué tous mes souvenirs de guerre de la PS1 à la PS3 pour mieux les entremêler. Avant de saluer The Boss sur sa tombe et s'éteindre, Big Kojima me fait une dernière suggestion : celle de continuer de vivre avec ce qu'a été Metal Gear Solid pour moi, car personne ne pourra jamais me le retirer, pas même son propre créateur alors qu'il met fin à son univers.

Too old for this shit

Alors, après des années de mèmes faciles sur internet, que peut-on vraiment reprocher à Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots ? Il nous a fait subir les limitations techniques de son temps, c'est un fait, mais pour mieux repousser les limites d'un gameplay qui aurait pu rester le même sans que personne ne s'en plaigne. Il a pris quelques facilités avec ses personnages secondaires – Raiden le premier – qui sont pour beaucoup revenus en arrière pour mieux sauter sur ce grand final. Et il a eu l'audace de ne faire aucun compromis sur la vision scénique et scénaristique de son auteur principal, la raison première qui a fait que Metal Gear Solid est devenu ce qu'il est aujourd'hui.

Tu veux finir ta mission, n'est-ce pas ?

Asseyez-vous à ma table, et osez encore me ressortir ces bassesses nées de l'avènement des réseaux sociaux. Vous serez expressément remerciés. Asseyez-vous à ma table, et osez refaire Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots. Vous y découvrirez le point d'orgue parfait, que seul Hideo Kojima était capable de nous offrir, et dont les thèmes et messages sont encore beaucoup trop pertinents aujourd'hui. Un jeu profond, doté d'une âme bien à lui, et qui respecte assez ses joueurs pour ne jamais leur tenir la main. Un jeu presque parfait tristement difficile d'accès, puisque ce dernier est encore enfermé sur la PS3. L'émulation peine encore à suivre toutes les subtilités prévues par Hideo Kojima, quand les compilations de Konami le dédaignent encore.

Il est donc grand temps que les voix des fans de Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots s'élèvent pour sa réhabilitation, au risque d'ignorer la sauvegarde d'un titre qui mérite vraiment sa place au Panthéon du jeu vidéo.

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