Succès critique pour Baldur’s Gate 3, le nouveau RPG de Larian Studios, qui se positionne en favori pour être nommé jeu de l’année. Tous ceux qui se lancent dans cette aventure semblent comme atteint par une sorte de frénésie. Effet de buzz ou réelle révolution ? Probablement un peu des deux.
2023 est assurément une année extrêmement prolifique pour le jeu vidéo. Il y a fort à parier que chacun a pu y trouver son bonheur tant les sorties se sont montrées aussi originales que qualitatives. Que ce soit du côté de Nintendo en début d’année avec Zelda : Tears of the Kingdom, côté Sony avec Marvel’s Spider-Man 2, ou de manière plus générale avec Resident Evil 4 Remake, Final Fantasy XVI ou encore Alan Wake 2. La scène indépendante n'est pas en reste avec, entre autres, Dredge, Lies of P, Cocoon, Chants of Senaar, Jusant ou encore Viewfinder.
Games of the year
Au milieu de cette sélection déjà bien garnie, l’un d’entre eux semble profiter d’un statut unique. Un outsider qui a su conquérir son public plus que de raison en proposant une aventure à la finesse toute particulière. Héritage direct du jeu de rôle, et plus spécialement de Donjons et Dragons, Baldur’s Gate 3 fait l’unanimité chez ceux qui, comme moi, se sont plongés dans son univers.
Une réussite qui découle de nombreux facteurs, une alchimie savamment dosée qui réussit à créer un réel sentiment d’attachement. C’est notamment ce qu’a démontré la remise des prix des Golden Joystick Awards, une des plus anciennes cérémonies dédiées au jeu vidéo. Sur l’ensemble des catégories, ce n’est pas moins de sept trophées qui ont été remportés par Larian Studios et Baldurs Gate 3 : meilleure narration, meilleure conception visuelle, studio de l’année, meilleure communauté, meilleur second rôle, jeu PC de l’année et enfin, la plus haute récompense, jeu ultime de l’année.
Le studio belge croule sous les ovations d’un succès bien mérité et s’est bâti une solide place pour concourir lors de la plus grande cérémonie du 10e art : les Game Awards, dont les périodes de vote sont en cours au moment où sont tapées ces lignes, et qui visent à récompenser divers aspects de l’industrie du jeu vidéo. Aux côtés de Nintendo ou de Capcom, Larian et son épopée chevaleresque ont sans flancher détrôné des colosses tels que Diablo IV ou Starfield, non nommés pour le prix du fameux "GOTY" (Game of the Year).
Royaumes Inoubliables
Baldur’s Gate 3, comme ses prédécesseurs, est basé sur l’une des campagnes de Donjons et Dragons : Forgotten Realms. C’est un univers riche et alimenté depuis des décennies puisqu'il a intégré le système de DnD en 1987. Il est donc inévitable que ce monde très consistant puisse sembler vertigineux au premier abord, que ce soit par le nombre de races et espèces qui le peuplent ou à la vue des nombreux enjeux politiques et humains qui s’y décident.
C’est l’une des grandes forces de Baldur’s Gate 3 : la mise en place d’un scénario complexe, qui laisse au joueur l’opportunité de l’aborder avec simplicité s’il le désire. Un comportement qui n’est pas sans rappeler une véritable partie de jeu de rôle papier, où le passage du dramatique au burlesque s’effectue grâce à la connivence entre joueurs et maître du jeu. Héritage tardif des 80’s, le jeu de rôle redore peu à peu son blason auprès du grand public et les thèmes traités par certains scénarios de D&D n'ont à ce jour rien à envier à ceux abordés par les plus grands écrivains de romans de fantasy.
Que ce soit effectivement au cinéma avec le film Donjons et Dragons, en série avec Stranger Things et La Légende de Vox Machina ou encore sur Twitch avec les nombreuses campagnes – francophones pour ne citer qu’elles – menées par Game of Roles, La Bonne Auberge, TableQuest ou Terres Profanes, ce ne sont pas les occasions de s’intéresser au jeu de rôle qui manquent ces dernières années.
Et ce n’est pas un coup d’essai pour Larian, qui s’était déjà imposé comme une référence du CRPG (pour Computer Role Playing Games) avec la saga de jeux Divinity. Un succès qui provient notamment de leur approche dynamique du genre. Le joueur évolue en temps réel dans son environnement, avec un système de tour par tour qui se déclenche lors des affrontements, mais qui permet toujours une grande interactivité avec ce qui l’entoure. Un lustre peut être détaché pour s’abattre sur des ennemis, de la graisse peut être enflammée pour piéger un groupe d'assaillants et des étendues de givre peuvent permettre de transformer un assaut ennemi en véritable patinoire.
Tissé par Larian
C’est précisément cette fibre du jeu de rôle que parvient à parfaitement exploiter Baldur’s Gate 3. Au-delà d’un scénario complet, c’est surtout cette infinité d'embranchements qui réussit à donner l’impression de vivre une histoire aussi unique que personnelle. Le joueur possède à tout moment un vaste choix de décisions, de la plus pragmatique à la plus absurde, et le système de jeu y se comporte comme l’aurait fait un bon maître du jeu lors d’une partie de Donjons et Dragons classique : paré à toute éventualité, offrant une réponse à toute excentricité des joueurs.
Les précédents épisodes de la saga Baldur’s Gate datent d’il y a plus de vingt ans et étaient développés par le studio BioWare, pierre angulaire des années 2000 avec ses jeux à la narration poussée et détaillée : que ce soit avec NeverWinter Nights, se situant dans le même univers que Baldur’s Gate, la trilogie Dragon Age ou dans du côté du space-opera avec Star Wars : Knights of the Old Republic et la mythique série des Mass Effect, le nom de BioWare a longtemps résonné comme un appel à l’aventure hors du commun.
Cependant, cette flamme s’est mise à vaciller au fil des années. Rachat par Electronic Arts, remaniement interne, perte d’intérêt pour le CRPG… Le dernier jeu en date du studio, Anthem, est un parfait exemple du naufrage en cours. Il s'agit d'un jeu service dans la lignée d’un Destiny, au scénario éculé, tentant de combler le vide qui l’habite par des explosions et autres effets visuels. Un cahier des charges digne d'un film de Michael Bay à l’opposé de ce à quoi prétendait une suite de la saga Baldur’s Gate.
C’est alors qu’arrive Larian Studios, après un travail acclamé sur Divinity : Original Sin 2. Un statut d’outsider et d’indépendant, un intérêt vibrant pour le CRPG et une minutie dans le traitement des choix qui permet d’investir pleinement le joueur. Lui faire adhérer à la quête pour qu'elle devienne sienne. L’impression de participer à quelque chose de plus grand mais surtout de voir ses actions, même les plus minimes, se répercuter avec logique sur le monde qui l’entoure.
Des valeurs qui auront convaincu les ayants droits, Wizards of the Coast, de donner le feu vert pour risquer une suite à deux jeux considérés comme des pièces maîtresses du genre. Effectivement, Baldur’s Gate 3 ne tombe pas dans le traitement manichéen de l’illusion du choix qui consiste à faire croire au joueur que ses décisions comptent alors que la finalité reste la même. La communication autour du jeu avait à l’époque annoncé pas moins de 17 000 fins différentes. Un nombre absurde qui souligne surtout la quantité de choix mineurs pouvant modifier légèrement la voie empruntée par votre destinée.
C’est un véritable travail d’orfèvre qu’accomplit ici Larian Studios, qui parvient à retranscrire les sensations d’une partie de jeu de rôle papier : chacun de nos choix, qu’ils soient bons ou chaotiques, trouvent leur chemin dans l’évolution du scénario et peuvent à terme mener à des conclusions drastiquement différentes d’une partie à la suivante. Il suffit simplement de partager son expérience de jeu avec un autre joueur pour réaliser que des pans entiers de l’histoire s'écrivent différemment et que des zones entières ont accueilli vos décisions d'une autre.
Le 4e Passager
Mais venons-en maintenant au jeu en lui-même et à l’expérience qu’il propose. Tout débute avec une cinématique des plus rebutantes dans laquelle votre protagoniste ouvre les yeux pour réaliser qu’il est prisonnier comme d’autres malheureux d’un étrange sarcophage à l’aspect organique. Survient alors l’un de vos geôliers, un Illithid – ou Flagelleur Mental – une espèce tout droit sortie d’un univers lovecraftien, à la peau blanchâtre et pourvu de tentacules en guise de mâchoire. Cette race bien connue de D&D possède des mœurs bien particulières. Notamment celle de se reproduire en contaminant des hôtes en leur insérant une larve qui sortira à maturité dans le plus pur style du Alien de Ridley Scott. C’est d’abord votre voisine de cellule que vous regardez impuissant recevoir le cadeau empoisonné des Illithids : le ver se frayant un chemin sous la paupière pour aller se nicher directement dans le cerveau en attendant d’être réveillé lorsqu’il sera temps. C’est ensuite à votre tour de subir le même sort, mettant fin à une introduction pour le moins déroutante, frisant avec le body horror.
Cut. Me voilà directement transporté dans un joli décor de lisière de forêt bordé de lavande, pour entamer la création de mon personnage. J'essaie d’oublier les dernières minutes pour me concentrer sur les options de customisation. Il faut dire qu'il y a de quoi faire ! Me voilà alors tentant de choisir ma race parmi les onze disponibles, puis les sous-races inhérentes à chacune. Viennent ensuite la classe, les sorts, styles de combat et capacités qui lui seront rattachés. Arrive enfin l’historique de mon personnage, c’est à dire son passé, son alignement… Tous ces leviers qui provoqueront des modifications profondes de la nature même de la narration de mon aventure.
Dès lors, le ton est donné. Le champ des possibles est immense et très vite me vient l’envie de recréer de nouvelles parties afin de me confronter différemment à chaque situation. Lors d’une interaction, le de jeu propose systématiquement plusieurs options et certaines nécessiteront un jet de dés afin de déterminer la réussite de l'action. Tout cela étant entièrement régi par les statistiques choisies. Un Halfelin Roublard se sortira très bien d’une situation en faisant appel à sa Persuasion pour désamorcer un conflit. Mais c’est dans ce genre de cas que l'on se met à penser que l'on aimerait voir ce qu’il en aurait été en incarnant un Demi-Orque Barbare pour qui l’art de manier la langue consiste surtout à arracher celle des autres.
Encore une fois, la volonté de rendre hommage au jeu de rôle papier est criante. Lors de chaque test actif, c'est avec un plaisir candide que je fais rouler mon dé à vingt faces en croisant les doigts pour accomplir un succès critique. À cette mécanique s'ajoutent plusieurs tests passifs qui viennent agrémenter l'histoire en s’adaptant aux statistiques, rendant l’aventure toujours plus personnelle. Incarnant un Drow, la narratrice me gratifie de quelques réflexions personnelles relatives au passif de mon héros.
Hero Quest
Me voilà donc piégé au sein d'un vaisseau Illithid en proie aux flammes. Mes geôliers ont été attaqués par une armée de Githyankis, une race anciennement esclave de leur influence qui a su se libérer de ses fers et qui les traque aujourd'hui sans merci en chevauchant de fiers dragons rouges. Le bâtiment tente de semer ses poursuivants en se téléportant de plan en plan, de monde en monde, mais c'est peine perdue puisque les poursuiveurs belliqueux leur ont dérobé cette connaissance technologique. Nous voici alors à enchaîner les bonds d'un monde à l'autre jusqu'à arriver à l'un des mondes infernaux, tandis que des démons se mettent à prendre d'assaut notre radeau sous mon air médusé.
Cette zone fait office de didacticiel et me permet de faire la connaissance de deux autres victimes des Illithids durant ma fuite paniquée. Lae'Zel la guerrière Githyanki, vociférant sa rage toute spartiate, jurant au nom de sa reine de prendre sa revanche sur nos ravisseurs. Et Ombrecoeur, disciple de Shar la déesse de l'obscurité, qui nous accompagne en gardant toute réserve quand à ses intentions. Notre trio téméraire amorce sa fuite en avant, accomplissant ses premiers faits d'armes dans la zizanie qui règne dans le navire vivant des flagelleurs mentaux. Nous échappons à une dérouillée, notre transport change une dernière fois de plan avant de s'écraser dans une crique, tandis que nous en réchappons miraculeusement. Émergeant des décombres, commence alors notre grande vadrouille.
Nous voila donc, aventuriers malgré nous, compagnons d'infortune, à errer en tentant de nous situer. Si l'on oublie le crash encore fumant qui vient d'avoir lieu, le cadre n'est pas déplaisant. La plage est baignée de soleil, l'eau turquoise et la végétation hume la pinède bercée de son ciel d'été. Une atmosphère bucolique pourtant rapidement bouleversée par un nouvel élément perturbateur : trois soldats tentent de fuir un groupe de gobelins qui les a pris en chasse et les voilà à l'orée d'un bosquet à défendre leur peau en beuglant sur les gardes pour qu'on leur ouvre la porte.
"Ah shit here we go again", comme on dit à Los Santos. Je décide de prendre le parti des opprimés. Je me rue sur l'ennemi et fais pencher la balance de ce combat qui paraissait perdu d'avance. Encore couvert de viscères, je rejoins mes protégés en quête d'une récompense bien méritée pour réaliser que j'aurais bien fait de les laisser à leur sort… Ces mercenaires odieux n'ont que faire de moi et ne sont pas plus tendres avec les Thieffelins qui viennent de les laisser entrer à l'abri. Pire encore, ces mêmes Thieffelins sont eux aussi des réfugiés, s'abritant dans un bosquet appartenant à des druides en attente de pouvoir repartir vers la Porte de Baldur. D'une part, les gobelins et leurs alliés leur barrent la route, et de l'autre, une partie des druides fomente de les forcer à partir, les condamnant à une mort certaine.
C'est décidé, je ne saurai tolérer tant d'injustice et me voilà devenu défenseur des opprimés. Le druide dirigeant le bosquet, parti combattre les gobelins, n'est pas revenu et sa suppléante organise un putsch en secret. J'use de ma persuasion et parviens à un accord : moi et mon groupe tombé du ciel iront terrasser un camp entier d'ennemis au nom de la veuve et de l'orphelin. Après tout, j'incarne un Drow Seldarine, une race d'elfes sombres s'étant éloigné du culte obscur de la Reine Araignée. Et bien que je n'ai pas la moindre idée de ce que cela signifie, je ne laisserai personne émettre de préjugés sur mes amis cornus.
Cabale en cavale
Sans le savoir, fatalement, je viens de mettre mes petits pieds dans de grands plats. Mon objectif principal est pourtant simple : trouver de l'aide auprès de quiconque pourrait extraire le ver logé dans mon cerveau. Je suis une bombe humaine et seule une poignée de personnes tiennent ma vie dans leur main. Des rumeurs me parviennent, je pourrais tenter d'obtenir une assistance de la part des druides en parvenant à les mettre dans de bonnes dispositions. Cependant, du camp gobelin émanent des histoires : un culte naissant vénère l'Absolu, une entité mystérieuse dont les pouvoirs résonnent avec la larve domicilié dans mon cortex. Je pourrais bien choisir de semer le chaos dans le bosquet pour m'attirer les faveurs de cette puissance. À moins que je décide de rejoindre la souriante mère-grand dans sa cahute au fond des marais. Elle semble disposée à partager ses décoctions à toute âme en détresse…
Me voilà dès lors à arpenter l'immensité du territoire comme un damné, tentant de jouer les bons samaritains auprès des victimes, punissant de mes poings vengeurs les oppresseurs. Je choisis le côté lumineux, résiste à la plupart des tentations, y succombe parfois. Ce n'est que le début de mon aventure, mais ma voie est déjà tracée. Si je devais demain me changer en poulpe, j'aurais cultivé bon nombre d'amitiés et trépasserai dans la postérité.
C'est pas à pas que je commence par ailleurs à comprendre les enjeux qui ont lieu dans les Royaumes Oubliés. Je compulse avidement chaque note, de la recette de la soupe à l'oignon aux documents confidentiels dérobés lors d'une infiltration. Les détails sont partout et le scénario semble paré à toute éventualité. J'ai repris mes esprits depuis le naufrage du vaisseau mais le vertige demeure. Je sens l'aventure qui m'appelle, vibrante d'impatience, elle sait que je n'en suis qu'à l'aube de ma quête et que, malgré mon apparente assurance, je suis loin de me douter de ce qui m'attend derrière chaque porte.
Baldur's Gate 3 se loge dans mon cerveau et je m'y abandonne. Je deviens l'un de ses zélotes, je me rends sans combattre. Je suis pris dans le torrent et je n'en mène pas large. Ébahi devant cette pluie d'informations diluvienne alors que cette crique n'est que le pédiluve.
Baldur's Mates
Même s’il est possible d’effectuer cette épopée entièrement seul, ce n’est pas véritablement l’objectif de Baldur’s Gate 3. Passé le naufrage, le début de partie est marqué par plusieurs rencontres avec des protagonistes hauts en couleur que vous pourrez inviter à rejoindre votre campement et ainsi à combattre à vos côtés. Le jeu comprend six compagnons originaux que l'on pourra croiser lors de la première heure de jeu, ainsi que quatre autres plus optionnels qu’il sera possible de croiser plus tard dans la partie. Et comme toujours dans cette aventure, tout est optionnel. J'ai même complètement oublié l'un d'eux sur la plage avant de le recroiser entièrement par hasard une dizaines d'heures plus tard.
Le premier avantage de cette coopération est évidemment d’offrir davantage de versatilité dans le gameplay en venant compléter les faiblesses de votre personnage avec les qualités de chacun. Sans aucun mod installé, votre escouade pourra atteindre quatre protagonistes en simultané. Cette complémentarité n'est par ailleurs pas limitée aux combats, puisque des options de dialogue et d’interactions uniques seront proposées selon la configuration de votre groupe. De même, chacun possède son propre alignement et pourra réagir différemment à vos actions dans la partie.
Encore une fois, Larian Studios n’a pas fait les choses à moitié, puisque chacun de ces personnages possède une histoire qui lui est propre et que vous aurez l’occasion de découvrir au fil de votre progression. Les comportements de chaque compagnon finiront même par évoluer selon les affinités que vous développerez avec eux. Ainsi, aurais-je préféré Astarion le chaotique vampire, notre amitié grandissante le poussant à s'ouvrir pour dévoiler son destin tragique ? La confiance mutuelle entre Lae'Zel et moi aura été essentielle pour l'aider à accepter l'ensemble des décisions qui l'ont accablé. Gale n'était pas non plus contre un coup de main. Ombrecoeur m'en a appris davantage sur son passé entre les mains des Disciples de Shar et sa phobie des loups. Wyll sur les événements qui l’ont conduit à se lier à un démon. J'aurais jeté le monde aux flammes les plus profondes des enfers pour venir en aide à Karlach…
Autant de nouvelles d'arcs narratifs inoubliables qui viennent s’ajouter à un jeu déjà si complet. Cette réussite étant également due à l’excellent travail de doublage. Les personnages en deviennent tous attachants et vous pourrez choisir de tisser des liens étroits avec eux. Beaucoup de liens d’ailleurs. Et très étroits. Parfois plusieurs à la fois. Donjons et Dragons a toujours été inclusif et Baldur's Gate l'est encore davantage. Si vous vous désintéressez de ce qui grandit dans votre cerveau pour ce qu'il y a sous la ceinture, il est fort possible que votre campement se change rapidement en un Woodstock médiéval dédié au stupre et à la luxure.
Barderies de l'île
Cette minutie du détail devient alors encore plus vertigineuse lorsque je constate peu à peu l’immensité du monde qui se dévoile à mesure que j'avance. Le jeu est découpé en trois actes et certaines zones deviendront inaccessibles au fil de la progression par question de cohérence. Le monde se veut dynamique et certains personnages auront également fait leur bout de chemin. J'ai failli y passer plus d'une fois en voulant sauver cet enfant des griffes d'une horde de harpies. Mais je prends vraiment compte de mon héroïsme lorsque je le croise de nouveau bien plus tard auprès de ses amis aux abords d'une auberge.
Chaque acte comporte ainsi un large nombre de cartes aux décors variés et aux enjeux bien définis. Des donjons en ruine aux vallées hantées en passant par des champignonnières démesurées et des temples oubliés, rien ne m'est épargné. J'ai déjà quelques faits d'armes dans le monde du jeu de rôle papier mais jamais l'envie de m'y replonger n'a été aussi pressante. Ce volet possède un nombre absurde de paysages à couper le souffle. L’apothéose étant bien évidemment la Porte de Baldur, ville à la densité démesurée fourmillant de recoins à explorer.
L’un des maux dont souffrent certains jeux d’aventure de ces dernières années est la quête du “toujours plus grand”, l’obsession du monde ouvert alors rempli de vide. Que ce soit avec Starfield, qui comble ses planètes sauvages de génération procédurale débordant d’ennui, ou Diablo IV qui délaisse l’écriture d’un scénario pour mieux implémenter ses mécaniques de hack'n slash répétitif. Tears of the Kingdom, Elden Ring, même les grands succès de ces dernières années souffrent de ces zones d'essoufflement.
C'est justement l’un des aspects sur lesquels Baldur’s Gate 3 excelle, maîtrisant la taille de ses environnements et les faisant fourmiller de détails. Bien que l’univers à explorer soit gargantuesque, il existe une véritable homogénéité dans la répartition de ces points d’intérêts. Quêtes secondaires, trésors enfouis, affrontements entre factions… Il n’existe pas un endroit qui ne m'a semblé oublié par ses créateurs. Jamais aventure n’aura été aussi prenante tant elle semble avoir été taillée sur mesure pour chacun.
Larian a fait face à un challenge de taille, proposer une suite à Baldur’s Gate en modernisant son contenu pour faire face à l’exigence grandissante des joueurs. Cette réussite provient d’une décision de prendre entièrement à contrepied les standards de notre époque. Acceptant pleinement l’héritage du jeu de rôle papier, sa complexité est en fin de compte son gage de qualité. Certaines licences, comme Final Fantasy, délaissent leurs racines issues du jeu de stratégie en recherchant toujours plus d'action. C'est un contrepied total qui est assumé ici en acceptant des phases de tour par tour plus réfléchies et plus authentiques sans jamais nuire au rythme de l'ensemble pour autant. Pas besoin d'artifice quand on parle avec le cœur.
Tous ceux qui errent ne sont pas perdus
Après quelques heures de Baldur’s Gate 3 arrive très vite ce sentiment enivrant que seuls certains jeux peuvent prétendre délivrer : celui de perdre son joueur dans la contemplation de son univers. Les paysages sont riches et les graphismes du jeu rendent un hommage fidèle à chaque recoin sur lequel l'œil s’attarde. De plus, la vue isométrique est entièrement dynamique et peut être pivotée, la caméra dissociée du joueur permet d’égarer son regard ça et là. Je ne me préoccupe même plus de mon avancée, atteint du syndrome de Stendhal, je m'assois et reste coi.
Une flânerie rendue d’autant plus douce grâce aux compositions Borislav Slavov. L’artiste déjà présent sur Divinity : Original Sin 2 a su parfaitement retranscrire la diversité de Baldur’s Gate 3 en musique. Des thèmes martiaux aux chœurs graves viennent marquer les moments les plus épiques de mon aventure tandis que la voix céleste de Vesela Delcheva – Alfira dans le jeu – résonne encore dans mon cœur et l'emplit d’une douce mélancolie, sur des morceaux tels que Weeping Dawn ou Down by the River.
Nombreuses ont été les tentations de me détourner de mon objectif principal, poussé par la curiosité d’un détail anodin. La porte ouverte d’une grange, une fissure dans un mur, une grotte profonde et un combat haletant, un trésor mystérieux, la malédiction d’un nécromancien… Des événements qui s’enchaînent avec un rythme effréné et de nombreuses quêtes qui ne se ressemblent jamais. Au contraire même, c’est souvent le départ d’une aventure anodine qui m'aura mené bien plus loin que je ne l'aurais imaginé.
Des recoins sans fin qui ont fini par réveiller cette fibre de l'explorateur compulsif. Fi de la larve stellaire qui me grignote le cerveau, l’antidote, s’il existe, attendra. Il me reste encore beaucoup trop à voir pour aller de l’avant sans me retourner toutes les minutes. Que ce soit à travers le monde de Faerûn, dans l’étrangeté du Plan Astral ou dans les abysses des enfers, en Avernus, j'ai toujours trouvé une bonne raison d’aller risquer ma peau.
Donjons et Bastons
Si Baldur’s Gate 3 est en apparence un excellent dating simulator, il n’en reste pas moins un jeu ponctué de nombreux affrontements. J'ai eu bien souvent l’occasion d’y échapper grâce à mon bagou et ma belle gueule, de convaincre mes adversaires de prendre la fuite ou mieux, de s’affronter entre eux. Mais par moments, le conflit a été inévitable et certains combats ont vraiment pu me donner du fil à retordre.
L'aventure peut être lancée dans trois modes de difficulté – le dernier palier relève du masochisme tant l’IA des adversaires peut parfois se montrer impitoyable. Dès qu'arrive l'heure de la bagarre, le jeu passe en mode tour par tour et il faut reconnaître que les adversaires se sont avérés être des tacticiens hors pair. Ils m'auront bien souvent donné l’impression de mieux maîtriser leur panoplie de compétences et l’apprentissage de l’art de la guerre s'est fait à mes dépends.
Larian applique ici parfaitement ce qui avait fait le succès de Divinity : Original Sin 2, à savoir une interaction poussée et immersive de l’environnement, ainsi que des architectures de level design qui invitent le joueur à diversifier son gameplay. Tout cela demeure parfaitement retranscrit pour s’adapter à l’univers de Baldur’s Gate en exploitant la majeure partie des systèmes inhérents à D&D pour des combats aussi divers qu’ardus.
Certaines embuscades pourront même se changer en véritable pièges mortels si l'on n'est pas en état de s'y confronter. En effet, une majeure partie des sorts et compétences nécessiteront une période de repos afin de pouvoir être utilisés de nouveau. Pour cela deux options : un repos court, limité à deux par jour, qui constitue une récupération partielle de la puissance. Ou un repos long qui sera considéré comme une fin de journée, ce qui résulte en l’installation du campement, permettant de développer les intrigues et évolutions narratives des bien-aimés compagnons.
Cependant, et je l'ai découvert à mes dépends, certaines quêtes peuvent être vouées à être modifiées voire échouées si l'on tarde trop à les résoudre. Une fois de plus, le choix est entre vos mains… Et pour certains joueurs, profiter d'une soirée grillades au coin du feu peut s’avérer être un lourd prix à payer pour sauver la vie d’une dizaine d’innocents.
I believe in a thing called love
Baldur’s Gate 3 est donc finalement plus que ce qu’on pourrait en percevoir au premier regard. Un projet rescapé qui a failli ne jamais voir le jour. Une reprise de volée inespérée par Larian Studios. Un early access qui a su prendre son temps loin des pressions classiques des grands studios… Et le résultat est là, édifiant. Baldur’s Gate 3 redéfinit les codes du RPG, en allant puiser à la source même du genre. Cela n'est pas sans rappeler The Witcher 3, qui en 2015 avec bousculé les codes du RPG de Fantasy. CD Projekt Red, petit studio polonais avait été acclamé pour avoir proposé une aventure d'une finition à toute épreuve et un univers d'une qualité rarement égalée.
Ce n’est pas simplement une bonne idée qui justifie ce succès, mais un fourmillement d’attentions apportées par toute une équipe de passionnés. L’amour des mondes de l’imaginaire et de la fantasy se ressent dans chaque détail. Ce qui en résulte est tout sauf un hasard, un attachement profond d’une communauté de joueurs qui se ressent davantage représentée, impliquée et comprise grâce à une production qui ose sortir des sentiers battus. Battues à ce jour, ce sont les grosses productions de l'industrie qui vont devoir observer ce nouveau mètre-étalon du RPG et faire évoluer leurs formules surannées.
Nul doute que Baldur’s Gate 3 n’en a pas terminé avec ses joueurs et le sentiment est assurément réciproque. Des patchs sont apportés fréquemment depuis la sortie du jeu et au-delà de légères corrections, apportent souvent du nouveau contenu. Récemment, une nouvelle fin a ainsi été dévoilée et certaines rumeurs courent déjà concernant un futur DLC. Avec un tel soutien, par son parcours et l’audace de ses atouts, sa place aux Game Awards est entièrement méritée. GOTY ou non, Baldur’s Gate 3 marque l’histoire du jeu vidéo avec une proposition d’une grandeur vertigineuse dont il est compliqué de se remettre. Et bien que ma liste de jeux à faire ne cesse de croître, il est fort possible que je revienne rapidement en Faerun pour éprouver la balance des décisions, au cours d'une nouvelle odyssée au long cours.