Les imbéciles ont souvent pris Jonah Hill comme exemple du fait que l'on peut réussir à Hollywood même en étant "un p'tit gros". Plus d'une fois cette observation lui a été apposée, et plus d'une fois a‑t-il dû la brosser sur le côté et pointer du doigt l'hypocrisie de ce milieu. Au départ pressenti comme une star comique, notamment par le biais du film Superbad et ses liens avec Judd Appatow, il a réalisé un second "exploit" aux yeux des journalistes américains : le "p'tit gros drôle" a réussi à devenir une star dramatique, notamment sous la direction de Martin Scorsese pour le film The Wolf of Wall Street.
Et voilà que les observateurs tombent une nouvelle fois des nues alors que l'acteur, qui enfin ne connaît plus de réflexions de bas fond de la sorte, sort son premier long métrage sous la casquette de scénariste et réalisateur : mid90s, ou 90's en France. Un film avec bien des spécificités, mais surtout un attachement à narrer son enfance entouré de la culture skate du milieu des années 90 (au cas où ce n'était pas assez évident). Hum. Intéressant.
10 ans plus tôt
Vous le savez, je suis loin de pouvoir me dire critique de cinéma. Mes articles sur le sujet, à l'image de Chasing Amy, prennent donc bien plus un angle personnel que culturel. Pourquoi jeter mon dévolu sur mid90s auquel cas ? Parce que sur bien des points, ce film raconte également mon enfance… 10 ans plus tard.
Cette tâche verte et chevelue n'est autre que mon moi adolescent, traînant comme toujours dans mon skate park délabré local, pour retrouver le même groupe d'amis en quête de nouvelles aventures. Mes années formatives sont liées à ce lieu si précis, à ces rencontres diverses, et à cette culture cherchant à ne ressembler à aucune autre. Si mid90s est un film personnel pour Jonah Hill, le "p'tit gros de Hollywood", pourrait-il seulement l'être pour OtaXou, le "p'tit gros de Le Grand Pop" ? C'est sous cet angle que je veux aborder le film avec vous.
Pression sociale à roulettes
Nous suivons donc Stevie dit "Sunburn", petit gamin de 13 ans grandissant dans le Los Angeles des années 1990 au sein d'une famille dysfonctionnelle où une mère trop absente tente de l'élever en compagnie de son grand frère violent et perdu. Cherchant à trouver des modèles et une place dans le monde, il finira par côtoyer une bande de skateurs locaux plus âgés baignant dans la contre-culture de l'époque.
Loin d'un Lords of Dogtown, mid90s n'est pas un docu-fiction sur l'univers du skate. Il est avant tout une histoire humaine, le contexte du skate ne cherchant qu'à mettre en exergue l'évolution de chacun des personnages et leurs traits particuliers. On côtoie ainsi Ray, l'ambitieux et réfléchi servant de leader, Fuckshit, l'anarchiste fêtard du groupe, Fourth Grade, le benêt à la caméra constamment en enregistrement, et enfin Ruben, qui concède avec rancœur la place symbolique du plus jeune du groupe.
Le sel de l'histoire provient donc de l'évolution de ces personnages, tous cherchant à devenir adultes avec une passion particulière souvent considérée comme en marge de la société. Une philosophie particulière qui rejette à bien des égards les pressions convenues du fait de grandir. Un environnement particulier propice à l'expérimentation, en bien comme en mal, pour définir ses envies. Sa retranscription est parfaitement réussie.
Jonah Hill n'a toutefois pas cherché à embellir la réalité. L'homophobie rampante du milieu skate des années 90 est présentée telle quelle, sans fioriture. De même pour les relations avec les femmes, moins sentimentalistes qu'utilitaristes pour des jeunes gens cherchant à devenir des hommes selon les critères masculinistes de cette époque. Les personnages évoluent dans cette mentalité, qui n'est ni critiquée ni modifiée : elle est décrite le plus fidèlement possible. C'est donc par l'enchevêtrement de pressions sociales diverses que nous sommes amenés à voir nos héros évoluer.
Des skateurs qui savent jouer
Le personnage le plus important de l'histoire devient donc la culture skate. Et en cela, le réalisateur a pris le parti d'embaucher des skateurs savant jouer la comédie plutôt que des comédiens entraînés à skater. Le réalisme est donc bien présent dans la réalisation, qui s'éloigne des clichés frustrants des films d'action grand-public traitant du sport pour se rapprocher de ce qu'est vraiment une vidéo de skate : des plans séquences filmés de prêts, où l'angle est plus important que le montage. Il n'y a rien de plus frustrant, lorsque l'on aime le skate, de voir des figures être entrecoupées, et 90's l'a bien compris.
Pour toujours plus coller à l'époque, le film a également insisté sur l'usage du format 4:3 plutôt que 16:9. Un choix judicieux qui est utilisé scénaristiquement comme pour réaliser un parallèle avec la caméra de Fourth Grade, mais aussi les vidéos de pro qui passaient de main en main en VHC à cette période. La colorimétrie, souvent un brin délavée, va avec cette philosophie de montrer le milieu comme il est, le skate s'exprimant bien plus sur des plaques de béton et des rails métalliques que sur de grandes palettes de couleurs.
Et les skateurs devenus acteurs sont tous… justes. Malgré leur potentielle inexpérience, l'alchimie du groupe crève les yeux dès les premières minutes. Il faut dire qu'ils sont tous skateurs dans la vraie vie et que Jonah Hill a fait l'effort de les réunir bien avant tournage pour trouver ces liens, leur relation reste ainsi presque inchangée face ou en dehors de la caméra. Plus l'on écume les interviews, et plus l'on constate que les personnalités réelles de ces jeunes gens sont très proches de leur personnage. Très bon casting, donc.
Ode to my family
Le message final du film n'est pas noyé dans une subtilité nauséabonde : il s'agit d'une histoire de famille. L'évolution du jeunot Stevie au sein du groupe de skateurs est constamment mise en parallèle avec le délabrement de ses relations familiales. Pas de jugement ni de comparaison pour autant : il ne s'agit pas de déterminer "quelle famille est supérieure", mais quelles influences exercent leurs pressions dans l'esprit encore en formation du petit garçon.
Et c'est peut-être là que le bât blesse. À ne vouloir vexer personne, on ne finit par ne plus rien dire, et 90's me semble avoir beaucoup trop d'ambitions contradictoires. Par exemple, sa volonté de retranscrire avec justesse la culture skate des années 90 tend à lui faire adopter une forme visuelle de documentaire qui parfois peut desservir son impact émotionnel, à l'image d'événements de rupture qui restent trop en surface pour véritablement incarner un schisme au sein du groupe d'amis.
Ce groupe représente hélas lui aussi un point potentiellement problématique sur ce que veut exprimer le film. Est-ce l'histoire de l'épanouissement du petit Stevie ? Du groupe entier ? Si l'on perçoit toujours les événements selon le prisme de l'enfant, leur portée manque souvent de définition pour pouvoir véritablement défendre le propos. Suivent une succession de questions auxquelles nous n'aurons pas de réponse, et les bribes de dialogue laissées çà et là pour la compréhension du spectateur ne suffisent pas à combler ce manque. Il deviennent même la manifestation de ce manque.
Cela n'empêche pas le film de rester cohérent de bout en bout, et à exprimer avec justesse et sensibilité l'influence de nombreux individus dans la recherche de leur moi intérieur. Le questionnement que l'on subit, l'impact de son environnement, et la nécessité d'avoir des regards extérieurs pour acquérir une plus grande compréhension du monde.
10 ans trop tard
Pour autant, je ne peux m'empêcher de lui reprocher le manque d'un message, n'importe lequel. Après visionnage, ne me reste que l'impression d'avoir vu une capsule temporelle parfaitement réussie… mais pas un film complet. Après avoir étudié le traitement médiatique qu'il a reçu, je ne peux m'empêcher de penser que la presse l'a traité avec plus de déférence qu'elle ne devrait. Face à Jonah Hill, elle me fait l'effet de ce pote qui multiplie les adjectifs mélioratifs présenté à l'une de vos créations, par peur de vous vexer, mais n'offre pas la critique constructive importante à votre évolution.
N'oublions pas cependant qu'il s'agit du premier film écrit et réalisé par Jonah Hill. Nombreux sont les réalisateurs qui tueraient pour réussir à avoir un premier film aussi abouti. Hélas, en tant que spectateur, malgré toutes ses réussites visuelles et tout le respect qu'il montre à la culture, je ne peux m'empêcher de lui reprocher une certaine vacuité. Le film s'achève là où mon esprit attendait un troisième acte, à l'image de la démolition de mon skate park que je pensais éternel.
C'est là que mon lien avec cette culture a pu jouer, et la raison pour laquelle j'ai décidé de la dévoiler. J'ai vécu ces rêves de liberté, ce groupe d'amis aux origines disparates, cette idée de famille quand l'ordinaire échoue, cette vision décalée du monde. J'ai subi ces tensions au sein du groupe, ces ambitions contraires, ces abus de substances, ces gamins voulant faire les grands, cette recherche de personnalité et de valeurs. Cette arrivée des flics, ce pote à la caméra, cette bouteille partagée avec un sans-abri, cet accident de voiture.
Pour ce que le divorce et les verres en trop de mes parents m'infligeaient à la maison, je m'échappais d'un coup de vélo retrouver ma seconde famille. Pour tout le trafic de drogue qui existait dans mon quartier, nous ne faisions que rire les yeux rouges et la bouche pâteuse. Pour toutes les histoires de cul, les poings brandis, les incompréhensions d'ado, nous restions inséparables. Pour ce connard de flic qui nous accusait d'un vol que nous n'avions pas commis, nous restions droits. Pour ces virées en voiture sous influence qui nous ont conduit à faire trois tonneaux dans un champ, nous restions vivants.
Et pour tous ces parallèles, je n'ai rien ressenti. Peut-être que je suis trop ancré dans cette réalité pour en tirer quoi que ce soit. Peut-être que ce film est arrivé dix ans trop tard, et que mon adolescence ne renferme plus la même nostalgie qu'auparavant. Ou peut-être que je lui reproche de ne pas avoir réussi à trouver les réponses aux questions qui nous taraudaient, mes amis et moi, et continuent d'influencer les adultes que nous sommes devenus. Que je lui en veux de m'avoir fait replonger dans mes jeunes années pour ne rien en tirer.
N'est-ce pas là malgré tout un témoignage de sa fidélité ?