Commençons déjà par une citation d’Antoine de Rivarol :
L'esprit est le côté partiel de l'Homme ; le cœur est tout."
Et il avait bien vu la chose ce cher Antoine, philosophant sans en avoir l’air en opposant l’instinct et la pensée construite. Et s’ils n’en sont pas encore là, notre Quatuor Accorte de Stranger Things signe cet été un joli retour avec une saison 3 enlevée et rythmée qui conduit ses héros et de nouveaux visages bienvenus vers une nouvelle dimension. Non celle du monde parallèle, mais bien celle, non moins mystérieuse et étrange, de l’adolescence.
Time After Time
Ne cherchez pas. Dans les colonnes du Grand Pop, vous ne trouverez pas d’article sur la saison 2 de Stranger Things. Même si les meilleures trilogies sont en trois épisodes, il faudra encore attendre pour compléter ici l’ouvrage, peut-être à l’aune d’une future saison 4 méritante. Il n’y avait pas de plan, pas de perspective d’y retoucher, pas de petit goût de reviens‑y dans le viseur. Et pour être honnête, je pensais avoir fait le tour du sujet et tout dit avec cette ode vibrante aux permanentes wet look et aux épaulettes rehaussées des 80’s qu’est Stranger Things lors du premier papier.
Et après une saison 2 sans allant que quelques épisodes de plus en Saison 1 auraient pu torcher, une flemme évidente dans l’écriture de ses personnages – les nouveaux venus mis à part – et une lenteur à remettre le couvert pour une avancée scénaristique quasi nulle, rien ne présageait de retour en grâces. Mais comme un amour de vacances auquel parfois l’on repense, l’idée d’écrire une critique de la saison 3 a de son côté cheminé logiquement et assez rapidement. Enfilant un vieux débardeur élimé et un mini-short bien taillé, nuque longue et moustache bien huilée, je m’adosse au transat, télé cathodique 4/3 réglée sur l’année 85, parti pour un voyage dans le temps, ou plutôt, un temps de voyage imparti.
Quatre garçons dans le vent
La force de Stranger Things première saison, c’était ce petit groupe qui par devers tout, adultes, Men in Black ou puissances obscures, restait soudé et déterminé, aidé par une jeune fille paumée aux pouvoirs mentaux sur-développés. Démarrant comme une enquête, piochant allègrement dans les Goonies ou Stand by Me, la série s’était imposée grâce à un aplat de culture 80 étalé au fluo sur la génération des trentenaires l’ayant vécue jeune. En saison 2, rebelote. Les mêmes personnages, et un nouveau monstre, bien plus terrifiant que le croque-mitaine initial. Pas un nouveau machin dentu, mais un mal indicible qui s’attaque à l’esprit, un géant qui convoque tant Giger que Lovecraft, une sorte de Cthulhu Bubblegum bloqué dans une autre dimension, mais dont l’influence phagocyte notre réalité.
C’était Halloween, c’était un bon coup pour nos chasseurs de fantômes en herbe, et ça s’achevait, comme de bien entendu, par l’éternel Snow Ball Dance qui fait la joie des ados américains. Un bal de fin d’année qui cristallisait en un dernier slow évident, que les quatre enfants avançaient, avec un croisement drôle qui voyait nos héros aussi stressés par l'événement que par les monstruosités qu’ils affrontaient, en un traitement de valeur remis au même niveau. Une belle idée qui sera reprise et magnifiée en saison 3, comme une histoire sans fin…
Une saison 2 qui troquait parfois sa justesse par une surenchère de références, et si certaines sonnaient justes, comme le Thriller de la bande-annonce, le trop plein se faisait aussi sentir, tant la caricature le disputait au désir de citation sans compréhension réelle du sujet ou de ses références : une affectation aussi connue sous l’appellation de syndrome Ready Player One. Néanmoins, les nouveaux venus, Max et son frère Billy, apportaient une fraîcheur indéniable à l’ensemble et permettaient au tout de tenir la route. La faille dimensionnelle fermée, le mal vaincu, le Flagelleur Mental stoppé, nos amis allaient enfin pouvoir souffler… à moins que les hormones ne s’invitent dans la danse.
Les nouveaux romantiques
En saison 3, le groupe a pris du plomb dans l’aile. Les Mousquetaires ne sont plus, ou plus vraiment. Nous ne sommes pas tous égaux face aux affres de l’adolescence. Le facteur ne sonne pas chez tout le monde en même temps, et les scénaristes l’ont bien compris. Si Mike et Eleven passent plus de temps dans la bouche l’un de l’autre, délaissant malgré eux le reste du monde, et que Lucas et Max essuient eux les premières galères de couple, avec ses disputes et ses règlements de compte, Will est resté – laissé ? – en retrait.
Will est seul ; son frère aîné avance et s’est trouvé un stage de photographe dans le canard du coin, et sa mère doit supporter la perte de son prince charmant. Quant à Dustin, il est lui parti en camp de vacances, et son ‘retour au pays’ est d’ailleurs le sujet du premier épisode. Or contre toute attente, Dustin aussi semble sortir avec une fille, même si la relation sera une à distance. Les héros font les grands. Ils délaissent leurs jeux d’enfants, regardant avec condescendance ce qu’ils chérissaient jusqu’ici, et la rupture est parfois sauvage.
Mike et Lucas passent de héros à relous de service, maladroits et balourds, égoïstes et nombrilistes. Un revirement marqué ici par leur passe-temps favoris des saisons passées : le jeu de rôle… Il faudra attendre la suite pour assister à la réhabilitation de tout ça, quand l’adolescence cédera à son tour sa place aux sirènes de l’âge adulte. Mais en attendant ce temps là, Will est seul, Will ne comprend pas. Mais Will survit, même si ça lui donne la chair de poule.
Papa Don’t Preach
Mais Stranger Things ne serait pas complet sans ses personnages secondaires. Les jeunes adultes d’un côté, les parents de l’autre. Et il faut avouer que le tableau n’est pas aussi fin qu’en saison 1, la faute à un groupe de héros très exclusifs et auto-centrés et dont les préoccupations se rapprochent peu à peu de celles de leurs aînés. Le shérif Hopper par exemple profite du début de saison pour laisser libre court à sa fibre paternelle contrariée, et la caricature prête à sourire : le flic rentre-dedans se faisant papa célib’ et bougon en galère avec les premiers flirts de sa fille. Ses sourires machiavéliques sont communicatifs.
Mais passé les premiers épisodes, on perd notre cher shérif en plein vol. Noyé dans sa bière et ses démons, le Hopper au grand cœur se meut en une parodie de lui-même. S’il est toujours flic, on se demande bien ce qu’il fait de ses journées, la faute à une écriture très resserrée : presque toute l’action de la saison 3 se passe en une journée symbolique : le 4 juillet, fête nationale aux USA. L’esprit de la saison 3 est à la fête, à ce parfum de début d’été et de fin des cours. Aux promesses des vacances. Du haut de son siège de maître-nageur, Billy roule des mécaniques et agite ses pectoraux travaillés devant les mamans venues souffler de leur vie de femmes au foyer le temps d’un après-midi à la piscine.
Première cible de notre tombeur endimanché à la corvette décapotée, Mme Wheeler, la mère de Mike et Nancy qui s’apprête à rejouer la partition de Mrs Robinson sur des accords de boîte à rythme cadencée. Sauf qu’une embardée malvenue vient nous coller les attentes d’Adonis dans l’angle d’un poteau bien planté. Accidenté à l’écart de la ville, Billy est happé par une tentacule. Tel est pris qui croyait prendre… Billy va devenir le premier pantin du Flagelleur Mental en une allégorie de Bodysnatchers bien sentie.
Hungry Eyes
Steve, l’ancien beau-gosse qui régnait sur la coolness au lycée est passé des hauteurs sociales estudiantines au marasme du quidam qui fait les trois 8. Le Roi du monde a chu, le beau gosse est déchu. Mais en se déshabillant de la superficialité dont il s’était drapé, Steve s’était épaissi d’une saveur certaine. En saison 3, il tient d’ailleurs toujours la barre. Lucide, concret, anti-héros en rédemption, il assume avec délectation son rôle de grand frère, permettant à nos héros de passer en douce dans les couloirs du tout nouveau centre commercial qui vient de s’implanter à Hawkins, afin que le petit groupe puisse aller se délecter gratos des dernières sorties ciné de cet été 85, avec en tête Retour vers le Futur, introduit avec brillance et classe.
Notons à ce sujet l’immense talent dont font preuve auteurs et réalisateurs sur le sujet : l’utilisation des références liées au film sont subtiles et parfaitement amenées en une mise en abîme qui touche au génie grâce à une utilisation diégétique des musiques d’Alan Silvestri : tandis qu’il sont au cinéma, les gimmicks propres au film s’entendent et correspondent exactement à l’action de la série, entremêlés avec une justesse quasi parfaite. Son et image sont au top pour cette nouvelle saison, et le budget explose souvent, comme dans cette scène onirique au bord de la mer, lorsqu’un ciel lourd de tonnerre et de signification gronde de mille feux sur les rives chaudes de la nostalgie. Un bol d’air somptueux et appréciable qui casse avec le reste de l’imagerie pulp de la série.
Je serai Capitaine
Autour du bellâtre se greffe un groupe de personnages, initié par l’éclatement de la formation historique. S’il ne retrouve plus la même complicité avec ses amis, Dustin se réfugie auprès de Steve et le duo est une réussite, les anciens ennemis se répondant avec entrain. Enfin, pour compléter la 'Team B', deux personnages féminins se distinguent, et les deux sont particulièrement intéressants. En premier on découvre Robin, collègue de travail narquoise, mais véritable mine d’or de débrouillardise et d’humour, et Erica, la sœur cadette de Lucas déjà entraperçue dans la série, mais qui gagne ici ses galons d’héroïne en devenir, avec ses manières bien frontales et son franc-parler qui claque.
Ce petit groupe de quatre passera ainsi la plupart de la saison isolé de son côté. Le découpage de la série tend d’ailleurs vers un récit juxtaposé où chaque groupe vit son aventure, créant de la sorte de nouvelles interactions bienvenues, mais où certains protagonistes semblent se noyer, catalogués au second plan, comme si les auteurs avaient tout dit à leur sujet. Jonathan par exemple – même Will quelque part – subit ainsi un retrait certain, tandis que Nancy affronte, elle, de nouveaux défis, comme le machisme professionnel exacerbé de ces années. Dustin et Erica partagent ainsi de nouveaux moments habiles – malgré une traduction discutable du mot ‘nerd’ –, et l'idylle anticipée entre Steve et Robin saura couper court aux plus désabusés des spectateurs convaincus d’avoir tout vu avant d’avoir regardé.
Car c’est aussi ça l’évolution du fond et de la forme, les personnages étant soumis aux changements, la ville subit aussi ses mutations. Le nouveau centre commercial qui secoue la petite bourgade incarne tant l’évolution des mœurs américaines que l’avancée capitaliste des années Reagan et son lot de magouilles et de pourritures en col blanc. Le centre-ville et ses petits commerces sont à l’abandon, et l’existence même de ce temple de la sur-consommation est au centre de toutes les intrigues, là où tout se jouera, là où les Avengers se rassembleront…
Bons baisers de Russie
Mais que serait une production des années 80 sans ses méchants caricaturaux. On troque donc nos habituels scientifiques sans scrupules pour une ribambelle de militaires russes, rappel de la Guerre Froide sans jamais vraiment la citer, piochant bien plus du côté des bases pittoresques et improbables des James Bond classiques que du documentaire, avec son chercheur gentil et son journaliste complotiste aussi caricaturaux que attachants, même si la chose n’était pas gagnée d’avance.
Convoquer les russes permet d’ailleurs aux auteurs de s’amuser avec l’imagerie du père Schwarzy en introduisant un homme de main à la démarche robotique, inarrêtable et affublé d’une brosse typique, Terminator avant l’heure qui pète des vitrines au centre commercial, distribue des coups de tatanes à l’emporte-pièce et se déplace en moto, tout de cuir vêtu. Référence punchy de l’époque, on se serait même attendu au saccage du commissariat sous une montagne de douilles, mais non, le rappel s’arrête là.
Where is my mind…?
Enfin, cette saison 3 se la joue bien entendu grand prince au niveau des appels du pieds aux œuvres des 80’s. Quand la saison 2 clignait des yeux vers Ridley Scott et Ivan Reitman, du look de l’héroïne coiffée comme Ripley aux citrouilles moisies qui fleuraient bon les œufs monstrueux de reines Alien, comment ne pas sourire cette année face aux affiches de The Thing aperçues parfois en fond de cadre ?
En effet, le nouveau monstre qui prend enfin corps à Hawkins est un énorme agglomérat de chairs humaines et animales informe qui rappelle tant le chef‑d’œuvre de Carpenter que le plus pop et plus dispensable The Blob ; le Flagelleur Mental incarné parviendra même à cerner nos héros dans la cabane de Hopper en une scène jouissive qui fleure du côté du Evil Dead de Sam Raimi ou du Simetierre de Stephen King. Le genre est à l’horreur, comme l’atteste le rating, interdit cette fois-ci aux plus jeunes.
Les enfants d’avant changent. Leurs épreuves aussi. Eleven est au bout, et ses pouvoirs ne suffisent plus. Comme un Harry Potter moyen, les auteurs ont décidé de faire évoluer le ton et leurs personnages en même temps que les spectateurs. Il leur a fallu une année blanche et une Saison 2 petits-bras pour le comprendre, mais l’attente en valait la chandelle. Tout n’est pas parfait bien entendu, les effleurements sur l’orientation sexuelle, la toute puissance misogyne dans laquelle sombre parfois Hopper sont sujets à débats.
Mais l’évolution des identités de chacun, la progression des héros et des nouveaux duos, à l’image de Max et Eleven qui rayonnent de girl power fonctionnent parfaitement ; le tout s’achève en un final doux amer de bon ton qui plante de belles bases pour la suite… Si grandir est inéluctable, il faut aussi l'accepter. Si tu veux obtenir de nouvelles choses, si tu veux découvrir de nouvelles choses, il faut en laisser d'autres derrière. Rien ne se perd, tout se transforme. C'est l'histoire de la vie. Le cycle éternel… L'enfance… Qui peut nous dire quand ça finit. Qui peut nous dire quand ça commence ?