Final Fantasy XVI est le plus occidental des JRPGs

Mais est-ce vraiment un RPG ?

Final Fantasy XVI devait être l'épisode du retour en grâce de la grande saga de JRPG de Square Enix. Au final, il est une nouvelle fois un épisode qui fait débat, les adorateurs ayant voix tout aussi puissante au chapitre que les déçus. Mais ne serions-nous pas passés à côté du sujet le plus intéressant ?

L'épopée Final Fantasy bat un peu de l'aile ces dernières années. Si Final Fantasy XIV, le deuxième MMORPG né dans cet univers, est aujourd'hui l'un des meilleurs produits disponibles sur les étalages de Square Enix, on ne peut pas lui retirer son premier lancement raté qui a forcé un changement intégral du plan original. Et que dire de la trilogie Final Fantasy XIII, qui a gagné quelques défenseurs ces derniers mois, mais a largement été vue comme une déception à sa sortie ? Alors quand en prime, on y ajoute Final Fantasy XV, qui ne devait être qu'un épisode bonus du Fabula Nova Crystallis avant de devenir un épisode numéroté dont la sortie a fait grand bruit… surtout pour ses controverses.

Cela fait quelques années maintenant que Final Fantasy XIV n'est plus ce MMO revenu d'entre les mots. Aujourd'hui, la Creative Business Unit III dirigée de mains de maître par Naoki Yoshida est reconnue comme la meilleure équipe de créatifs que Square Enix possède encore. Pourquoi pas dès lors leur confier Final Fantasy XVI, un "vrai" épisode numéroté, de ceux qui comptent vraiment pour l'éditeur/développeur et qui doivent montrer toute la puissance de l'entreprise japonaise aux yeux du monde ? Loin d'être saugrenue, l'idée a du sens, et c'est pourquoi nous sommes aujourd'hui devant le bébé d'une équipe de développeurs de MMO, rejoints par d'autres talents prestigieux comme Ryota Suzuki (Devil May Cry V, Dragon's Dogma) à la conception du système de combat. Reste une seule et unique question qui flotte vraiment autour de cette dernière production : est-ce vraiment un Final Fantasy ?

Le parfait contexte pour passer à côté de ce qui fait de Final Fantasy XVI une œuvre de pop culture absolument fascinante à décortiquer, aussi bien dans ses qualités que ses défauts.

Un vrai Final Fantasy ?

Puisque cette question est constamment là, nous allons y répondre immédiatement avant de passer dans le vif du sujet. Non, Final Fantasy XVI n'est pas un Final Fantasy traditionnel. En vérité, il est même difficile à caractériser en tant que "RPG", au point que le débat a cours au sein même de notre rédaction. Certains prétendants au titre de "weeb de la rédac" argumentent qu'il s'agit bien d'un RPG, pour le simple fait que la construction mécanique du jeu est relative à ce genre : nous traversons des zones hautement scénarisées, prenons des quêtes au passage, gagnons des niveaux à chaque combat pour augmenter des attributs, et récupérons quelques denrées servant à créer des équipements toujours plus puissants. Et même s'il n'y a pas vraiment de compagnon en jeu dont on peut véritablement contrôler les actions, excepté pour le loup qui nous suit contre vents et marées, une équipe est bien formée et agit librement sur la scène. Comme c'était le cas pour un certain Persona 3 avant la sortie de l'édition FES, un titre qu'on aurait énormément de mal à qualifier d'autre chose que de RPG.

Pourtant, on brûle le cosmos

Mais tout cela n'apparaît vraiment qu'à mesure que le jeu progresse dans son histoire et se complexifie. Ceux qui ont joué à la démo d'environ deux heures, comme d'autres weebs jouant encore avec des armures en plastique, décrivent plutôt Final Fantasy XVI comme un beat'em all. De ces jeux qui favorisent les combos et leur variation, et dont l'exaltation première vient dans le fait de réussir quelque chose manette en mains. Comme une partition que l'on réciterait au piano. Car oui, le feeling de Final Fantasy XVI est celui d'un jeu d'action. Cela fait bien longtemps que Square Enix s'éloigne petit à petit de la formule tour par tour qui a fait sa gloire au profit de systèmes plus hybrides ; on peut voir la situation s'aggraver petit à petit depuis que Final Fantasy XII est sorti, jusqu'à Final Fantasy VII Remake qui, dans sa volonté de ne pas brusquer les vieux briscards, a ajouté au chausse-pied un mode au ralenti de ses mécaniques pourtant héritées du beat'em all.

Face à ces deux faces d'une même pièce, la question se pose : est-ce le voyage – le feeling manette en mains –, ou la destination – le fait de chercher à passer un niveau ou avoir le meilleur score –, qui importe vraiment ? C'est finalement de la tranche de la pièce que l'on entend la meilleure réponse, doucement glissée par les observateurs au détour d'une balade : et si le RPG en tant que genre n'avait pas évolué pour devenir des composantes de gameplay saupoudrées par les devs çà et là, sans ne plus être vraiment revendiqué à part entière ? Les cas des derniers God of War ou Assassin's Creed viennent dès lors immédiatement en tête.

Tiens, le v'là ton FF

Final Fantasy XVI est-il vraiment un Final Fantasy ? La question n'est plus de savoir s'il s'agit d'un "vrai RPG", mais plutôt de connaître ce qui fait l'essence même de Final Fantasy en tant que licence. Aujourd'hui synonyme des grandes heures du jeu vidéo japonais, elle est pourtant née comme un chant du cygne pour Squaresoft au milieu des années 1980 : sans plus d'autres fonds pour concevoir des jeux, le dos au mur, Hironobu Sakaguchi et son équipe ont décidé de créer leur "dernière fantaisie" en s'inspirant de la culture pop de cette époque, à savoir les séries Dragon Quest de Enix, The Legend of Zelda de Nintendo et le légendaire Ultima de Richard Garriott sur PC. Ce pour les magnifier, ce qui créera cette fabuleuse série licence Squaresoft (devenu Square Enix) dont la qualité et la popularité ne sont plus à prouver. Et de ce point de vue, Final Fantasy XVI ne saurait pas être plus Final Fantasy qu'il l'est.

Une exclusivité PS5… pour le moment

Commençons par l'aspect le plus simple à décortiquer : la technique. Sur ce point, Final Fantasy XVI est bien mystérieux. Pas d'Unreal Engine, le moteur derrière tous les gros jeux AAA du moment, sans quoi nous aurions vu son logo dès la première annonce. Mais pas non plus de Luminous Engine, le moteur développé en interne chez Square Enix que nous avons déjà pu observer sur Final Fantasy XV et Forspoken. Les développeurs eux-mêmes gardent le secret, mais la théorie prédominante est que Final Fantasy XVI utilise tout simplement une version améliorée du Crystal Tools, soit le kit de développement utilisé pour le MMORPG Final Fantasy XIV.

Caaaapitaine Flamme ~~

Visuellement, ça ne se voit pas. Si le MMO est un jeu graphiquement réussi en lui-même, il faut avouer que son genre lui impose naturellement quelques limites que le grand RPG triple A au budget faramineux Final Fantasy XVI n'a tout simplement pas. Graphiquement, le 16e de la tribu ne vient pas rompre la tradition d'excellence de son développeur, avec des environnements léchés, mais surtout des jeux de lumière absolument magnifiques. Par son scénario tout feu tout flamme, il se devait de réussir ce dernier point, et il est impossible de nier comme l'équipe Creative Business Unit III a su maîtriser ses effets de particules.

C'est beau, mais est-ce tracé ?

Cependant, le côté "exclusif à la PS5" ne se voit pas non plus. Hormis les capacités brutes de la machine, Final Fantasy XVI ne vient pas s'octroyer beaucoup des traits de la nouvelle génération, comme le ray-tracing. Seuls les temps de chargement ultra-rapides et les vibrations améliorées de la Dualsense font quelques apparitions techniques, sans être véritablement marquantes. Le jeu a même quelques légères chutes de framerate sur ses derniers chapitres, plus complexes visuellement, sans que cela ne gêne en rien l'expérience. Dans ce cadre, on ne peut s'empêcher de se demander si Final Fantasy XVI restera bien exclusif à la PS5 très longtemps, puisque tout semble d'apparat. Si vous deviez parier, nous vous intimerions gentiment à mettre votre pièce sur "non".

Ferme ton Moogle et écoute

Plus que l'aspect technique, c'est dans son ton et son univers que Final Fantasy XVI pose une marque étonnante. De l'aveu du réalisateur Hiroshi Takai lui-même, cet épisode est allé s'inspirer de la dark fantasy et se veut être une histoire taclant des thèmes difficiles. Le producteur Naoki Yoshida, dit Yoshi‑P, a soutenu ces propos en rajoutant qu'avec cet épisode, ils voulaient s'éloigner de l'image enfantine associée aux RPG japonais pour toucher des joueurs de toutes les générations confondues. Concrètement, cette volonté débouche sur… du Game of Thrones. Non, vraiment, "c'est juste Game of Thrones" sera dans vos pensées sur les dix premières heures de jeu.

Heureusement, nous avons une prof d'histoire géo intégrée

Le monde de Valisthéa est en effet séparé entre six nations, qui se sont créées autour de l'apparition d'énormes cristaux magiques appelés les Cristaux-Mères. Et pour presque chaque nation, nous retrouvons un Émissaire : un être doté du pouvoir d'un Primordial, un genre de dieu élémentaire, dont il peut profiter des sorts ou revêtir la véritable forme à loisir. Notre héros, Clive Rosfield, est le proto-Jon Snow de cette histoire : dans l'Archiduché de Rosalia où tout le monde est beau et gentil, il est le grand frère qui n'a pas reçu la bénédiction du phénix. Gentiment haï par sa mère et mu par le devoir de protéger son petit frère, il assistera à la mort de son père le roi et la fin de son règne en quelques machinations visant à favoriser l'une ou l'autre nation. Jusqu'à grandir pour devenir un énième joueur de ces machinations.

Tout sera à toi mon fils… Nan je déconne

Si d'un point de vue occidental, tout ça ne paraît pas bien original, il faut voir l'influence que cette grande inspiration a sur Final Fantasy XVI en lui-même. Le scénario de FFXVI ne tarde en effet pas à revenir sur les poncifs du genre, où l'Homme vient irrémédiablement affronter le divin par la seule force de sa volonté, enorgueilli par son sens du devoir et de la justice, afin de montrer que la plus grande force de l'humanité est sa capacité à grandir. Un discours commun dans la pop culture japonaise, qui trouve ses racines aussi bien dans l'histoire impérialiste et féodale, sa culture bouddhiste et shintoïste, mais aussi – et surtout – dans le choc des deux impacts nucléaires sur Hiroshima et Nagazaki suivi de l'occupation américaine. Car oui, cette influence culturelle ne se retrouve pas uniquement dans les contenus pornographiques floutés.

Voici venir Lorys Tarell

L'influence de Game of Thrones apporte à Final Fantasy XVI une certaine liberté dans le fait d'aborder des sujets souvent tus par la culture japonaise. Les joueurs de FFXIV le savent : Yoshi‑P et son équipe n'ont rien contre utiliser l'univers de Final Fantasy pour parler d'exploitation des plus démunis par les plus riches. C'est toujours le cas ici, où la magie est désormais traitée comme une peste pour l'Homme, dont les manipulateurs sont autant d'esclaves à la merci du jeu politique tout-puissant. Autant de discours qui sont tenus ici avec la tête relevée, loin de la politesse nippone, avec en prime des représentations directes et franches de couples homosexuels, sans parler des scènes de sexe. Mais loin de pencher vers le voyeurisme de Game of Thrones, nous sommes ici plutôt sur une libération de la parole des développeurs : tout est ici montré pour soutenir le sérieux du propos, sans aller vers l'autre bout du spectre que le fan service connaît bien. La danse est parfaitement maîtrisée, particulièrement grâce au travail des metteurs en scène dont la photographie des scènes scénarisées – toutes rendues dans le moteur du jeu – est sublime.

System of a Dirge

Si l'on doit perdre quelques clins d'œil typiques de Final Fantasy pour cela, comme la présence d'un seul et unique Moogle qui apparaît comme un cheveu sur la soupe, on n'oublie pas pour autant le rappel à la puissance de la nature qui est l'essence de la série qu'importe l'épisode. La seule vraie grande différence ici est qu'elle n'est pas mourante ou en passe de l'être ; elle est déjà morte. Mou Shindeiru. Oubliez l'élan naïf typique du jeu japonais de base. Cependant, il est toujours présent comme un contrepoint, comme si les inspirations occidentales et asiatiques discutaient à même le scénario du jeu, représentées par l'un et l'autre personnage, ou même l'un et l'autre dialogue. Un dialogue dont on ne se lasse jamais, particulièrement grâce à un point sur lequel Final Fantasy XVI est magistral : le rythme de son histoire, qui ne vous lâche pas d'une semelle du début à la fin, et donne envie d'en voir toujours plus. Voilà une bonne nouvelle pour le RPG japonais, un habitué des "si si après 10h de jeu ça devient trop bien, continue", même si nous ne passons pas à côté d'un autre écueil habituel : la dernière course en avant, trop étendue pour son propre bien. Certains clichés ont la dent dure.

Et juste ici, un petit géranium

Le contrecoup de cela est que mécaniquement, Final Fantasy XVI est clairement un jeu développé par une équipe japonaise habituée aux MMO. Et si les papilles des joueurs japonais aiment déguster les ficelles du sacro-saint système de jeu pour mieux les décortiquer, la formule appliquée à cette aventure est exactement cela : une formule, d'une telle évidence que l'on peut l'écrire noir sur blanc après cinq heures de jeu sans se tromper. De la base, nous allons à un petit village gagner la confiance du maître du coin. Grâce à cette confiance, nous pouvons atteindre un plus grand village, où le scénario aura son gros rebond. Donjon avec grand ennemi final. Retour à la base. Par essence, le jeu vidéo est formulique, mais Final Fantasy XVI ne fait aucun effort pour cacher la sienne et ne joue pas avec les conventions. Ni n'offre une quelconque originalité sur ses quêtes annexes d'ailleurs, qui n'ont pas grand intérêt sorti de pouvoir débloquer un chocobo pour bouger plus rapidement. Pourtant, comme dit en introduction, il a fait le choix brave de pousser à fond les potards de l'action pour trouver un gameplay qui joue des coudes avec le simple beat'em all. Un acte que l'on comprend vite être dans l'optique de réussir à séduire les joueurs aussi bien japonais qu'occidentaux, les deux se retrouvant aisément dans ce type de jeu.

Alors par contre, c'est fait avec panache

Et il est vrai qu'on y retrouve les grands traits, puisque vous n'aurez droit pour toutes actions de combat qu'un coup d'épée, une attaque magique, et une attaque spéciale déterminée par le Primordial équipé. À cela s'ajoutent deux attaques spéciales personnalisables, et voilà. Outre le fait de gagner des points d'expérience pour améliorer ses compétences, et à terme les mélanger entre plusieurs Primordiaux pour trouver la recette parfaite, Final Fantasy XVI se distingue surtout par l'application d'un sens du rythme manette en mains qui est plus typique du beat'em all, effectivement. Pour lancer le meilleur combo, il vous faudra appuyer sur chaque touche et savoir appeler votre chien sur le bon tempo, afin de conserver votre ennemi en l'air et faire pleuvoir le souffre et la souffrance. Sans compter l'esquive et la parade, toujours affaire de rythme. Malgré cela, les combats ne sont pas dénués de stratégie : plus tard, des ennemis réclamant des stratégies particulières apparaissent, et la gestion des ressources est toujours plus importante à mesure que la résistance des félons s'accroit. Votre skill doit nécessairement se lier à votre rapidité d'analyse pour ne pas être vaincu rapidement, même si Final Fantasy XVI est plus que clément pour ses morts qu'il avantage trop rapidement.

Le destructeur des mondes

Reste cependant une partie extrêmement importante que nous n'avons pas encore évoqué : les combats de Primordiaux. C'est quelque part ce qui cristallise tout ce qui fait de Final Fantasy XVI un jeu qui mérite non seulement d'être joué, mais aussi d'être étudié. Car oui : ces grands monstres symboliques pour la saga Final Fantasy sont incarnés en jeu aussi bien dans le scénario que dans des séquences de gameplay typiquement japonaises, où l'action comme la mise en scène bat son plein. Ici, l'influence de L'Attaque des TitansShingeki no Kyojin pour les vrais –, est évidente aussi bien dans la mise en scène que dans l'imposante bestialité montrée telle quelle par les équipes de la Creative Business Unit III. Mais manette en mains, nous nous retrouvons plutôt sur une variété de gameplay qui n'est pas sans rappeler Asura's Wrath, le Naruto Ultimate Ninja Storm poussé à son paroxysme de CyberConnect 2 dont l'influence sur les dernières adaptations vidéoludiques d'œuvres animées est indéniable.

La vie est trop injuste

Mais surtout, c'est dans ces moments où tout explose, aussi bien devant nos rétines qu'entre nos mains, que le jeu sait conserver l'impact émotionnel teinté d'occidentalisme de sa trame. Et c'est ici que la véritable révélation nous apparaît de la plus évidente manière. Dos au mur, en proie au doute sur l'avenir de sa licence, Square Enix s'est inspiré de tout ce qu'il y avait de plus populaire dans la pop culture à travers le monde, et a su créer sa propre œuvre qui fait autant office d'hommage qu'elle sublime l'ensemble. Une digestion de ce qu'est la pop culture moderne, à l'heure où les frontières culturelles s'effacent. Final Fantasy XVI n'est pas un "Final Fantasy" ; c'est une dernière fantaisie.

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