Hi-Fi Rush : l'ultra-style japonais bat de nouveau la mesure

Tango A Go-Go, Baby

Hi-Fi Rush est la sortie surprise de ce début d'année 2023. Le titre développé par le studio japonais Tango Gameworks sous l'ombrelle Bethesda s'est posé sur les platines du Game Pass par surprise, mais remue déjà les joueurs à travers le monde. Et pas pour rien : il fait renaître un mouvement japonais qu'on croyait disparu.

Selon les générations, il existe plusieurs manières d'imaginer le jeu japonais. Pour les plus anciens, il est tout simplement l'arcade, quand les Donkey Kong et autres Pac-Man faisaient la joie des bars et des grandes salles lumineuses à travers le pays. Pour ceux qui ont découvert le plaisir de jouer à la maison, il est plutôt synonyme de grandes épopées à travers l'espace et le temps, à l'image d'un The Legend of Zelda ou d'un Final Fantasy VI. Beaucoup plus tard, chez les petits jeunes, les productions nippones étaient celles qui n'arrivaient pas aux chevilles des productions occidentales, quand l'industrie entière s'est remise en question à l'ère Xbox 360 et PS3.

Ma génération est celle qui a connu un autre visage du jeu vidéo japonais : le bizarre, l'expérimental, l'artistique. Celle qui nous a fait connaître un certain Suda Goichi avec l'étrange Killer 7, nous a fait construire un village dans Doshin the Giant, nous a fait sucer du sang dans Mr Moskeeto, nous a fait balader des œufs de poule avec Billy Hatcher, nous a fait créer des mondes un objet à la fois dans Katamari Damacy. Le jeu japonais de la Dreamcast/GameCube/PlayStation 2 avait tout le champ libre pour tenter des choses loufoques, et ne s'est pas gêné. Partout, des trips sous acides qui cherchaient avant toute chose à s'éloigner du jeu vidéo pré-établi. Mais ce mouvement aujourd'hui oublié semblait bien loin derrière nous… jusqu'à ce que Hi-Fi Rush arrive par surprise sur le Game Pass.

Crystal Japan

Hi-Fi Rush, c'est quoi ? C'est d'abord, comme tous ces jeux cités précédemment, un retour des couleurs pétantes dans notre univers vidéoludique. Graphiquement, le titre sorti de l'esprit du game designer John Johanas peut clairement se revendiquer de cette époque où le cel-shading a tout conquis sur son passage. Il serait cependant réducteur de constamment le comparer à cette tendance lointaine puisque son inspiration graphique est d'une mixité folle. On peut autant y voir des tendances graphiques des animés modernes, par exemple dans la manière dont les yeux de ses personnages principaux sont représentés, que de grosses influences américaines, dans la façon dont les animations s'activent sur une rythmique plus Pixar-ienne que Ghibli-isante.

Les 5 ex maléf… Ah oui non, c'est vrai

Mais les ponts sont multiples, mélangés à dessein pour trouver une nouvelle saveur. Les sprites 2D traditionnels prennent vie soudainement dans une séquence animée explosive et viscérale qui vient faire des clins d'œil à la réalisation de Trigger dans Promare, avant de passer à des séquences in-game dont la réalisation rappelle – de l'aveu des créateurs d'ailleurs – la caméra ultra dynamique d'un Edgar Wright. Des inserts çà et là jouent autant l'ultra-référence à Jojo's Bizarre Adventure qu'au catch américain.

L'ultra style, c'est ça

Référencé, certainement, mais pas en manque de sa propre identité et de son propre humour. Doucement idiot, le personnage principal baptisé Chai joue le rôle d'un Scott Pilgrim (qui est l'inspiration principale du game designer pour son protagoniste) propulsé dans une chaîne d'événements auxquels il participera presque simplement pour le fait de… participer. Il voulait un bras robot de rockstar, offert gracieusement par la méga corporation secrètement diabolique du lieu ; il aura un bras de ramasseur de déchets. Mais par une incroyable facilité de scénario aussi doucement bête que rigolote, le voici affublé d'un cœur en iPod qui lui permet non seulement d'invoquer une guitare électrique, mais aussi de voir l'intégralité du monde comme la rythmique d'une musique infinie. De quoi tout faire pour s'évader de l'usine de robot, mais également renverser presque par hasard le complot capitaliste des marchands de high-five robotisés.

Woman from Tokyo

Vous l'aurez deviné au nom du jeu et à ce court synopsis : la musique est centrale dans l'expérience du jeu. La bande annonce du titre dévoile d'ailleurs la présence de The Black Keys dans la soundtrack, mais le duo est aussi entouré d'autres grands noms comme The Prodigy, Nine Inch Nails ou Zwan, le groupe post-Smashing Pumpkins de ce cher Billy Corgan. Ne pensez pas une seule seconde que les créations originales du titre ne sont pas à niveau malgré tout, puisqu'on retrouve parmi les compositeurs de grands noms comme Uratani Reo, qui s'est démarqué à la composition des morceaux de Monster Hunter, ou Shuichi Kobori, qui s'est occupé de la bande-son de Metal Gear Solid 3 ou encore Zone of the Enders. C'est simple : c'est du délice pour les oreilles, mais tout cela sert surtout le gameplay du jeu.

Un combo… groovy

Car oui : la spécificité de Hi-Fi Rush est d'être un mélange de genres assez particulier. Il fusionne le beat'em all typiquement japonais, avec ses multiples combos aussi bien au sol que dans les airs, avec… le jeu de rythme. D'aucuns savent que tous les beat'em all sont en vérité des jeux de rythme, puisque l'exécution réclamée par un Devil May Cry (pour ne citer que lui) est analogue, mais Hi-Fi Rush va plus loin. Beaucoup plus loin. Sorti de la logique de combos, qui est somme toute assez classique bien que superbement enrobée dans l'univers du jeu, c'est dans sa présentation qu'il change tout.

Tout l'univers de Hi-Fi Rush bat le rythme des musiques, et donc des combos. Les décors, les personnages, les éléments de l'interface rebondissent sur le même tempo, qu'il vous faut suivre pour réussir vos manipulations. Bourrez, et vous ne pourrez pas enchaîner trois esquives. Mais tapez du pied et appuyez au rythme de cette petite tête de chat qui rebondit, ce tableau qui respire, ces arbustes qui rabougrissent, et vous pourrez tirer le meilleur du titre. Hi-Fi Rush est avant tout une danse à laquelle participe l'intégralité de l'univers : si vous suivez le pas, vous pourrez facilement prédire et esquiver les attaques de vos ennemis tout autant que lancer vos meilleures compétences. Pas besoin d'une interface trop lourde ou d'explications compliquées : en quelques minutes, Hi-Fi Rush vous absorbe dans son expérience, et le prendre en main devient une expérience sensorielle où votre esprit devient l'un des nombreux instruments de la partition. Aussi simple que grisant.

Mr. Roboto

Ne pensez pas pour autant vous retrouver face à un titre exigeant. Le concept de Hi-Fi Rush peut faire peur sur le papier, mais le jeu vous accompagne tout du long pour s'assurer qu'il ne laisse personne derrière lui. Les timings sont relaxes, et les animations suivront quoi qu'il arrive les battements par minute du moment pour vous offrir constamment du grand spectacle. Le tout dans une ambiance légère, où chaque personnage développé est un stéréotype bien ancré dans la culture japonaise, mais avec une sensibilité qui empêche les écarts habituels. Pas de sexualisation à outrance, pas de clichés nauséabonds : on fait surtout la part belle à cet humour pop typiquement japonais, dont l'absurdité enfantine ne peut que faire sourire.

Un bon gros fixe chatoyant pour les yeux

Surtout quand tout l'univers fourmille de petites blagues çà et là que l'on découvre en ayant la curiosité de ne pas tracer son chemin. Mention spéciale à ces responsables des ressources humaines grimés en détectives façon Columbo, dont les dialogues superbement traduits en français n'ont jamais cessé de me faire rire. Ou même ces petits robots de nettoyage baptisés SC-RUB, dont le côté attachant m'a ramené aux Mouse Droid de Star Wars. Quand on n'est pas tout bêtement récompensé par de l'argent ou des moitiés de cœurs, qui permettront d'aller booster ses capacités et découvrir de nouveaux combos dans les magasins disponibles entre chaque niveau ou avant chaque grande confrontation.

On me dit également dans l'oreillette qu'ils proviennent de The Evil Within

Hi-Fi Rush ne se repose pas non plus sur ces belles choses, car il maîtrise aussi son rythme à la perfection. Durant les 8/10 heures qui composent son aventure principale, qui réserve par la suite quelques défis bien sentis, il ne s'arrête jamais sur le simple beat'em all. D'abord, il introduit des compagnons qui viendront non seulement varier les combos, mais aussi débloquer de nouveaux robots à affronter. Ces mêmes robots qui réclament parfois de répondre à de petits mini-jeux de rythme pour être vaincus définitivement. Avant de passer à des niveaux de plateforme classiques, mais qui sont entrecoupés de passages 2D ou en rails qui permettent de corser le défi ou sublimer la mise en scène déjà maîtrisée de bout en bout. On n'a tout simplement jamais l'occasion de s'en lasser ; une fois la manette posée, il ne reste comme souvenir qu'une course effrénée où la bande son résolument rock se mêle aux blagues absurdes des protagonistes. Une montagne russe faite de pur plaisir, qui nous emporte avec elle sans lâcher prise.

Welcome to Japan

L'ultra-style, voilà quelque chose que l'on n'avait pas vu depuis très longtemps, mais on sent bien que Persona 5 a redonné  confiance aux développeurs japonais. Dès que l'on prend en main Hi-Fi Rush, les références sont évidentes. Chai enchaîne les pauses stylées face à une caméra agressivement anglée, et des flashbacks des séquences de graffitis dans Jet Set Radio nous reviennent immédiatement. Il tape son meilleur riff pendant un ralenti alors que le scoring s'affiche, et c'est dès lors Bayonetta qui s'impose à nos esprits. Et quand tout à coup, l'univers graphique typique du comics américain s'infiltre dans l'affichage, on a l'impression de revenir à la belle époque de Viewtiful Joe.

Tout cela est voulu, comme nous l'a confirmé son concepteur John Johanas. Il est alors tentant d'aller plus loin encore dans l'analyse. Shinji Mikami, le fondateur du studio Tango Gameworks qui est à l'origine de la création de Hi-Fi Rush, est un ancien de Capcom bien connu pour être le créateur de la série Resident Evil. Mais plus que ça, il était aussi une tête bien connue du Clover Studio, au sein duquel il a créé God Hand quand Hideki Kamiya s'est lui penché sur Ôkami et… Viewtiful Joe. Tiens donc !

La variété est bien là, de niveau en niveau

Clover Studio s'est éteint, et son directeur Atsushi Inaba s'en est ensuite allé pour fonder Platinum Games avec Hideki Kamiya. De son côté, Shinji Mikami est parti chercher du financement du côté de chez Bethesda, qui lui a permis de lancer la nouvelle série d'horreur The Evil Within dont le second épisode a été réalisé par John Johanas. Mais voilà : le game designer légendaire l'a lui-même déclaré au Famitsu, il ne voulait pas que Tango devienne un simple studio de jeux d'horreur. Bien au contraire : sa vision est d'être autant un développeur de jeux vidéo qu'une école pour les jeunes talents. Un chef‑d'œuvre tous les dix ans, et une foultitude de petits jeux entre temps ; voilà le plan.

Outside Tokyo

John Johanas fait partie de cette nouvelle génération. Il y a treize ans de cela, il a tout simplement envoyé une candidature spontanée à Tango Gameworks en leur disant qu'il ne savait pas exactement quel rôle il pourrait remplir, mais il avait le sentiment de pouvoir les aider à faire de meilleurs jeux. Aujourd'hui, il est à la tête de l'équipe de Hi-Fi Rush, un jeu aussi innovant que respectueux de l'histoire du jeu japonais, qui remet également en selle des profils comme le lead game designer Masaaki Yamada (Viewtiful Joe 2) ou en lead programmer Yuji Nakamura (Sonic Heroes) autant qu'il invite de nouveaux profils comme le dessinateur de comics Takeshi Miyazawa (She-Hulk, BOOM !, SILK!!). On cessera de name drop à foison, mais pas avant de vous dire que le casting de doublage japonais est fou, avec notamment Hiro Shimono (Bleach, Demon Slayer) dans le rôle de Chai ou Toa Yukinari (Naruto Shippuden, Berserk) dans celui de Peppermint.

Qui n'aurait pas envie de jouer en voyant ça sérieux ?

J'ai exprimé plus d'une fois, notamment dans notre podcast, à quel point j'aimais la nouvelle direction de Capcom qui tend à mélanger des talents de tous horizons et de toutes expériences. Hi-Fi Rush en est un nouvel exemple, mais va encore plus loin : il prouve que la créativité typiquement japonaise que l'on a eu l'honneur d'observer il y a une vingtaine d'années est encore bien vivante, pleine d'idées et prête à les donner à quiconque veut bien lui en donner la chance. C'est celle-ci même qui m'a fait tomber amoureux du jeu vidéo nippon, et Hi-Fi Rush a ravivé la flamme de cette passion en moi.

Je ne cherche pas à vous faire jouer à Hi-Fi Rush. C'est pourtant extrêmement simple tant le jeu est accessible, que ce soit grâce au Game Pass ou simplement en achat direct. Je veux vous faire comprendre que vous vous devez de jouer à Hi-Fi Rush si vous aimez le jeu vidéo : dans un milieu frileux qui favorise les suites à outrance, il prouve que l'originalité et la générosité ont toujours leur place. Même chez les éditeurs aux portefeuilles les plus remplis.

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