L’adaptation live action des Chevaliers du Zodiaque en 2023 par Tomasz Bagiński avec Sean Bean et Famke Janssen interroge. Le film de la Toei Animation s’inscrit-il dans les traces du terrible Dragon Ball Evolution ou propose-t-il un divertissement plus abouti ?
Ne perdons pas de temps inutilement : le film est raté. Il rejoint la triste cohorte de ces adaptations live ni faites ni à faire après les très mauvais Avatar, le Dernier Maître de l’Air, Death Note ou le plus récent Cowboy Bebop de Netflix. S’il prend la voie de Dragon Ball Evolution, il faut reconnaître que le carnage reste moindre. L’objet de ces quelques lignes n’est donc pas de déterminer si oui ou non Les Chevaliers du Zodiaque dans sa version 2023 est plus ou moins un bon film, mais plutôt de nous pencher sur le pourquoi d’un tel résultat. Car dans les plans de la Toei et de Sony Pictures, cette adaptation est censée être le point de départ d’une nouvelle franchise ; le début d’une série d’au moins 5 ou 6 films…
Avec un budget de près de 60 millions de dollars, Les Chevaliers du Zodiaque font pâle figure si on les compare aux blockbusters du moment. Indiana Jones et le Cadran de la Destinée, que nous avons débriefé dans le cadre d’un Grand PopCast il y a peu, a par exemple coûté dans les 300 millions de dollars. Sorti le 26 avril en France, le film a rapidement disparu des salles et n’est parvenu à récolter qu’un peu moins de 7 millions de dollars de recettes dans le monde. Je vous laisse apprécier le delta de mouise dans laquelle se retrouve la production. De quoi sévèrement remettre en cause les velléités de suite.
Y en a qu’ont essayé
Tenter d’adapter le manga culte des années 1980 de Masami Kurumada n’est pas une nouveauté. Les tentatives de suites comme Saint Seiya Omega ou Soul of Gold, ou les spin-off comme Saintia Sho ou Lost Canvas, s’y sont toutes essayées avec plus ou moins de réussite. Seule la suite de l’adaptation du dernier chapitre de la série, centrée sur l’arc d’Hadès, a su un temps raviver la flamme dans le cœur des fans de la première heure. Et là encore, seule la première série d’OAV – le Jūnikyū-Hen – se distingue, la suite de l’arc aux Enfers et aux Champs-Elysées ayant globalement déçu.
En 2014, c’est une adaptation en CGI, sommairement baptisée La Bataille du Sanctuaire qui se hisse jusqu’aux salles obscures. Un film très critiqué à sa sortie, mais peut-être pas tant raté que ça avec le recul. En effet, plus récemment, Netflix entre dans la danse et lance la production d’une série en CGI. En résulte une suite d’épisodes aberrants qui singent la saga originale en la transposant dans un monde moderne au graphisme simplifié et grossier. Les héros affrontent des tanks et des hélicos en crachant des boulettes de couleurs par leurs poings, et une bouche d’égout douée de parole se retrouve avec plus de lignes de texte que Hyoga et Shiryu réunis. Même avec une tentative de réintégrer le fil du scénario en saisons 2 et 3, le public se désintéresse, et une nouvelle fois l’héritage de l'œuvre originale se voit traîné dans la boue.
Il m’ont imité tellement bien que parfois j’entends des gens copier mes erreurs
Cette célèbre citation de Jimi Hendrix trouve ici son meilleur exemple. Car concrètement, ce n’est pas le Saint Seiya de 1986 que Tomasz Bagiński – producteur de l’abominable série The Witcher, catapulté là par Netflix (vous voyez les fils ?) – a tenté d’adapter. Mais bien la série ratée de la plateforme de streaming… Une fois encore, on va donc délaisser la mythologie originale, le charme de la Grèce intemporelle du Sanctuaire, le Tournoi Intergalactique, les Chevaliers Noirs ou les backstories des héros principaux pour un soap militariste aux relents de cyber-thriller futuro high-tech. Ou futuro-dla-merde, c’est selon votre état d’esprit. Bref un décor très Hollywood Nights de 2e partie de soirée dans les années 2000. Avec des ordinateurs plein de câbles qui font bip bip dans des hangars éclairés aux néons de chez Casto. Et là, oui, y a tout ce qu’il faut.
Oubliez donc les orphelins de tous horizons triés sur le volet, éduqués à la dure par un magnat aussi richissime que traditionaliste et bonjour l’iconographie Mortal Kombat. Pas celle du jeu hein. Non. Celle du film avec Christophe Lambert. Mais en moins bien. Donc plutôt sa suite en direct-to-DVD. Sauf que comme on est en 2023 ; on est en 4K. Mon esprit potache avait presque envie de parler de 4‑caca, mais je ne franchirai pas ce pas qui ne rend pas honneur ni à celui qui le dit, ni à celles et ceux qui le lisent.
Les Chevaliers du Zodiaque 2023, c’est donc le retour de guerriers cybernétiques biologiquement augmentés grâce au pouvoir du scénarium. Mais si, vous savez. L’énergie du scénario : c’est écrit, donc ça passe. Et ces guerriers habillés en motards de triades japonaises qui ne dénoteraient pas dans John Wick sont nourris par le cosmos d’Athéna qui en fait a un pouvoir qu’elle ne maîtrise pas qui a fait que l’ex femme de son papa adoré qui sucre un peu les fraises s’est barré pour fonder un syndicat du crime international dont le but est de… Oui c’est nul. Et puis on s’en fout un peu. Athéna. Princesse. Protéger. Chevaliers. Voilà, ça coûte pas plus cher de bien manger.
Derrière mon loup je fais ce qui me plaît (me paie)
Pour incarner ces personnages hauts en couleurs, d’une incroyable fidélité aux personnages originaux (non), on retrouve des vieux briscards en perte de vitesse venus cachetonner et de jeunes espoirs qui pensaient peut-être avoir trouvé leur El Dorado. Sauf que non. Mackenyu, beau gosse américano-japonais et fils de l’illustre acteur et adepte des sports martiaux Sonny Chiba, campe un Seiya fils de la rue en quête de sa sœur et d’un destin. Autant d’abdos pour si peu de consistance, un summum de l’écriture de personnage, dirigés d’une main de maître par ce cher Tomasz Bagiński dont c’est le premier long métrage. Sinon ce ne serait pas drôle.
À ses côtés, Madison Iseman, tout juste sortie de la jungle des remakes en carton de Jumanji ou de la laborieuse adaptation de Souviens-toi… l’été dernier en série, vient redéfinir le mot cosplay. Avec sa perruque violette, ses lentilles et beaucoup trop de sérieux, elle est Athéna réincarnée. Une Saori Sienna bien plus deep que la hit girl, parce que vous comprenez, elle a des fêlures. Qui a soupiré ? Ah pardon c’est moi. Pour compléter ce casting quatre étoiles, dans la famille charisme en mousse, on demande Nero. Qui ? Ben Nero voyons. Mais si vous savez, c’est le Chevalier préféré des fans de Saint Seiya. Le bad boy au cœur ardent, le bien nommé Nero du Phénix (Oups, Spoiler ! c’est la révélation de fin. Oui parce que le mec avec une aura orange/rouge qui balance des flammes, c’était pas évident). Nero. Attendez, quoi ? Qui ? Ikki ? Non, je vois pas. Ce doit être un pote à Didier Skywalker. Ou à Jean-Guy Baggins. Des chics types. Ah et y a Caitlin Hutson qui joue Marin. Enfin il paraît, vu qu’elle est masquée et qu’elle apparaît et disparaît dans tout ça comme une sardine dans un dessert. Alors soyons sérieux deux secondes. C’est sans doute le personnage le plus fidèle au manga. Voilà.
Ah mais j’allais oublier ! Y a Nick Stahl aussi. Qui joue Cassios. Nick Stahl. Alors déjà en soit c’était drôle de penser à Nick Stahl. Mais alors Nick Stahl pour un film. Et pour un rôle de gros dur… La dernière fois que je l’avais vu, c’était le méchant mafieux à la peau jaune dans Sin City. Rodriguez avait eu le bon goût de le maquiller pour pas qu’on le reconnaisse. Après une apparition dans Fear The Walking Dead, le spin off de la série qui n’en-finit-pas-de-mourir-tant-et-si-bien-que-ça-en-devient-meta, le voilà dans le costume de Cassios. Alors pour celles et ceux qui suivent pas, Cassios, c’est un géant de 2,5 mètres sur-musculeux avec des dents de piranhas et une crête iroquoise blanche. Nick Stahl, perfection.
Ah ! Avant de parler des anciens. Ils ont casté un mec pour jouer Docrates… Alors oui je sais, ça vous dit sans doute rien. Mais pour les fans de Saint Seiya… Il n’y a pas Hyoga, Shun, Shiryu, mais il y a Docrates. Et on dirait Dee-Jay dans Street Fighter le film. Celui avec Van-Damme et Kylie Minogue. Docrates, c’est un méchant inventé par l’animé pour laisser le temps au récit d’avancer. Un personnage de filler tellement anecdotique qu’il appartient même pas à une caste de Chevalier (bronze, argent ou or).
Et pour conclure, on a le trio gagnant. Famke Janssen, Sean Bean et Mark Dacascos. Famke Janssen joue une version féminine du méchant nul inventé par la série Netflix qui a des bras de Terminator et suivra un arc à la Boromir avec tentation / rédemption. Et puisqu’on en parle, Sean Bean vient seanbeaner avec brio. Trois scènes d’exposition pour que John-Brandon recolle les morceaux d’un scénario alambiqué pour rien. Deux-trois fadaises de contextualisation pétée à base de ‘ta gueule c’est magique’ et paf, la mort. On s’y attendait pas du tout. Surtout qu’il incarne un personnage mort avant le début du manga qu’on ne voit qu’en flashbacks. Oh. La. La. Que. Je. Suis. Surpris.
Pour finir, on a un Mark Dacascos qui vient patater des tronches avec des tonfas et des matraques. Il joue un ersatz de Tatsumi appelé Mylock (mais pourquoi ?) qui vient casser des culs de cyber-méchants, piloter des hélicos et jouer au tuteur protecteur de la jeune princesse. C’est nul, c’est vide, c’est discutable, et comme pour Docrates, Tatsumi, c’est le valet rigoriste violent avec des enfants dont on se serait passé volontiers dans le manga de Kurumada. Mais il est là en version cool ! Ya-Hou ! Ah Mark… On te préférait en natif américain dans Le Pacte des Loups. T'étais déjà là pour claquer des beignets, mais au moins il y avait une réalisation et une intention artistique !
Sapés comme jamais
Tout ce petit monde s’agite donc pour des raisons débiles et forcées, de décors CGI sur fonds verts à d’autres décors CGI sur fonds verts. Intérieurs cossus dans une île grecque proche de L.A. (pour les nuls en géo), château médiéval modernisé en base de méchant comme dans les James Bond des années 1960, quelque part où y a des rochers qui volent, cage de MMA dans un sous-sol de paintball, Les Chevaliers du Zodiaque sait nous faire voyager. Mais tous ces décors moches ne seraient rien sans des effets assortis. Rassurez-vous : Jean-Michel Gentil en bleu et Jean-Marcel Méchant en rouge se tirent dessus avec des boulettes translucides. Je faisais mieux sur Macromedia Flash en 2001. Ou presque.
Mais que serait Saint Seiya sans ses fameuses armures qui ont rendu le manga célèbre et Bandai très riche (la moitié de mon PEL est passée en figurines Saint Seiya) ? Comment ont-ils ré-imaginé le design fantastique des armures de Pégase ou du Phénix ? Ces traits fins et harmonieux qui laissaient entrevoir les marqueurs principaux de la constellation totémique à laquelle chaque combattant se rattache ? Ces liserés entrelacés qui rappelaient l’art néo-antique classique ? Ce mélange d’occident et de Japon séculaires ?
Ils ont mis les mecs en pyjamas mous avec des casques de moto. Même les cosplayers de second ordre font mieux avec leurs petits doigts et leurs budgets de Home Staging. Leurs ‘armures’ (oui faut utiliser les guillemets) sont des combis ternes où la seule référence est médiévale. Juste dans l’intention d’héritage ou de filiation culturelle, 1000 ans les séparent. Le film en CGI de 2014 avait au moins pour lui d’être formellement inspiré. Là on se retrouve devant des candidats de Takeshi’s Castle ou du Grand Splash prêts à faire un show mal écrit et mal filmé dans une cellule de la version 2020 de Fort Boyard. J’entends les mélodies de Seiji Yokoyama, quasiment absentes du film, pleurer de concert avec les designs de Kurumada magnifiés en télé par Shingo Araki et Michi Himeno. Des larmes de sang, comme celui des renégats.
Tout est dépeuplé
Comme sur Netflix, la production ici ne comprend pas son matériau source. Ou pire encore, les décideurs de la Toei se sont dit que les occidentaux avaient besoin de techno-thriller pour comprendre et apprécier et ont laissé faire, au risque de travestir l'œuvre originale. Les Chevaliers du Zodiaque, le film, n’a plus rien de Saint Seiya, si ce n’est le nom de son héros et le duo Athéna-Seiya. Le mariage de mythologie grecque et de modernité contemporaine est un dosage précis et complexe que seuls le dessin et l’animation avaient su faire vibrer.
Comme de nombreuses propositions issues de mangas, ce n’est pas seulement le choc culturel entre une production audiovisuelle occidentale très cynique et opportuniste et le look très coloré des univers de Shōnen qui choque, mais aussi le caractère fantastique et la complexité des histoires qui se perdent à chaque fois dans les adaptations live. L’animation japonaise se repose sur du temps long, un aspect sériel, sur des univers fictifs très stylisés et une surenchère d’effets visuels. Des leviers qui demandent des budgets pharaoniques pour rester crédibles, mais qui se prennent régulièrement les pieds dans le tapis dès qu’on essaie de les transposer dans le rendu réaliste d’une version filmée.
Ce film Les Chevaliers du Zodiaque n’essaie même pas de rendre hommage à la série des années 1980 ou au manga éponyme de Masami Kurumada. C’est un vaste foutoir de mauvais goût qui ne se distingue du maître étalon Dragon Ball Evolution que par l’investissement naïf de ses protagonistes principaux. Mackenyu et Madison Iseman ont l’air d’y croire un peu et leur candeur parvient à nous éviter un assoupissement salvateur que j’ai pourtant expérimenté. Leurs rôles sont mal écrits, ils sont mal dirigés, mais ils ont choisi de faire contre mauvaise fortune bon cœur, quelle que soit l’adversité, derrière tant leur pyjama de caoutchouc que leur perruque factice ou leur lentilles trop colorées. Même face à un adversaire plus puissant qui les a mis au tapis, sans cesse, ils se relèvent. Je ne peux m’empêcher d’y voir une infime inspiration nekketsu qui transcende le long-métrage. Une once de poussière d’étoile, car le cosmos lui, est éternel !