10 juin 2017, 21h et des brouettes. Dans le cadre de sa traditionnelle conférence pré-E3 (RIP petit papillon), Electronic Arts fait la part belle au sein de son segment jeux indépendants a un titre inédit : A Way Out. Nouveau rejeton du studio suédois Hazelight, qui avait offert au monde quatre ans plus tôt le brillant et touchant Brothers : A Tale of Two Sons, le titre se présente comme un jeu d'aventure narratif aux forts accents de Prison Break, où deux personnages doivent s'échapper ensemble d'une prison de haute sécurité afin de… Hey, mais attendez une minute ! L'un des héros, il ressemblerait pas un peu à Menraw ? Non, pas le Ricain pur jus aux allures de nobody, l'autre là, celui avec un nez disons proéminent. Quoi, en plus le jeu est jouable exclusivement en coopération en écran partagé, que ce soit en local ou en ligne ? Vous voulez dire que je pourrais me retrouver à jouer avec Menraw, où Menraw joue… Menraw ? Apportez-moi un stylo : où est-ce que je signe ?
Entrance Song
Ça, c'était pour le préambule. Puisque dans les faits, au moment où A Way Out débarque dans les bacs le 23 mars 2018, il est précédé d'une aura pas forcément aussi scintillante que son concept de base le laissait espérer. Est-ce donc par peur d'être déçu ? De se rendre compte après de longs mois d'attente que le Menraw de pixels ne reste qu'une pâle copie comparée à l'original ? Toujours est-il que ce qui était au départ l'une des principales promesses de cette année vidéoludique s'est transformée en rendez-vous manqué.
Quoi, c'est tout ? Il s'arrête là ton article ? Tu es venu nous teaser avec l'espoir d'une aventure appelée à rentrer dans la légende pour repartir aussi sec tenter tant bien que mal de voir enfin le bout de Final Fantasy VII Remake ? Évidemment non. Confinés chez moi avec ma chère et tendre, nous avons retrouvé les joies d'un genre pas loin d'être porté disparu dans les années 2000 et qui est peut-être en train de vivre un nouvel âge d'or : le jeu co-op canapé.
Et que faire lorsque l'on vient de platiner Overcooked ! 1 et 2, DLCs compris, de perdre une bonne partie de sa santé mentale sur le bordélique Moving Out (peu de temps avant de connaître les joies du déménagement IRL) ? On se rabat sur l'ex-Messie devenu Sheitan, en profitant au passage d'une sympathique réduction sur le PlayStation Store. Avec deux ans de retard sur la date initialement prévue, je peux enfin le dire : A Way Out, I'm in.
A Tale of Two Bros
Le postulat de base du jeu est aussi simple qu'accrocheur. A Way Out raconte l'histoire de Leo et Vincent, deux malfrats incarcérés dans le même pénitencier : le premier pour s'être fait pincé au détour d'un deal qui a mal tourné, le second car inculpé du meurtre de son frère qu'il n'a pas commis. Leur point commun, ou plutôt leur connaissance commune : un mafieux notoire tout droit sorti d'un générateur aléatoire de visages sur le dernier FIFA répondant au nom de Random 4 Harvey.
Pour faire simple et éviter tout spoil, sachez simplement que ce dernier l'a faite à l'envers aux membres de notre duo de fortune avant de filer se planquer fissa dans son immense et ostentatoire hacienda mexicaine. Hasta la vista, générique final, hasta la proxima on part vers le sud en bécane. Tel est donc le plan de ces deux alliés de circonstance, qui vont rapidement se mettre d'accord pour 1) mettre les bouts avant que les portes du pénitencier se referment sur eux ; 2) mettre la main sur cet enfant de salaud de Harvey pour se retrouver nez-à-nez avec lui et s'offrir la vengeance qu'ils estiment mériter.
Swedish House Mafia
Cette alchimie qui se forme entre ces deux personnages que tout oppose, classique mais nécessaire point de départ de tout buddy movie qui se respecte, constitue indéniablement l'un des points forts de A Way Out. Certes, Josef Fares, réalisateur et scénariste du jeu (comme il l'était sur Brothers) n'est pas Shane Black, scénariste puis réalisateur de génie derrière L'Arme fatale 1 et 2, Predator, Kiss Kiss Bang Bang ou The Nice Guys, et les dialogues entre Leo et Vincent n'atteignent jamais la profondeur des échanges entre Martin Riggs et Roger Murtaugh, mais on se prend quand même d'affection pour eux et on apprend à anticiper leurs réactions. Il faut dire que le duo est construit sur un schéma tout de même un brin caricatural.
Commençons par notre petit chouchou, Leo, incarné donc par l'un des sosies officiels de Menraw (statut qu'il partage avec un certain Köksal Baba mais vous ne l'avez pas lu ici), Fares Fares. Frère de Josef et acteur dans le civil, il a déjà fendu la pellicule de son profil aquilin dans les deux premières réalisations du frangin sur grand écran (Jalla ! Jalla ! en 2001 et Cops en 2002) avant d'éclore un peu sur le tard ces dernières années dans Les Enquêtes du Département V (c'est du bon polar, mangez-en), la saison 2 de Westworld et surtout l'oppressant Le Caire Confidentiel.
Suédois d'origine libanaise, l'ami Fares campe donc ici fort logiquement un Italo-Américain fort en bouche (et en nez) pas subtil pour un sou, mais plus tendre qu'il ne le laisse paraître, à condition de ne pas venir le chatouiller sous les rouflaquettes. De l'autre côté du spectre, Vincent, calme, posé, est plutôt du genre à réfléchir et jouer des mots au lieu des poings pour s'extirper des situations difficiles. Deux styles pour deux approches vidéoludiques distinctes et un gameplay asymétrique digne de ce nom ? You wish bro.
Tarin compris
Un Quick Time Event (abrégé en QTE) est un élément de gameplay de type action contextuelle consistant en une phase particulière où le game designer en panne d'idée et/ou de temps mâche le travail à un joueur paresseux et/ou consterné dont la simple tâche consiste à appuyer sur le bon bouton au bout moment dans un enchaînement de séquences qui ferait s'évanouir d'ennui une souris de laboratoire lobotomisée. Problème : dans A Way Out, les QTE représentent une part monstrueuse des actions à effectuer.
Enchaîner les bourre-pifs, dévisser le siège des toilettes, changer une roue, saboter une machine à laver : tout se fait à partir des deux mêmes touches et surtout uniquement quand le jeu le décide. Avec deux sticks et deux gâchettes, Brothers parvenait à nous faire ressentir toute une gamme d'émotions jusqu'à produire l'une des fins les plus poignantes de notre histoire du jeu vidéo. Ici, on se contente peu ou prou de remplir notre moitié de rond jaune en attendant que notre infortuné compère fasse de même. Vous avez dit régression ?
Les défauts avançant dans ce cas eux aussi par paire, A Way Out souffre qui plus est d'un mal qui saute très vite aux yeux : la ridicule petitesse de ses environnements. Que ce soit à l'intérieur ou en dehors de la prison, on passe d'une mini-séquence à une autre, sans aucun liant ni transition autre qu'un temps de chargement beaucoup trop long que l'on aurait déjà du mal à pardonner à The Witcher 3. Surtout, une fois retirées les cinématiques qu'il n'est pas possible de passer (même après avoir terminé le jeu une première fois) et sans perdre son temps en dialogues optionnels lunaires au possible, la durée de "jeu" effective chute en flèche pour se réduire à une poignée de minutes.
Le nez creux
Mais le plus triste reste peut-être quand A Way Out essaie mais n'y arrive pas, malgré tout la bonne volonté du monde. Et il essaie beaucoup. Scène d'infiltration dans les fourrés à la Uncharted, scène de cover-shooter à la Uncharted (le dynamisme en moins, mais toujours avec le combat de boss tout mou), scène de poursuite au milieu d'un environnement qui part en sucette à la Uncharted, séquence en voiture, séquence en moto, séquence en parachute, séquence en bateau, séquence en canoë, séquence en hélico… On en connaît qui attraperaient le mal des transports pour moins que ça.
À vouloir rêver trop large, Josef Fares a fait de sa grande évasion une grande illusion ; l'illusion qu'en proposant autant de phases différentes, le joueur soit trop exalté par sa fuite en avant pour remarquer la vacuité du gameplay, qu'aucun de ces chapitres n'a pu être suffisamment soigné, faute de temps et d'argent. Le problème n'est pas tant qu'A Way Out soit une succession de saynètes disparates mises bout à bout qui n'auraient jamais dû se retrouver dans un seul et même jeu, c'est qu'elles finissent toutes par se ressembler. Et à terme, être oubliées. Quand bien même la fois suivante les rôles se retrouvent inversés entre celui qui doit appuyer sur croix pour accélérer et le préposé au shotgun à matraquer la gâchette comme un forcené.
Ça fait split
Si A Way Out trébuche sur le plan vidéoludique, peut-il compter sur son appel du pied assumé au monde du Septième Art pour l'aider à se relever ? Oui… et non. Parlons d'abord de ce qui fonctionne, avec en premier lieu le split screen (ou écran partagé pour les plus jeunes qui n'auraient pas connu les joies des parties de Goldeneye à quatre sur une télévision cathodique de 36 centimètres de diagonale), que le jeu se fait un malin plaisir à réinventer. Loin de se contenter d'offrir 50% de l'écran à chaque joueur d'un bout à l'autre de l'aventure, A Way Out bouleverse régulièrement ses cadrages et ses proportions en fonction des événements, pour mettre l'emphase sur le sort d'un de nos héros, quand il ne rajoute pas carrément un troisième écran pour y faire intervenir un antagoniste ou un autre personnage secondaire. Brian De Palma likes this.
Dans le même temps, la réalisation dans son ensemble peut elle aussi se montrer virevoltante. Lorsqu'il n'abuse pas des ralentis ou de tout autre effet tape-à‑l’œil, qu'il ne cherche pas à tout prix à concevoir un plan iconique ou qu'il ne se coupe pas lui-même dans son propre élan avec une nouvelle cinématique plan-plan, Josef Fares est capable de belles envolées. On pense notamment à un fulgurant et ultra dynamique plan-séquence dans un hôpital, d'autant plus surprenant et rafraîchissant qu'il intervient après facile trois bonnes heures à ronger son frein en espérant que se produise enfin quelque chose d'intéressant. De nouveau, on sent que David Fincher et sa caméra volante (notamment celle de Panic Room) sont passés par là.
Par ici la sortie
Sauf qu'il ne suffit pas d'empiler les scènes cultes et les coups de coude à la culture pop (et ce n'est pourtant pas faute d'aimer cela ici) pour s'offrir un style. À 40 ans passés ainsi qu'une demi-douzaine de jeux et de longs-métrages à son actif, Josef Fares semble stagner dans l'usage de son background cinématographique. Une pincée des Évadés en ouverture (dont l'univers carcéral était déjà un modèle de mièvrerie il y a 25 ans), un soupçon de Délivrance au milieu, les rednecks dérangés du bulbe et les grands espaces en moins, et enfin une énorme tarte à la crème avec inscrit dessus Scarface en lettres dorées pour finir : on nous informe que l'originalité vient de se jeter du 42e étage.
Le comble du ridicule est atteint lors d'un pastiche de la mythique scène du couloir de Old Boy, pensé comme un mini-jeu de baston en 2D (ci-dessus) dont la raideur des animations et la qualité toute relative des hitboxes feraient passer le premier Mortal Kombat pour un monument de fluidité. Et ce n'est malheureusement pas la seule fois que la technique vient se mettre en travers des intentions, à l'image d'un autre mini-jeu de basket désolant qui est pourtant censé servir de ressort narratif à une réconciliation père/fils à laquelle on ne peut pas croire une seule seconde. Lorsque les conditions sont réunies, je suis toujours prêt à suspendre mon incrédulité, mais à ce niveau de prestation-là, le coût du vestiaire est quelque peu prohibitif.
Mon esprit glisse ailleurs
Tout cela étant dit, à savoir si j'ai passé un mauvais moment en jouant à A Way Out, la réponse serait bien évidemment… non. Bien sûr, le charme de la coopération (et de ma coopératrice) y est pour beaucoup. De la même manière que l'on supporte plus facilement à plusieurs un film à tendance nanardesque, on tolère mieux les défauts d'un pareil titre en duo, pour ne pas gâcher l'expérience de son binôme tout en facilitant l'immersion et le rapprochement avec les personnages. Et puis il y a ces petits moments de vie ingame, ces instants suspendus qui n'ont absolument pas leur place dans un récit de cavale – personne n'est plus vraiment à ça près de toute façon – mais brossent bien mieux les portraits de nos avatars en une réaction ou deux phrases que ces trop longues et trop nombreuses cinématiques figées.
Avec le recul, nous avons sûrement eu le nez fin Menraw et moi (mais surtout lui) de ne pas nous être jetés sur A Way Out dès sa sortie. L'attente excessive conduisant bien trop souvent à la déception, mieux valait laisser mourir cette dernière pour que renaisse la première. Une attente qu'auraient mieux fait d'observer Josef Fares et sa petite équipe chez Hazelight. Mais à la place, celui qui est désormais plus connu pour ses frasques et ses majeurs levés bien haut que pour ses jeux, s'est lancé dans un nouveau projet sur lequel il ne tarit déjà pas d'éloge. "You're going to get fucked every 30 minutes," a‑t-il lâché dans son langage fleuri habituel. Une chose est sûre, celui qui parviendra à faire sortir Josef Fares de son monde n'est pas encore né. Qu'il a très joli d'ailleurs.
Crédits photos : ea.com