Au rayon des déceptions cinématographiques, notre génération Y a de la ressource. Les plus âgés se lamentent encore de la prélogie Star Wars, première franchise à s’être précipitée dans l’excès du numérique. Les créatures, les maquillages, les décors, les accessoires… Plus rien n’existait, à tel point que le jeu des comédiens se faisait l’écho du vide qui les entourait. Quelques années plus tard, le retour de John McClane dans deux nouveaux épisodes trop sages de la saga Die Hard a su nous faire grincer des dents. Mais il semble que rien – absolument rien – ne nous ait davantage déçus que la remise en selle d’Indiana Jones dans un quatrième épisode de ses aventures, dix-neuf ans après La Dernière Croisade. Authentique sacrilège ou caprice de fans ? On remet son chapeau, on enfile son blouson, on reprend son fouet et on y retourne.
Seul le pénitent pourra le passer
Dès 2007, le monde entier savait qu’un nouvel épisode d’Indiana Jones était en tournage, avec Steven Spielberg à la mise en scène, George Lucas à la production, John Williams à la musique et Harrison Ford dans le premier rôle. Sur le papier, tout allait bien. Quel que soit le résultat, le film était casher. Le tout serait concocté par le studio Paramount, ce qui assurait de retrouver le gimmick du logo se fondant dans le premier plan du film. Certes, tout le monde avait pris des rides, mais pas de lézard : aucune raison que la recette Indiana Jones ne fonctionne plus.
Pourtant, quelques détails nous ont fait lever un sourcil avant même de découvrir le film, comme la présence de Shia LaBeouf au générique. Attention : vu ses 21 ans, on parle encore d’un Shia LaBeouf pré-pétage de plombs. Pas de celui qui cite Éric Cantona en conférence de presse et arpente des tapis rouges avec un sac en papier sur la tête. A l’époque, ce n’est encore que le héros de Transformers, la valeur sûre des plateaux de tournage hollywoodiens. Mais son ajout dans l’univers d’Indiana Jones ne pouvait signifier qu’une chose : il reprendra le flambeau. Et personne ne reprend le flambeau d’Harrison Ford.
Autre petit inconvénient, plus inquiétant : le scénario a été confié à David Koepp. En 2007, on sait que David Koepp est capable du pire comme du meilleur. Sous sa plume, chaque séquence de dingue se paie d’un dénouement débile. Dans Jurassic Park, le T‑Rex, qu’on entend d’habitude venir à des kilomètres, intervient comme par magie à la fin du film pour sauver les héros des griffes des raptors. Dans Snake Eyes, quand Nicolas Cage est à la merci de Gary Sinise, une tempête fait tomber un globe qui roule et détruit le mur de la pièce où ils se trouvent, laissant une équipe de télévision qui se trouvait là capturer la scène et révéler au monde entier l’identité du méchant. Comme on dit dans La Cité de la peur : « Eh ben ça, ça tombe bien, alors ! ». Même quand David Koepp passe derrière la caméra, il est capable de tout : Fenêtre secrète, sorti en 2004, est une adaptation de Stephen King sans intérêt, au twist prévisible, mais au générique vertigineux. On vous laisse en juger…
Et puis, début 2008, quand on découvre enfin les premières bandes annonces d’Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, nous voilà rassurés. Indy est bien de retour. Tout se passera comme prévu. Vivement le 20 mai, qu’on découvre ce chef d’œuvre. La suite, on la connaît. C’est nul. Une honte. Comment est-ce possible ? Qui nous a fait ça ? D’ailleurs, n’en parlons plus et faisons comme si ce film n’existait pas.
Dès son premier plan, Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal faisait subir aux fans le traumatisme qu’ils retrouveraient dix ans plus tard avec Star Wars, épisode XIII : Les Derniers Jedi. Celui de détourner la formule et de s’en moquer plutôt que de retrouver son premier degré. Souvenez-vous de Luke Skywalker qui contemple son sabre laser avant de le bazarder derrière son épaule comme une babiole désuète ? Tout fonctionne sur ce régime dans les quatrièmes aventures d’Indiana Jones. On est prévenus dès le logo Paramount. Que révélera-t-il ? Une montagne ? Où ça ? Dans quelle contrée lointaine va-t-on nous faire voyager ? Et rien. Juste une taupinière dans le Nevada en 1957. On s’est bien foutus de notre gueule. Au lieu de nous donner l’infiniment grand qu’on espérait, on nous a balancé l’infiniment petit. Et tout fonctionnera sur ce régime. En guise de trésor, Indiana Jones va trouver le savoir. En guise d’aventure, il va se marier et devenir papa. En guise d’archéologie, il va faire la connaissance des petits hommes verts. C’est si décevant qu’il faut se rendre à l’évidence : les auteurs ont choisi de se faire plaisir plutôt que d’offrir au spectateur ce qu’il attendait. Dès lors, il ne faut plus voir Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal comme un divertissement, mais comme une œuvre d’art.
Indiana Jones, c’est le joujou de Steven Spielberg. Et Spielberg, il aime faire joujou comme il l’entend. C’est d’ailleurs souvent satisfaisant de le regarder s’amuser ! La première scène des Aventuriers de l’arche perdue en témoigne. Pas de temps mort : le héros sort de l’ombre, les pièges mortels se succèdent, la musique de John Williams enrobe toute la séquence et révèle un thème qui va marquer l’histoire du cinéma… Mais c’est aussi parfois assez consternant. Souvenez-vous de la scène du banquet grotesque dans Le Temple maudit. Le sorbet de cervelle de singe, le serpent-surprise, la soupe aux yeux… Pourquoi pardonne-t-on mieux cette farce à la frontière de la xénophobie que celle où Shia LaBeouf saute d’une liane à une autre dans une jungle numérique ? Dans Le Temple maudit toujours, Indiana Jones et ses amis survivent à un crash d’avion en faisant du toboggan avec un bateau gonflable. Bizarrement, ça nous amuse, alors qu’on s’offusque de voir le même héros, vingt-cinq ans plus tard, échapper à une explosion atomique en se cachant dans un frigo. On vous expliquera une autre fois pourquoi ce n’est pas une si mauvaise idée que ça, dans de telles circonstances.
Quand Indy est sauvé par des esprits qui ne tuent que les Nazis et qui le libèrent de ses entraves à la fin des Aventuriers de l’arche perdue, on dit amen. Quand il croise le chemin des extra-terrestres, on hurle au scandale. Dans La Dernière Croisade, si Indy et son père (interprété par Sean Connery, qui a douze ans de plus que Harrison Ford) plaisantent sur l’idée qu’ils ont partagé la même femme sans le savoir, on trouve ça attachant. Mais si on découvre que le jeune motard au look de Marlon Brando est le fils caché du héros, ça ne va plus. Pourquoi ?
Sans doute parce qu’on n’est pas tant dérangé par ce qui lui arrive que par le ton général de l’entreprise. Le premier degré des épisodes précédents est parfois bas de plafond, mais il assure aux séquences les plus réussies un souffle épique. Aussi épique que lorsque la production du film ne cède pas à la facilité du numérique. Quand Harrison Ford tombe nez à nez avec un cobra, on reconnait les risques pris par toute l’équipe pour nous offrir une scène forte. Bien sûr, les précautions d’usage ont été prises pour ne risquer la vie de personne. Mais, indéniablement, pour réussir cette scène, il a fallu mettre Harrison Ford très près d’un animal dangereux. Et ça a plus d’allure que les fourmis rouges numériques qui grouillent dans l’épisode de 2008.
Uniquement dans le mot de Dieu devra avancer
C’est d’autant plus rageant que LucasArts avait sorti en 1992 un jeu vidéo intitulé Indiana Jones et le Mystère de l'Atlantide, dont le scénario irréprochable aurait fourni une excellente suite aux aventures d’Indiana Jones. Pourtant, Spielberg et son équipe ont choisi de faire autrement. Car j’en reviens à l’idée qu’il ne s’agit pas seulement d’un blockbuster, mais d’une œuvre d’art. Le cinéaste a un point de vue sur son héros. Il veut lui faire dire quelque chose, et pas seulement lui faire traverser une trame narrative mystérieuse parsemée de dangers.
Voilà déjà qui explique l’humour et le ton dérisoire revendiqué par le film. Si Harrison Ford remet son chapeau et reprend son fouet à soixante-huit ans, inutile de croire qu’il sera aussi en forme que vingt ans plus tôt. Il peut essayer de faire illusion, mais il sera souvent rattrapé par la réalité : il vieillit. Et, quand on vieillit, on a plus de mal à se bouger. Dès lors, Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal est davantage un film sur le vieillissement d’un héros d’action que sur son grand retour. Il y a ce qu’on peut encore faire et ce qu’il faut oublier. Courir, sauter, éviter les balles, d’accord. Se balancer avec son fouet d’une hauteur à une autre, non. Et Spielberg, cinéaste qui vieillit aussi, se pose les mêmes questions que son héros : suis-je capable de remettre le couvert ? Ai-je gardé mon âme de jeune homme ? Peut-on faire joujou à soixante ans comme à trente ?
Ensuite, il faut se souvenir que la franchise a toujours servi à Steven Spielberg de prétexte pour rendre hommage au cinéma. Lorsqu’Indiana Jones traversait les années 1930, chaque scène était conçue comme un pastiche des films d’aventure qui fleurissaient sur les écrans dans ces années-là. Il suffit de regarder King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933) pour en être convaincu, ou Tarzan, l’homme singe de W.S. Van Dyke (1932). Puisqu’il a vieilli, c’est désormais en 1957 que ce nouveau film a lieu. Les années 1950, dans le cinéma américain, c’est la décennie de la science-fiction. Les références aux soucoupes volantes, à la Zone 51, à l’affaire de Roswell et à l’arme atomique sont inévitables. Ce serait ne pas comprendre sa propre saga que de ne pas confronter Indiana Jones aux extra-terrestres.
Enfin, il y a le savoir-faire du réalisateur. On ne peut forcer personne à aimer Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, mais comment fermer les yeux sur ses plus belles réussites ? Restons sur la scène d’introduction. Si le coup du logo Paramount et de la taupinière n’a pas plu aux fans, oublions et passons aux images suivantes. Concentrons-nous sur l’apparition du héros. Comment faire revenir la légende ? Quatre plans, quarante-cinq secondes.
C’est d’abord un coffre qu’on ouvre en gros plan et quelqu’un qu’on en extirpe. Est-ce lui ? Léger recadrage vers le haut, le visage se dévoile : non, c’est quelqu’un d’autre. Les cinéphiles auront reconnu Ray Winstone, encore jamais vu chez Indy. C’est la déception. Mais attendez ! Il y a autre chose dans ce coffre, puisqu’un autre soldat va fouiller dedans. Petite astuce pour qu’on remarque le raccord le moins possible : on recule légèrement la caméra et on la décale d’un angle de 15 degrés vers la droite. C’est un « jump-cut ». Sur le deuxième plan, le soldat jette un chapeau à terre. La caméra le suit en gros plan. Là, c’est une métonymie de cinéma. On sait très bien à qui appartient ce chapeau. On sait aussi que le jeter au sol, c’est lui faire offense. D’ailleurs, les personnages du film le savent aussi puisqu’au plan suivant, filmé de haut, en plongée totale, dix-huit soldats encerclent le chapeau en pointant leurs fusils dessus.
Là encore, un léger recadrage du plan nous permettra de comprendre qu’ils ne visent pas le chapeau, mais l’homme qu’on traine hors du coffre et qu’on jette au sol, face contre terre, près de son couvre-chef. L’angle de la caméra ne nous laisse pas encore découvrir son visage. Il se lève et arrive le quatrième plan, pièce maitresse de cette séquence. On croit revenir au deuxième plan, mais pas tout à fait. La caméra est plus proche du sol et le chapeau moins froissé. Derrière lui, près de la voiture, une paire de jambes s’avance. Une main saisit le chapeau. Tandis que l’homme se relève, son ombre est projetée sur la portière et, comme il se couvre, quelques notes du célèbre thème de John Williams nous confirment son identité. Mais un soldat rompt la grâce de cet instant en sortant de la voiture et en criant quelque chose en russe. Dans un long traveling, la caméra commence par monter vers son visage, puis le laisse sortir du cadre pour mieux partir à sa recherche avec un panoramique gauche-droite. On découvre alors l’homme au chapeau, de dos, lui aussi intrigué par ce soldat russe et par le mouvement qu’il provoque. Enfin, il se retourne et le suspense a assez duré : c’est lui. Indiana Jones mérite bien 45 secondes et quatre plans pour qu’on le présente.
On pourrait croire qu’il s’agit des quarante-cinq meilleures secondes du film, mais c’est faux. Quelques secondes plus tard, la découverte de la Zone 51 s’effectue grâce à un traveling arrière onctueux, démarrant en gros plan sur les rouages mécaniques qui enclenchent l’ouverture du hangar et se terminant dans un plan de grand ensemble, sur l’immensité de l’espace dans lequel sont entreposés des milliers de caisses, hommage au dernier plan du premier film. Plus tard, que dire de l’étonnant face-à-face entre Indiana Jones et Irina Spalko, où Steven Spielberg confirme sa maestria dans l’art de l’ombre projetée ? Même lorsque le héros est en position de faiblesse, une source de lumière et un voile au premier plan font paraitre son ombre dix fois plus grande que la silhouette de Cate Blanchett, une astuce qui lui permet de conserver l’avantage sur la situation.
D’accord, mais l’action dans tout ça ? Revoyons simplement la course-poursuite dans les rues de Bedford, puis sur le campus du Marshall College. Certes, il n’y a pas de cobra, mais un cascadeur s’est tout de même farci de passer d’une moto à la banquette arrière d’une voiture, puis de la banquette arrière à la moto, le tout à pleine vitesse. On a le droit de ne pas être impressionné, mais tout de même : force est de constater que des gens se donnent du mal pour nous en mettre plein la vue.
Bien sûr, tout ça n’excuse pas les fourmis rouges et les petits singes numériques. Mais puisqu’il faut râler, je signale que personne ne s’est extasié devant la direction artistique monumentale de la salle où gisent les extra-terrestres, à la fin du film. Chaque petite brique de chaque trône a été sculptée et peinte à la main, bande d’ingrats ! Je sais : on est perturbé par ce pauvre John Hurt en poncho qui baragouine un simili-Maya dans le vide, mais tout de même. Chapeau, la déco.
Uniquement dans le saut depuis la tête du lion pourra-t-il prouver sa valeur
Pourtant, rien à faire. Je suis obligé d’admettre que, moi aussi, j’aime moins Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal que les trois premiers. Je n’ai jamais su à quoi ça tenait, mais voici quelques hypothèses.
D’abord, je suis déçu par les épreuves qu’Indiana Jones traverse. Toute la première séquence dans la Zone 51 me semble irréprochable parce que je sais qu’Indiana Jones est en grand danger et qu’il risque d’y passer à chaque instant, comme dans la première scène des Aventuriers de l’arche perdue. C’est après que ça se gâte. Que ce soit dans le cimetière au Pérou ou dans la cité d'Akator, les pièges que le héros déjoue ne sont jamais mortels. Ce ne sont que des astuces pour rendre le fameux crâne de cristal plus difficile à trouver. Et encore, elles ne sont pas bien méchantes. Même quand Mutt Williams se fait piquer par un énorme scorpion, Indy l’admet lui-même : « Ne t’inquiète pas, ceux-là ne sont pas mortels ». Merde, alors. Autant aller prendre le thé.
Je suis aussi surpris par la décision de faire revenir le personnage de Marion Ravenwood, qui accompagnait Indiana Jones dans le premier épisode. Pourquoi ce retour en arrière, comme si Indy avait un seul amour perdu, alors qu’on s’était habitué à une nouvelle conquête à chaque film ? Jamais il n’a mentionné sa passion pour Marion et son regret de l’avoir perdue. D’ailleurs, il n’aurait pu le faire que dans La Dernière Croisade, puisqu’il faut rappeler que Le Temple Maudit se passe avant Les Aventuriers de l’arche perdue. Désolé de vous perdre, mais ça a son importance. Bref : les aventures d’Indiana Jones, ça ne marche pas comme ça. On ne se demande pas ce qu’est devenu Demi-Lune. On ne se demande pas si le maharadjah de Pankot est toujours au pouvoir. On accepte de nouveaux personnages à chaque épisode et on regarde assez peu dans le rétro. Bien sûr, Marcus Brody et Sallah sont toujours les bienvenus pour faire un fil rouge d’un épisode à un autre, mais ils sont suffisamment secondaires pour qu’on ne soit pas fâchés s’ils ne refont pas surface.
Comme à tout le monde, les fourmis rouges numériques me posent un problème fondamental. On sait que dans chaque épisode, il y aura une scène avec un animal flippant en très grand nombre. Les serpents dans le premier, les insectes dans le deuxième, les rats dans le troisième. Pour commencer, pourquoi opter pour des fourmis rouges quand on est déjà passés par des insectes dans Le Temple Maudit ? Et, surtout, la qualité de ces scènes repose sur leur réalisme. Dans les trois premiers, des milliers de créatures ont été requises pour le tournage, ce qui doit être à la fois coûteux et cauchemardesque pour veiller au respect des animaux. Choisir le numérique, c’est choisir la facilité. La menace que représentent ces fourmis rouges pendant qu’Indiana Jones se bat à mains nues contre Dovchenko (le soldat russe de la première séquence) est inexistante. On n’a pas peur.
Un soupçon d’aventure manque aussi. C’est triste à constater, mais il faut attendre 38 minutes avant qu’Indiana Jones monte dans un avion et décolle pour une destination plus exotique que les États-Unis. Bien sûr, la séquence d’intro est formidable, mais elle a lieu dans le Nevada. Bien sûr, la course-poursuite à moto est sensationnelle, mais sur le campus d’une université américaine. Et quand on se décide enfin à aller voir où le danger nous mène, c’est pour retourner en Amérique du Sud où Indiana Jones est déjà allé dans le premier film. Il aurait pu aller en Chine, au Japon, en Australie, en Sibérie, au sud du Sahara, mais non. Il retourne en Amazonie. Alors, bien sûr, la forêt amazonienne, c’est grand. Mais quand même… le monde aussi !
En dehors du scénario, il faut aussi rappeler que Le Royaume du Crâne de Cristal est le seul épisode de la franchise sans Douglas Slocombe à la photographie, puisqu’il avait déjà plus de 90 ans quand la production a été mise en chantier. C’est donc Janusz Kaminski qui l’a éclairé, lui qui s’occupe de tous les films de Steven Spielberg depuis La Liste de Schindler. Ce n’est qu’un détail, mais il ne faut pas s’étonner si cet épisode a un « look » différent, avec une photo plus claire, aux couleurs plus criardes, avec toujours le sentiment d'un léger voile brumeux sur l’image.
Et puis je suis heureux que Spielberg et sa bande se retrouvent une âme d’enfant la soixantaine passée, mais ce n’est pas une raison pour nous infliger cette morale de vieux con qui voudrait que le savoir soit le plus beau des trésors, avant que notre héros fasse la paix avec l’esprit de famille, passe la bague au doigt de sa bien aimée et lance un clin d’œil à son fiston. J’aime bien le gag final du chapeau, lorsque Mutt Williams se croit suffisamment légitime pour se le caler sur la tête avant de se le faire arracher des mains par Indiana Jones qui repart avec. C’est une façon aimable, heureuse, astucieuse – et élégante comme sait l’être Steven Spielberg – de dire : « Va te faire foutre Shia LaBeouf, tu ne seras jamais le quart de l’homme qu’est Harrison Ford. » Mais tout ça sent quand même la naphtaline.
Mais alors, que faire de cet épisode encombrant à quelques mois d’en découvrir un cinquième, actuellement en tournage ? Je propose de le réhabiliter raisonnablement. Bien sûr, il ne s’agit pas de l’aimer du jour au lendemain autant que nous aimons ses prédécesseurs. Mais, comme le précisait le Nazi Moeller à son assistant Loktar dans OSS 117 : Le Caire, nid d’espion, on pourrait lui dire : « Tu es toléré, ici ». En particulier parce qu’à la différence du cinquième épisode à venir, Le Royaume du Crâne de Cristal est réalisé par Steven Spielberg et produit par George Lucas, comme ses trois prédécesseurs. Le cinquième sera l’œuvre de James Mangold, avec Spielberg à la production. Et ça, c’est nul. Ça veut dire que ce n’est plus une œuvre d’art cohérente, comme je le défendais plus haut, mais juste un blockbuster.
Pourtant, je mesure la difficulté de la tâche. Moi aussi, j’étais au Max Linder à minuit dans la nuit du 19 au 20 mai 2008 pour être l’un des premiers au monde à découvrir le film. Je m’étais même habillé presque comme Indy pour l’occasion ! À tous mes congénères qui se sont sentis trahis par le quatrième volet des aventures d’Indiana Jones, à tous ceux qui, comme moi, ont pleuré de bonheur devant la bande annonce avant de verser des larmes amères à la sortie du cinéma, je propose : accordons la même importance au Royaume du Crâne de Cristal qu’à Tintin au Congo. Indy, comme Tintin, c’est notre pote. D’ailleurs, c’est un peu le même pote. Ce pote, parfois, fait des choses extraordinaires et d’autres fois, il est embarrassant. Mais c’est à nous de l’aimer entièrement et de lui pardonner ses erreurs. Pour ma part, j’ai déjà moins de mal à considérer que Le Royaume du Crâne de Cristal est un épisode médiocre, mais légitime de cette saga que le prochain, qui ne sera même pas signé de la même main, comme si son géniteur en déclinait la paternité. Je ne l’ai pas encore vu, et il sera peut-être très bien. Mais pour moi, l’enfant illégitime, c’est déjà lui.
Pour finir en beauté, juste pour le plaisir de se souvenir une fois pour toutes qu'Indiana Jones, c'était déjà embarrassant avant Le Royaume du Crâne de Cristal, revoyons cette tentative d'accent écossais par Harrison Ford… dans un film où il donne la réplique à Sean Connery.