J'aime l'orage. Certes, comme tout le monde, je le préfère au coin du feu sous un plaid, un bon grog à la main, que lorsqu'il me tombe dessus au milieu de nulle part, sans rien pour m'abriter dans mon champ de vision ni espoir de trouver un chauffeur Uber disponible à des kilomètres à la ronde. Je n'ai connu que peu de moments aussi jouissifs que ceux passés dans la véranda familiale à entendre la pluie tomber drue sur les velux tout en essayant de deviner de quel côté allait surgir le prochain flash. La vue sur le Sacré Cœur depuis mon ancien appartement de Colombes au 7e étage sans ascenseur a pris tout son sens en cette mémorable nuit d'été où le ciel s'est illuminé. Et je ne me souviens pas avoir vu quoi que ce soit de plus beau que ces éclairs en train de zébrer le ciel à l'horizon alors que je franchissais le pont de l'Île de Ré en camion à 4h30 du matin. Qu'est-ce que j'étais en train de faire sur le pont de l'Île de Ré en camion à 4h30 du matin ? Ceci est une toute autre histoire.
Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours aimé voir les éléments se déchaîner. Une posture d'autant plus facile à adopter lorsque l'on vit dans une région à l'écart de toute éventualité de catastrophe naturelle. Pas de côté à proximité immédiate, de couloir de vents violents, de forêt prête à s'embraser, de faille sismique ni de rivière menaçant de déborder. En 28 ans, si l'on met de côté la tristement célèbre tempête de 1999 qui n'a épargné que peu d'endroits (un temps que les moins de 20 ans…), c'est à peine si le garage situé au sous-sol a inondé une ou deux fois à cause de pluies un peu plus soutenues.
On a connu plus palpitant et il faudrait être sacrément masochiste (ou avoir souscrit à une bonne assurance tous risques) pour s'en plaindre. Un manque chronique d'instabilité climatique que n'ont jamais voulu combler Sébastien Folin et Évelyne Dhéliat malgré mes prières répétées, qui m'a donc poussé à partir en quête de sensations fortes ailleurs. Comme pour la plupart de mes problèmes à cette époque-là, je me suis donc tourné vers mon écran de télévision pour y trouver la solution. Celle-ci tenait en un mot au doux parfum d'aventure : Twister.
Sous le vent
Mettons tout de suite les points sur les "i" distordus. Non, Twister n'est pas ce jeu de société tout naze qui vous met sens dessus-dessous, que vous aviez acheté exprès pour tenter de la jouer collé-serré avec votre crush du collège durant votre boum d'anniversaire. Ce n'est pas non plus une version low cost de ce bar ambiance un tantinet mal famé dans lequel échouent par hasard Quentin Tarantino, George Clooney et Harvey Keitel dans Une Nuit en Enfer.
Il s'agit tout simplement de l'un des films qui a le plus tourné dans le magnétoscope de la maison au carrefour des années 90 – 2000. Aux côtés de tant d'autres certes, mais avec une place à part. Voyez-vous, dans notre modeste foyer du Poitou, même dans la bouche de mes parents, les tornades se sont longtemps faites appeler des Twister. Et à chaque nouvelle catastrophe dont la nouvelle parvenait jusqu'à chez nous, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer une cohorte de jeeps, camions et autres pick-ups de toutes les couleurs foncer à toute berzingue dans le sillage de la bête.
As I drive through the valley of the shadow of death
Car c'est bien de cela dont il est question. Twister met en scène l'une des professions comptant parmi les plus américaines qu'il soit : les chasseurs de tornade. En plus d'engranger photos et vidéos ultra spectaculaires au plus près de l'action qu'ils pourront revendre à prix d'or à tous les journaux et chaînes de télévision du coin, le but de ces trompe-la-mort est on ne peut plus noble : collecter le plus possible de données sur ces forces de la nature afin de mieux les comprendre et surtout mieux les prévenir. Malgré toute la machinerie hollywoodienne derrière le projet, les péripéties qui émaillent le récit de Twister ne sont donc pas toutes complètement invraisemblables.
Rien que dans la bien nommée Tornado Valley qui va du Texas au Dakota du Nord, plus de 600 tornades sont recensées chaque année (soit la moitié de celles enregistrées dans l'ensemble des États-Unis), avec des vents pouvant aller jusqu'à 320km/h et des diamètres s'étendant jusqu'à 4 kilomètres. De quoi faire naître une vocation pseudo-scientifique chez le mini-Flegmatic d'à peine 10 ans ? Oh que non ! Comme tous ces grands tarés mis en lumière depuis par des émissions de télé-réalité sensationnalistes – dont certains ont connu un sort funeste – je lançais et relançais la cassette surtout pour profiter du spectacle ! Et quel spectacle !
The wind of change
Je ne saurais dire combien de fois j'ai vu Twister mais il se place sans nul doute dans mon Top 3, au coude à coude avec Forrest Gump et Les Dents de la Mer. Mais ce que le moi pré-adolescent puis ado ne pouvait pas avoir remarqué, ce sont les noms qui gravitent autour du projet. Dès le départ, Twister est pensé comme un blockbuster, ce que prouvent ses 90 millions de dollars de budget (un sacré chiffre pour le milieu des années 90), apportés à la fois par Warner Bros.
(distributeur du film en Amérique du nord), Universal (distributeur partout ailleurs) et Amblin Entertainment, société de production mythique derrière laquelle se cachent à l'époque Kathleen Kennedy, aujourd'hui présidente de Lucasfilm et Steven Spielberg. La légende voudrait même que ce soit Tonton Steven lui-même qui ait amené la première ébauche de scénario à son poto Michael Crichton, dont le roman Jurassic Park a parait-il fait quelques vagues au début des années 90.
Et de fait, l'histoire en elle-même a quelque chose de Crichton-ien : une base vaguement scientifique dont on sait qu'elle repose sur des faits bien réels mais qui dérive ensuite rapidement sur de la fiction pure et dure, avec une série de péripéties typiquement hollywoodiennes dont on connait désormais parfaitement le schéma. Et puis, comment ne pas penser à la scène du brin d'ADN qui nous explique la recréation des dinosaures lorsque l'on observe les petites boules de couleurs s'animer sur ordinateur en suivant les mouvements de la tornade. Une équipe de choc et de charme qui avait besoin d'un bon Yes-man à la mise en scène, à la fois tâcheron et en même temps doué de ses dix doigts.
Ce sera le Néerlandais Jan de Bont, réalisateur en 1994 du remarqué Speed après une carrière pas piquée des hannetons en tant que directeur photo. Paul Verhoeven (Turkish Delight, Basic Instinct), John McTiernan (Piège de Cristal, À la Poursuite d'Octobre Rouge), Ridley Scott (Black Rain) ou encore Richard Donner (L'Arme Fatale 3) : de Bont n'a pas travaillé qu'avec des manchots et semble avoir appris un tour ou deux. Résultat des courses : avec près de 500 millions de dollars récoltés, le succès est au rendez-vous et lance une nouvelle vague de films catastrophes (Daylight, Deep Impact, Armageddon, les clones Volcano et le Pic de Dante, Pluie d'Enfer, En Pleine Tempête…) qui connaîtront à leur tour des fortunes diverses. Mais plus que les chiffres, ce qui reste de Twister 24 ans après sa sortie, ce sont des images. Et quelles images !
Twist and shout
Revoir un film de son enfance près de 15 ans après son dernier visionnage n'est pas toujours une riche idée. Le risque est grand d'être déçu. De voir le train de nos souvenirs se faire emporter par l'impitoyable tornade de la réalité. Est-ce parce que ce film tient dans mon petit cœur une place beaucoup trop importante, mais je n'ai à aucun moment ressenti de quelconque déception devant Twister. Bien au contraire. Tout était là, encore vif et rugissant comme au premier jour.
Bien sûr, je ne serais pas complètement objectif sans dire que certains effets visuels fonctionnent moins bien que d'autres (une vache !), mais ceux-là étaient déjà limites à l'époque (une autre vache !). Rien de nouveau donc sous le ciel encombré de l'Oklahoma et c'est très bien comme ça. Sans nul doute en bonne partie grâce au savoir-faire de chez Amblin, Twister n'a pas pris une ride, ce qui peut être pris comme une bonne ou une mauvaise chose selon que vous vous trouviez ou non du côté des convertis au départ.
Le parti-pris de de Bont est simple : laisser la plus large place possible à la nature, ces immenses étendues champêtres du midwest, qui s'étalent jusqu'à l'horizon et accaparent l'écran. Et ce, jusqu'au bout du générique de fin, qui prend le temps de rendre hommage à ces grands espaces inimitables typiquement américains. Vous imaginez le choc pour un gamin du bocage deux-sévrien qui préfère passer ses journées enfermé que de passer une tête dehors (spoiler : c'est toujours un peu le cas). Mais bien plus encore que le plancher des vaches, le véritable personnage principal de Twister, c'est le ciel.
Un ciel qui utilise toutes les cordes à son arc pour se déchaîner sur nos héros et surtout capable de changer du tout au tout en moins de temps qu'il vous faut pour dire mistral. Sur pellicule, on se retrouve donc avec des éclairages en constante évolution, qui se calquent toujours sur la situation, les enjeux et les personnages. Un exemple parmi tant d'autres : ce plan après 37 minutes de film qui commence et se termine par les deux images ci-dessus, en un mouvement aérien de caméra. C'est simple, bien exécuté, on comprend tout ce qui passe : le cinéma quoi.
J't'emmène au vent
D'autant que l'intrigue aussi a le bon goût de jouer la carte de la simplicité. Chasseur de tornades retraité reconverti en présentateur météo, Bill se rend dans l'Oklahoma avec sa fiancée Melissa pour tenter de récupérer auprès de sa future ex-femme Jo les papiers de leur divorce. Toujours à la tête de leur ancien gang, Jo convainc Bill de rester dans le coin en pleine saison des tornades avec une petite surprise rien que pour lui : après moult efforts, elle et ses acolytes ont réussi à concevoir la machine imaginée par Bill, qui pourrait leur permettre d'étudier au plus près les tornades comme personne ne l'a fait auparavant. On comprend dès les dix premières minutes que Bill et Jo vont se remettre ensemble et que leur plan va fonctionner sur le fil, le tout en seulement deux jours, mais l'essentiel est ailleurs.
Il réside notamment dans un casting de haut vol avec le regretté Bill Paxton en "homme qui murmure à l'oreille du vent" et Helen Hunt en chasseuse obsessionnelle, dont le père a été emporté 27 ans plus tôt par une tornade dévastatrice, dans une scène d'intro qui sera repompée sans vergogne et sans talent par Rob Cohen en 2018 dans le navet Hurricane. Autour d'eux, comment ne pas citer le jeune Philip Seymour Hoffman (RIP) en parfait cinglé dont on ne comprend pas bien le rôle dans l'équipe à part picoler, brailler tout ce qu'il peut et envoyer du bon gros rock 90's à travers les enceintes de son minibus ou encore le GPS humain Alan 'Rabbit' Ruck, le Connor Roy de Succession.
Des personnages dont les tempéraments se révèlent à travers leurs véhicules respectifs, que ce soit via l'aspect extérieur ou l'organisation de l'habitacle. On n'est pas non plus dans Mad Max : Fury Road mais c'est efficace, on ne perd pas de temps en dialogues de présentations inutiles, d'autant que Melissa est là pour représenter le spectateur qui débarque en terre inconnue, et en voiture Simone !
Comme un ouragan
Que dire enfin de LA star du film, celle qui éclipse tout le monde jusqu'à occuper l'intégralité d'un plan large : la tornade. La plus grande réussite de Twister vient sans doute du fait de toutes les filmer comme si elles étaient des monstres gigantesques, insaisissables, dotés de personnalités, de noms et de spécificités les rendant encore plus dangereuses. L'une est capable de changer violemment de direction ; une autre se divise ; une troisième peut disparaître ; une quatrième surgit de nulle part entourée d'éclairs ; et la dernière, le boss final, n'est qu'un vortex à l'insatiable appétit, engloutissant tout sur son passage. Des Kaiju, ni plus ni moins, que l'on entend grogner, siffler, rugir et presque même mâcher lorsqu'ils dévorent leurs innocentes et impuissantes proies. Un bijou de sound design.
Pourquoi Twister a‑t-il aussi bien fonctionné sur moi et continue de le faire des années plus tard ? Pour toutes les raisons évoquées plus haut, mais aussi pour sa capacité à convoquer cette partie de l'imaginaire américain qui me faisait de l'œil à l'époque et me séduit toujours autant aujourd'hui. Des kilomètres carré de rien ou de presque rien, une bande de potes, des voitures, beaucoup de voitures (je vous ai dit que j'aimais bien les voitures ?), du gros son et rien d'autre que la route comme dernier terrain vague. Le tout, à un rythme effréné, avec de la pluie battante, de la grêle et des branches d'arbre qui tapent contre des fenêtres. J'en frissonne et… oh mais attendez. Je détecte sur mes écrans de contrôle Richard Armitage qui se bat contre des tornades de feu. Black Storm que ça s'appelle. Mon dieu, mais c'est une catastrophe. Ça tombe bien parce que moi : j'aime les catastrophes.