Batman Arkham Knight est enfin sorti, et étant le jeu pour lequel j'ai acheté ma PS4 couplé au fait que Batman est mon comics préféré, je l'ai tout simplement saigné en quelques jours. Non pas parce que le jeu est court et manque de contenu, loin de là même, mais plutôt parce qu'il a su titiller tant de passions en moi que j'ai naturellement rythmé ma vie autour du jeu pendant ce temps.
Même sans être intéressé par celui-ci, vous avez probablement vu passer Batman Arkham Knight sur vos réseaux sociaux pour le grand débat qu'il a lancé : la Batmobile, pro ou anti ? Et bien qu'il s'agisse de la grosse nouvelle addition pour la trilogie de Rocksteady, qui fait donc naturellement parler d'elle (et je suis totalement pro soit dit-en passant), la plus grande qualité du jeu est loin d'être celle-ci à mes yeux.
Car Batman Arkham Knight est un très bon jeu pour sûr, une très belle conclusion à une lignée fantastique de jeux créé par Rocksteady. Mais plus encore, le jeu de mon point de vue mérite d'être révéré et cité en exemple sur cette future génération pour une raison très simple : il s'agit d'un exemple parfait de storytelling dans un univers interactif, le meilleur auquel j'ai jamais eu l'occasion de jouer et qui devrait faire office de base de comparaison pour les productions à venir.
Un problème toujours présent
On reconnait souvent 3 grands piliers naturels aux jeux vidéo : le gameplay, les graphismes et l'histoire. Le gameplay, ou les règles d'interaction sous lesquelles vous êtes soumises et créant votre expérience du jeu vidéo, a toujours été fondamental dans le jeu vidéo puisqu'il s'agit du principal intérêt de celui-ci : sa capacité à vous mettre au contrôle de l'action, et ainsi vous engager comme jamais aucun média n'a réussi à le faire. Ces règles ont ainsi nécessairement été les premières à être perfectionnées puisque inhérentes au média, il est de nos jours rares voir impossible de trouver un gameplay qui n'est en aucun cas tirés d'expériences déjà existantes : nous sommes plutôt dans une ère de perfectionnement et de remise au goût du jour.
Les graphismes ont toujours été une part importante du jeu vidéo, et dans un premier temps dans le storytelling : les capacités limitées des premières machines ne permettant pas d'extravagances, ils étaient souvent le premier moteur de création de contexte à l'action et étaient la clé qui couplée au gameplay permettait de créer une histoire en orientant l'imagination du joueur. Ces 2 barres sont des raquettes de tennis, ce point est une balle. La zone grise est de la pierre, la zone rouge de la lave etc etc. Avec l'évolution de l'aspect technique du jeu vidéo, les graphismes sont majoritairement devenus de nos jours une représentation concrète de l'univers dans lequel le joueur évolue.
C'est par cette évolution que les jeux vidéo ont eu besoin d'intégrer la narration au produit final, pour les jeux souhaitant raconter une histoire bien sûr. Et là où les 2 premiers piliers ont été parfaitement définis, le storytelling vidéoludique reste encore de nos jours le principal secteur capable d'évolution du jeu vidéo. Et pour cause : le langage narratif d'une expérience interactive prouve être un challenge énorme, de par le fait que la nature imprévisible des choix d'un joueur empêche la maîtrise de la narration classique. Aussi, les solutions pour l'instant admises sont de créer une expérience à plusieurs embranchements – le jeu propose une dizaine de cas dans lesquels tomber après analyse des actions ou choix conscients du joueur -, de simplement limiter la liberté de gameplay au profit de l'histoire ou compter sur la propension du joueur à créer de lui-même l'histoire par le gameplay et le contexte (comme à l'époque en somme).
Batman Arkham Knight n'est rien de tout cela
Revenons donc à Batman. Celui-ci fait parti des jeux souhaitant raconter une histoire unique, un fil en somme, et aura donc tendance à être de ceux qui limite la liberté de gameplay au profit de l'histoire. C'était notamment le cas de Batman Arkham Asylum, qui par son environnement confiné exerçait un contrôle constant sur les actions du joueur. A la transition sur un open world avec Batman Arkham City, Rocksteady a utilisé ce que tout le monde fait pour pouvoir raconter une histoire unique dans ce cas : instancier l'histoire, de telle manière à ce que la liberté d'action soit libre dans son monde ouvert tout en gardant contrôle des actions du joueur dans le cadre de son histoire. Un choix éprouvé et efficace qui est loin d'être critiquable.
Mais Batman Arkham Knight est une toute autre bête. Au premier abord du même acabit qu'Arkham City, et donc instancié, il n'a cessé de me surprendre et titillé ma réflexion jusqu'à ce que j'en vienne à une conclusion très simple une fois le jeu derrière moi : Rocksteady a réussi à fusionner liberté d'action et histoire sans aucune coupure. Sans instance autre que son univers et ses lois, soit la règle fondatrice du jeu et non une seule partie maîtrisée.
Et pour cela, sa narration est incroyablement maline. Plutôt que de limiter la liberté du joueur, le développeur a simplement lui aussi créé un élément aléatoire à même son histoire principale qui se greffe à l'expérience globale du joueur. Aussi, bien que les plus grands rebondissements soient effectivement liés à des parties instanciées du jeu, l'histoire principale n'est jamais mise au second plan même dans le cadre de son open world.
Batman Arkham Knight regorgeant de quêtes secondaires (n'ayant de secondaires que le nom tant elles sont profondes), à maintes reprises ai-je fait une pause dans ma poursuite de la quête principale afin de me balader dans la ville et remplir ces objectifs. Quel ne fût donc pas ma surprise de voir que j'étais finalement accompagné par l'histoire principale durant ces moments, de manière très littérale : plutôt que d'interagir avec elle jusqu'à complétion, c'est cette histoire qui est venu interagir avec MES actions en amenant un de ses personnages principaux dans MON univers pour participer à MON expérience. J'emphase ceci car en aucun cas celle-ci n'a influencé mes actions ou n'était là que pour me rappeler que la quête principale m'attendait : l'histoire principale jouait avec moi, tout simplement. Faisant qu'aucune de mes actions n'était considéré comme réellement secondaires.
Et ceci n'était en aucun cas instancié : même lorsque je ne faisais que m'amuser avec le gameplay en me lançant d'immeubles en immeubles, n'appréciant vraiment que la physique du jeu sans qu'aucune mission ne soit présente dans mes objectifs, le jeu venait me surprendre de lui-même en faisant apparaître cet élément aléatoire pour me faire peur, se moquer de moi ou commenter mes choix.
Mais surtout, tout cela sans aucune interruption de gameplay : pas de vidéo, pas de temps de pause de 5 minutes le temps d'écouter une conversation ou regarder une vidéo, seulement une pure expérience de jeu. Même dans la trame principale du jeu, et donc ces événements instanciés, Batman Arkham Knight ne s'arrête quasiment jamais sur une vidéo : il change son gameplay pour représenter au mieux les émotions et les événements importants de son histoire. Ou change les angles de caméra tout en nous laissant libre. Chose amusante, le peu de fois où le jeu lance une vidéo, il s'agit pour celui-ci de cacher le temps de chargement. C'est donc bien plus une contrainte technique qu'une volonté de la part de Rocksteady.
La clé pour que le story telling soit basé sur le gameplay
Cela peut paraître être un détail, particulièrement si vous n'avez pas joué au jeu et donc ne concevez pas réellement l'expérience que j'ai en tête (qui sera plutôt évidente pour qui y aura joué). Mais c'est loin d'en être un et pour cause : la frontière entre l'histoire et le gameplay s'efface grâce à cela, donnant à l'expérience complète un impact réel. Exemple idiot : de nombreux dialogues entres les gangsters peuvent être entendus en patrouillant la ville et ce depuis Arkham City, mais jamais n'ont-ils eu autant d'importance que dans ce nouveau contexte. Ne subissant aucune rupture dans votre suspension volontaire de l'incrédulité (le principe décrivant la capacité d'un lecteur/spectateur à adhérer et croire à l'univers de science fiction qu'il consomme le temps de l'expérience), tous ces dialogues gagnent en intérêt pour vous en tant que joueur.
D'autant que Rocksteady réussit à rendre ceux-ci importants dans le gameplay, puisque de temps à autres ces dialogues vous permettront de trouver solution à votre problème ou quelques endroits cachés, ou vous donneront une information clé sur l'univers que vous arpentez rendant plus profonde encore votre croyance en celui-ci. Avec Batman Arkham Knight, le gameplay s'est également largement étoffé non seulement grâce à la Batmobile et son intégration dans les combats et l'histoire mais également la possibilité de jouer d'autres personnages de la Bat-family durant certaines phases de combats.
Aussi, la majorité des cas où l'on se dirait naturellement "je devrais pouvoir faire ça" en cas d'absence ont été couverts. Se faire aider par la Batmobile en plein combat lorsqu'elle est à proximité ? Vous pouvez. Terminer un ennemi coriace plus facilement en le combattant à deux en même temps avec Robin ? Possible. Planer jusqu'à se poser sur le dos d'un avion pour y poser un explosif ? Il suffit de le faire.
Plus encore, le monde évoluera en fonction de vos actions et pas uniquement grâce à la trame principale. Les ennemis communs arpentant les rues que vous combattez rempliront petit à petit les prisons de la GCPD. Les dialogues des personnages secondaires qui ne méritent pas même un changement de caméra changeront au fur et à mesure des événements. Les vilains les plus mémorables seront confinés dans des prisons spéciales, leurs armes affichés au poste. Même les actions les moins mémorables de cette nuit à Gotham connaissent une évolution tangible, comme la triste descente aux Enfers de ce pauvre policier traumatisé.
Grâce à cela, toutes les actions faites à l'intérieur de jeu ont des conséquences. Aussi infimes soient-elles, ce principe garantit la crédibilité de l'univers fictionnel que nous arpentons : après tout, rien ne nous permet plus de sortir de ce monde que lorsque l'on peut aisément constater son aspect factice par une absence flagrante de règles. Aussi extravagante qu'elles puissent être, si toutes les lois d'un monde sont posées alors notre capacité à y croire est facilitée : il s'agit du parfait lubrifiant à l'immersion.
Be the Batman
Pour tous les jeux auxquels je joue, j'aime à connaître les intentions des développeurs pour juger du produit fini. Et loin d'être une simple tagline commerciale, le message "Be the Batman" représentait les intentions de Rocksteady et ce depuis le commencement de sa trilogie Arkham : nous donner le sentiment que nous étions Batman, le temps d'un jeu.
Ayant réussi à parfaitement mixer histoire principale et secondaire jusqu'à ce que le jeu ne soit qu'une seule et même expérience homogène, évoluant constamment selon vos choix ne vous prenant jamais la manette des mains et surtout ne vous laissant jamais vous convaincre du contraire en n'interrompant jamais votre suspension d'incrédulité, le constat est clair :
Batman Arkham Knight vous fait bien vivre l'expérience d'être Batman, tout en mettant une sacré claque dans les principes de storytelling vidéoludique. Futurs écrivains de jeu, je vous en conjure : étudiez son cas.
Pensée bonus : Par contre Warner ta politique de DLC, tu peux la revoir entièrement stp ?