Baten Kaitos a besoin d'un remake sur Nintendo Switch

Tout médium pop culturel a ses évidences, ses classiques intemporels que chacun se doit de connaître, ses pierres angulaires qui ont à la fois marqué une rupture au sein de leur art respectif tout en posant les jalons de ce qui allait suivre. De la même manière existent ces œuvres mal-aimées, mal accueillies au moment de leur sortie par un public et/ou une critique qui ne les a pas comprises, avant que le temps ne fasse son travail pour offrir un recul nécessaire à leur compréhension et leur acceptation. On pourrait aussi parler des plaisirs coupables, qui se cachent sous d'innombrables formes mais appartiennent pour la plupart à la catégorie du divertissement pur, trop souvent regardé avec dédain. Et puis, quelque part au milieu de tout ça, en fouillant dans de vieilles malles poussiéreuses ou en s'adressant aux bonnes personnes, on peut avoir la chance de découvrir quelques pépites méconnues. Des objets culturels uniques, qui ont su marquer profondément les rares chanceux à avoir eu la curiosité de se laisser tenter par leur proposition radicale. Des titres unanimement salués à travers les âges mais qui n'ont jamais connu le retentissement qu'ils méritaient, pour tout un tas de facteurs qui leurs sont propres. Le temps est venu de parler de l'un d'eux, exemple parmi tant d'autres mais qui ne peut rester enfoui. Le temps est venu de faire revenir Baten Kaitos.

Décollage manqué

Si comme moi, un incontrĂ´lable frisson vous a parcouru l'Ă©chine Ă  la (re)dĂ©couverte de cette cinĂ©matique d'intro, c'est que vous ĂŞtes dĂ©jĂ  prĂŞt, quand bien mĂŞme vous ne le saviez pas encore. PrĂŞt Ă  dĂ©ployer vos ailes angĂ©liques pour cĂ©lĂ©brer le retour du fils prodigue, l'un des monuments du jeu de rĂ´le japonais (J‑RPG) de ce siècle. Baten Kaitos : Les Ailes Ă©ternelles et l'OcĂ©an perdu est initialement sorti au Japon le 5 dĂ©cembre 2003, avant de dĂ©barquer aux États-Unis près d'un an plus tard le 15 novembre 2004, puis finalement en Europe le 1er avril 2005. Seize mois d'attente qui auraient mĂŞme pu se conjuguer Ă  l'infini, si son Ă©diteur Namco n'avait pas pris le risque de le sortir sur le Vieux Continent malgrĂ© des chiffres de vente dĂ©cevants outre-Atlantique.

Un coup de poker qui ne sera pas rĂ©compensĂ© : la presse spĂ©cialisĂ©e a beau ne pas tarir d'Ă©loges sur le jeu, il ne rencontre pas plus de succès chez nous. Namco ne rĂ©pètera cette "erreur" : sa suite/prĂ©quel, Baten Kaitos Origins, sortie le 23 fĂ©vrier 2006 sur l'archipel nippon mettra sept mois Ă  voyager jusqu'au pays de l'Oncle Sam et n'atteindra jamais nos rives. Seuls les amateurs d'import Ă©quipĂ©s comme il se doit ont eu la chance de pouvoir y toucher, en anglais ou en japonais. Car pour rappel, la GameCube Ă©tait "zonĂ©e" et ne pouvait donc pas lire de CDs issus d'une rĂ©gion autre que la sienne. Pour contourner cette restriction qui a persistĂ© chez Nintendo jusqu'Ă  la Wii U, il fallait soit bidouiller la puce de sa machine soit – la solution la plus classique – utiliser un autre CD appelĂ© Freeloader, permettant de changer la rĂ©gion de sa console. Oui il fallait en vouloir quand on Ă©tait amoureux de J‑RPG au dĂ©but des annĂ©es 2000 – et on ne vous parle mĂŞme pas des dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes.

Baten Ă  nouveau ?

Baten Kaitos Origins

Guillo, Sagi et Milly (de gauche à droite) : les trois personnages principaux du préquel

Alors pourquoi ressortir cette sĂ©rie du placard en 2021 ? Entre mai et juin dernier, Bandai Namco a dĂ©posĂ© en Europe et au Japon deux titres ne laissant que peu de place au doute : Les Ailes Ă©ternelles et l'OcĂ©an perdu et Origins. De quoi prĂ©sager d'un retour imminent ? TempĂ©rez vos ardeurs moussaillons ! S'il est vrai que de pareilles manĹ“uvres peuvent de temps Ă  autre dĂ©boucher sur des annonces en bonnes et dues formes, cela peut tout aussi bien n'ĂŞtre qu'une initiative prise par l'Ă©diteur pour enregistrer officiellement et donc protĂ©ger ces dits noms auprès des autoritĂ©s compĂ©tentes. Étonnant certes, mais pas improbable. D'ailleurs, depuis l'annulation de ce qui semblait ĂŞtre un troisième opus prĂ©vu sur DS, il n'est pas rare que la licence rĂ©apparaisse dans la colonne des rumeurs depuis le dĂ©but des annĂ©es 2010, Ă  la faveur d'un artwork Ă©nigmatique ou d'une dĂ©claration sibylline de tel ou tel producteur.

Reste que l'hypothèse d'une rĂ©surrection surprise a de quoi de faire saliver, pour plusieurs raisons factuelles. Si les deux jeux n'ont pas rencontrĂ© leur public Ă  l'Ă©poque, c'est en partie parce que la console choisie Ă©tait elle-mĂŞme loin d'ĂŞtre la plus populaire. Aussi formidable qu'elle Ă©tait – je le sais, c'Ă©tait ma première console de salon – la GameCube s'est vendue Ă  moins de 22 millions d'exemplaires Ă  travers le monde, soit trois millions de moins que la Xbox et sept fois moins que la PlayStation 2 ! Qui plus est, et mĂŞme si le cube violet de Nintendo venait d'accueillir une poignĂ©e de pièces maĂ®tresses de son temps comme Skies of Arcadia Legends, Tales of Symphonia et Paper Mario : La Porte MillĂ©naire, le bĂ©bĂ© de Sony restait la machine de prĂ©dilection pour tout amateur de J‑RPG.  Aujourd'hui, un portage/remaster/remake sortirait sur près de 90 millions de Switch. Sans compter qu'en dehors de Dragon Quest XI, Fire Emblem : Three Houses (davantage Ă  ranger dans la catĂ©gorie des tactical) ou Xenoblade Chronicles : Definitive Edition (tiens donc, un remake), peu nombreux sont les RPG japonais Ă  faire l'unanimitĂ© sur la petite hybride. Alors, après avoir pillĂ© sans vergogne le catalogue de la Wii U, ne serait-il pas le moment pour la Switch de regarder un peu plus loin en arrière ?

Gardien de la paix avant tout

VoilĂ , vous avez l'idĂ©e. La dĂ©monstration pourrait tout aussi bien s'arrĂŞter lĂ , elle n'en serait pas moins efficace… mais diablement incomplète. Baten Kaitos reprĂ©sente plus qu'un simple rendez-vous manquĂ© avec son public qui mĂ©riterait aujourd'hui une seconde chance sous les feux des projecteurs, dotĂ© d'un Ă©pais budget communication et marketing doublĂ© d'une vaste campagne d'affichage tous terrains. Le jeu va mĂŞme au-delĂ  de son concept, que l'on pourrait trivialement rĂ©sumer par : un J‑RPG avec des cartes. Baten Kaitos, c'est le choix du cĹ“ur, l'un des plus grands jeux de la GameCube, console qui, Ă  dĂ©faut de quantitĂ© n'Ă©tait pourtant pas avare en qualitĂ©. Un titre lumineux et en mĂŞme temps empreint d'une douce mĂ©lancolie, qui rĂ©ussit lĂ  oĂą trop Ă©chouent : faire correspondre son gameplay Ă  son univers pour crĂ©er un tout s'entremĂŞlant en parfaite harmonie. Et ce, tout en emmenant avec lui suffisamment de menus dĂ©fauts pour se laisser une marge de progression.

Une idée qui prend racine dès les premières minutes, où le joueur découvre qu'il n'incarne pas directement Kalas, le protagoniste aux cheveux bleus, pas plus que ses acolytes, mais un Ange Gardien qu'il lui appartient de nommer. Dans l'univers de Baten Kaitos, un Ange Gardien est une âme venue d'un autre monde, capable de se lier avec d'autres individus et pouvant leur apporter connaissance et pouvoir. En l'occurrence, l'Ange Gardien que l'on incarne décide de fusionner avec Kalas, tout en conservant son autonomie et son libre-arbitre. En tant que présence planant au-dessus de nos héros, qui peuvent le sentir et l'entendre, il lui arrive fréquemment d'être questionné, sur des sujets plus ou moins importants. En échange, nos réponses permettent de nous rapprocher ou de nous éloigner d'eux et se matérialisent en combat par différentes capacités spéciales qui se déclenchent de façon semi-aléatoire. Ici, pas de jauge dont on peut suivre la progression via un menu, mais des relations qui évoluent de manière organique et dont on ressent les effets de façon tangible.

Kalas te pique

Baten Kaitos - 13

Le Clan des Six

Une absence de contrĂ´le direct sur les personnages et notamment Kalas, que l'on Ă©prouve très vite en faisant connaissance avec notre petit protĂ©gĂ©, situĂ© davantage du cĂ´tĂ© anti-hĂ©ros de la force. Dès les premières heures, notre Ă©pĂ©iste se rĂ©vèle Ă©goĂŻste, froid, fonceur, Ă  la limite du post-ado antipathique sĂ»r de lui qui pense pouvoir se dĂ©brouiller seul et n'en fait qu'Ă  sa tĂŞte. Il est qui plus est animĂ© d'un fort sentiment de vengeance envers les mĂ©chants de l'histoire, l'Empire d'Alfard, responsables de la mort de son grand-père et de son frère. Un comportement difficilement prĂ©visible qui donne lieu peu après la moitiĂ© de l'aventure Ă  l'un des twists scĂ©naristiques les plus bouleversants jamais vus dans un J‑RPG (attention : ce lien est 100% spoilers).

On aimerait pouvoir en dire autant des autres personnages, jouables ou non, mais ils peinent malheureusement Ă  dĂ©passer le statut d'archĂ©type. Xelha est la jeune fille bien intentionnĂ©e qui cherche Ă  fuir son destin hors du commun en aidant Ă  rĂ©tablir l'Ă©quilibre dans le monde ; Gibari est le leader fort en gueule ultra charismatique d'une petite communautĂ© qu'il choisit de quitter pour mieux la dĂ©fendre ; Lyude est un jeune aristocrate qui, ne pouvant plus tolĂ©rer les atrocitĂ©s commises au nom de l'Empire auquel il a pourtant jurĂ© fidĂ©litĂ©, dĂ©cide de changer de bord ; Savyna est une ancienne membre des forces spĂ©ciales taciturne dotĂ©e d'un passĂ© trouble ; Mizuti enfin est le clown de la bande, loufoque, Ă©nigmatique et en mĂŞme temps sage, semblant en savoir bien plus qu'il n'en a l'air. Le reste du casting ne transcende pas non plus les codes du genre, entre antagonistes caricaturaux monodimensionnels et alliĂ©s trop peu mĂ©morables. Seule Melodia sort un tantinet du lot, en occupant une place bien plus importante que ce que l'on pouvait prĂ©sager de prime abord, mais son traitement lors du final laisse Ă  dĂ©sirer.

Sonate éternelle

Au global, c'est l'écriture dans son ensemble qui manque de finesse. Un point qui ne pourra que difficilement être retravaillé dans le cadre d'un nouvel épisode Remastered – on n'ose penser à un remake dans les grandes largeurs à l'image de Final Fantasy VII – au contraire de toute la partie sound design. Comprenons-nous bien, il ne s'agit en aucun cas de toucher aux sublimes partitions de Motoi Sakuraba. Compositeur de renom ayant travaillé sur la saga Golden Sun, de nombreux épisodes de la série Tales Of et plus tard la trilogie Dark Souls, il livre ici une bande-originale d'une incroyable densité et diversité, naviguant entre de puissants morceaux d'orchestre teintés d'opéra à de violents riffs de guitares métal, en passant par de légères ballades à la harpe et des boucles electro toutes en synthé. Une prouesse.

Non, le problème vient plutôt du doublage, proposé uniquement en anglais, sans version originale japonaise. Difficile de faire faute plus grave. Mais si ce n'était que ça. Pour le reste, il se révèle d'autant plus inégal que le moindre PNJ à qui l'on adresse la parole ne serait-ce qu'une fois en cent heures de jeu a été doté de parole. Razzie Awards tout spécial aux enfants, dont la moindre réplique sonne faux. Comme si le patron du studio d'enregistrement était allé chercher les gamins qui traînaient sur le trottoir d'en face en échange d'un paquet de Dragibus. Pire, certains dialogues sont parfois étrangement sous-mixés, saturés ou couverts par la musique ou les bruitages ambiants. On sent bien que tout ne tenait pas sur les deux mini-CDs GameCube et que les exécutifs avaient parfaitement identifié quelle partie allait être sacrifiée sur l'autel de la compression des données.

Magnus Operandi

S'il est en revanche un domaine oĂą les Ă©quipes de Monolith Soft et tri-Trescendo ont redoublĂ© de crĂ©ativitĂ© et d'ingĂ©niositĂ©, c'est le système de combat. On l'a dit, Baten Kaitos est un J‑RPG avec des cartes. Le joueur construit son deck, qui s'Ă©largit Ă  mesure de sa progression, lui offrant de plus en plus de possibilitĂ©s de combinaisons et d'enchaĂ®nements en mĂŞme temps que ses personnages gagnent en niveau. En clair, le gros millier de cartes, appelĂ©es Magnus, que le joueur peut collecter tout au long de l'aventure, se divise en trois catĂ©gories : attaque, dĂ©fense et soutien. Les cartes d'attaque sont propres Ă  chaque personnage (Kalas se bat avec des Ă©pĂ©es, Xelha des magies, Gibari des pagaies, Lyude des armes en feu en formes d'instruments de musique, etc.), les cartes de dĂ©fense ont une base commune avec quelques spĂ©cificitĂ©s tandis que les soutiens se partage entre l'ensemble de votre Ă©quipe.

LĂ -dessus se greffent six Ă©lĂ©ments, divisĂ©s en trois groupes de deux qui s'opposent : eau (ou glace) et feu ; lumière et tĂ©nèbres ; vent et temps. Vous vous en doutez, les attaques d'eau seront plus efficaces contre des adversaires ayant une affinitĂ© avec le feu, les attaques de lumière contre des adversaires liĂ©s aux tĂ©nèbres, ainsi de suite et rĂ©ciproquement. De plus, l'idĂ©e pour chaque tour de jeu Ă©tant de constituer un combo de plusieurs cartes, il faut Ă©viter Ă  tout prix d'enchaĂ®ner une attaque (ou une dĂ©fense) d'eau avec une de feu, sous peine de voir les effets s'annuler. Mais ce n'est pas tout : chaque carte compte de un Ă  quatre chiffres inscrits dans ses coins, avec lesquelles il faut Ă©galement savoir composer. Toujours dans une logique de maximiser les dĂ©gâts ou la dĂ©fense, l'objectif est de former des combinaisons de chiffres, comme au poker : paire, double paire, brelan, full, carrĂ© ou suite. Ă€ la fin du jeu, on peut enchaĂ®ner près d'une dizaine de cartes, en sĂ©lectionnant le chiffre voulu Ă  l'aide du Stick C.

L'âme des cartes

N'essayons pas de vous le cacher : on s'emmĂŞle forcĂ©ment les pinceaux lors des premiers combats, ou en relançant le jeu après de longues semaines sans y avoir touchĂ©. D'autant que tous ces choix et toutes ces actions doivent ĂŞtre effectuĂ©es dans un temps limitĂ© et en essayant de ne pas se laisser dĂ©concentrer par les animations de combat juste au-dessus. For heureusement, Baten Kaitos a le bon goĂ»t de ne pas ĂŞtre trop difficile et surtout assez permissif. L'emphase a volontairement Ă©tĂ© mis sur les combats, au dĂ©triment notamment de l'exploration. Les affrontements sont donc assez longs – voire très longs pour les boss – afin de nous laisser le temps de nous familiariser avec ce système en tous points unique. Avant d'essayer d'en dĂ©couvrir toutes les subtilitĂ©s.

Car ce principe de cartes est tout sauf gratuit. Les Magnus ne sortent pas de nulle part, ils sont l'essence des objets qu'ils représentent, capturée avant d'être libérée. Mais ces objets ne restent pas figés comme une banale impression sur un bout de papier rectangulaire. Au contraire, ils évoluent d'eux-mêmes, au fil des heures passées dans votre inventaire. Cela concerne surtout les Magnus de soutien, soumis aux affres du temps. Une pousse de bambou initialement utile en tant que soin grandira jusqu'à devenir une tige de bambou en forme de lance, propre au combat. D'abord vertes, les bananes mûriront progressivement jusqu'à se transformer en nourriture douteuse pouvant vous empoisonner vous ou l'ennemi. Le raisin deviendra lui du vin et… vous avez saisi l'idée.

Certaines combinaisons de Magnus dans un ordre spĂ©cifique peuvent mĂŞme aboutir Ă  la crĂ©ation d'une nouvelle carte : combinez du vin blanc et du fromage et vous obtiendrez une succulente fondue savoyarde ! Les possibilitĂ©s sont lĂ©gion et ne se limitent pas aux combats, avec nombre d'essences d'objets Ă  collecter dans les villages, les maisons ou en discutant avec des personnages pour accomplir diverses quĂŞtes. Chaque dĂ©couverte est gratifiante et beaucoup d'entre elles interviennent par hasard, mais toujours en s'inscrivant dans une logique simple : celle de ce monde, mais aussi du nĂ´tre. Et le plus beau dans tout ça ? On peut aussi bien s'y perdre pendant des heures, partir Ă  la chasse aux Magnus en fouillant chaque recoin de la map… que se contenter du strict minimum. Comme tout jeu basĂ© sur le deck building, il verra certains travailler leurs combos sur le bout des ongles, concevoir diffĂ©rents decks en fonction des situations, optimiser la moindre carte, tandis que d'autres trouveront un plaisir simple Ă  signer ça et lĂ  quelques enchaĂ®nements stylĂ©s.

Ceci n'est pas un tableau

Et du style, Baten Kaitos en a à revendre. Si son character design volontiers criard pourra en laisser plus d'un sur le carreau, les environnements sont eux à tomber par terre. Peints à la main et délivrés selon un rendu précalculé en 2D, ils s'affichent sur l'écran comme autant de tableaux remplis de mille détails où l'on adore se perdre. La diversité des environnements est elle aussi sans commune mesure, avec notamment Diadem, la cité des nuages et ses innombrables nuances satinées ou la luxuriante et colorée Anuenue. Mais nul lieu ne subjugue autant que Mira, terre issue d'une autre dimension, rassemblant un village fait de pâtisserie, un autre tout droit sorti d'un livre d'image pour enfants et un jardin labyrinthique renversé. Origins pousse même l'idée encore plus loin avec le village de Sedna, tout en pâte à modeler – on se croirait chez Aardman ou dans Pingu – prisonnier d'un Magnus et qu'il appartient au joueur de reconstituer. Seuls les sprites 3D des personnages font tâche au milieu de ces somptueuses œuvres d'art avec, déjà à l'époque, un fort aliasing ainsi que des animations raides et limitées. Un nouveau point d'amélioration évident pour une version remise au goût du jour.

Mais ne faisons pas la fine bouche : en 2021 comme en 2005, Baten Kaitos reste un Ă©merveillement visuel de chaque instant. De quoi faire oublier la structure beaucoup plus classique du jeu. Après avoir sauvĂ© la Terre du malĂ©fique Malpercio, mille ans avant les Ă©vĂ©nements relatĂ©s dans l'histoire, cinq magiciens ont scellĂ© le mauvais dieu en cinq Magnus Ultimes. Afin de sauver le monde polluĂ© par ce combat, ils fractionnèrent ensuite le monde en cinq Ă®les, qu'ils firent s'Ă©lever dans les cieux, chacune hĂ©bergeant l'un des dits Magnus. Sans surprise, vous devrez donc parcourir ces Ă®les l'une après l'autre, Ă  la recherche de ces cartes ultimes, qui vous seront Ă  chaque fois dĂ©robĂ©es in extremis par l'ennemi. Celui-ci s'en servira bien sĂ»r pour faire revenir d'entre les morts Malpercio, que vous affronterez lors d'une ultime partie en forme de boss rush. Rien de nouveau sous les nuages donc, malgrĂ© la prĂ©sence au scĂ©nario de Masato Kato, l'homme Ă  qui l'on doit les scripts de Chrono Trigger, Chrono Cross et Xenogears. Ni plus ni moins que des monuments du genre.

Quelques facilitĂ©s dont Baten Kaitos n'Ă©tait pas le seul Ă  user et abuser au dĂ©but du siècle et que l'on oublie bien vite une fois atteinte sa fin, dĂ©chirante et d'une absolue justesse. Jusqu'aux tous derniers instants, notre place et notre rĂ´le d'Ange Gardien sont utilisĂ©s Ă  bon escient. On passe par tout le spectre des Ă©motions au travers de cette aventure hors du commun, inexorablement appelĂ©e Ă  s'achever pour nous, Ă©tranger sur ces terres. Joueur, Ange Gardien : unis de la première Ă  la dernière seconde. Entre temps, notre petite âme perdue aura eu l'occasion d'en soigner ou d'en rapprocher d'autres, comme cette famille dissĂ©minĂ©e aux quatre coins du monde, que l'on rĂ©unit pour dire au revoir Ă  celui sans qui ils n'existeraient pas. Ah, et si vous aimez les animaux et les constellations, vous allez ĂŞtre servis !

Le chant des baleines

Baten Kaitos - 04

On en rĂŞve

Ă€ propos d'Origins, je ne pourrai ĂŞtre aussi prolixe. Tout simplement car comme 99,99% de mes compatriotes, je n'ai jamais mis la main dessus. Regrettable, surtout quand les rares journalistes de l'Ă©poque Ă  s'y ĂŞtre essayĂ© l'encensaient pour avoir gommĂ© les quelques dĂ©fauts de son prĂ©dĂ©cesseur pointĂ©s du doigt plus haut, et lui avoir considĂ©rablement fait gagner en dynamisme : lors des phases d'exploration, en exploitant comme un boost les "ailes du cĹ“ur" que tous les personnages du jeu ont dĂ©veloppĂ© lorsque le monde s'est Ă©levĂ© dans les airs ; lors des combats, non plus au tour par tour mais en temps rĂ©el, permettant de planifier Ă  l'avance les actions offensives et dĂ©fensives de nos personnages et ainsi s'Ă©viter des affrontements Ă  rallonge.

Alors quitte Ă  faire revivre Baten Kaitos, ne reste plus qu'Ă  espĂ©rer que Bandai Namco aille au bout des choses, en ramenant non pas seulement Les Ailes Ă©ternelles et l'OcĂ©an perdu mais Ă©galement Origins, dont il est dĂ©jĂ  injuste de nous avoir privĂ© pendant tant de temps. Verra-t-on un jour cette plus qu'hypothĂ©tique Baten Kaitos HD Collection ? Rien n'est moins sĂ»r, mais cela n'empĂŞchera pas ces joyaux de la GameCube de briller de mille feux. La communautĂ© elle, reste plus soudĂ©e et motivĂ©e que jamais autour de sa licence chĂ©rie, comme le prouve cette traduction française intĂ©grale pour Origins sortie en avril 2020 après près de huit ans de travail. Les temps ont changĂ©, le bouche-Ă -oreille et la ferveur d'une poignĂ©e de fans ont fait leur office. Ne reste maintenant plus qu'Ă  quelques cols blancs de jeter un Ĺ“il vers le bas du haut de leurs tours. Sous les nuages, l'OcĂ©an n'est plus perdu. Il foisonne, il bouillonne, et au moindre signal, il est prĂŞt Ă  tout engloutir.

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