Des flingues et des jeux

Commençons par une citation de Blondin :

"Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses."

Au risque de te dĂ©cevoir blondinet, je suis plutĂ´t du genre Ă  me placer du cĂ´tĂ© de ceux qui ont un M16 ou deux Berettas aux magasins bien remplis. Attention, que les choses soient claires, j'ai toujours Ă©tĂ© contre toute forme de violence, en grande partie parce que je suis nul en bagarre. Cela dit, dès qu'il s'agit de me retrouver manette ou clavier/souris en mains, peu de mots exercent autant de fascination sur moi que ces trois-lĂ  : Run and Gun. Pour trouver trace d'un dĂ©but d'explication, nul besoin de se lancer dans une profonde sĂ©ance d'introspection Ă  70€ l'heure, il suffit juste de remonter une quinzaine d'annĂ©es en arrière.

Le fun comme seul horizon

Il y a des souvenirs qui sont plus tenaces que d'autres. Aussi loin que je me rappelle, le premier jeu a ĂŞtre passĂ© dans mes mains pas encore expertes est Street Racer, un Mario Kart-like sorti en 1994 sur Megadrive et sur lequel mon cousin se faisait un malin plaisir de me coller quelques vilaines roustes. Mais le premier vĂ©ritable tournant dans mon apprentissage vidĂ©oludique a lieu au dĂ©but des annĂ©es 2000. Plantons le dĂ©cor : un camping ensablĂ© de la cĂ´te landaise, une cahute en rondins plantĂ©e au milieu des mobile-homes, une table de billard, plusieurs bornes d'arcade, mais surtout une qui attire immĂ©diatement mon attention : Metal Slug.

Je mentirai si je disais me souvenir de quel Ă©pisode de la sĂ©rie il s'agissait, mais sa simplicitĂ© de prise en main – mĂŞme pour un gamin d'Ă  peine 10 ans – couplĂ©e Ă  son extrĂŞme difficultĂ© – surtout pour un gamin d'Ă  peine 10 ans – parvenaient Ă  me scotcher comme aucun jeu ne l'avait encore fait. Évidemment, je ne l'ai pas fini. Bien sĂ»r, papa et maman se sont lassĂ©s au bout de quelques temps de voir leurs pièces de 10 Francs se faire engloutir une Ă  une par cette machine du diable. Mais depuis, il ne se passe pas une seule fois, Ă  la vision d'une borne Metal Slug, sans que je sois irrĂ©mĂ©diablement happĂ© vers l'engin, comme un joueur masochiste en quĂŞte de sa dose de chargeurs Ă  vider et de morts cruelles Ă  encaisser.

Autant vous dire que c'est avec un engouement non dissimulĂ© que j'accueille chaque ressortie d'un titre de la sĂ©rie, sur Steam ou ailleurs. La nostalgie nous poussant parfois Ă  faire parfois des choses stupides, je viens d'ailleurs de craquer pour la Metal Slug Anthology sur Wii. Cet article m'aura coĂ»tĂ© plus cher que prĂ©vu… Et mĂŞme si tous ont une place de choix au sein de mon panthĂ©on du genre, je concède une prĂ©fĂ©rence coupable pour l'Ă©pisode 3, son crabe gĂ©ant en premier boss, son Ă©lĂ©phant lance-missiles, ses zombies putrĂ©fiĂ©s, son dromadaire lance-missiles, ses multiples embranchements, son autruche lance-missiles et son dernier niveau IN-TER-MI-NA-BLE.

Bien sĂ»r, la sĂ©rie est critiquable Ă  bien des niveaux : de la première minute de l'Ă©pisode 1 Ă  la dernière de l'Ă©pisode 7, le gameplay n'Ă©volue pas d'un iota, la rĂ©utilisation de sprites et mĂŞme de boss d'un Ă©pisode Ă  l'autre frĂ´le parfois le scandaleux et la difficultĂ© de certaines sĂ©quences n'existe que pour vous faire cracher quelques piĂ©cettes de plus. Mais au fond qu'importe. Le cĂ´tĂ© over the top complètement assumĂ© de certaines situations, les animations hilarantes des ennemis comme de vos personnages et surtout les sensations de jeu dĂ©mentes Ă  peine le stick/clavier/pad en main ne servent au final qu'un seul objectif : le fun, tout de suite et maintenant. Et ça marche du tonnerre.

Du neuf avec du vieux

Contra

Mais de la mĂŞme façon que le Run & Gun n'est pas nĂ© avec Metal Slug (Contra (photo), Sunset RidersAlien Breed et tant d'autres Ă©tant dĂ©jĂ  passĂ©s par lĂ ), il n'est pas non plus mort après la sortie du dernier Ă©pisode canonique de la sĂ©rie, en 2008 sur Nintendo DS. Alors que l'Ă©mulation redonnait un second souffle Ă  la limace de mĂ©tal – tout le monde n'avait pas forcĂ©ment envie dans les annĂ©es 1990 de dĂ©penser son salaire sur une borne ou de vendre un rein pour s'offrir une Neo-Geo – se prĂ©parait Ă  l'aube des annĂ©es 2010 le renouveau d'un genre qui commençait doucement mais sĂ»rement Ă  perdre ses lettres de noblesse.

Grossissons volontairement le trait. LĂ  oĂą la seconde partie des annĂ©es 2000 a marquĂ© l'entrĂ©e du jeu vidĂ©o dans "l'âge adulte", mettant davantage en avant l'Ă©criture, la direction artistique et la narration comme vecteurs d'Ă©motions – parfois aux dĂ©pens du gameplay – la dĂ©ferlante indie qui a suivi a permis un certain retour aux sources. TransformĂ©s en simples tâcherons appelĂ©s Ă  rĂ©pĂ©ter ad nauseam les mĂŞmes basses besognes sur les mĂŞmes licences sans âme Ă©ditĂ©es Ă  des millions d'exemplaires par les Ă©normes machines Ă  fric et entubeurs professionnels que sont devenus les principaux studios faiseurs de AAA, un grand nombre de dĂ©veloppeurs ont dĂ©cidĂ© de fuir ce système perfide et aliĂ©nant. Leur objectif Ă©tait alors on ne peut plus louable : renouer avec le jeu vidĂ©o d'antan, tout en le mettant au goĂ»t du jour. Dans les faits, tout ne fut Ă©videmment pas si simple, et les contrecoups de cette indiepocalypse se sont bien vite fait sentir mais cela est un tout autre sujet, qui fera peut-ĂŞtre l'objet d'un futur article lorsque j'aurais plusieurs semaines devant moi Ă  y consacrer.

La patte Devolver

Pour le Run & Gun, cette avalanche de titres Ă  gros pixels, au gameplay simple voire simpliste, ne nous demandant pas de retenir 18 combinaisons de trois touches pour effectuer des combos dĂ©vastateurs (oui, c'est toi que je regarde Batman Arkham) fut une bĂ©nĂ©diction. Très vite, la très punk sociĂ©tĂ© d'Ă©dition Devolver Digital, crĂ©Ă©e en 2011 par une bande de potes d'Austin au Texas et responsable du retour sur le devant de la scène de l'icĂ´nique sĂ©rie de FPS bourrins Serious Sam, flaire le bon filon. Leur première vĂ©ritable prise de risques, un petit jeu fait sur Game Maker par deux SuĂ©dois bien allumĂ©s, biberonnĂ©s aux films d'action et aux tubes Ă  nĂ©on des annĂ©es 1980, est un coup de maĂ®tre. Sorti le 23 octobre 2012 sur PC, Hotline Miami rencontre instantanĂ©ment un Ă©norme succès commercial et critique, se transformant bien vite en porte-Ă©tendard d'une voie alternative, au mĂŞme titre que Braid ou Super Meat Boy avant lui.

Dans les faits, les tribulations psychĂ©dĂ©liques et psychotiques de Jacket et Biker tiennent plus du beat'em all ou mĂŞme du hack'n slash que du Run & Gun. Les armes Ă  feu, bruyantes et pas toujours prĂ©cises, ne sont utilisĂ©es qu'en cas d'extrĂŞme nĂ©cessitĂ©. Il faut attendre deux ans et demi et sa suite, Wrong Number, avec ses environnements plus vastes, pour que les fusils Ă  pompe, uzis et autres M16 tiennent finalement le haut du pavĂ©. Mention spĂ©ciale aux niveaux dans la jungle luxuriante de HawaĂŻ, hommage Ă  peine voilĂ© aux aventures vietnamiennes d'un certain John Rambo. Au final, malgrĂ© les problèmes rĂ©currents d'IA hĂ©ritĂ©s du premier opus, ce deuxième volet, attendu autant que redoutĂ© par une armĂ©e de fans extatiques, peine Ă  surprendre mais fait le taff' efficacement, se permettant mĂŞme quelques envolĂ©es du plus bel effet.

"Kicking ass for freedom and for liberty…"

Entretemps, Devolver a poursuivi sur sa lancĂ©e, apportant sa confiance Ă  plusieurs titres bien barrĂ©s du genre, au premier rang desquels le dĂ©sormais mythique Broforce. LancĂ©e en 2013 sous la forme d'un bien nommĂ© Brototype, le projet voit vite sa cote tutoyer les cimes de la hype auprès des amateurs d'action dĂ©complexĂ©e, après avoir Ă©tĂ© approuvĂ© par le programme Greenlight de Steam pour obtenir dĂ©but 2014 son accès anticipĂ© sur la plateforme de Valve.

Il faut dire que son postulat de base a de quoi faire rĂŞver. Le joueur y incarne Ă  la volĂ©e une trentaine de personnages issus de l'âge d'or des films et des sĂ©ries d'action des annĂ©es 1980 – 1990 et non des moindres : Terminator, Robocop, MacGyver, Barracuda, Indiana Jones, Snake Plisken, Mad Max, j'en passe et des meilleures, ils sont tous lĂ  ! ÉquipĂ©s d'armes et de pouvoirs spĂ©ciaux propres, au milieu d'environnements entièrement destructibles, habillĂ©s d'une esthĂ©tique 8bits irrĂ©prochable, ils reprĂ©sentent un amĂ©ricanisme triomphant bas du front absolument succulent. C'est très drĂ´le, ça se prend en main en deux secondes et demie, on peut y jouer jusqu'Ă  quatre en co-op ou en versus, et surtout c'est très con. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie vers la chatoyante preview Ă©crite par l'ami MenraW en avril 2014 – oui ça remonte un peu mais l'essentiel y est – Ă  Ă©couter au son du gĂ©nial thème du jeu disponible ci-dessous. Plus Ă©pique tu meurs.

La naissance du slide&gun

Mais si Broforce reste tout Ă  fait classique dans sa forme, avec des niveaux remplis de mobs bien dĂ©biles et quelques boss sacrĂ©ment retors, ce n'est pas tout Ă  fait le cas de Not a Hero. Sorti en 2015 et Ă  nouveau frappĂ© du sceau Devolver, il rĂ©ussit le tour de force peu commun de retirer le "run" de Run & Gun, devenant du mĂŞme coup un nouveau genre de cover shooter, le tout en 2D. Pour vous la faire courte, une simple pression sur le bouton adĂ©quat permet de glisser de planque en planque pour rester Ă  l'abri des tirs ennemis ou de les tacler au niveau du genou Ă  la manière d'un Cyril Rool des grands soirs, avant de mettre un terme Ă  leurs jours via une exĂ©cution aussi tout ce qu'il y a de plus stylĂ©. Le slide&gun Ă©tait nĂ©.

Au bout de quelques minutes Ă  peine, on se surprend Ă  ne plus toucher que sporadiquement le stick gauche pour diriger l'un des neuf psychopathes nĂ©vrosĂ©s au casting. Tous ont d'ailleurs des spĂ©cificitĂ©s de gameplay bien distinctes, ajoutant un bon point supplĂ©mentaire Ă  cette nouvelle ode au bordel organisĂ©. Pour vous en rendre compte vous-mĂŞme, jetez un Ĺ“il au trailer ci-dessous. Attention, ça va très vite et ça part dans tous les sens (The title of your sextape).

Des bottes oui, mais avec des flingues

La liste s'allonge avec le très 7 MercenairesA Fistful of Guns, encore et toujours Ă©ditĂ© par Devolver, oĂą l'on croise – tiens donc – de gros pixels qui tâchent, une galerie de personnages aux propriĂ©tĂ©s diffĂ©rentes, des gerbes de sang, des explosions en sĂ©rie et une pelletĂ©e d'ennemis ne demandant qu'Ă  se faire dĂ©zinguer. C'est bien entendu validĂ©.

MĂŞme lorsque le genre rĂ©apparaĂ®t sous la forme d'un petit jeu mobile sans prĂ©tention, la formule parvient Ă  faire mouche. Prenez Downwell par exemple, oeuvre d'un seul homme, un certain Ojiro Fumoto. Sur le papier, le titre reprend Ă  son compte le principe d'un Spelunky ou d'un Binding of Isaac. Il faut descendre de plus en plus profondĂ©ment au fond d'un puits, au grĂ© de niveaux gĂ©nĂ©rĂ©s alĂ©atoirement grouillant de saloperies qui veulent votre peau. La diffĂ©rence notable avec les deux excellents titres citĂ©s plus haut tient en cinq mots : des bottes avec des flingues. Et franchement, ça suffit pour rester scotchĂ© dessus pendant des heures.

Une sublime chorégraphie

Mais parce qu'il n'y a pas que Devolver dans la vie, comment ne pas rendre hommage Ă  deux titres sortis ces deux dernières annĂ©es, s'Ă©tant offert le luxe de rĂ©aliser deux des principaux fantasmes de tout joueur de Run & Gun qui se respecte. Le premier, Mercenary Kings, base l'essentiel de son gameplay sur un concept fort : construire son propre flingue. De la crosse au chargeur en passant par le canon ou le viseur, les possibilitĂ©s de customisation sont immenses, permettant de confectionner la pĂ©toire de ses rĂŞves Ă  partir de matĂ©riaux rĂ©coltĂ©s lors des multiples missions au programme. Un tantinet rĂ©pĂ©titif, mais diablement addictif.

Quant au second, ce n'est autre que l'un de mes coups de cĹ“ur de ces dernières annĂ©es, l'incomparable Super Time Force. Pour vous faire une petite idĂ©e, prenez le cocktail habituel d'un bon titre du genre (direction artistique rĂ©tro, plusieurs personnages diffĂ©rents, dĂ©luge d'effets Ă  l'Ă©cran, scĂ©nario complètement dĂ©bile) et rajoutez une pincĂ©e de voyage dans le temps et vous obtenez un concentrĂ© d'action frĂ©nĂ©tique hautement savoureux.

Mais le must reste cette feature presque anodine Ă  la fin d'un niveau, oĂą le jeu nous propose de visionner un replay de notre propre performance. Une rĂ©compense magique après de longues minutes Ă  avoir suĂ© sang et eau au milieu d'une forĂŞt infestĂ©e de dinosaures, Ă  dĂ©fendre un convoi d'une hordes de chevaliers armĂ©s jusqu'aux dents ou Ă  sauter de voiture volante en voiture volante dans un univers inspirĂ© du Cinquième ÉlĂ©ment. Ça n'a l'air de rien, mais cette minute trente oĂą l'on peut enfin poser la manette et admirer son travail, cette sublime chorĂ©graphie dont nous avons Ă©tĂ© l'auteur sans nous en rendre compte, fait tout le sel du jeu. Car non, le joueur de Run & Gun n'est pas qu'un odieux bourrin qui passe son temps Ă  foncer dans le tas l'arme au poing. Il aime aussi se regarder jouer. Et si vous n'avez rien compris Ă  ces deux derniers paragraphes, le plus court chemin vers la vĂ©ritĂ© n'est autre que ce lien qui vous emmènera vers le test d'Ă©poque – fautes de frappes comprises – concoctĂ© par votre serviteur il y a deux ans.

Ça ne se joue pas, ça se vit

Au final, si vous ne deviez retenir qu'une chose de cette sélection complètement subjective et forcément incomplète, c'est que le Run & Gun est un genre qui se vit, bien plus qu'il ne se joue. Le degré d'attention extrême que demande la plupart des titres, couplés à un rythme souvent soutenu, une myriade d'informations à l'écran, une O.S.T. pêchue et le bruit des balles qui pleuvent dans tous les sens contribuent à vous faire entrer dans un état second, à même de faire pâlir n'importe quel adhérent à Familles de France. Il nous rappelle aussi que le jeu vidéo peut encore véhiculer des émotions fortes à partir de seulement deux ou trois boutons.

Alors, c'Ă©tait mieux avant ? Ne vous mĂ©prenez pas, je ne suis pas en train d'appeler de mes vĹ“ux, dans un Ă©lan rĂ©actionnaire incontrĂ´lĂ©, une vaste OPA hostile du Run & Gun sur le marchĂ©. Le jeu vidĂ©o a besoin de diversitĂ©, et aujourd'hui plus que jamais, la multitude de projets qui dĂ©barquent chaque jour sur la toile, vont Ă  fond dans ce sens, Ă  tel point que n'importe quel joueur peut trouver chaussure Ă  son pied. Cependant, il y a parfois du bon Ă  constater que les vieilles recettes n'ont rien perdu de leur superbe, et qu'il est possible de prendre son pied sans se farcir un laborieux tutoriel de plusieurs heures. Dans un monde oĂą l'Ă©litisme ne semble pas vouĂ© Ă  disparaĂ®tre de si tĂ´t, il est toujours utile de se souvenir des vertus universelles de l'accessibilitĂ©. Le jeu vidĂ©o n'en ressortira que grandi.

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