On y est ! Après neuf épisodes de WandaVision sur Disney+, c’est officiel : Marvel est passé du grand au petit écran. Attendez… on me dit dans l’oreillette que non. Ah oui : il y avait déjà ces séries Netflix, comme Luke Cage, Jessica Jones, Daredevil, etc. Alors, disons qu’on ne parle que du MCU, cet univers cinématographique orchestré par Disney, avec l’aide de Sony qui lui prête le personnage de Spider-Man… On me fait à nouveau signe que non. Agents of SHIELD ? Agent Carter ? Écoutez, zut à la fin. Nous non plus, on n’y comprend pas grand-chose. Disons que maintenant, si vous voulez suivre le MCU, il ne suffit plus de vous rendre en salles une fois tous les trois mois, ce qui était déjà un bel effort. Vous devez aussi vous abonner à Disney+ et vous tartiner un épisode par semaine. La première de ces séries immanquables s’appelle donc WandaVision et met en scène les personnages de Wanda… et de Vision. C’était juste pour vérifier que vous suiviez toujours.
Avant de commencer à spoiler tout sans dévoiler rien, nous tenons à préciser qu’exceptionnellement, Le Grand Pop va vous servir une critique un peu distante de la série. Nous ne sommes pas non plus novices : nous avons vu chaque film de ce Marvel Cinematic Universe depuis treize ans, d’Iron Man à Spider-Man : Far From Home. Nous sommes juste un peu paumés sur ce qu’est une phase. Ça commence où, ça s’arrête où ? A‑t-on bien fini la 3 ? Commence-t-on déjà la 4 ? Bref : on est au courant, mais pas inconditionnels. On ne vous dira pas si WandaVision est plus ou moins fidèle aux comic books d’origine et on n’aura pas non plus repéré tous les clins d’œil. Quant aux théories, laissons ça aux sites spécialisés. Nous avons simplement vu une série s’inscrivant dans une saga que nous suivons depuis longtemps, sans pour autant avoir pris des notes.
Nous nous souvenions évidemment que l’ordinateur de bord d’Iron Man, Jarvis, réincarné dans le superhéros Vision, n’avait pas survécu aux dernières aventures des Avengers. Thanos l’avait tué, et lui avait prélevé du crâne sa Pierre de l’Infini. Quant à sa super-amoureuse, Wanda Maximoff (qu’on ne surnomme pas encore Scarlet Witch), nous l'avions laissée inconsolable après la mort de son frère Pietro, alias Quicksilver (dans Avengers : l’ère d’Ultron), et cette nouvelle tragédie. Mais après le sacrifice de Tony Stark/Iron Man, Thanos est vaincu, la moitié de la population mondiale qu’il avait fait disparaitre est de retour et Vision est vengé.
Sauf que tout n’est pas si simple, car il faut bien conclure cette romance entre Wanda et Vision, interrompue sans conclusion satisfaisante. Voilà pourquoi le studio aux grandes oreilles a décidé de faire revenir Paul Bettany dans son rôle de Vision, ainsi qu’Elizabeth Olsen, dont le contrat semble encore loin d’avoir pris fin.
Ma sorcière s’amuse
Disons-le : on a été pris de court dès les premiers épisodes par l’originalité de la série. Loin de vouloir ressembler à un épisode cinématographique du MCU, WandaVision a tout de suite su capitaliser sur son format pour proposer un pari ambitieux : une sitcom chez les superhéros. Composée d’épisodes d’une demi-heure à peine (format sitcom, donc), la série s’est amusée à mettre en scène ses personnages dans des parodies de shows télévisés à l’américaine, des années 1950 aux années 2000. Pour faire simple, les premiers numéros ressemblent à The Dick Van Dyke Show ou à Ma sorcière bien aimée et les derniers se rapprochent davantage de Malcolm ou de Parks & Recreation. Là encore, on ne va pas jouer aux spécialistes de la sitcom américaine. On dira simplement qu’on a repéré l’astuce et qu’on l’a appréciée, pour deux raisons.
D’abord parce qu’il faut déployer un certain nombre de talents de mise en scène pour recréer la saveur d’une sitcom qui aurait été diffusée il y a plus de soixante ans, aux débuts de la télévision. Il ne suffit pas de tourner en noir et blanc et d’une valeur de plan quasi unique pour recréer l’atmosphère des séries filmées en public (comme l’indique le titre du premier épisode : "Enregistré en public"). Il faut aussi retrouver le timing comique de l’époque, le ton de l’humour, les tics de comédiens, la structure narrative de chaque épisode… Tout le monde s’y est mis, des techniciens aux acteurs en passant par les scénaristes. Bel effort !
Ensuite, parce que c’est un pari osé de faire péter un câble au MCU comme ça. On s’était habitués à des épisodes d’une durée de deux à trois heures, sur un schéma éternel : un superhéros, un supervilain, une intrigue accessoire, un MacGuffin (cette fameuse astuce scénaristique qui fait que l’histoire tient debout, mais dont tout le monde se fout), une bataille finale… les gentils gagnent et les méchants perdent. Rendez-vous au prochain numéro. Cette fois, non ! Nous voilà devant un spectacle étrange, où deux personnages récurrents des plus gros blockbusters actuels s’amusent à faire des blagues dans une sitcom traditionnelle. Pour cette audace, on est bien obligé de féliciter Disney qui ne prend d’habitude aucun risque. Mais on doit aussi lever un lièvre : le studio aurait-il fait preuve d’autant de courage avec des personnages plus importants du MCU ?
Certes non. Et c’est déjà par là que le bât blesse et que, si sympathique soit sa formule, WandaVision entame une nouvelle ère de clivage entre le petit et le grand écran. Car ce n’est pas Scarlett Johansson, ni Benedict Cumberbatch, ni Chris Hemsworth, ni toutes les vedettes bankables de l’écurie Marvel/Disney qui se retroussent les manches pour adapter le MCU à la télévision. Ce sont les héros moins prisés, que le téléspectateur veut bien suivre de chez lui, mais il ne bougerait pas de son canapé s’il fallait aller les voir au cinéma. Vous ne me croyez pas ? Voyons alors qui prendra leur suite sur Disney+ : Falcon et le Soldat de l'hiver, Hawkeye, Loki… Sérieux. On ne veut pas être méchant envers ces personnages qu’on aime aussi. Mais ils n’avaient pas vraiment le potentiel de lever un milliard de dollars de recettes à chaque nouveau long métrage sur grand écran.
Qu’on ne nous fasse pas dire ce qu’on n’a pas (encore) dit : ces nouvelles séries Marvel Studios ne sont pas un mouroir pour personnages de second plan. Elles permettent simplement de faire vivre des héros qui n’auraient pas d’avenir autrement. Et, à défaut de pouvoir les faire combattre des supervilains et d’empocher le pactole, pourquoi ne pas les recycler dans une série qui prendrait un peu plus de risques que les éternels blockbusters dont la recette a tant de mal à évoluer ? Allez, si tel est vraiment le programme, on signe.
Licences… Assemble !
Pour ceux qui n’avaient pas encore suivi, WandaVision est aussi la première occasion du studio Disney de montrer pourquoi le rachat de la Fox était si cher à ses yeux. Évidemment, pour les retardataires, Fox détenait un certain nombre de licences Marvel, comme les X‑Men ou Les 4 Fantastiques, que Disney ne pouvait pas encore exploiter au sein de son MCU. Maintenant que ce problème est réglé, mais que les films ne peuvent plus sortir au cinéma en raison de la crise sanitaire, il a fallu attendre ces épisodes de WandaVision pour dévoiler ce qu’il est désormais possible de faire.
On s’attendait à retrouver certains personnages venus des films. Ils sont bien là, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas sensationnels. Darcy Lewis, la geekette de Thor, est de retour. Jimmy Woo, d’Ant-Man et la Guêpe est là aussi. Monica Rambeau, la petite fille de Captain Marvel, a bien grandi. Les plus fans sauront reconnaitre d’autres visages issus d’Agents of SHIELD ou d’autres occurrences audiovisuelles de l’univers étendu. On a aussi repéré d’autres citations, comme les références à l’organisation maléfique HYDRA dans les fausses publicités qui ponctuent certains épisodes, sans en élaborer des théories lunaires comme les fans de la première heure.
Le coup de théâtre majeur de la série arrive à mi-parcours, lorsque Pietro Maximoff, alias Quicksilver, fait son grand retour dans le MCU, sous les traits du comédien Evan Peters. On récapitule : Disney avait son Quicksilver, interprété par Aaron Taylor-Johnson. Celui-là est mort dans le deuxième épisode des Avengers, on vous l’a dit plus tôt. Mais la Fox l’avait aussi, dans la saga X‑Men, interprété par Evan Peters ! C’est donc l’occasion de faire revenir le personnage tout en amorçant la fusion entre la saga X‑Men et le MCU. Petite incohérence : que fait-il là, s’il est déjà mort sous les traits d’un autre comédien ? C’est là que les problèmes commencent, avec des virages scénaristiques tordus. Fini de rire dans des parodies de sitcom. La réalité de l’industrie reprend ses droits.
En d’autres temps, ça n’embarrassait personne de remplacer un acteur par un autre dont les prétentions salariales devenaient encombrantes. Souvenez-vous de Terrence Howard, dans Iron Man, qui interprétait Rhodey. Ni vu ni connu, dès l’épisode suivant, il était incarné par Don Cheadle, sans que personne s’en émeuve. Mais dix ans, quelques rachats par Disney et des millions de fans plus tard, il faut que tout ait un sens. Accrochez-vous.
Pour justifier pourquoi Pietro a changé de tronche, pourquoi Vision est revenu d’entre les morts et pourquoi tout ce bazar ressemble aux meilleures sitcoms de l’histoire télévisuelle, il faut que WandaVision vous raconte, en long et en large, que, traumatisée par le décès de l’amour de sa vie, Wanda s’est servie de ses superpouvoirs pour se bricoler un petit cocon à elle. Où Ultron et Thanos n’ont jamais existé. Où tout le monde vit heureux et loin des Avengers dans une petite ville bucolique. Et où Wanda et Vision vivent leur amour dans une petite maison pavillonnaire d’un ennui désarmant. En dehors de ce cocon, des agents du FBI captent ce qui se passe à l’intérieur du champ magnétique fabriqué par Wanda et découvrent… la sitcom que nous voyons : WandaVision. Voilà pourquoi les personnages y ressuscitent et d’autres sont de retour avec un nouveau visage. Cette réalité alternative fonctionne comme une parodie de sitcom, puisque Wanda a grandi et appris l’anglais en les regardant.
Vous n’êtes pas convaincus ? Nous non plus.
Business As Usual
Passé les premiers épisodes, WandaVision va développer une longue intrigue pour faire rentrer les choses dans l’ordre. Parce qu’on n’est pas venu seulement pour faire marrer l’assemblée. On est chez Marvel, il faut de la baston, des costumes, des mecs qui volent, des gentils, des méchants… et s’il faut qu’une sitcom entre dans cet univers au chausse-pied, on y mettra les moyens.
Une fois le fun de l’exercice nostalgique passé, voilà le retour de l’arsenal habituel : les tanks, l’armée, les preneurs de décision bas-de-plafond, les scènes explicatives qui font bailler à s’en décrocher la mâchoire, les coups de théâtre absurdes, les méchants qui racontent leur plan pour mieux perdre à la fin, les dilemmes éculés (sauver sa famille ou sauver des centaines d’innocents ?), les bagarres de personnages volants, les tirs de rayons laser numériques sur fonds bleus lancés par des comédiens formés à jouer du Shakespeare… La tristesse ordinaire de l’arsenal hollywoodien.
Il faut donc que Wanda, la gentille sorcière, affronte une méchante sorcière (qui se trouve être Agnes, sa voisine un peu envahissante) tandis que Vision se bat contre une version déshumanisée de lui-même, tout comme Iron Man a affronté un méchant Iron Man, Hulk un méchant Hulk… Vous connaissez la formule de chez Marvel : il faut toujours que l’adversaire idéal soit une version en négatif du héros. C’est follement ennuyeux, mais que voulez-vous. Ça rapporte des milliards.
Vision fait planter son opposant mécanique en lui posant une question paradoxale bidon. Wanda retourne une fourberie de son adversaire contre elle. Elle accepte de retourner dans la vraie vie après avoir dit adieu à son petit monde fantasmé, peuplé d’un Vision idéalisé, de son frère Pietro (mais pas trop) et de deux enfants qui sont nés dans tout ce vacarme et qui ont grandi en un clin d’œil jusqu’à l’adolescence. On n’est pas sûr d’avoir tout pigé, mais pour finir, Wanda a trouvé son costume et son surnom de superhéroïne, Scarlet Witch, et tous les personnages secondaires sont devenus plus ou moins des superhéros au passage. On vous fait grâce des liens établis avec les Sorcières de Salem, le futhark et les autres planètes, c’est assez le bordel comme ça.
Ce qui avait commencé comme un hommage à l’histoire de la sitcom américaine, ou un remake superhéroïque de The Truman Show, s’est vite transformé en un épisode de plus de ce que nous suivions au cinéma et qui nous poursuit maintenant jusque dans notre salon. On n’est pas obligés de regarder, me direz-vous. Et c’est peut-être justement ce qu’on ne fera pas pour Falcon et le Soldat de l’hiver, mais c’est difficile d’abandonner maintenant, après tout ce chemin parcouru.
À vous Cognacq-Jay
Au terme de deux derniers épisodes aussi poussifs que bavards et bruyants, WandaVision qui avait si intelligemment commencé nous a renvoyés à notre triste quotidien, peuplé de masques, de distances sociales, de gestes barrières et de coronavirus. L’occasion de se souvenir que le MCU ne nous avait rien fourni depuis juillet 2019, date de sortie mondiale de Spider-Man : Far From Home. Cette franchise, qui nous convoquait dans les salles obscures plusieurs fois par an depuis plus de dix ans, s’est trouvée aussi bâillonnée que le reste de l’industrie. C’est le moment de se demander si toute cette histoire nous avait vraiment manqué.
Soyons sincères : en renouant avec le MCU avec WandaVision, on a d’abord cru retrouver un copain amerloque un peu grossier, bruyant et embarrassant, mais qui avait changé. Alors on a signé pour neuf épisodes en sa compagnie, bien entendu. Mais le naturel est revenu au galop. Il est toujours aussi séducteur et flamboyant que bourrin et redondant. On s’y attendait un peu, bien sûr. Mais, pendant un court instant de bonheur, on a été naïf au point de le croire capable de se renouveler.