La dernière série Disney+ dans l'univers Marvel, She-Hulk : Avocate, avait du potentiel sur bien des aspects. Mais en se mélangeant les pinceaux et en ne sachant pas sur quel pied danser, elle continue de sentir l'usine à images décidées par des focus group plus qu'elle ne dépasse son statut commercial. Et le fait de bien insidieuse manière.
Laissez-moi ouvrir cette critique par une confidence. Entre vous et moi. Votre anonymité ne devrait après tout pas ternir l'idée que nous pouvons développer une relation de confiance, fusse-t-elle à sens unique. Et la confiance se base sur l'honnêteté. Mon honnêteté dans le cadre de cette critique sera de vous dire : je doute ces derniers mois de l'utilité-même du concept de critique. Si mon amour va à la création, il est vrai que "créer une critique" a quelque chose d'étrange. Alors que de nombreuses personnes s'acharnent à concevoir et produire une idée, est-il seulement juste de pouvoir l'encenser ou la détruire en quelques lignes de texte ? Est-ce même tout simplement nécessaire ?
C'est avec ces pensées en tête que j'ai regardé de nombreuses créations ces derniers temps, sans avoir l'inspiration de la moindre critique. Du plutôt bon, du plutôt mauvais, du passable… Mais rien qui ne puisse inspirer mon verbe, délier ma langue ou pousser ma réflexion. Il est cependant un titre qui, malgré ses qualités et défauts, m'inspire. Quelques notes. Quelques remarques que j'espère constructives, car étrangement, c'est aussi autour de She-Hulk que se sont cristallisés deux camps que tout oppose, mais qui ont à mes yeux le même problème : l'aveuglement. Attention : pour en parler, il va falloir spoiler.
"Être un Hulk demande de l’équilibre"
She-Hulk : Avocate, ou She-Hulk : Attorney at Law en version originale, a toujours été une série prometteuse. Alors que la grande œuvre du Marvel Cinematic Universe n'a eu de cesse de prendre sa place de machine bien huilée dans le paysage culturel, elle n'a pas non plus échappé à une grande critique. Aussi facile que vraie : ses personnages féminins n'ont pas eu le droit à la même mise en situation et mise en avant que ses personnages masculins. Black Widow, la première dame de cet univers du côté de l'équipe Avengers – présentée dans Iron Man 2 sous le male gaze le plus absolu, mais passons – a mis si longtemps à avoir son propre film solo qu'à sa sortie, il est bien vite apparu comme fait en réaction à ces critiques plutôt que par respect. L'habituel "mieux vaut tard que jamais" ne tiendra pas face à la faiblesse scénaristique comme de réalisation de l'œuvre finale, qui a en prime subi la pandémie pour couronner le tout.
Au-delà donc de faire découvrir au grand public un personnage bien connu et intéressant de l'univers des comics, la série She-Hulk, c'était aussi l'espoir de voir, comment dire… L'erreur corrigée ? Ou une nouvelle vague ? La plus grande ironie de tout cela est que ça ne pourra jamais masquer le passé. S'il s'agissait d'une erreur, on peut alors penser à deux propos. Le premier est que quelque part dans la machine, des producteurs aux réalisateurs, personne n'a tout simplement pensé qu'il serait bon d'avoir un lead féminin. Un problème systémique. Le deuxième est peut être encore plus décourageant. Quelque part dans cette chaîne, des voix se sont élevées pour souligner ce problème, et ont été étouffées. Un problème misogyne.
Dans ces deux cas, l'Histoire nous apprend bien souvent que la sagesse vient dans le fait de pardonner. Non pas pour absoudre, mais pour comprendre et détruire les mécanismes qui ont pu créer cette machine. Sauvegarder le futur. C'est ce qu'entend la phrase "Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé." Et puisque 2022 est l'ère des citations balancées à la va-vite sur les réseaux sociaux pour appuyer un propos vain, je vous laisserais chercher de vous-même de quelle bouche elle est tirée et ce qu'elle entend. Je vous promets que cette voix est illustre. Bien plus illustre que celle du petit blanc hétéro fragile et plein de doutes qui écrit ces prochaines lignes.
"Je suis douée pour contrôler ma colère"
Reste auquel cas la nouvelle vague, un concept emprunt par essence d'optimisme. La vague naît, grandit, s'écrase et renverse. Elle ne le fait pas par vengeance, pas par machination, pas parce qu'elle a été invoquée pour. Elle le fait pour l'acte lui-même, parce que c'est ancrée en elle, parce que c'est sa fonction. C'est un spectacle, aussi. L'émissaire de la nature. Dans le contexte culturel, une nouvelle vague est bien souvent liée à une évolution des consciences de la société. Un désir de renouveau face à l'établi. La culture en est par essence son visage ; le moindre changement qu'on y observe n'est jamais anodin, à l'image d'une fleur qui fane par manque d'eau. Ou pour avoir été trop arrosée, d'ailleurs.
She-Hulk, donc. Le dernier masque donné à porter au MCU pour son projet d'ensemble. Sur de nombreux faciès d'exceptions, qui plus est. L'héroïne est incarnée physiquement par Tatiana Maslany, connue auparavant pour ses exploits dans la série Orphan Black. Nous retrouvons Jameela Jamil, l'une des nombreuses révélations de The Good Place, une série aussi intelligente que sarcastique. On y découvre Ginger Gonzaga et son énergie chaleureuse et conviviale. Et on revoit des noms familiers et respectés, comme Mark Ruffalo ou Tim Roth. Et à la création pure, une habituée de la télévision en la personne de Jessica Gao, qui a travaillé sur Rick And Morty, Silicon Valley et pour Nickelodeon auparavant. Une créatrice primée, à raison, pour l'écriture de l'épisode Pickle Rick dont l'orfèvrerie accordée au sous-texte a hélas échappé à de nombreux idiots.
Ces mêmes idiots qui iront dès lors, avant même la sortie du moindre trailer, argumenter sur les réseaux sociaux que Disney et Marvel font du "wokisme", poussent leur "idéologie féministe" et qu'on ne peut offrir à une écrivaine et productrice peu expérimentée un projet d'une telle ampleur. Oubliant ce faisant que les grands créateurs à travers le monde ont un jour été inexpérimentés. Même leurs favoris. Ce sont probablement encore ceux-là qui hurleront au scandale lorsque leur candidature pour devenir serveur au Flunch du coin sera balayée pour manque d'expérience. On sera également ravi de leur apprendre que la planète, ronde, gravite autour du soleil.
"Je veux juste être un avocat normal et anonyme"
Pas de quoi justifier une levée de boucliers, pas même à la vue des premières images CGI qui sont (malgré tout) au dessus des efforts faits sur la plupart des séries, mais plutôt titiller la curiosité en l'espoir d'une nouvelle vague. D'autant que la communication poussée par Disney autour de ce nouveau projet le laissait entendre. Une direction jeune, d'excellents acteurs, un personnage capable de briser le 4e mur, et un ton qui se voulait très différent des productions Marvel précédentes. She-Hulk Avocate, comme son nom l'indique, se devait d'être non pas une série de super-héros classique, mais bien un show procédurier, qui fonctionne par l'intelligence des affaires légales montrées et leurs résolutions. Une tradition américaine. Les super-pouvoirs en seraient alors l'épice, tout autant que la formidable capacité de son personnage principal de s'adresser directement au spectateur. Petit clin d'œil aux comics originaux au passage.
Mais qu'est vraiment She-Hulk après avoir ingurgité les neuf épisodes de sa première saison ? Une série dans laquelle Ginger Gonzana, qui incarne Nikki, crève l'écran comme l'amie un peu déjantée, mais éminemment loyale que l'on aimerait tous avoir à nos côtés. Où Tatiana Maslany sait rester dans le ton et incarner le personnage tel qu'écrit, en bien comme en mal, pour une prestation qui reste solide de bout en bout. Où Tim Roth s'amuse à jouer l'opposé de son militaire borné et obsessif dans The Incredible Hulk, et le fait non sans joie. Une œuvre qui fait des clins d'œil rieurs à de nombreuses productions old school. Peut-être une série qui sait donner le sourire, finalement, comme les productions Marvel savent souvent le faire. Et si les CGI ne sont pas vraiment au niveau attendu dans le MCU, le doigt est moins à pointer sur She-Hulk : Avocate que sur l'intégralité de la production Marvel qui appauvrit les conditions de travail des créateurs de SFX.
"Le spandex est votre meilleur ami"
On ferme les guillemets, point final, article terminé ? Si seulement. Il manque un énorme point à cette critique : le propos. She-Hulk : Avocate commence en arguant ne pas être une série de super héros classique, avant de nous offrir le training montage en compagnie de Hulk et les habituels dialogues de responsabilité (écoutés ou non) de ce genre. Elle nous indique alors être une série d'avocats, de procédures légales, avant de nous servir une ou deux fausses affaires réglées par le biais d'une grosse blague ou d'un McGuffin exceptionnellement pauvre. Elle met un point d'orgue à nous présenter une Jennifer Walters en pleine possession de ses émotions pour expliquer sa transformation rapide, avant de la faire chuter dans l'opinion publique par prétexte qu'elle a perdu ce contrôle pourtant constamment affiché dans de bien pires situations.
She-Hulk : Avocate fait des promesses tout le long de sa saison qu'elle ne tient jamais. Non pas pour surprendre le spectateur, ou créer un contexte méta, une blague d'initiés pour ses spectateurs. Mais bien parce qu'au bout du compte, malgré tout ce que les créatifs ont voulu lui apporter, elle reste un pur produit Marvel. Lorsque le 4e mur est brisé, on est moins devant un procédé scénaristique qu'un appel à l'aide des scénaristes. Jessica Walters promet que sa série ne sera pas une suite de caméos faciles… avant de devenir une suite de caméos faciles, de Hulk à Wong en passant par Abomination et Megan Thee Stallion. On a même le droit à un grand final où l'on apprend l'existence du fils de Hulk, effaçant donc toute attention portée à l'avenir de la protagoniste principale.
Jusqu'à la vraie apothéose de l'ironie : Daredevil. Le retour de Charlie Cox tant attendu est devenu dans la communication faite autour du projet la raison principale de son intérêt pour le grand public. Il fallait bien un homme au casque pointu pour agripper le visionneur moyen sur une série avec un lead féminin, n'est-ce pas Marvel ? Un Daredevil qu'on ne reconnaît d'ailleurs plus, tant il a oublié les temps durs vécus chez Netflix pour faire quelques sourires insipides dans une nouvelle combinaison dorée. Le final accordé au cheminement "sex positive" de l'histoire, voulu par les créateurs ? She-Hulk se vante de s'être tapée Daredevil, qui nous fait un petit walk of shame des familles pour souligner l'inversement de ces rôles surannés ayant encore cours dans le paysage audiovisuel. Tout ça a peut-être quelque chose de militant sous l'égide du puritanisme américain, mais n'en est pas moins très stupide : tu auras beau renverser ton bol, une soupe restera une soupe.
"Non, une quantité normale de rage !"
Ce qui est magique dans tout cela est que le dernier épisode de She-Hulk fonctionne presque comme son auto-critique. Après une avalanche de retournements de situation tirés du chapeau, Jessica Walters brise le 4e mur pour aller engueuler les scénaristes et changer de ses propres mains son season finale. On y découvre alors la machine K.E.V.I.N, homologue version intelligence artificielle de Kevin Feige, qui serait la grande responsable de la fatigue liée à la formule Marvel. Un rebond scénaristique chapeauté d'ailleurs par l'homme lui-même. Après un petit argumentaire des familles, She-Hulk efface le final nul pour faire son propre bon final… tout aussi nul.
Il faut voir les trames scénaristiques que développe She-Hulk : Avocate et leurs résolutions décidées, de manière méta, par Jessica. En 5 minutes, dans le dernier épisode. L'absolution de l'Abomination ? Retour à la case prison en quelques secondes, même si ce dernier n'a plus le moindre instinct belliqueux et a été important pour l'évolution personnelle du personnage principal. Le fil rouge de la récupération du sang de She-Hulk par HulkKing et son groupe de mascus débiles ? On n'en tirera rien de plus qu'un laconique "on se verra au tribunal", sans morale à en tirer. La rivalité avec Titania ? Résolue dans un "combat de chipies" à un mariage, où l'héroïne gagne principalement en la ridiculisant sur Instagram. La question de la dualité She-Hulk/Jessica ? Boup, on n'y pense plus beaucoup. Sa vie sentimentale ? Elle s'est tapée Daredevil, franchement, elle a de la chance quoi.
La série de Disney+ a voulu porter de nombreux costumes différents. Une série procédurière d'abord, une série de super-héros aussi. Une série familiale parfois, mais une série de trentenaire célibataire surtout. Une nouvelle vague sûrement, mais qui doit rester inscrite dans ce que le dictat de Marvel a prévu dans ses plans. Au bout ? Aucun de ses aspects n'est travaillé, approfondi. Malgré les quelques fils lancés çà et là, elle n'a jamais la possibilité d'offrir quelque chose d'intéressant, parce qu'elle essaye de taper sur tout en même temps. On finit donc par ne la retenir que pour ses 4e murs brisés, l'aspect le moins intéressant scénaristiquement de tout ce qu'elle a voulu tacler. Son grand final en est la preuve indéniable.
"Rappelez-vous à qui appartient cette émission"
À mes yeux, c'est même plus insidieux que ça. Et c'est ce qui a motivé l'écriture de cette critique. Avec She-Hulk : Avocate, l'industrie Marvel prouve avec quelle diablerie elle est capable non pas de soutenir, mais d'utiliser les problématiques de notre temps pour se vendre. Une offense qu'elle se permet avec la certitude d'être capable de noyer son manque complet de pouvoir d'évocation grâce aux débats sourds qui naîtront sur les réseaux sociaux. Voire même d'être acclamée pour cela, jubilante à l'idée d'observer du haut de sa Tour des Avengers les discussions enflammées de ses spectateurs, sur lesquels elle versera son kérosène bon marché.
Pourquoi nous embêter à créer une série She-Hulk Avocate avec un véritable fond autant que de la forme, lorsque nous savons être capable de créer un tumulte où tout le monde se tirera dans les pattes ? Nous aurons les petits fachos pour hurler du fait d'avoir une héroïne dans un milieu que nous avons nous-même créé déséquilibré. Et nous aurons à l'inverse ceux qui hurleront à la misogynie sur la moindre critique faite sur notre dernier produit. Les deux camps et les modérés iront consommer sagement pour faire partie de la cacophonie que nous avons installé, soutenue par une presse qui n'a pas d'autre choix que d'y participer sous peine de ne pas recevoir les revenus, boostés par notre ami Google, nécessaires à sa survie.
Au bout ? Rien n'avance. Les seuls gagnants sont Marvel et les richesses monstrueuses qu'ils engrangent, grâce à la manipulation du débat public que permettent des réseaux sociaux qui sont les mêmes purs produits d'un secteur privé devenu tout puissant. Ce qui me reste de She-Hulk : Avocate est l'offense faite non seulement à la philosophie de ses créateurs, mais aussi à l'intelligence de ses spectateurs. Elle masque sa vacuité forcée sous le châle d'une volonté artistique, tissé dans une matière synthétique qui a déjà tout contrôle de l'opinion. La véritable tristesse de She-Hulk : Avocate, une série essentiellement inoffensive, est que nous participons toutes et tous volontiers aux machinations du système qui l'a muselée.