Retour aux sources. Après 50 ans de teenagers découpés, poignardés, poursuivis et bien souvent rattrapés par un tueur fou armé d’un objet contondant, un rapide bilan s’impose. Comme bien souvent, on connaît sans connaître, mais on sait. De manière empirique. Pas dégusté, mais déjà digéré. Parce que c’est passé au tamis. Sans vraiment de grumeaux dedans. Un velouté on vous dit. Mais avant de devenir le mètre étalon du slasher, Halloween est avant tout un film. Et un film de John Carpenter.
Il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant
Du film Halloween, même sans l’avoir vu, on connaît généralement deux ingrédients. Son tueur fou au visage masqué et sa musique lancinante et malaisante à souhaits. Comme une petite mélodie qui instaure un sentiment aussi fascinant que repoussant. Un envoûtement. Attraction-répulsion. Quelques malheureuses notes sur un fond noir tandis qu’un Jack’o Lantern scintille timidement d’un côté de l’écran, affichant sans complexe son regard et son sourire figé. Désincarné. Une musique devenue culte. Le thème presque absolu du film d’horreur – disputé avec celui de l’Exorciste.
Une rengaine oppressante qui semble vous dire que le mal est là. Tapi dans l’obscurité. Sous un lit. Au fond d’un placard. Dans l’entrebâillement de la porte. Aussi présent et menaçant qu’il est invisible. Un craquement de plancher. Une porte qui claque. Une ampoule qui grésille. Un téléphone coupé. Quelque chose ne va pas. Un sentiment de panique. Le souffle court. Quelques pas en arrière dans un couloir sombre. Jusqu’à buter sur lui. Derrière-toi ! Juste quelques notes de musique.
Ça va trancher chéri !
Puis les années passent. Mais c’est la même chanson, avec son lot de rajouts et sa course au toujours plus. Mais revenons à la source. Halloween n’est pas le premier à proprement parler. D’autres avant lui ont déjà approché le sujet. On pense bien entendu à Psychose d’Alfred Hitchcock et la même année au Voyeur de Michael Powell. Dès le début des années 60, on fait trembler les foules ; ce n’est pas les adeptes de rideaux de douche pas trop trop transparents qui vous diront le contraire. Sous la caméra d’Hitchcock, Janet Leigh subissait les assauts d’un tueur abominable armé d’un couteau. Presque 20 ans plus tard, sa fille Jamie Lee Curtis sera l’héroïne d’Halloween. La stratégie marketing lancera la carrière de l’actrice.
La Nuit des Masques marque durablement et son temps et les esprits. Il définit les règles que les studios s’appliqueront à reproduire jusqu’à écœurement, et que Wes Craven aura plaisir à prendre à revers dans les années 90. Toujours la même recette. Un groupe d’ados et un tueur fou. Qu’il soit d’origine fantastique ou le produit d’un cerveau dérangé, le croque-mitaine a un nouveau visage. Et généralement il est là pour éliminer un à un tous les personnages du film, sauf l’héroïne. Après Michael Myers, ce sera Freddy, Jason, Ghostface ou tous les autres. Hollywood tient son marronnier estival. Mais si, tu sais, ça s’est passé l’été dernier…
Derrière mon loup, je fais ce qui me plaît (me plaît)
Dans Halloween, le tueur est d’abord un enfant d’à peine 6 ans déguisé en clown – Ça c’est pour l’option ‘coup-double’ et les coulrophobes me comprendront. On voit par ses yeux. Une scène d’introduction qui plante les bases en reprenant les codes du film Le Voyeur. En nous plaçant derrière les yeux du tueur, s’exerce une mise en perspective… voyeuriste… où l’on est réduits à l’inaction, contraints d'assister au carnage sans pouvoir intervenir. Le petit Michael Myers assassine sauvagement sa sœur aînée avant d’être interné.
Il s’échappe presque 15 ans plus tard, avec la ferme intention de revivre son fantasme. Ce n’est que derrière son masque qu’il peut donner libre court à sa folie meurtrière, et il prendra cette fois les traits statiques et désincarnés d’un visage livide – celui d’un masque du Capitaine Kirk de Star Trek pour la petite histoire. Ce visage inexpressif et menaçant qui se démarque par contraste dans un recoin sombre du living-room. Une menace presque fantomatique où toute humanité a disparu. Un masque terrible qui comprime la respiration de son porteur. Son souffle entêtant et omniprésent étant le seul son que le tueur daignera produire. Il n’est plus humain, mais un concentré de folie meurtrière.
C’est le planté de bâton qui n’va pas
S’en suit ce qui est devenu la routine du genre, qui bien évidemment aujourd’hui semble un peu éculée. Même si Carpenter initie la valse macabre avec beaucoup plus de brio et de maîtrise. Michael a tôt fait de prendre comme cible une bande d’ados. Les baby-sitters n’ont qu’à bien se tenir. On est pas encore dans les clichés, mais on les sens déjà poindre en suivant les règles : “On va se séparer”… ah la bonne idée que voilà. “Je reviens dans quelques minutes”… on sait très bien que non Jean-Germain. Comme ce jeune couple qui s’adonne au plaisir à l’horizontal et qui ne finira bien entendu pas la pellicule. Comme un jalon puritain moralisateur et hypocrite quand toute donzelle de même pas 20 ans se trémousse à moitié nue dans des couloirs en moquette ou entre les meubles en formica de grand-maman.
Parce que c’est ça aussi le slasher. Et même si Halloween en son temps n’est pas le pire du genre, il a ouvert la porte. Il est même plutôt sage au regard de ses suites et cousins. Ses successeurs eux, finiront de l’enfoncer bien grand. À renfort de décolletés et de toujours plus de mise en scène macabre et sanguinolente. Ce qui nous fait toucher du doigt une petite réflexion. J’avais vu Halloween il y a fort longtemps. Peut-être même pas en entier. Peut-être seulement par bouts. Et pas forcément dans l’ordre. Un vague souvenir. Jamie Lee Curtis habillée comme une quinquagénaire des 70’s. Le masque de Michael Myers et le thème musical. Mais c’est à peu près tout.
J’ai donc redécouvert l’ensemble, de la scène d’intro à la disparition finale. Et je me pose aujourd’hui la question. Comment apprécier une œuvre datée quand celle-ci a été galvaudée par 50 ans de remakes, suites, reboots ou surexploitation de ses codes parfois pour le mieux, mais trop souvent pour le pire ?
Smashing Pumpkins
Entendons-nous. Je ne dis pas que le film est mal fait ou n’a pas d’intérêt. On va y revenir. Mais comment être surpris quand John-Brandon se fait planter au cœur façon porte-manteau alors qu’il quitte sa blonde à couettes pour aller s’ouvrir une blonde en canette ? Comment ne pas être circonspect devant autant de candeur et de mauvais choix de réaction face à ce tueur sanguinaire ? Les ados des 70’s étaient-ils tous aussi cons ? Devant la caméra, le film y répond – Et c’est oui ! Il affiche même une réponse bien tranchée. Mais dans les salles de ciné ? Tout le monde trouvait-il rationnel de faire deux groupes de 1 quand on est que 2 et menacés de la sorte ?
Non, bien entendu. Mais ils n’étaient pas ‘armés’ comme ceux d’aujourd’hui qui consomment du slasher par pots de douze pourrait-on penser… Sauf que… Sauf qu'aujourd'hui encore et tandis que Halloween 2018 est passé par là, on s'aperçoit que rien n'a vraiment changé et que les personnages font toujours autant de choix illogiques et contre nature.
Et malgré ses trouvailles de mise en scène et tout son travail autour de la présence menaçante hors champs auquel le très réussi Invisible Man de ce début d’année rend plus qu’un hommage mais pousse jusqu’au génie, Halloween premier du nom peine à surprendre en 2020 un public biberonné aux films de serial killers – De tueurs en série. Plus que l’overdose, les studios ont joué toutes les cartes. Du gore au meta, de la relecture de codes à la parodie, de Saw à La Cabane dans les Bois et de Scream à Scary Movie. Voir Halloween en 78 devait sérieusement chambouler. Voir Halloween en 2020, c'est apprécier le savoir-faire d’un réalisateur et comprendre comment sont nés les codes d’un genre.
On peut tromper mille fois une personne…
Il n’en demeure pas moins qu’un bon film reste un bon film. Et Halloween suit la même trajectoire que beaucoup de ses cousins du cinéma d’horreur : il est une citrouille qui émerge quand surnagent nombre de navets. Derrière un grand film, il y a souvent un bon réalisateur qui a quelque chose à raconter. Lorsque Michael Myers a tué 124 ados débiles, est mort 30 fois et qu’on en est au 30e film de la saga, on a le recul pour se dire qu’effectivement, ce n’est pas la source le problème, mais bien le débit. Et cet entêtement de répéter ad nauseam sans donner de corps ou d’esprit à une recette qui a fonctionné par le passé. Un peu comme à la cantine. C’est pas un étoilé, mais ça reste du poulet. Ou une macédoine.
Dès lors, qu’est-ce qui fait d’un film un film culte ? A‑t-on besoin d’apprécier en 4K HDR et image de synthèse photo-réaliste le démembrement d’un teenager pour qu’un film soit plus pertinent ? Plutôt qu’une silhouette suggérée derrière un rideau de douche, a‑t-on besoin de reluquer les seins siliconés d’une playmate qui aurait sans doute préféré être castée pour son jeu ou un rôle moins caricatural ? Est-ce que ce n’est pas réduire la portée d’un film que de le produire en ne considérant qu’un échantillon ciblé du public ? – pour les slashers, les ados hommes apparemment. Ce film est-il le projet d’un ou une cinéaste ou un produit commercial destiné à passer les watch-tests ?
Bas les masques !
Je ne pense pas que John Carpenter souhaitait faire un film destiné uniquement aux ados de sexe masculin. Par contre j’aime à croire qu’il souhaitait raconter l’histoire d’un enfant psychopathe et d’un assassin déshumanisé qui jaillit dans le quotidien de l’American Way of Life des suburbs US. En ça, et dans ce qu’il raconte, Halloween passe bien plus brillamment le test de longévité et de pertinence que beaucoup de ses rejetons.
Comme un Night of the Living Dead et Zombie de Romero qui s’en prenaient respectivement avec symbolisme aux discriminations et à la société de consommation, Halloween interroge sur l’irruption de l’horreur dans la normalité. La peur se fait insidieuse, absolue et totale ; elle est omniprésente. Qu'elle soit à l'écran ou en dehors, c'est une menace constante et inéluctable où la peur raconte quelque chose. Ses héritiers sont plus à chercher du côté de It Follows ou d'Hérédité que des vulgaires films à jumpscares débiles…
Et ce n’est pas parce qu’il est daté ou récent qu'un film devient bon ou mauvais. Si vous en êtes là à regarder de haut les productions plus anciennes avec comme seul argument son âge ou que vous ne considérez pas les nouveautés parce que rien ne saura égaler le chef d’œuvre de vos 20 ans, vous vous trompez de combat. Les exemples sont nombreux où des suites en pagaille peuvent accoucher d'un produit de qualité. Regardez les Rambo ou les Rocky : après s'être égarés en chemin ils ont su retomber sur leurs pattes et offrent un vrai propos. Au final, ce qui fait un bon film, c’est peut-être simplement qu’il soit pertinent et raconte vraiment quelque chose avec talent.
Comme à son habitude John Carpenter enfile presque toutes les casquettes : réalisateur, scénariste, compositeur… et Halloween, comme la plupart de ses autres œuvres, ne gagnera pour le coup ses lettres de noblesse qu’avec le temps et le bouche à oreilles. Et c’est peut-être ça au final qui rend une œuvre culte : sa qualité intrinsèque, sa longévité et son influence. Grâce à un public moins campé que ses aînés sur des a priori vis-à-vis du cinéma de genre, un public qui sait apprécier le fond quelle que soit la forme, nombre de productions se hissent sur un nouveau Panthéon. Sans renier les grands classiques, mais en leur rendant hommage avec respect et modernisme, tout en restant populaire. Et ça mes amis ça porte un nom : on appelle ça la Pop Culture. Vous en reprendrez-bien une tranche ?