Les 3 Mousquetaires : D'Artagnan, un divertissement plein d'envie

Tel épris qui croyait craindre

Premier volet d’un projet cinématographique d’envergure en deux parties, Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan vient dépoussiérer le roman d’Alexandre Dumas, plus adapté au cinéma en France depuis les années 1970. Avec son casting XXL et son budget démesuré, le film de Martin Bourboulon propose une nouvelle version des aventures d’Athos, Porthos et d’Aramis contre Milady et le Cardinal de Richelieu, qui lorgne autant vers le western que le blockbuster. Une version qui a défrayé la chronique.

Montez donc, que je vous taquine la rate

Trop de critiques félonnes ; trop de poncifs partisans.
Comme s’il fallait salir la casaque avant même un premier rendez-vous.
Une posture altière trop commune qui veut sonner la défaite avant de tendre la joue.
Eh ! Pourquoi prendre un air dénigrant ?

Permettez-moi une note sensible contre un bruit de bottes sans cible.
Car devant tant d’esprit de corps, et sans assez de vue d'équerre,
Je peux sans ambage montrer un profil irascible.
En un mot cinglant qui cadre la chose, j’ai le holster austère.

Mes amis, je crois que l’amer est dans l’ivraie.
On se demande quelle logique mentale
Anime donc l'intelligentsia hexagonale ?

Il faut se repaître – hardiment – du festin qui s’annonce,
Goûter matin la vaste curée sans semonce.
C’est un peu court… Ampoulé vous dites ? Lourd de chagrin ?
Vous auriez préféré la poutre directement dans le râble ou sur le groin ?

Et si au-delà du grommellement sourd du gourgandin goguenard
Ou des éructations caduques des caquetteurs hagards
On cessait de porter aux nues des nécrologies pré-conçues
Pour adresser à la foule une verve mieux pourvue ?

C’est de fierté maladroite et d’envie naïve qu’au lieu d’un pour tous, je joue un contre sang.
Et si dans mon feutre je tente une mise en bouche
C’est qu’à la fin de l’envoi, je touche."

C’est un cadre, c’est un film, que dis-je, une pellicule

Laissons-là ces billevesées, et reprenons donc notre activité. Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan est la première partie d’un projet plus ambitieux. À l’instar de nombre d’adaptations du roman d’Alexandre Dumas, celle-ci se voit divisée en deux parties. Ce premier volet, sous-titré D’Artagnan, sera suivi, courant décembre, d’un second long métrage baptisé Milady. Ce premier film constitue donc l’exposition et revient sur la célèbre affaire dite des Ferrets de la Reine, en y ajoutant de façon plus ou moins habile un volet inédit absent du matériau original, qui mêle guerre de religion et mariage royal.

Le décor est planté. Nous sommes aux abords de Paris au début du XVIIe siècle. Parti s’engager comme son paternel dans le corps des Mousquetaires du Roi, le jeune Gascon D’Artagnan est pris malgré lui dans une rixe obscure – c’est le cas de le dire – et est laissé pour mort. Il parvient malgré tout à la capitale et, comme dans le roman, se voit convoqué de duel en duel par les trois mousquetaires éponymes qui donnent leur nom à l’ouvrage. De là s’en suit une série de péripéties qui lui permettent d’intégrer la formation militaire d’élite et de défendre le Royaume de France avec ses nouveaux frères d’armes tandis que guerre et coups d’états menacent.

Astérix, Joséphine, D'Artagnan, Cendrillon… Aujourd'hui, je fais ce qui me plaît (me plaît)

Martin Bourboulon, dont on avait déjà vu le travail au travers des deux Papa ou Maman avec Marina Foïs et Laurent Lafitte, s’était déjà adonné au genre du film en costumes avec Eiffel, où ce dernier, campé par Romain Duris, donnait la réplique à Emma McKay. Sur un scénario d’Alexandre de La Patellière et de Matthieu Delaporte (également à l'œuvre sur un futur Comte de Monte-Cristo avec Pierre Niney), le réalisateur livre une version modernisée du roman des Trois Mousquetaires aux allures de blockbuster. S’il faut rester pondéré sur le sujet (les 72 Millions d’euros mis sur la table par Pathé et Jérôme Seydoux pour réaliser les deux films constituent un événement sous nos latitudes mais sont loin des budgets pharaoniques des grosses productions hollywoodiennes), on ne peut nier la visée internationale du projet.

Cela se traduit par une modernisation des costumes, avec bien moins de jabot et de dentelle que de cuir et de toile brune, des décors naturels qui vantent les richesses du patrimoine français, et un casting XXL qui va au-delà du caméo de citation comme dans certaines aventures asiatiques d’un certain duo de gaulois. Un casting éclectique mais quatre étoiles où la jeune garde du cinéma français s’invite aux côtés d’habitués des productions internationales comme de figures d’autorité plus classiques. François Civil en D’Artagnan, Vincent Cassel en Athos, Pio Marmaï en Porthos, Romain Duris en Aramis, Eva Green en Milady, Lyna Khoudri en Constance, Vicky Krieps en Reine Anne d’Autriche, Louis Garrel en Louis XIII côtoient ainsi le Cardinal de Richelieu campé par Eric Ruf, Administrateur général de la Comédie-Française.

Un film avec des capes (et puis aussi des épées)

Comme énoncé en accroche de ce papier, beaucoup de choses ont été dites sur le film. “Il faut que le public retourne en salles !” C'est pas faux. “On essaie de copier les Américains” Vraiment ? “J’ai vomi deux fois tant la caméra sautait partout” “C’est mal joué” “Les dialogues sonnent faux” “C’est tout terne et marronnasse” Posons donc le fleuret un instant. Personnellement, j’ai accueilli l’annonce du film avec enthousiasme. Je regrette souvent la frilosité du cinéma français à tenter des choses. Si de nombreux films sont d’une finesse et d’une maîtrise évidente, un désamour certain s’est installé entre le public et une certaine partie de la production hexagonale.

En dépit de propositions pleines d’envie, de nombreux créateurs et créatrices trouvent trop souvent porte close quand il s’agit d’aborder le cinéma de genre ou le grand spectacle en partie à cause de producteurs frileux à donner du crédit à autre chose que de la grosse comédie XXL baveuse et criarde, mal calibrée et vulgaire ou aux histoires sclérosées de trentenaires urbains, malheureux, engoncés dans des familles recomposées qui célèbrent avec maladresse ou flemme évidente le vivre ensemble suranné et déconnecté d’une certaine bourgeoisie. Or ce cinéma d’aventures, ambitieux, autre, n’est pas, comme on peut l’entendre, l'apanage d’Hollywood. Il fut un temps où Bébel – bien avant Tom Cruise – faisait le mariole suspendu à une échelle attachée au girons d’un hélico au-dessus de Paris. Il n’y a pas si longtemps, on célébrait les grandes fresques patrimoniales où Jean Marais guerroyait sur des ruines esseulées, quand Le Capitan électrisait les foules, quand Le Bossu trompait son monde, quand Fanfan caracolait sur le faîte du Château de Vertelune….

C’est l’heure du d‑d-d-d-duel

Qu’est-il donc advenu de ce cinéma ? Quand avons-nous renoncé et laissé la place ? Faut-il autant s’arquebouter à chaque tentative ? Ne devrait-on pas plutôt se réjouir de voir arriver jusqu’à nous une proposition si singulière ? Ne devrait-on pas accueillir avec curiosité notre héritage ? Quand John Ford et John Huston célébraient par leurs westerns un pan de l’Histoire de leur pays ; quand Scorsese ou les Frères Cohen n’hésitaient pas à retracer de grands moments de l’Amérique, quand certains levaient leurs caméras comme d’autres leur poing fermé haut vers le ciel, que faisions-nous ? Le Nouvel Hollywood regardait la Nouvelle Vague. Il s’est libéré des carcans de la production et fait naître le blockbuster.

Ne pourrait-on pas, sans rougir, nous raconter aussi autrement que par le prisme du Paris contemporain au cœur du XVe arrondissement ? Reprendre la barre de notre histoire, tant pour dénoncer ses errances que pour célébrer ses héros et héroïnes romanesques ? Arrive alors cette proposition là. Qui malheureusement se voit bouc émissaire. Jetée au piloris de l’avis préconçu et du cynisme. Jugée pour le tout plus que pour elle-même. Il faudrait dix fois plus de films comme ces Trois Mousquetaires pour apprécier une critique qui jugerait du film pour lui-même, plutôt que de faire porter au film tout le poids de ce qu’il représente.

Un pour tous et tous en brun

Alors ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. Oui j’étais enthousiaste à l’idée de ce projet un peu fou au casting pléthorique, surtout après (entre autres adaptations ) le ni fait ni à faire D'Artagnan avec Jean-Pierre Castaldi, Catherine Deneuve et Tim Roth qui mêle Kung-Fu et mauvais goût ou même le nanard assumé mais sympathique de Paul W.S. Anderson, critiqué dans ces colonnes avec une certaine révérence en dépit de son Kung-Fu et de son mauvais goût. L'art et la manière dira-t-on… Oui j’ai abordé le film avec envie et espoir, et oui j’en suis revenu avec une envie d’encore, de reviens‑y ; et même si ce Trois Mousquetaires : D'Artagnan n’est pas exempt de défauts. Le ton, moderniste par essence, essaie malgré tout de rester dans le giron de l’histoire. En résulte une impression étrange qui, je le conçois, peut dérouter. Les premières répliques des personnages principaux sont écrites de manière classique et si certains s’en délectent, d’autres, plus habitués à un jeu naturel et moderne, traînent un peu plus la lippe, tant devant la caméra que devant son écran.

Un sentiment renforcé par le mélange de registres que le film propose. En effet, passé les joutes verbales d’introduction, les dialogues deviennent plus concrets et naturels. Comme un ‘tu’ remplace le ‘vous’. Cette écriture un peu surannée, en décalage avec l’intention de modernisme, joue pour moi de cet effet de style. Les mousquetaires donnent de l’alexandrin à D’Artagnan mais passent vite à un registre plus familier dès que la glace est brisée. J’ai vu dans ce style désuet une manifestation de la proximité des personnages entre eux, comme le naturel que je lance à mes proches s’oppose au plus déférent en société.

Parmi les reproches les plus récurrents, on retrouve l’aspect ocre, brun de la colorimétrie. Une unité chromatique qui va de pair avec le fait de renoncer à l’uniforme bleu et blanc contre une panoplie plus unifiée très inspirée des westerns spaghetti. Là-dessus, on a beau écouter les justifications et accepter l’argument de retrouver l’ambiance des tableaux de l’époque, on ne peut que regretter que cet étalonnage – surtout posé là pour donner une dimension épique à l’ensemble – gâche un peu la lisibilité de certaines scènes. Le XVIIe siècle et le ton léger qu’adopte régulièrement le film n’appelle pas forcément le même traitement que le combat épique et désespéré de 300 spartiates au détroit des Thermopyles… Et dans le même ordre d’idée, enfiler la casaque bleue à croix blanche typique des mousquetaires n’aurait pas été de trop lors des entrevues et célébrations officielles. Je suis un peu fatigué du héros qui n’a qu’une garde-robe ailleurs que dans un sériel.

Un pour tous et tous bourrins

Côté mise en scène, Martin Bourboulon a choisi d’utiliser des plans séquences dans ses scènes de bataille. Un choix de caméra embarquée et tremblotante qui se fait asperger de boue et invite le spectateur au creux de la mêlée. Ces scènes restent des moments intéressants, l’action étant haletante. On est loin du duel codifié. Comme D’Artagnan on se sent déboussolé. Et oui, ce n’est pas l’image chevaleresque qu’on avait idéalisée. Une bataille, c’est sale, il y a du sang, des cris, on ne comprend pas tout ce qui se passe. Et on redécouvre que dans ‘mousquetaire’ il y a le mot ‘mousquet’. La sauvagerie prend le pas sur l’artifice, et on ressent la violence du moment.

On regrettera juste que pour contrebalancer, justement, le film ne propose pas son duel plus chorégraphié, mis en scène différemment. À cette évidence, pourtant partie importante du cahier des charges du genre, Martin Bourboulon préfère le hors champ. Efficace encore une fois pour entrer dans la psychologie – par exemple – de la Reine, mais qui à force peut laisser un petit goût d’inachevé. Comme Ian Malcolm demandait à John Hammond s’il y avait des dinosaures dans son parc à dinosaure, j’en viendrais presque à demander à Martin Bourboulon s’il y a des épées dans son film de capes et d’épées… J'aurais espéré dans cette adaptation aux relents de thriller en costumes un peu plus d'aventure et de panache.

Un bourre-pif et tous bourrés

Les acteurs pour leur part s’amusent comme des fous. Ou en tous cas, ils en donnent l’impression. Certains cabotinent autant qu’une Eva Green qui joue une brune torturée et vénéneuse… Mais après tout, après avoir été bercés par moult adaptations des Mousquetaires, ne perdons pas de vue qu’à chaque itération, les acteurs jouent aux mousquetaires plus qu’ils ne les incarnent. C’est comme une tradition. C’est une légèreté assumée. Tout n’est pas à prendre avec un sérieux d’étudiant en lettres ou en cinéma, chargé de lister chaque circonvolution pour en déduire autant d’inepties présupposées.

François Civil et Lyna Khoudri cassent le classicisme de leurs approches de séduction pour un second degré qui fait sourire et donnent plus l’impression de scènes de drague anachroniques contemporaines et s’amusent eux-mêmes de la naïveté évidente de leurs personnages. Plus que de nous sortir du film, comme au théâtre, on sourit avec eux. Dans la même logique, Louis Garrel fait un travail exceptionnel en Louis XIII dépassé mais orgueilleux qui joue au roi plus qu’il ne l’est. S’ils sont très bien dans leurs bottes Pio Marmaï et Romain Duris souffrent hélas d’une caractérisation en retrait. Sur les deux heures de films, on aurait beaucoup aimé les voir plus mis en avant et participer d'avantage à l’aventure, tant leur plaisir d’être là est communicatif.

Vincent Cassel campe lui un Athos plus âgé, perdu dans une dépression avancée : “il boit pour noyer ses démons, mais à force ceux-ci ont appris à nager”. Encore une fois, une absence de temps à l’image le condamne un peu, le personnage oscillant entre un fatalisme sacrificiel un brin excessif et un panache trop en retrait où il est plus porté que moteur. C’est bien là mon plus gros reproche au film d’ailleurs, en ajoutant le Richelieu d’Eric Ruf : à trop rajouter d’éléments et en suivant D’Artagnan seul trop souvent, beaucoup de personnages se voient un peu muselés en dépit d’un vrai potentiel. Peut-être que le deuxième volet viendra combler ces manques et mieux accompagner les seconds rôles qui brillent eux sans soutien, comme le M. de Tréville de Marc Barbé, très juste de bout en bout.

Ces ajouts pourtant absents du roman d’Alexandre Dumas participent malgré tout à la modernisation de l’ensemble. L’histoire autour des Ferrets, vue et revue, est resserrée pour mieux insérer une dimension plus politique à un scénario qui se la joue enquête façon Vidocq (l’homme, pas le film). L’attentat / coup d’état qui survient sans sommation et l’insertion de relents de la Saint Barthélémy trouvent un écho dans le novembre noir parisien de 2015 qui surprend mais permettent au film de surprendre tout en donnant un peu plus de hauteur à l’ensemble.

Si tu ne viens pas à Lagardère…

La sortie n’a pas été des plus évidentes. En face du carton Super Mario le Film, Les Trois Mousquetaires ont un peu traîné la patte en termes d’entrées / salles. La période de vacances scolaires permettra-t-elle au film de se maintenir et de remporter le succès public tant espéré ? Il est encore un peu tôt pour trancher, mais le combat est rude et acharné, d’autant plus que la grosse machinerie calendaire du MCU et consorts s’est réactivée, en dépit d’une Phase 4 moribonde. Le pari de ces Mousquetaires était pourtant inspiré : un diptyque où les retardataires qui auraient boudé le film en salle pourraient se rattraper dans le confort de leur canapé juste avant la sortie du second volet pour peut-être susciter une envie nouvelle. Une motivation suffisante. Il nous faudra attendre décembre pour jauger de la justesse de l’entreprise.

Je ne saurai pour ma part que vous conseiller de tenter l’aventure. Non seulement l’enfant en moi qui a grandi sur des terres gasconnes, fan de films de capes et d’épées et de romans du même genre ne se le pardonnerait pas, mais il est parfois rassurant de voir porter des valeurs un peu humanistes, simples et réconfortantes, où le groupe soutient l’individu, et où l’individu sort de son petit monde pour embrasser une cause plus grande. En des temps parfois troublés, et où sans surprise les cyniques et leurs égos démesurés creusent la tombe de leurs semblables par ignorance, maladresse ou à dessein, ça peut aussi faire du bien, quelque part, de savoir qu’il y a d’une façon ou d’une autre une forme de soutien. Et comme j'aime le dire à mes propres Mousquetaires – qui se reconnaîtront – seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.

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