Il pleut des nouvelles séries d’articles sur Le Grand Pop ! Pour célébrer notre deuxième anniversaire, nous inaugurons encore une chronique, consacrée aux années marquantes dans un domaine artistique particulier. Nous nous lançons dans cet exercice avec la musique de l’année 2001, il y a exactement vingt ans.
Télé, réalité… et inversement
Pas évident d’évoquer l’année 2001 pour parler d’autre chose que de son principal événement : l’attentat sur le World Trade Center, le 11 septembre. Pourtant, six mois plus tôt, les images de la destruction des Bouddhas de Bâmiyân au nord-est de l’Aghanistan nous avaient donné un indice sur le degré de sérieux de la menace talibane. Des fanatiques capables d’anéantir les plus grandes merveilles de leur propre culture allaient probablement redoubler de cruauté pour frapper leurs ennemis. Les images glaçantes des avions de ligne explosant dans les derniers étages des tours jumelles à New York, dignes des films catastrophes les plus sensationnalistes, nous étourdissent encore, vingt ans après.
L’année avait aussi été marquée par un autre séisme, culturel lui, en France : l’arrivée de la télé-réalité sur nos écrans. Plus question de se contenter de télé-crochets ou de ces jeux qui font de n’importe quel quidam un millionnaire. Cette fois, le Français moyen devenait un spectacle et une vedette à lui seul. Et si, dans la Star Academy, l’ambition était encore de le faire monter sur scène, ce n’était pas le cas de Loft Story, qui se contentait d’observer une douzaine de spécimens hauts en couleurs dans un studio d’enregistrement déguisé en appartement. Véritable bouleversement social, la première saison du "Loft" fut accueillie par des hordes de casseurs devant les locaux de M6, certains manifestants allant même jusqu’à se lancer dans une grève de la faim. David Dufresne, réalisateur du documentaire Un pays qui se tient sage, s’était alors lancé dans un marathon de visionnage de l’intégralité de l’émission en temps réel et en avait tiré le livre Toute sortie est définitive. Loft Story autopsie (éd. Bayard, 2002). La musique de l’année 2001 en gardera des séquelles, puisque Loft Story, La Star Academy et Popstars nous offriront tous les trois de quoi remplir nos oreilles pendant quelques semaines, avec respectivement Up And Down, La Musique et Toutes les femmes de ta vie, premier single des L5.
Internet n’occupait pas encore la place que nous lui accordons dans notre quotidien. La télévision restait le principal écran vers lequel se braquaient les regards, mais ce qu’on y voyait prenait une nouvelle forme. Dans ces émissions, la fiction devenait réalité. Jusqu'au 11 septembre 2001, quand des images traumatiques ont inversé la tendance : la réalité dépassait la fiction.
À cette époque, les chaînes musicales sont encore puissantes et diffusent en boucle les clips avant-gardistes de nouveaux artistes ou les grands retours d’anciennes gloires. Le son du nouveau millénaire se trouve sur MTV ou sur MCM, sur lesquelles nous zappons fréquemment pour éviter les pages publicitaires des chaînes nationales. Les découvertes et les comebacks ont déjà marqué l’année précédente, puisqu’au début de l’année 2001, le monde entier ne s’est pas encore remis du succès international d’Eminem avec l’irrévérencieux The Marshall Mathers LP, ni du retour de Madonna au sommet de sa forme avec Music, le huitième album d'une star qui, à plus de quarante ans, enchaine encore les singles à succès.
Dans les cours de récréation, on entend souvent crier "Wassuup", un grognement régressif et festif popularisé dans le monde entier par une publicité pour Budweiser. Le phénomène sera forcément récupéré par Da Muttz, qui en tirera un single parodiant Can’t Touch This de MC Hammer, et donc Super Freak de Rick James avant lui. Il est loin, le temps de Charles Trenet, de Gilbert Bécaud, de George Harrison, de John Lee Hooker et de Joey Ramone, qui disparaissent tous en 2001, laissant derrière eux un inestimable héritage musical. Mais le décès qui marquera l’année d’une pierre blanche sera celui de la jeune Aaliyah, disparue dans un crash aérien le 25 août, quelques jours après la sortie de son troisième album.
Côté cinéma, en attendant la sortie du premier volet du Seigneur des anneaux, la France entière se remet de sa séance du Fabuleux destin d’Amélie Poulain en écoutant en boucle sa bande originale signée Yann Tiersen, tandis que les spectateurs plus rebelles préfèrent la noirceur de Requiem For A Dream et de son thème musical Lux Aeterna interprété par le Kronos Quartet.
C’est dans ce climat social et culturel déjà encombré qu’une avalanche de tubes sera déversée semaine après semaine, allant de l’habituel tube de l’été à la révolution culturelle, en passant par les incontournables "One Hit Wonders" de circonstance.
Des nouvelles de la "French Touch"
De 1995 à 2000, la célèbre "French Touch" a refaçonné la musique électronique, effaçant presque entièrement le souvenir de ce qu’elle exprimait avant d’être réinventée par une génération de prodiges français. Son coup d’envoi avec l’album Homework des Daft Punk amorcera la rédemption d’un genre musical très critiqué, souvent même réduit aux maladresses de "l’Eurodance". À la suite du tandem casqué, les plus grands représentants du genre se sont vite manifestés : ils s’appellent Cassius, Air, Bob Sinclar ou David Guetta. Dans le courant de l’année 2000, la famille s’agrandit avec Phoenix, originaires de la région parisienne comme Daft Punk et Air, et leur premier album United. Mais il faudra attendre le mois de janvier 2001 avant de découvrir sur les ondes et à la télévision le premier single devenu légendaire, If I Ever Feel Better.
Moins dans la lumière cette année-là, le groupe Air proposera 10 000 Hz Legend, un album inspiré, qui souffrira des précédentes prouesses du groupe qui s’est fait connaître avec l’incontournable Moon Safari avant de signer la bande originale de Virgin Suicides pour Sofia Coppola.
En région parisienne toujours, Saint-Germain (originaire de Saint-Germain-en-Laye, comme son nom l’indique) souffle un air plus cool et lounge dans ce paysage musical. Son deuxième album studio s’appelle Tourist. On y trouve des petites pépites de jazz mêlées à des rythmes électroniques, comme avec le single So Flute.
Au mois de mars, sorti de nulle part, un jeune DJ parisien du nom de Guillaume Atlan, inspiré par ce courant, va tirer son épingle du jeu en sortant son premier single sous le pseudonyme The Superman Lovers. Sa chanson s’appelle Starlight et fera le tour de la planète accompagnée d’un clip culte, sur le destin d’une patate musicale qui rêve de devenir célèbre.
Mais où sont donc passés les rois de la "French Touch" juchés sur leur trône depuis six ans déjà ? Les Daft Punk ont-ils déjà fait le tour de leur propre sujet ? Il faut reconnaitre qu’entre Da Funk et Around The World, accompagnés des inoubliables clips de Spike Jonze et de Michel Gondry, ils peuvent déjà prendre leur retraite. Ils appartiennent à la légende. Mais le 13 mars 2001 sort leur deuxième album, Discovery, dont le premier extrait One More Time colonise déjà les ondes radio du monde entier. Le clip promet aussi une expérience inédite : chaque nouveau titre s’inscrira au sein d’un long métrage d’animation supervisé par Leiji Matsumoto, le papa d'Albator. Le film complet, Interstella 5555 : The Story of the Secret Star System, accompagnant l’intégralité de l’album Discovery, ne sera dévoilé en salles que deux ans plus tard. Suivront, tout au long de l’année, les trois morceaux suivants : Aerodynamic, Digital Love et Harder, Better, Faster, Stronger. Durant tout l’été, c’est le monde entier qui danse sur de la musique française. On ne tergiverse plus : seul Daft Punk arrive à la cheville de Daft Punk.
Back dans les bacs
Tous les grands retours de l’année 2001 ne sont pas égaux. Il faut dissocier les comebacks ratés, comme pour un dernier tour de piste, de ceux qui ont relancé la carrière d’un artiste ou d’un groupe. New Order, par exemple, avec son album Get Ready, n’a pas su convaincre au-delà de son excellent single Crystal. C’est l’inverse du côté de Depeche Mode qui revient avec Exciter, s’offrant un troisième acte dans sa carrière, plus de dix ans après l’album Violator qui avait déjà réinventé le groupe. Au cours de l’année, trois singles seront extraits d’Exciter : Dream On (qui deviendra une des plus célèbres chansons du groupe), I Feel Loved et Freelove.
Deux icônes de la pop sont de retour après un long passage à vide avec le meilleur album de leur carrière. D’abord, la vedette australienne Kylie Minogue atteint la première place du Top 50 avec Fever et son imbattable premier extrait Can't Get You Out Of My Head. Plusieurs autres singles aux accents dance-pop du même acabit paraîtront plus tard, comme In Your Eyes, Love At First Sight et Come Into My World, et son sidérant clip réalisé par Michel Gondry. 2001 sera aussi l’année du retour de Janet Jackson avec All For You et son single éponyme. Trois ans plus tard, l’incident du SuperBowl où le sein de Janet Jackson sera dévoilé pendant un duo avec Justin Timberlake sonnera la fin de l'état de grâce.
Mais Janet n’est pas la seule membre du clan Jackson à revenir sur le devant de la scène cette année-là. Michael, le "roi de la pop", dévoile Invincible, son sixième album studio. MJ ne s’est plus montré depuis HIStory, en 1995, à l’exception des quelques titres inédits dévoilés en 1997 dans la compilation Blood On The Dance Floor. Pour la dernière fois, le plus grand showman du monde révèle au monde entier un clip vertigineux, dans la grande tradition de Thriller, Beat It ou Bad. Le morceau, intitulé You Rock My World, est accompagné d’un court métrage d’un quart d’heure, signé Paul Hunter. On y retrouver Michael Jackson accompagné de Chris Tucker, Billy Drago, Michael Madsen et Marlon Brando dans une rivalité entre gangsters, inspirée des films noirs hollywoodiens. Aucun des autres singles de l’album ne fait mouche et Invincible restera sans suite. Michael Jackson décédera en 2009.
Surprise : le dernier tour de piste de celui qu’on appelait Bambi fera peut-être moins danser que le retour de Jamiroquai après un album décevant, Synkronized. Son nouvel opus de 2001, habilement baptisé A Funk Odyssey, contient notamment un vrai tube pour enflammer les pistes de danse : Little L. Jay Kay a décidément retrouvé son bon vieux groove.
En France, c’est MC Solaar qui revient après s’être séparé de sa première maison de disque, Polydor, dans un conflit si célèbre que ses premiers albums seront tous retirés de la vente en 2000. Cinquième As annonce un glissement du rap populaire vers la variété avec ses deux titres phares : Solaar Pleure et Hasta La Vista. Pour de nombreux fans, le rap de Claude MC s’est commercialisé.
C’est radicalement l’inverse du côté de Noir Désir. Le groupe de rock bordelais revient cinq ans après l’immense succès de 666 – 667 Club avec Des visages des figures, un album calme, cérébral, où les samplers ont remplacé les guitares distordues. Accueilli en grande pompe par l’intelligentsia, ce sixième album sera l'ultime réussite du groupe contraint de se dissoudre quelques années plus tard, à la suite du décès de Marie Trintignant sous les coups du leader, Bertrand Cantat. Comme pour annoncer ce destin funeste, Des visages des figures est paru le 11 septembre 2001. Les chansons Lost, À l’envers, à l’endroit et surtout Le Vent nous portera rencontreront un immense succès en France comme en Europe, et l’album sera couronné d’une Victoire de la Musique l’année suivante. À son générique, pour la guitare qui accompagne le plus célèbre morceau, le nom de Manu Chao est crédité. L’air de rien, l’ancien leader de la Mano Negra est aussi en train de vivre une année extraordinaire.
Quelques mois plus tôt, le chanteur a révélé Próxima Estación : Esperanza, son deuxième album solo, qui connaîtra au moins autant de succès que le premier, Clandestino. Si bien que nombreux sont ceux qui pensent encore que ces deux albums constituent l’ensemble de la discographie de Manu Chao en cavalier solitaire, alors que Sibérie m’était contée sort trois ans plus tard, suivi de La Radiolina en 2007. Mais, en 2001, Próxima Estación : Esperanza s’accompagne d’une tournée planétaire monumentale et le single Me gustas tú résonne sur les transistors de tous les pays, à l’exception, peut-être, des États-Unis.
Girl, you’ll be a woman soon…
Si Kylie Minogue et Janet Jackson refont tourner la tête des garçons, elles sont accompagnées d’une très forte jeune génération prête à conquérir la pop. Comment évoquer l’année 2001 sans parler du scandale généré par le clip de I’m A Slave 4 U de Britney Spears, extrait de son album éponyme, dans lequel la chanteuse ruisselante de sueur, arbore un string par-dessus son jean et danse, lascive, entourée de plusieurs jeunes garçons torses nus ?
Pourtant, Britney n’est pas seule à jouer la carte de la séductrice croqueuse d’hommes cette année-là. Christina Aguilera, Lil' Kim, Mya et Pink reprennent Lady Marmelade dans la bande originale de Moulin Rouge par Baz Luhrmann, scandant avec panache son refrain francophone sexy "Voulez-vous coucher avec moi ce soir ?". Jennifer Lopez fait tomber le haut dans le clip de Love Don’t Cost A Thing, extrait de son nouvel album J.Lo. L’ex Spice Girl Geri Halliwell reproduit la célèbre audition court-vêtue de Flashdance dans le clip de sa reprise de It’s Raining Men. Avec Get The Party Started (sur l’album M!ssundaztood) P!nk adaptera l’attitude punk à la pop music, tout en démocratisant le port du pantalon taille basse et des sous-vêtements apparents. La rappeuse Eve en duo avec Gwen Stefani du groupe No Doubt en feront autant avec Let Me Blow Ya Mind. Le monde entier découvre avec émotion la sensualité et la souplesse des pas de danse esquissés par la jeune Colombienne Shakira qui dévoile ses premiers titres en langue anglaise sur son cinquième album, Laundry Service, et l’inoubliable single Whenever, Wherever.
En France, les jeunes chanteuses se montrent bien plus sages. La petite Priscilla n’a que douze ans lorsque son idole Britney Spears lui remet en mains propres un disque d’or pour le single Quand je serai jeune. Mais la vraie réponse française à Britney sera incarnée par Lorie, dont le premier album Près de toi déborde de hits, tels que Je serai (ta meilleure amie) ou Toute seule. Différence notable : la vedette française ne joue pas la carte de l’émancipation sexuelle et embrasse plus volontiers une forme de naïveté assumée, compatible avec un très jeune public.
Outre-Atlantique, ce sont aussi des femmes qui vont offrir au R’n’B ses lettres de noblesse. Mary J. Blige avec son single Family Affair et Nelly Furtado avec I’m Like a Bird marqueront l’année, mais pas autant que les Destiny’s Child avec l’album Survivor, Alicia Keys avec Songs in A Minor et son single Falling ou Missy Elliott avec son chef‑d’œuvre Miss E… So Addictive, sur lequel figure le classique du hip-hop Get Ur Freak On.
C’est d’ailleurs par le hip-hop, grâce au single Stan de Eminem, sur lequel sa chanson Thank You est samplé, que la chanteuse britannique Dido connait enfin son heure de gloire. Son album mélancolique No Angel s’écoule à 22 millions d’exemplaires.
"So British" ou "Born In The USA" ?
Au rayon "hommes", c’est davantage du côté du rock’n’roll qu’on se montre généreux, parfois même avec une seule jolie chanson égarée dans un album raté. Dans Island In The Sun, Weezer trouve son plus joli riff de guitare au sein de l’album vert, qui n’arrive pas à la cheville du précédent (l’album bleu). On n’oubliera pas non plus le tube rock de Nickelback This Is How You Remind Me, alors qu’on se dispensera volontiers de réécouter l’album Silver Side Up qui l’accompagne.
Les facétieux punks à roulettes de chez Blink-182 n’en finissent pas de nous mettre la patate avec leur skate-rock survitaminé, mais Take Off Your Pants and Jacket ne renoue pas avec le panache irrévérencieux de Enema of the State en 1999. Impossible de nous faire oublier cet album bourré de hits, avec sa pochette culte sur laquelle figure la star du X Janine Lindemulder déguisée en infirmière. Cette année-là, ils devront s’incliner face à leurs rivaux de Sum 41, qui font mouche avec All Killer, No Filler sur lequel figure le single enjoué In Too Deep.
Deux plus jeunes groupes approfondissent leur style avant de changer l’histoire du rock’n’roll pour toujours. En Grande-Bretagne, c’est Muse avec Origin of Symmetry, un album bien plus furieux que leur premier opus Showbiz. Ils tiennent enfin leur marque de fabrique : des guitares très lourdes qui s’entrechoquent avec des claviers aériens et la voix de Matthew Bellamy, ne renonçant jamais à aller chercher les notes les plus aiguës sans jamais perdre en décibels. Aux États-Unis, le couple formé par les White Stripes trouvera enfin son premier hit planétaire avec Fell In Love With A Girl sur l’album White Blood Cells. La chanson intéressera encore une fois le visionnaire Michel Gondry qui lui bricolera un clip tout en Lego.
L’opposition Grande-Bretagne/États-Unis réunira aussi deux groupes de légendes dans une période archi-prolifique, très amis à la ville, mais destinés à se livrer bataille dans les bacs. Outre-Manche, c’est Radiohead qui, une fois n’est pas coutume, sort un nouvel album quelques mois après le dernier en date. Amnesiac succède donc à Kid A et souligne leur passage à un rock plus électronique, plus expérimental, et leur rupture consommée avec la pop. Venu d’Athens en Georgie (USA), R.E.M. est un groupe célèbre pour sortir un très grand nombre d’albums avec un tout petit ratio de chansons très populaires. Après le plus confidentiel Up paru en 1998, ils sont de retour avec Reveal qui contient deux de leurs plus grands hits : All the Way to Reno (You're Gonna Be a Star) – dont le clip a été tourné par le célèbre réalisateur de documentaires Michael Moore – et Imitation of Life, chanson douce et triste qui partage son titre avec le chef‑d’œuvre du cinéma réalisé en 1959 par Douglas Sirk.
C’est aussi l’époque de grands groupes iconiques du début du XXIe siècle qui vont rapidement tomber en désuétude, quel que soit leur talent. Les Écossais de Travis monopoliseront la rentrée des classes avec Sing et les Californiens déjantés de System Of A Down feront la joie des ados en colère avec un album à réveiller les morts : Toxicity (en particulier l’épileptique Chop Suey ! qui a fait pogoter dans les fosses des festivals pendant quelques années).
Mais deux premiers disques de deux groupes vont monopoliser l’attention des mélomanes tout au long de l’année. Là encore, l’un est originaire d’Amérique du Nord et l’autre, de Grande-Bretagne. Issus de la Grosse Pomme, ce sont les Strokes qui font sensation avec leur premier album sans concession Is This It, considéré encore vingt ans plus tard comme l’un des meilleurs disques de l’histoire du rock. Leurs dégaines désinvoltes de bad boys déjantés feront d’eux les nouvelles icônes d’un genre qu’on croyait éculé. Pourtant, les Strokes feront des émules et le rock’n’roll ne s’essoufflera pas avant une bonne décennie. Mais, de l’autre côté de l’océan, un autre groupe ne l’entend pas de la même oreille. Damon Albarn, déjà chanteur superstar avec son illustre groupe Blur, s’associe au dessinateur Jamie Hewlett pour créer un groupe virtuel, loin des spotlights. Plus question de fabriquer des vedettes. Plus question de sanctifier la musique. Le rock’n’roll n’a plus qu’à se mélanger au rap, à l’électro ou à la world music. Sur Gorillaz, le premier album de ce groupe désincarné, tout se mélange dans un style éclectique et indéfinissable. Les clips déroulent l’histoire d’un groupe animé, qui ne vieillira donc jamais. Vingt ans et sept albums plus tard, la musique de Gorillaz, tout comme leurs membres, n’a pas pris une ride.
En boucle sur Chante France, encore et encore…
On pourrait croire notre production nationale à la traine, mais certains artistes de variété française profitent de cette tempête de talent pour fournir le meilleur d’eux-mêmes, comme Zazie. La Zizanie s’écoulera à un demi-million d’exemplaires, porté par son titre-phare Rue de la Paix. Mais Zazie profitera aussi du très grand succès de son duo avec Axel Bauer, À ma place, figurant sur le dernier opus du chanteur Personne n’est parfait.
Un autre duo deviendra rapidement un incontournable des karaokés : Sous le vent interprété par les stars québécoises Garou et Céline Dion. Les deux voix si différentes s’avèrent délicieusement complémentaires pour cette mélodie qui reste dans l’oreille, signée Jacques Veneruso.
Dix-huit ans après avoir remporté Roland-Garros et dix ans après son revirement de carrière, marqué par le tube Saga Africa, Yannick Noah entonne l’air qui lui fera retrouver la scène du Palais Omnisport de Paris Bercy, avec un micro à la place d’une raquette : La Voix des sages (No More Fighting). Certifié disque d’or, ce titre sera naturellement repris par les Enfoirés six ans plus tard.
Comme on l’a vu plus tôt en évoquant le retour de MC Solaar, le hip-hop se démocratise et se laisse parfois volontiers récupérer par la variété française, se détournant de son origine contestataire et provocatrice. C’est le cas, notamment, de Sully Sefil avec son unique chanson à succès J'voulais, ou, dans les boîtes de nuit, de Nuttea avec Elle te rend dingue et de Matt Huston qui complète son single R&B 2 Rue, sorti un an plus tôt, avec un album éponyme.
Classez-moi dans la variet’
Et le phénomène se vérifie dans le monde entier, même si certains groupes reprennent le flambeau d’un rap plus en colère, comme la Fonky Family avec Art de rue, ou Sniper avec leur premier disque Du rire aux larmes.
Mais, outre-Atlantique, le hip-hop et le R&B semblent aussi s’ouvrir à un public plus large, comme en témoigne OutKast avec Mrs. Jackson, deux ans avant de faire danser toute la planète avec Hey Ya !. Shaggy, le Francky Vincent des grands espaces, égraine les titres de son album coquin Hot Shot, sur lequel se trouvent les singles Angel et, surtout, Wasn’t Me. Pendant le SuperBowl 2021, une publicité jouée par Ashton Kutcher et Mila Kunis a démontré que l’Amérique entière n’avait rien oublié de cette ode à l’infidélité.
Cette mode du hip-hop bon esprit, naïf et innocent ira parfois trop loin, comme lorsque Snoop Dogg s’offre une sorte de Mini-moi en la personne de Lil’ Bow Wow, un jeune rappeur de 12 ans lui ressemblant trait pour trait, le temps d’un featuring sur le titre Bow Wow (That’s my name). Entre phénomène du moment et vedette éphémère, il n’y a parfois qu’un voile léger.
Un petit tour et puis s’en va
Comme chaque année, 2001 a compté son lot de "One Hit Wonders", ces morceaux au succès colossal lancés par des artistes dont on n'entend plus jamais parler, ou presque. Dans un clip resté culte, une jeune femme perdue dans les rues de New York se promène avec un cœur géant en mousse qui rétrécit à mesure qu’elle se prend des râteaux. Quand elle trouve enfin l’âme sœur, le cœur retrouve sa gigantesque taille originale, effrayant par la même occasion le séducteur. Le titre qui l’accompagnait s’appelait Another Chance du DJ new-yorkais Roger Sanchez.
Deux beaux gosses musclés, percés et tatoués rappaient maladroitement sur un air de rock dans Butterfly de Crazy Town. Le clip, aussi tape-à‑l’œil que possible, restera emblématique du mauvais goût "Made In USA" au tournant du millénaire.
En France, Billy Crawford fera davantage parler de lui dans les tabloïds, suite à sa courte relation avec notre Lorie nationale. Même si sa carrière vivotera encore un peu pendant les années 2000, son tube planétaire Trackin' ne fera pas beaucoup de petits sur le Vieux Continent. Pas davantage que le Néo-zélandais Daniel Bedingfield et son titre Gotta Get Thru This, aujourd’hui tombé dans l’oubli.
Mais les élèves de terminale de l’année 2001/2002 le savent : le véritable, le seul et l’unique "One Hit Wonder" de ce cru, c’est celui d’Afroman, Because I Got High, qui les accompagnera jusqu’aux examens, si bien qu’en France, Le 6 – 9 en enregistrera une parodie de circonstance : Faut passer ton bac, l’année suivante.
2001 : Vers l’infini et au-delà
En l’espace d’un an, ce nouveau millénaire amorcé début 2001 dans une ambiance insouciante et positive, emballée par Internet, la téléphonie mobile et les infinies possibilités que déployait l’ère numérique, s’est mué en un cauchemar paranoïaque obsédé par la guerre contre le terrorisme. En douze mois, les Français ont vu défiler plus d’images inédites et marquantes que tous leurs ainés réunis. Cette année-là, au mois de décembre, il n’y avait plus de retour en arrière possible. Le monde de janvier 2001 était déjà loin derrière nous.
Certes, on n’y a pas vu les vaisseaux du film de Stanley Kubrick dansant la valse parmi les étoiles au son du Beau Danube Bleu de Strauss. Certes, nous n’avons pas trouvé le sens de notre existence en orbite de Jupiter. Par bien des aspects, en 2001, nous n’étions toujours que des singes frappant frénétiquement le squelette d’un animal avec son propre tibia.
Mais ceux qui tendirent l'oreille ont quand même eu le droit de s’envoler vers la stratosphère et de partir pour un voyage intergalactique en compagnie de Gorillaz, Daft Punk, Missy Elliott, Garou, Céline Dion, Destiny’s Child, Noir Désir, Michael et Janet Jackson, Manu Chao, les Strokes, les Whites Stripes, Radiohead, Shaggy, Britney Spears et bien d’autres. Car, en musique aussi, nous avons franchi fin 2001 un point de non-retour. Le siècle était lancé, et il n’aurait rien à envier au précédent.
Les meilleurs albums de l'année 2021
• Afroman – Because I Got High (Single)
• Air – 10 000 Hz Legend
• Alicia Keys – Songs in A Minor
• Axel Bauer – Personne n’est parfait
• Billy Crawford – Ride
• Britney Spears – Britney
• Blink 182 – Take Off Your Pants And Jacket
• Crazy Town – The Gift of Game
• Daft Punk – Discovery
• Da Muttz – Wassuup ! (Single)
• Depeche Mode – Exciter
• Destiny's Child – Survivor
• Dido – No Angel
• Eve -Scorpion
• Geri Halliwell – Scream If You Wanna Go Faster
• Gorillaz – Gorillaz
• Garou – Seul
• Jamiroquai – A Funk Odyssey
• Janet Jackson – All For You
• Jennifer Lopez – J.Lo
• Kylie Minogue – Fever
• L5 – L5
• Les Lofteurs – Up and Down (Single)
• Lorie – Près de toi
• Manu Chao – Próxima Estación : Esperanza
• Mary J. Blige – No More Drama
• Matt Houston – R&B 2 Rue
• MC Solaar – Cinquième as
• Michael Jackson – Invincible
• Missy Elliott – Miss E… So Addictive
• Moulin Rouge ! (OST)
• Muse – Origin of Symmetry
• Nelly Furtado – Whoa, Nelly !
• New Order – Get Ready
• Nickelback – Silver Side Up
• Noir Désir - Des visages des figures
• Phoenix – United
• Priscilla – Quand je serai jeune (Single inclus en 2002 dans l'album Cette vie nouvelle)
• Radiohead – Amnesiac
• R.E.M. – Reveal
• Roger Sanchez – First Contact
• Saint Germain – Tourist
• Shakira – Laundry Service
• Star Academy – La Musique (Single)
• System Of A Down – Toxicity
• The Strokes – Is This It
• The White Stripes – White Blood Cells
• Travis – The Invisible Band
• Weezer – Weezer (l'album vert)
• Yannick Noah – Yannick Noah
• Zazie – La Zizanie