Le Visiteur du Futur : au bon endroit, au bon moment ?

Né en 2009 sur internet, le film Le Visiteur du Futur est enfin sorti en salles le 7 septembre 2022 au terme d'une longue attente qui a fait trembler les fans. Retour sur l'aventure Frenchnerd et le projet d'une vie de son visionnaire du futur : François Descraques.

Un battement d’aile à Paris

Surtout ne lance pas cette canette, sinon voilà ce qui va se passer !” Derrière cette injonction se cache la genèse d’une bien étrange histoire entre potes. Une épopée qui n’aura cessé de prendre de l’ampleur au fil des années. Jusqu'à la consécration, lorsque le projet de François Descraques et des autres membres de Frenchnerd se voit porté sur grand écran.

Mais revenons au début. Qu’est-ce que Le Visiteur du Futur, et qu’est ce qui justifie un engouement pareil de la part de nos chères communautés d’internet ? Ce projet, c’est pourtant simplement, à la base, une bande de jeunes avec un caméscope et beaucoup de bonnes idées.

13 années de complicité passées à sauver le monde

Le Visiteur du Futur reprend cette thématique qui fascine les auteurs de science-fiction depuis La Machine à explorer le Temps de H.G Wells, en passant par Terminator ou Retour vers le Futur : quels peuvent être les effets de l’intervention d’un voyageur temporel sur le cours des événements ? Comment fonctionne cette théorie de la causalité et peut-on l’exploiter pour espérer un futur meilleur ?

C’est précisément ce thème qui est abordé avec humour lors des tous premiers épisodes du Visiteur du Futur. Le personnage de Raph incarné par Raphaël Descraques – le frère de François – tente de vivre une vie normale de jeune Parisien un peu long à la détente. Mais son quotidien se trouve très rapidement perturbé par l’arrivée soudaine d’un étrange protagoniste. Vêtu de ses haillons du futur et de son téléporteur, qui ressemble étonnamment beaucoup à un lecteur MP3, le voyageur incarné par Florent Dorin entreprend une tâche plus qu’audacieuse : sauver le monde.

The End of the World as we know it

La capacité de se rendre à différentes époques, c’est la possibilité de recréer le futur en changeant le passé. Mais notre voyageur possède ses propres manières d’agir. Pacifiques avant tout mais aussi complètement farfelues. Et c’est précisément cet humour absurde qui viendra enrober un scénario bien ficelé pour donner naissance à une série d’une qualité surprenante au vu de ses moyens de départ.

Voilà pourquoi il ne faut pas que Raph lance cette canette. Car, d’une manière ou d’une autre, par une accumulation d’événements qui suivront, selon une théorie absolument alambiquée, cela provoquerait une explosion qui ravagerait tout Paris.

Déjà peu convaincant la première fois, notre héros du temps semble pourtant décidé à réitérer ses interventions auprès de Raph. Cela vire à l’obsession et ce dernier se sent très rapidement harcelé. Un scénario commence alors à prendre forme, d’autres personnages se joignent à l’histoire et lui donnent de plus en plus de contenance. Justine Le Pottier et Mathieu Poggi incarnent les membres d’une brigade temporelle déterminée à mettre la main sur le Visiteur, tandis que Slimane Baptiste Berhoun joue le rôle de l’extravagant Docteur Castafolte, robot humanoïde persuadé de ne pas être un robot mais son créateur lui-même.

Ainsi naît la première saison du Visiteur du Futur, composée d’une vingtaine d’épisodes de quelques minutes à peine. Avec peu de moyens mais beaucoup d’ambitions, les spectateurs qui découvrent cet OVNI sur Dailymotion en 2009 sont conquis et ce n’est que le début…

20th Century Fox

À cette date effectivement, ce ne sont pas les bonnes idées qui manquent sur internet et l’apparition de plateformes permettant de poster et regarder rapidement des vidéos donne lieu à un fourmillement de projets en tous genres. On pourra aisément citer Nerdz, Noob ou la Flanders Company… Mais également ce site, Frenchnerd, qui ressemble à un vivier inépuisable de concepts géniaux.

Hébergeant les vidéos du Visiteur du Futur, le site propose également d’autres projets de cette bande de potes, pléthore de séries telles que J’ai jamais su dire non, réalisée cette fois-ci par Slimane Baptiste Berhoun ou des détournements, de la musique et même les fameux Grands Débats. Ceux-ci mettent en scène des idées farfelues tout droit issues d’une fin de soirée entre amis et posant des réflexions sur de profonds sujets sociétaux comme Zombis qui courent VS. Zombis qui marchent ou encore Moundir VS. Predator.

Feelin' old yet ?

On a l’impression d’être dans un véritable Frenchnerd-verse à force de découvrir que tel acteur joue un autre rôle dans une autre série, que telle actrice possède un groupe de musique qui fait justement office de B.O. quelque part. D’autres visages rejoignent le navire, des acteurs tels que Pascal Hénault ou Simon Astier viennent donner plus de consistance et de professionnalisme. Parfois se greffent quelques figures d’internet : Ludovik, Céline Tran, Benzaie pour ne citer qu’eux…

Dead Landes, Dark Stories, Mystères à St-Jacut, + ou – Geek, le Golden Show, 3e Droite… Les projets de François Descraques brillent par leur diversité et leur inventivité. Le Visiteur du Futur de son côté n’est pas en reste, avec déjà quatre saisons, un roman et plusieurs mangas venant développer encore plus cet univers. Que pourrait-on attendre de plus audacieux ?

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Le rêve est finalement devenu réalité : Le Visiteur du Futur arrive sur grand écran. Au casting, de nombreux acteurs de la série partagent l’affiche avec de nouveaux venus. Car même si l’ambition de François Descraques reste d’offrir une suite en mesure de satisfaire la meute des fans de la première heure, il n’est pas question de perdre des novices en chemin.

En résulte la création d'un scénario inédit et l'ajout de deux personnages, Alice et son père Gilbert, respectivement incarnés par Enya Baroux (oui, la fille d'Olivier) et Arnaud Ducret. Ils prennent ici la place qu’occupait Raph au début de la série : des protagonistes emportés contre leur gré dans une aventure à travers le temps qui semble en apparence les dépasser.

Leur rôle est néanmoins bien différent de celui de Raph. Là où ce dernier incarnait un jeune benêt et passif, Alice est à son opposé, investie par les enjeux climatiques de son époque. Gilbert, de son côté, incarne parfaitement l’image du quarantenaire blasé et désintéressé par ces questions. Personnage triste, davantage aveuglé par ses intérêts personnels.

Par ce moyen, François Descraques nous dresse un tableau cohérent. Un “après” de la série qui sait apporter des références à qui désire s’en saisir sans jamais se montrer insistant. Le film se permet même de reprendre des éléments présents dans le livre et le manga, alimentant son scénario de manière discrète.

A Link to the Past

Que penser donc de cet enfant d’internet qui se confronte aujourd’hui à la grande famille du cinéma français ? Une industrie que l’on juge souvent, parfois à tort, lui reprochant ses comédies éculées et son manque d’ambition en cinéma de genre ? Il est vrai qu’au-delà d’un Jean-Pierre Jeunet et d’un Quentin Dupieux, les pellicules françaises peinent à vouloir nous faire véritablement sortir de notre zone de confort. Même si un vent nouveau souffle depuis quelques années, autour notamment de Julia Ducournau et sa Palme d'Or Titane.

Le parallèle de cette sortie avec celle du premier volet de Kaamelott a forcément été maintes fois évoqué. Après tout, il s'agit d'un autre exemple d’histoire ayant troqué le format série pour le grand écran, et possédant également une communauté friande en références. Sauf que le film d’Alexandre Astier s'était vu reprocher de ne pas avoir suffisamment tendu la main aux non-initiés. Exercice évidemment difficile que de se retenir de faire évoluer une intrigue forgée durant une décennie pour se rendre tout public. Est-ce nécessaire de brider le potentiel de certains protagonistes risquant alors, à l’inverse, de faire face au mécontentement des aficionados ?

De nombreuses fois réécrit, le scénario de François Descraques tient ici parfaitement la route. En nous les présentant tour à tour, durant des scènes d’exposition les mettant chacun en valeur, Le Visiteur du Futur dresse des résumés concis de ses personnages principaux. Pas besoin de flashbacks insistants, on comprend aisément les fils qui se tissent entre cette multitude de visages. Le tour est réussi, en mettant de côté par la même occasion certaines intrigues n'ayant pas lieu d'être dans ce film-ci.

Car l’histoire se veut concise pour permettre aux spectateurs les plus frileux au cinéma de genre de ne pas se retrouver trop déboussolés. On se retrouve face à une comédie de SF assez classique, sublimée par une profusion d'effets spéciaux et un sens du drame et de l'émotion maîtrisé avec intelligence. Des points qui constituaient déjà la marque de fabrique du VDF durant son évolution en format série. Le contrat est ici maintenu avec toute l’expérience engrangée par les années.

Le Futur du Visiteur

Pari réussi ? C’est ce que nous dira le futur proche en fonction du succès ou non du film en salles. Ce qui demeure certain, c’est qu’aujourd’hui beaucoup encouragent la démarche, au-delà du film lui-même, dans l’espoir d’oser un cinéma français moins frileux sur ses prises de risque. Particulièrement à une époque où les ovnis comme Everything Everywhere All at Once, toujours aussi rares face à une surproduction de produits surannés, connaissent de jolis succès, aussi bien d'estime que commerciaux.

Le Visiteur du Futur deviendra-t-il à son tour un véritable irréductible, ayant coûté 10 à 15 fois moins qu'un film Astérix sans pour autant être avare de VFX en tous genres ? Aura-t-il droit à une, voire plusieurs suites permettant d'élucider les nombreuses intrigues disséminées au cours de l'histoire ? L'œuvre semble en tout cas avoir trouvé une zone de confort sur grand écran, poursuivant même une réflexion écologique plus d'époque que jamais.

Oh la belle verte !

Le film est ainsi, sans le vouloir, devenu un pur produit de son temps. Là où les menaces de pluies acides étaient, dans les premières saisons, une vague menace permettant de diriger l’intrigue du scénario, le long-métrage finit par adopter une posture plus sérieuse face à l’urgence climatique. Alice est un personnage concerné et réfléchi là où Raph, à son époque, ne possédait pas la conscience de penser au lendemain.

Le Visiteur du Futur n’est pas simplement une œuvre qui a eu la chance d’être au bon endroit, au bon moment. C’est l’enfant d’internet qui valait dès le début mieux que ce que à quoi il prétendait. Sa chance aujourd’hui, c’est la chance de chacun de pouvoir le découvrir au cinéma et de plonger dans l’aventure.

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